Exo anonyme « L'attente » : Patience

Il fait sa gueule des mauvais soirs, ne comprend rien à ce que je lui raconte.
— La tente ? il demande.
— Pas celle-là l’autre.
— La tante ?
— Tu le fais exprès ?
— Latente ?
— Raymond.
— Quoi ?
— Sois un peu coopératif, voire un peu de bonne humeur, s’il te plaît.
Il délaisse ses mots croisés force 5, quitte ses lunettes pour me regarder franchement, de la tête aux pieds, inversement, recommence. Au passage, il quitte ses chaussons, se masse les arpions, on dirait bien que le divan sur lequel il est installé mesure des kilomètres de long : la distance du quotidien partagé.
Le voilà loin, très loin, je l’imagine à Caracas ou à Dubaï, pire, en Papouasie Nouvelle Guinée. Je n’en connais pas la capitale, je sais à peine où ça se trouve et, il suffirait de me retourner, de lui poser la question pour avoir la réponse.
Raymond est un puits de science.
Il a reprit ses mot croisés, indiffèrent, tandis que je m’assois devant l’écran pour composer.
« L’attente » c’est le sujet.
La tasse de camomille qui repose sur le bureau ne m’inspire guère.
« L’attente » …
Et je sèche
Et je sèche jusqu’à ce que force 5 cède ses grilles à Raymond moins une ligne verticale, ligne en absence qu’il dépose en évidence sur mon bureau avant d’aller se coucher.
— Ne tarde pas trop, il dit.
— J’arrive, je réponds par habitude.
Une fois seule, les premières lignes de l’exo arrivent, évidentes
« Raymond est un gros con, mais c’est l’homme de ma vie et, comme la plupart des femmes j’avais le choix entre me faire à cette idée ou fouiller dans sa personnalité pour y découvrir le prince charmant »
Pas mal ça, me dis-je, comme incipit. Puis, parce que je sèche décidément, je lis la définition verticale, celle en absence de Raymond « Solitaire à la carte en huit lettres »
D’évidence, elle se présente : « Patience »
Et je ne sais trop si je dois sourire ou bien l’inverse ? Si c’est un message ou le hasard. Si…
— Raymond ? Je gueule.
Mais il ronfle déjà, quelque par loin là-bas, loin dans la chambre, à l’autre bout d’un lit froid, en Alaska ou quelque chose comme ça : la distance du quotidien, disais-je.
Patience, je répète.
Et tout compte fait, mon incipit me semble être en dessous de la réalité.

Quelle ambiance !
J'adore l'incipit.
J'ai bien aimé cette scène d'intimité conjugale au vinaigre.

Savoureux !

ha d'une façon générale j'aime beaucoup les "tranches" de la vie de couple, surtout quand ça grince comme là. Sur le fond, ni angélique ni plaintif, le ton juste, tendrement lucide et ironique, c'est parfait pour moi.

Sur la forme, ça me va très bien aussi : du dialogue mais pas trop, expurgé de "dit-il", "répondit-elle", "claqua-t-elle la porte" : parfaitement intégré au reste. Et puis c'est très visuel, sans fioritures. Et même la phrase de fin, qui en général m'agace (les phrases de fin qui commentent - j'en commets aussi -) ben là, la façon dont c'est tourné ça passe bien.

Donc : j'achète !

Haaa j'adore ! C'est vivant, efficace, exposé avec justesse. Et puis les personnages, on les voit, on les sent, on fait plus que les deviner, c'est excellent.

Modération a écrit:Une fois seule, les premières lignes de l’exo arrivent, évidentes
« Raymond est un gros con,

ceci est particulièrement croustillant. Si simple et pourtant si fort :-)

Cocasse cette mise en abyme de l'exo
Un texte savoureux au ton aigre-doux, une ambiance bien rendue

c'est vraiment bien vu, un régal à la relecture,
impeccable pirouette!

Et personne pour dire que c'est du

Spoiler:

?
Ben moi, je pense !

coline Dé a écrit:Et personne pour dire que c'est du

Spoiler:

?
Ben moi, je pense !

Tss ! tss! Tu ne trompes personne cette fois !
"La distance du quotidien" une trouvaille qui te trahit !

La "distance du quotidien partagé" est bien rendue. Elle pousse à la créativité.

Ah non Arielle : "d'évidence" "Incipit" et "je répète" c'est du vocabulaire signé

Spoiler:

Que je n'hésiterai pas à employer dans un exo pastiche !

je prends tout, excellent, quand on se régale à la lecture que dire d'autre, franchement ?

Je crois que j'aurais pu écrire un truc pareil, même si ce texte me laisse un goût de comment dire : inachevé.

je pense à Carla Bruni ou plus sérieusement à John Irving.
jolie lecture.

Arielle a écrit:
"La distance du quotidien" une trouvaille qui te trahit !

Bon, maintenant que l'on sait qui est qui, j'aimerais bien comprendre le sens de cette phrase :-)

Un thème qui tourne toujours dans la même sphère et qui signe les textes.
Rien de péjoratif, dans ce que je dis. C'est juste pour signifier que tu excelles et dans les dialogues, et dans les scènes domestiques.