Visite en 21 stations

1
Dans parking tu alignes Austin
2
J’ai vingt roses-icosaèdres enveloppées dans de l’alu
3
Appuyons triple coups sur le bouton
4
Tu commences une phrase sans la…
j’ai aperçu le vide fuchsia de tes nymphes
5
Fenêtre écarquillée sur son balcon
6
Texto
7
Balcon de Roberte qu’on devine de la rocade
8
Texto - désolée ce soir…
9
Comique nous sommes avec nos roses-icosaèdres
dans l’éminence de notre poing senestre
10
Elle ne serait pas morte…
On n’invite jamais qui l’on croit
11
Son texto-logogriphe égale trouille
12
Alors par dépit, sans Roberte, nous nous dirigeons vers la crypte
Il est 18 h 12

Une femme en ronde-bosse y tresse la chevelure de son enfant, elle va s’asseoir dormir, recroquevillée en incertitude sur son sac-bonheur, puis elle se désaltére à sa gourde-vache dont elle presse le pis jusqu’à l’ultime ressource quand l’enfant au pis s’accroche pour une goutte qui ne tombe pas, d’autres femmes se dressent aussi toutes, surveillant l’avenir taillé dans l’ombre de la grande Faucheuse. Nous arrivons dans la crypte. Tu m’accompagnes. Translucide, ta robe de nuit me récite la description des années qui nous lient. Tes yeux de bateau illuminent l’opacité.
Dans la crypte, c’est l’haleine des gisants qui nous parle.
Cet enfant sur l’épaule de sa mère voit plus loin que la mère, à ses pieds gisent des reliefs de coco, même si la mère tend un pouce miséricordieux à son enfant, les prédictions sont plus dansantes que l’immanence. Un homme assoiffé ne peut se pencher sans perdre son aplomb à la rivière desséchée où traînent ses testicules modelés.
Dans la crypte nous sommes rentrés.
Décryptons.
Si un enfant hérite du singe, son père-macaque ne le tuera point aujourd’hui. Ce n’est ici qu’une exposition de terre cuite, tu me rappelles, les actes de sang y sont proscrits. La vieillesse qui animalise et désosse les corps dans les jeans compassés, nous en ferons l’antithèse dans la crypte où fument déjà nos déjections comestibles.
Assises, les femmes observent si rien ne vient pour espérer, pieds souffrant, leurs sabots défaits. Un cadavre d’enfant est aggrippé à leur tétin pour la dernière tétée. Hanche offerte à l’assise de l’enfant faisandé, ô Médée par compassion !
Nous entrons dans la crypte.
Une adolescente ébahie nous tend un oiseau moulé dans ses mains qu’elle resserre. Craquement bref. L’oiseau n’a piaillé que deux fois. C’est une offrande, tu restes pensive.
Nous séjournerons dans la crypte.
Le garçon, au creux poplité de sa mère, s’endort, bercé de chaleur annale.
Retour.
Le chien, d’une paix squelettique, chaperonne la famille.
Tableau.
Nous sommes dans la crypte pour un dernier congé.
Abandonnés, fiers, décavés, sereins, ils bronzent le sol de leur lumière insoumise.
Dans la crypte nous témoignons.
Ils sont, pétris de malheur, conquistadors du néant qui les érigent. Le vieillard se console sur sa carcasse de violon, jouant des romances qui ne nous concernent plus. Belle, tu entends leur voyage immobile ? Toi, belle, enrobée de tristesse trépidante. Toi, mon égérie !
Les mères soignent les pieds de leurs petits, ça et là. Trois enfants, couchés sur le trottoir, décryptent le livre, le quatrième a le regard distrait de ceux qui attendent d’en haut, l’éclair de la schlague.
Une porte s’est entrebaîllée pour le passage des coursiers - aurochs ou buffle - que chevauchent ces enfants au destin d’argile.
Mais dans la crypte, c’est une chêvre pugnace qui triomphera des sentiers pentus, par l’unique grâce sculptée de son maître déguenillé.
13
Repartons alors dans la nuit - 20 h 02
14
On ne nous y reprendra plus avec son apéro dinatoire
Roberte pose des lapins
15
Elle ne serait pas morte Roberte, des fois
16
Ce que je vous dis là ne le mettez pas dans l’oreille du chat
17
Texto brouillé
18
Attendons une explication remarquable
19
L’Austin suspend la nuit
20
On se regarde sans comprendre
21
Il n’y avait que vingt roses
pour Roberte

Je vais revenir quand j'aurai plus de temps et de disponibilité mentale.

Moi aussi. Puis-je connaitre la marque du shaker à mots ? :-))
Franchement et toute plaisanterie mise à part, je n'ai rien compris. Désolé. pitêtre qu'une pitite explication ?

Je suis bien les 21 étapes (en résumé : "14 : Roberte pose des lapins"), mais comme par hasard, la station 12 me laisse ... sans mot : "18 : Attendons une explication remarquable".
Il semble qu'il s'agisse de la description d'une sorte de bas-relief, mais c'est trop simpliste pour être suffisant, pour donner tout le sens de la démonstration.
Cela dit, le découpage en stations m'amuse autant qu'il m'intrigue, je le trouve ingénieux et même si je ne saisis pas tout du cryptage (loin de là !), je ressens, quoique assez confusément, une certaine jubilation à cette "nouvelle" expérience d'écriture.

Station 12, j'ai cru à la visite d'une crypte sous une cathédrale avec la description d'œuvres d'art : sculptures et tableaux religieux avec référence mythologique (Médée), mais tout cela semble animé, peut-être un spectacle vivant…
En tout cas tout c'est très crypté et j'ai pas le décodeur.

Merci pour vos réactions. C'est tout simple. Le narrateur s'adresse à sa compagne. Ils ont rendez-vous avec Roberte qui ne répond pas. D'où le bouquet de fleurs... Les texto de Roberte sont énigmatiques. Alors puisqu'elle ne répond pas, le couple à 18h12 décide d'aller visiter une exposition de sculptures, dans une crypte, d'où la description détaillée des œuvres... A 20h02, il ressort de l'expo, et repart dans leur Austin, avec les vingt roses inutilisées... puisque Roberte pose des lapins...
Cette expo dans la crypte était très belle. J'en ai fait la description sur place, mais je ne voulais pas la restituer sans la mettre en perspective avec une autre situation : l'invitation manquée avec Roberte ! Qui est "Roberte" ? Peut-être la femme de l'écrivain Pierre Klossowski, dessinée, modèle inaccessible donc absent, donc invisible au rendez-vous... Voilà, vous avez les clés pour refaire la visite.

Récit découpé, décomposé, discontinu, et chiffré en vingt et une « stations » pour une visite : vingt et un arrêts sur image ; vint et une étapes brèves d’une histoire ; vingt et une poses ; vint et une notes d’un texte sériel.

Le récit ne roule pas en continu, mais s’arrête dans une série de stations.
La première station est l’arrêt d’une image sur l’image d’un arrêt : celui d’une voiture dans un parking. Tout commence par s’arrêter. Tout commence par un alignement : « tu alignes Austin ». Et ce n’est pas seulement la voiture qui est alignée, mais le récit lui-même dans sa forme, et ce n’est pas seulement l’Austin qui est arrêtée, c’est tout le texte qui est une série d’arrêts. On range les phrases, on les stationne, tout autant que l’on gare sa voiture.

Le deuxième arrêt est un arrêt en puissance, un arrêt démultiplié. La station « deux » est une pose, en effet, sur vingt roses. Et des roses « icosaèdres », chacune à vingt faces.
La station « un » était l’unité d’une dualité ; unité d’un « nous », le « moi » implicite du narrateur et le « tu » désigné dans la phrase : « tu alignes Austin ».
L’ordre et la numérotation des « stations » ne s’avèrent pas seulement un ordre chronologique.
La station « un » est déjà plurielle ; tout commence en « deux » ; tout commence par le couple, et la station « deux » ne semble pas permettre le passage au « trois », en ce qu’elle démultiplie le « deux ».
Une rose indique un temps court, la beauté d’un instant éphémère, mais elle est ici « icosaèdre », elle est en puissance « deux », or l’icosaèdre est la forme que peuvent prendre des minéraux, comme le quartz. Ces roses alors inscrites dans la pierre sont loin d’être éphémères. Les roses à la puissance deux sont comme appelées à durer toujours, sans place pour un « trois ». Une clôture donc sur le couple, qui ne peut être que dans la multiplication des couples, sans s’ouvrir à un troisième. Une logique du tiers exclu.

La station « trois » est un appel au « trois », « triple coups sur le bouton » ; trois coups de sonnerie pour que s’ouvre une porte sur un tiers, une tierce personne, Roberte.
La porte ne s’ouvre pas, et la station quatre renvoie au couple de départ. « Quatre » : le couple est redoublé en un repli sur lui-même.
Il se replie sur un silence, « Tu commences une phrase sans la… » ; un silence qui est un inachèvement, un inaccompli.
Cet inabouti laisse un vide : « j’ai aperçu le vide fuchsia de tes nymphes ». Vide sexuel, auquel semble renvoyer « les nymphes » ?

L’étape suivante confirme la fermeture : la porte est restée close ; le couple lui aussi est resté fermé sur lui-même. Pourtant, l’appartement de Roberte n’est pas entièrement clos. Si la porte est fermée, la fenêtre reste ouverte, « écarquillée sur son balcon », comme un regard sur l’extérieur, regard voyeur.
Tout est clos, reste l’embrasure pour une fenêtre, propice à un embrasement.
Roberte doit être présente si la fenêtre est ouverte, mais elle ne reçoit pas le couple, elle semble manquer à l’hospitalité. Roberte ce soir n’ouvre pas.

Un « texto » marque la sixième pose. Texto dont l’expéditeur est sans doute Roberte.
Quelques stations plus loin, le texto s’avère « logogriphe ». Le message est codé, crypté, inintelligible, et suscite une crainte, « Son texto-logogriphe égale trouille ». Roberte, serait-elle morte ? Est-ce la mort qui était invitée ce soir-là ? « On n’invite jamais qui l’on croit »

Le rendez-vous avec Roberte étant manqué, le couple se dirige vers une crypte.
L’épisode de la crypte est marqué par le nombre 12, qui apparaît à la fois dans le numéro de la station, et dans l’horaire du départ vers la crypte : 18h12. Ce nombre n’est donc pas sans importance. Il associe le chiffre 1, l’unité,l'individualité, et le chiffre 2, le couple. Il associe ce que la rencontre manquée avec Roberte n’a pas permis. C’est au nombre 12 que l’ouverture au 3 semble permise ; en lui l’un s’ajoute au deux, mais dans une association qui n’est pas une union. La crypte semble donc un substitut partiel de Roberte et de son message crypté. La crypte semble encore ce lieu où l’énigme « Roberte », cryptée, peut être déchiffrée.
Une crypte se situe dans les profondeurs, sous les lieux sacrés, églises ou cathédrales, espaces sacrés d’une religion qui croit en la Trinité et sacralise pourtant la dualité du couple dans le mariage.
La « crypte » est présentée comme un lieu particulier, on ne sait jamais très bien quand on y est à l’intérieur, quand on y est en dehors.
Que trouve-t-on dans la « crypte », en elle, ou autour d’elle, dans ses environs, dans le chemin qui y mène ?
Une femme d’abord, une mère, qui donne et entretient la vie, et d’autres femmes, qui guettent la mort, « surveillant l’avenir taillé dans l’ombre de la grande Faucheuse », femmes dressées pour l’affronter, la Faucheuse, pour constituer un rempart contre son irruption. Ces femmes semblent figées, statufiées, immobilisées pour toujours dans leurs gestes. Arrêt sur image. Les corps figurés sont des scènes. Note qui rappelle Roberte, énigmatique, dans cette suite et poursuite de cette femme hermétique, fantasmatique, suite cryptée en douze, dodécaphonique. Roberte en lutte pour la vie, Roberte affrontant la Faucheuse.

Dans la crypte, le couple visite une exposition de sculptures en « terre cuite ».
L’animalité est très présente dans ces figures d’argile.
Sur ces figures animales se projettent les fantasmes, « antithèses » d’une autre animalité : « La vieillesse qui animalise et désosse les corps dans les jeans compassés, nous en ferons l’antithèse dans la crypte ». Deux animalités sont opposées, l’une qui déshumanise et qui « désosse », déstructure le corps, ôte le support de toute chair vive, de la chair sensible, sensuelle, traversée de pulsions, et l’autre qui ravive, remontée des profondeurs pulsionnelles en surface. La première est effet de la « vieillesse », la seconde est rajeunissement. Le fantasme « Roberte » d’une vitalité nouvelle ayant fait défaut, la crypte et ses figures animales s’y substituent.
Les figures cryptées disent ce qu’il faut : « pétris de malheur, conquistadors du néant qui les érigent. Le vieillard se console sur sa carcasse de violon, jouant des romances qui ne nous concernent plus. »
Mais dans la crypte, tout est affaire de famille, famille sacralisée, « Le chien, d’une paix squelettique, chaperonne la famille. » Tout se situe en elle, et ne laisse place qu’au tiers qui est dans l’ « enfant », reproduction et perpétuation du couple, de ce qui fait « deux », sans place pour le fantasme du « tiers ». Sans Roberte, en son absence, la crypte révèle la possibilité du renouveau du couple, peut-être par un déplacement de l’objet du fantasme, « Ils sont, Belle, tu entends leur voyage immobile ? Toi, belle, enrobée de tristesse trépidante. Toi, mon égérie ! »
Le couple ressort de la crypte, toujours à « deux », à 20h 02.
Le texte se termine par ce constat : « Il n’y avait que vingt roses pour Roberte »
Roberte était un fantasme du « vingt » : fantasme de jeunesse, vingt ans perpétuels. Mais vingt roses enfermaient le fantasme dans la puissance du deux.
Il en fallait 21, le douze inversé, la crypte inversée, deux et un, et non un et deux. Il fallait 21 roses, comme les 21 stations du texte.

Bravo Raoul X 2

Un texte comme je les aime !

Un rythme intéressant, une balade bien balancée, les roses en prime. Et Roberte.

avec le décryptage, la lecture de ce texte devient un plaisir génial.
Un grand bravo RaoulRaoul. (peux pas mieux dire que Louis à mon grand regret)

j'ai aimé ce texte on sent que votre plume est déjà très mure et votre texte est parfaitement décris, le découpage en stations me convient personnellement. Merci pour ce beau moment de lecture.

Un texte toujours aussi abscons. Je n’ai pas envie de me cogner aux mots et de passer mon temps à décrypter. Une langue doit « parler » avant tout et là, je ne trouve pas la sortie de la crypte. Désolé (trop fort pour le modeste lecteur que je suis).