Raoul (les enragés)

La pâte de chair, de sang, de peau et d'os mélangés, palpitait sous le travail des asticots, levait, doucement gonflée des amorces de pestilence écoeurante. De la pourriture mijotée sous le soleil déjà pâle, se mouvaient les insectes noirs luisants. D'une galerie profonde improvisée en direction d'un sinus nettoyé, ils parcouraient, goulus, les corps maintenus solidaires par les vêtements tendus à bloc. Les corneilles, vives, criardes volaient la place aux rats trop nombreux à leur goût. Coup de bec précis, la chair molle rendait sang et eau saumâtre, chuintant vrai le sifflement des outres percées. Abcès de colère, accès d'ordurières pensées aphones, le désastre d'une vie s'étalait sous ses yeux dans un calme étonnant de laxisme abattu.
« Connard de paysan, t'aurais pas dû quitter le cul d' tes boeufs ! » Raoul tira par les pieds, le corps lourd du soldat sans tête. Aidé du camarade de Troyes, ils envoyèrent fermement le mort sur la charrette déjà pleine.
Raoul s'assit sur le banc du char et cria :
« Allez hue Bijou, on reviendra d't'a l'heure pour les autres. »
Le cheval énervé, sautait entre les brancards, à chaque sabot posé sur une jambe ou un bras, traînant froid dans la boue. La main ferme qui le dirigeait, l'assurait de trouver droit devant, le chemin des plaines.
Raoul, le nez dans le ciel vieillissant, s'absorbait de vent du nord, présageant fort peu la venue de la pluie attendue. D'un crachat rauque et lourd, il atteignit le fond d'une tranchée d'où émergeait solitaire, le pied bien chaussé d'un soulier encore neuf.
Raoul cria à tue-tête la chanson de sa marâtre, bonne femme nourrice :

« Rigodon, le petit rigodin,
Rigodan le petit rigodu,
Rigodou le petit rit tout doux...

Regarde mon ange, les ânes ont des yeux,
Regarde ton nez, tes oreilles s'allongent un peu.

Rigodon, le petit rigodin,
Rigodan le petit rigodu,
Rigodou le petit rit tout doux.».

Ça s'est passé comme ça la vie des morts sots.

L'expression est riche, et j'aime le réalisme de la description, qui permet de facilement imaginer la scène. Après, l'ambiance un peu glauque il faut aimer, mais objectivement c'est bien écrit =)

C'est bien écrit... je suis d'accord. Le début, je dis franchement : mais pourquoi écrire ça ? pour le plaisir d'écrire des trucs gores ? Je n'aime pas les films d'horreur, j'en ai horreur même, et c'est pareil pour ce genre de textes.

Je trouve que dans notre société on aime de plus en plus se faire des p'tits frissons en parlant de choses comme ça. Il n'y a qu'à voir à la TV tout ce qui passe et le dicton du moment : "plus c'est gore, plus on montre, mieux c'est !". Il n'y a qu'à regarder ce qui, à mes yeux, a fait une partie du succès des "experts".

Mais à la fin il y a ce Raoul et son stoïcisme navrant. Alors est ce que, par ce personnage, tu cherchais à dénoncer l'attitude du "je-m'en-foutisme" ambiant ? Si c'est cela d'accord... Mais je pense qu'avec d'autres procédés tu aurais même pu le dénoncer en évitant toute la première partie qui m'énerve somptueusement...

Cela dit, il y a certainement des amateurs du genre, et je reconnais que c'est très bien fait (la preuve, je n'ai pas trop aimé... :-))))) )

J'adore ta série "les enragés" Bertrand...Je ne commente pas souvent car je n'ai pas de point de vue constructif, pour moi ce que tu fais est parfait mais ça me saoûle d' écrire "j'aime beaucoup" à chaque fois, je ne vois pas l'intérêt.
Tu comptes le faire publier ? Peut tu m'en dire plus, de cette série ?

faustine, j'ai écris ce texte le onze novembre.
J'aime ouvrir mes yeux sur les situations les plus concrètes qui soient, sans chercher dans un imaginaire peu crédible. Quand ce n'est pas beau à voir, je veux décortiquer les images, même insoutenables.
Que tu réagisses sur le dégoût provoqué par ces mots, me donne l'impression d'avoir réussi mon intention première.
Dans les MJC, je chantais l'histoire du militaire qui n'a pas vingt ans qui n'a plus de blair, qui n'a plus de dentsje ne me souviens plus si c'était du Desnos ou du Queneau

Merci Orakei. Sur le forum, je ne vous envoie que les textes courts des enragés, lisibles à l'écran.

Kash Prex, merci de lire.
Si je vous avoue à tous qu'à l'hôpital, la vue des blessés me fait virer de l'oeil, me croiriez-vous ? Je ne vous raconte même pas les accouchements de mon épousée.

La dernière phrase m'a fait sourire...
Pour le reste, l'écriture est toujours agréable, la description bien menée même si elle s'étire peut-être un peu trop en longueur.
D'une manière générale, j'ai tendance à trouver que tu en fais un peu trop. Dans la description cadavérique mais ça je l'ai déjà souligné, dans l'évocation de ton personnage également : le prénom (Raoul), la dimension champêtre (tout y passe : les plaine, la météo, la chanson paillarde...), tout celà me donne l'impression que tu cherches à resituer avec un peu trop d'insistance les lieux, l'époque, la classe sociale de tes personnages.
Cela dit, je reconnais que le texte est court, qu'il te laisse peu de place pour peindre le décors, mais n'empêche...!

krystelle, te voilà bien lancée. Continue. Enfonce le clou. Tu te positionnes en tant que correctrice habituée à mes erreurs. Oseras-tu pousser plus loin le bouchon pour éliminer le pire du texte, sinon le moins bon ?
Tu me connais : mes larges épaules acceptent toutes les corrections. J'ai un réel besoin d'améliorer mes récits. La balle est dans ton camp (si tu le souhaites bien sur).
Passé le cap de l'orthographe, avec encore de grosses lacunes, j'en suis à franchir les obstacles de la construction. Il me reste un grand chemin à parcourir avant de sortir avec un travail allégé, compréhensible à la première lecture.

Je rejoins un peu Kristelle dans son commentaire. A savoir que je te trouve du style, beaucoup de style, mais que je pense qu'il devrait passer au second plan au bénéfice de l'histoire. Ceci dit, pour ce texte en particulier, il n'y a pas vraiment d'histoire et donc s'il n'y avait pas les descriptions...

Malgré tout, je trouve que c'est un peu trop. Ton talent n'a pas besoin de guirlandes à mon avis, et je crois que tu serais encore meilleur en écrivant plus simple.

Mais tu es déja très bon.

bertrand-môgendre a écrit:krystelle, te voilà bien lancée. Continue. Enfonce le clou. Tu te positionnes en tant que correctrice habituée à mes erreurs. Oseras-tu pousser plus loin le bouchon pour éliminer le pire du texte, sinon le moins bon ?
Tu me connais : mes larges épaules acceptent toutes les corrections. J'ai un réel besoin d'améliorer mes récits. La balle est dans ton camp (si tu le souhaites bien sur).
Passé le cap de l'orthographe, avec encore de grosses lacunes, j'en suis à franchir les obstacles de la construction. Il me reste un grand chemin à parcourir avant de sortir avec un travail allégé, compréhensible à la première lecture.

Oulà Bertrand, je ne crois pas que j'oserai "trancher" dans ton texte...
D'une part, parce que je respecte trop le boulot qu'il y a derrière ces lignes pour arriver avec mes gros sabots et mettre un petit bout de ma plume dedans.
D'autre part, je ne suis pas certaine que ton texte s'en trouverait amélioré. Mettre le doigt sur quelques points qui plaisent moins, c'est facile mais trouver des solutions pour les corriger, je ne crois pas en être capable. Je suis loin d'avoir une plume suffisamment solide et élégante pour me permettre de donner des conseils sur la manière de réécrire un texte.
Enfin, mon commentaire ne relève évidemment que d'un avis personnel, il n'est propablement pas partagé par tous et c'est une bonne raison pour laisser ce texte tel qu'il est je crois...

Et puis je t'assure que ton texte est compréhensible, même à la première lecture !

Je vois bien cette campagne francaise au lendemain d'une bataille. Un girs, l'odeur de sang, le goût de la boue. Mais je trouve que c'est un peu rapide. Tu plantes vite le décor, l'ambiance, les personnages et puis voilà. Comme une esquisse. Je trouve ça dommage.

ninananère soulève un cache du texte

(extrait)...Comme une esquisse

Quel beau compliment tu me fais là. Merci. Sur ma lancée, je continue dans l'exercice d'hier soir proposé par Pandaworks, l'ambiance aidant, la neige présente.
merci krystelle et ninananère de lire aussi.

ouais... hum... pas vraiment ma tasse de thé
j'avoue que je me suis forcé car je connais la qualité habituelle de tes textes
je n'aime pas celui-là car un peu trop "hard" pour mon goût mais je dois avouer qu'il arrache !
allez, Noël approche, tu devrais nous pondre un truc un peu plus gai prochainement, non ? ;-)

J'ai lu ton texte et beaucoup moins ses commentaires.
Je ne trouve pas tes mots spécialement durs ou "gore".
je ne m'attend pas d'un ramasseur de cadavre qu'il soit
profond et sensible.C'est une scène normale d'après combats.
Aurions nous soudainement une aversion pour le vrai?
Moi non.
J'ai aimé la comptine. le texte prend un peu trop de temps pour
se rythmer aussi.La longueur de la première phrase est certainement en cause.

Voilà.

J'ai trouvé ton texte très efficace. Pour ma part, le style ne m'a pas géné, ni paru trop dur ou trop visible. Je me suis laissé embarqué par ton histoire et j'ai pensé à ton texte récent sur l'armée en 1917, je crois, lui aussi très réussi. Je trouve que tu as une vraie capacité à raconter, à inventer des histoires et ça, ça me plait vraiment ! Je crois que j'aurais grand plaisir à te lire sur un récit un peu plus long, pourquoi pas dans le registre de ces deux textes "militaires".

La scène est bien rendue. C’est dur ? Non, la dernière phrase désamorce le côté tragique. Gore ? Non, le gore est gratuit, les guerres elles ne le sont jamais tout à fait. Pour ce qui est du style, je trouve pour ma part qu’il colle parfaitement à l’histoire, même si un peu courte l’histoire.

J'ai beaucoup aimé cet épisode, car contrairement à certains reproches que j'ai pu faire sur "les enragés", sur celui-ci j'aime l'intention.
J'ai pensé que c'était le contraire de macabre, la force de la survie, de la vie incarnée en Raoul.
Par ailleurs, le style m'a semblé avoir plus d'élégance, de pertinence.
Je pense aussi que ça peut être plus long, particulièrement en développant, affinant le personnage de Raoul.

Bref, plutôt emballé par cet enragé !

Bertrand, tes Enragés, je les aime beaucoup. Pour la gravité et la lucidité qui se dégagent de tes textes et aussi pour leur construction qui m'enchante.
Cette fois encore, j'apprécie et je n'ai rien trouvé de gore. C'est une description efficace. Le tableau est là, brossé sous nos yeux, conforme à la réalité. On est loin des films de bidasses qu'on peut voir à la télé, on est ici dans le vrai.

Il y a un truc que j'apprécie tout particulièrement dans ta série, c'est que tu donnes à réfléchir et les pistes pour aller plus loin, chacun à sa façon. Tu narres des destins sous forme de contes, enchantés ou désespérés, et puis tu te retires, sur la pointe des pieds et c'est au lecteur à prendre ces histoire au visage et en faire ce qu'il veut, à continuer à leur donner vie dans sa tête. J'aime beaucoup cette manière de faire.

Je ne m'attendais pas à retrouver ici "Les enragés"... beaucoup d'émotion, là...

Je les aime, ces "enragés". Pour leur force, leur lucidité, leur vérité, leur justesse...

Sahkti les décrit exactement. Des destins croqués avec des mots que l'on se prend en plein coeur.

Rustique, et des kilomètres de viande.

Court et excellent.