Exo « Train » : Ce matin j'ai vu passer le train…
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Exo « Train » : Ce matin j'ai vu passer le train…
Ce matin j'ai vu passer le train ...
Ce matin, je suis passé sous le pont qui traverse le chemin de fer.
Un train de voyageurs roulait à ce moment, et comme de coutume j’ai fait un vœu.
D’habitude je fais des vœux sans importance, parce que ça n’existe pas ces machins, je souhaite la mort de quelqu’un qui m’emmerde, où la disparition d’une douleur, où le retour de l’harmonie dans ma vie.
Mais là non ; j’ai simplement souhaité prendre un train pour nulle part.
Difficile ; on m’attend au boulot où je suis indispensable, corvéable, irritable.
D’ailleurs, j’y suis presque arrivé.
Et ma tête a tourné, et j’ai tourné le volant avant d’arriver, pour aller vers la gare, sans réfléchir, comme un automate.
La gare n’est pas loin, une gare de village avec un simple guichet. A cette heure-là il n’y a personne.
Il n’y a vraiment personne ; la préposée a dû prendre sa pause, ou aller faire des courses.
Je traverse le hall pour arriver au quai, désert aussi.
Il y a bien un train de l’autre côté, dont on entend le sifflement étouffé, avec cinq wagons voyageurs.
Je traverse la voie et je monte dans un wagon de première classe, un wagon à compartiments.
Je croyais que ça n’existait plus ; il y a même des compartiments fumeurs.
Je me suis assis et j’ai allumé une cigarette ; j’ai fermé les yeux pour apprécier ce moment, et j’ai laissé aller mon corps sur la banquette de velours.
J’ai senti dans mes reins le train s’ébranler, d’abord vers l’arrière puis une poussée dans le sens de la marche.
Je ne sais pas où va ce train ; je n’ai pas de billet ; il n’y a personne sur le quai pour me faire des signes ; je n’ai pas croisé d’autres passagers ; je m’en vais simplement en voyage.
J’ai compris que je partais vers le nord quand j’ai vu défiler les étangs avec la mer en arrière-plan, un beau paysage de vent qu’on entend par la fenêtre entrouverte.
Je suis sorti dans le couloir pour me dégourdir les jambes et faire un tour pour en savoir plus.
Il a l’air entièrement vide, sans doute un voiturage quelconque vers une gare de triage.
J’ai vu plusieurs gares défiler, désertes elles aussi, sans qu’il ralentisse où s’arrête pour prendre passagers ou marchandises.
Ces gares je les connais pourtant.
Je lis leur nom sur les panneaux émaillés.
Je sens le soir venir ; maintenant je ne reconnais ni les noms ni les paysages.
J’ai trouvé le wagon-bar ; j’ai appelé, comme si quelqu’un allait venir me servir, par acquis de conscience, comme si je devais prouver mon honnêteté.
J’ai trouvé de quoi boire, de quoi manger ; il y a des prairies à perte de vue dehors, et le crépuscule orangé qui colore l’air commence à disparaitre pour la nuit.
Je retourne dans le compartiment ; encore une cigarette ; j’ai sommeil ; je débloque le siège ; j’étends mes jambes, repose ma tête ; je dors.
J’ai rêvé que j’allais à Paris ; la ville était grise ; elle avait absorbé lumières et couleurs ; la pluie était inerte, figée, une carte postale où le paysage immobile m’absorbe.
Je marche dans un décor de carton ; les gens fuient mon regard, et leur vie pour mieux la gagner, disait-on en d’autres temps.
Un Paris du passé, alternance de bruit grinçant et de silence absolu.
Je finis par faire semblant de ne pas rêver ; j’achète un journal, m’assieds dans un café sous des arcades qui me protègent de l’humidité.
Je fais semblant de lire pour regarder les gens passer sans leur ombre.
Au bout de l’avenue, ce carrefour où une silhouette en manteau rouge traverse d’un pas lent.
Je laisse le journal et je cours pour la rattraper ; elle a disparu derrière une porte que je pousse brusquement.
Derrière, un terrain vague détrempé emporte la tache rouge si loin et mes pieds s’engluent dans la boue.
Le train a freiné brusquement en rase campagne ; il pleut dehors sur des champs labourés et des bocages ; il fait jour ; nous avançons lentement ; j’ai mal à la gorge et j’ai envie de pisser.
Le long couloir est toujours désert.
Je suis mal rasé ; j’ai une sale gueule, celle des dimanches soir.
Je remonte tous les wagons jusqu’à la locomotive ; la porte du soufflet est fermée à clef ; je n’ai pas la force de taper pour attirer l’attention du conducteur.
Toutes les portes sont fermées ; toutes les portes donnant sur la voie sont sans issue.
Je tire fort sur la manette d’arrêt d’urgence, mais au lieu de s’arrêter le train reprend de la vitesse.
J’ai soif ; je retourne au wagon-bar et j’ouvre une bière fraîche qui irrite encore plus ma gorge et me soulage dans un second temps.
Et le froid vient dans mes mains ; j’allume une cigarette et retourne dans mon compartiment pour y retrouver un peu de chaleur.
Dans mon sac j’ai mon portable, mais il n’y a aucun réseau.
Le paysage est invariable ; pas d’animaux, d’hommes ou de machines.
Je suis seul en mouvement dans ce « non-lieu », entouré de ce paysage mouillé, sans horizon ni vies.
Je ferme les yeux pour l’effacer comme un enfant qui veut chasser une image inquiétante.
Quand je les rouvre le train vient de rentrer dans un tunnel.
Il y a encore la lumière de la lampe un long moment.
Puis tout s’éteint dans ce tunnel qui n’en finit pas.
Je n’ai plus peur ; je pars en voyage.
Ce matin, je suis passé sous le pont qui traverse le chemin de fer.
Un train de voyageurs roulait à ce moment, et comme de coutume j’ai fait un vœu.
D’habitude je fais des vœux sans importance, parce que ça n’existe pas ces machins, je souhaite la mort de quelqu’un qui m’emmerde, où la disparition d’une douleur, où le retour de l’harmonie dans ma vie.
Mais là non ; j’ai simplement souhaité prendre un train pour nulle part.
Difficile ; on m’attend au boulot où je suis indispensable, corvéable, irritable.
D’ailleurs, j’y suis presque arrivé.
Et ma tête a tourné, et j’ai tourné le volant avant d’arriver, pour aller vers la gare, sans réfléchir, comme un automate.
La gare n’est pas loin, une gare de village avec un simple guichet. A cette heure-là il n’y a personne.
Il n’y a vraiment personne ; la préposée a dû prendre sa pause, ou aller faire des courses.
Je traverse le hall pour arriver au quai, désert aussi.
Il y a bien un train de l’autre côté, dont on entend le sifflement étouffé, avec cinq wagons voyageurs.
Je traverse la voie et je monte dans un wagon de première classe, un wagon à compartiments.
Je croyais que ça n’existait plus ; il y a même des compartiments fumeurs.
Je me suis assis et j’ai allumé une cigarette ; j’ai fermé les yeux pour apprécier ce moment, et j’ai laissé aller mon corps sur la banquette de velours.
J’ai senti dans mes reins le train s’ébranler, d’abord vers l’arrière puis une poussée dans le sens de la marche.
Je ne sais pas où va ce train ; je n’ai pas de billet ; il n’y a personne sur le quai pour me faire des signes ; je n’ai pas croisé d’autres passagers ; je m’en vais simplement en voyage.
xXx
J’ai compris que je partais vers le nord quand j’ai vu défiler les étangs avec la mer en arrière-plan, un beau paysage de vent qu’on entend par la fenêtre entrouverte.
Je suis sorti dans le couloir pour me dégourdir les jambes et faire un tour pour en savoir plus.
Il a l’air entièrement vide, sans doute un voiturage quelconque vers une gare de triage.
J’ai vu plusieurs gares défiler, désertes elles aussi, sans qu’il ralentisse où s’arrête pour prendre passagers ou marchandises.
Ces gares je les connais pourtant.
Je lis leur nom sur les panneaux émaillés.
Je sens le soir venir ; maintenant je ne reconnais ni les noms ni les paysages.
xXx
J’ai trouvé le wagon-bar ; j’ai appelé, comme si quelqu’un allait venir me servir, par acquis de conscience, comme si je devais prouver mon honnêteté.
J’ai trouvé de quoi boire, de quoi manger ; il y a des prairies à perte de vue dehors, et le crépuscule orangé qui colore l’air commence à disparaitre pour la nuit.
Je retourne dans le compartiment ; encore une cigarette ; j’ai sommeil ; je débloque le siège ; j’étends mes jambes, repose ma tête ; je dors.
xXx
J’ai rêvé que j’allais à Paris ; la ville était grise ; elle avait absorbé lumières et couleurs ; la pluie était inerte, figée, une carte postale où le paysage immobile m’absorbe.
Je marche dans un décor de carton ; les gens fuient mon regard, et leur vie pour mieux la gagner, disait-on en d’autres temps.
Un Paris du passé, alternance de bruit grinçant et de silence absolu.
Je finis par faire semblant de ne pas rêver ; j’achète un journal, m’assieds dans un café sous des arcades qui me protègent de l’humidité.
Je fais semblant de lire pour regarder les gens passer sans leur ombre.
Au bout de l’avenue, ce carrefour où une silhouette en manteau rouge traverse d’un pas lent.
Je laisse le journal et je cours pour la rattraper ; elle a disparu derrière une porte que je pousse brusquement.
Derrière, un terrain vague détrempé emporte la tache rouge si loin et mes pieds s’engluent dans la boue.
xXx
Le train a freiné brusquement en rase campagne ; il pleut dehors sur des champs labourés et des bocages ; il fait jour ; nous avançons lentement ; j’ai mal à la gorge et j’ai envie de pisser.
Le long couloir est toujours désert.
Je suis mal rasé ; j’ai une sale gueule, celle des dimanches soir.
Je remonte tous les wagons jusqu’à la locomotive ; la porte du soufflet est fermée à clef ; je n’ai pas la force de taper pour attirer l’attention du conducteur.
Toutes les portes sont fermées ; toutes les portes donnant sur la voie sont sans issue.
Je tire fort sur la manette d’arrêt d’urgence, mais au lieu de s’arrêter le train reprend de la vitesse.
J’ai soif ; je retourne au wagon-bar et j’ouvre une bière fraîche qui irrite encore plus ma gorge et me soulage dans un second temps.
Et le froid vient dans mes mains ; j’allume une cigarette et retourne dans mon compartiment pour y retrouver un peu de chaleur.
Dans mon sac j’ai mon portable, mais il n’y a aucun réseau.
Le paysage est invariable ; pas d’animaux, d’hommes ou de machines.
Je suis seul en mouvement dans ce « non-lieu », entouré de ce paysage mouillé, sans horizon ni vies.
Je ferme les yeux pour l’effacer comme un enfant qui veut chasser une image inquiétante.
Quand je les rouvre le train vient de rentrer dans un tunnel.
Il y a encore la lumière de la lampe un long moment.
Puis tout s’éteint dans ce tunnel qui n’en finit pas.
Je n’ai plus peur ; je pars en voyage.
Invité- Invité
Re: Exo « Train » : Ce matin j'ai vu passer le train…
Double plaisir ce matin
celui de retrouver la plume d'Aseptans
celui de profiter d'une petite balade en train
quelque part entre le rêve (étrange et familier comme il se doit)
et le fantastique
celui de retrouver la plume d'Aseptans
celui de profiter d'une petite balade en train
quelque part entre le rêve (étrange et familier comme il se doit)
et le fantastique
Invité- Invité
Re: Exo « Train » : Ce matin j'ai vu passer le train…
Un voyage mystérieux, par moments un peu crispant, car on sent l'inconnu qui avale tout sur son passage. De quoi répondre au souhait du narrateur, ce voyage vers nulle part. Tu réussis à faire passer la tension qui croît au fur et à mesure du voyage, même si de ci de là, il me semble que certains détails ne sont pas indispensables et que l'un ou l'autre passage pourrait être allégé. Ceci mis à part, l'atmosphère est restituée avec justesse, on se sent rapidement transporté, installé soi-même dans ce train désert. A un moment donné, quand ça devient flippant, on sent vraiment cette peur qui monte et je dois reconnaître que c'est délicieux.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Exo « Train » : Ce matin j'ai vu passer le train…
Ah ! Cette envie de prendre la tangent, au moment de partir au travail !
J'ai beaucoup aimé l'atmosphère onirique du voyage.
J'ai beaucoup aimé l'atmosphère onirique du voyage.
Invité- Invité
Re: Exo « Train » : Ce matin j'ai vu passer le train…
C'est comme entrer dans le royaume des ombres. Excellent !
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 47
Date d'inscription : 31/03/2008
Re: Exo « Train » : Ce matin j'ai vu passer le train…
Comme Iris, j'ai apprécié l'onirisme de ce voyage... un peu de mystère, une touche d'inquiétude et nous voilà embarqués !
Invité- Invité
Re: Exo « Train » : Ce matin j'ai vu passer le train…
ça commence dans le réel et se termine entre le rêve et le cauchemar, au milieu, un voyage dans un train dont le mystère s'épaissit au fur et à mesure qu'il avale les rails. J'ai été prise dans le train, embarquée par l'écriture et l'atmosphère, avec l'envie de savoir quelle était la destination du texte. Peut-être un petit peu déçue à la fin, la tension qui ne cesse de monter me semble alors un peu retomber au lieu d'atteindre son point culminant. Mais une lecture plaisante.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Exo « Train » : Ce matin j'ai vu passer le train…
On est toujours tout seul dans ce train-là !
Je resserrerais peut-être un tout petit peu la fin...
On passe en douceur du quotidien au fantastique, qui réussit à ne pas nous paraître si fantastique que ça, et le bout du voyage dans le tunnel devient une évidence
Je resserrerais peut-être un tout petit peu la fin...
On passe en douceur du quotidien au fantastique, qui réussit à ne pas nous paraître si fantastique que ça, et le bout du voyage dans le tunnel devient une évidence
Invité- Invité
Re: Exo « Train » : Ce matin j'ai vu passer le train…
C'est plein de belles images! Je n'ai pas dit gaies. Je trouve le "découpage" très bien opéré. L'angoisse monte peu à peu, paragraphe par paragraphe, juste ce qu'il faut pour que l'on compatisse à la souffrance du personnage et hop! au dernier moment, voilà qu'il nous échappe ... Du coup qui se retrouve à rêver d'un train qui....?
Bien construit!
Bien construit!
obi- Nombre de messages : 575
Date d'inscription : 24/02/2013
Re: Exo « Train » : Ce matin j'ai vu passer le train…
Ha mais c'est le train dans lequel ma petite fille rêve !
bon bah j'aime beaucoup
et j'ai épuisé mon stock de com
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
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