Exo « Train » : Deux minutes d'arrêt

Quand elle se réveille, elle est détruite, anéantie, vaincue.

C'est comme si on l'avait battue, lardée de coups de couteau et laissée pour morte sur la banquette.
Pourtant, elle sent son front contre la vitre ; elle est assise, des paysages lunaires passent devant ses yeux : elle traverse les contrées sauvages.

Le petit train qui l'emmène poursuit sa route, fantasque et bondissant.
Elle peut presque croire qu'il roule sur les pièces de un et deux centimes qu'elle a posées un jour sur les rails, petite fille aux cheveux pleins de nœuds et aux genoux écorchés, faisant des vœux dérisoires : qu'on n'essaye pas de me coiffer, que la marée monte jusqu'au rocher, que mes seins ne poussent jamais !

Elle ne doit pas fermer les yeux, car les méchants vont revenir.

Soudain, le train freine, fait deux ou trois hoquets, et puis s'arrête, au milieu des herbes hautes.

Elle est seule, elle l'était déjà, elle l'était toujours. Elle doit sortir, mais il faut faire de si grands pas.  Elle voit la plaine rouge et ses petits monticules, si pénibles à parcourir. Tout au bout la mer, lente et profonde, qui roule doucement. Ce sera bon d'y plonger et de se laisser dériver.

Elle s'allonge un peu. Le ciel descend. Elle pose sa main sur le rail froid et sent quelque chose que ses doigts reconnaissent avant qu'elle se souvienne. C'est rond, doux, salé, ça ne vaut rien mais ça vaut tout : une pièce grise de un centime aplatie par un train.

La joie l'écrase, enfantine, intacte.

Elle fait un vœu.