Exo live ce mercredi 22 janvier dès 20 h 15

Un enfant passa en courant, avec un cri de guerre strident. Il sauta, resta suspendu un instant en l'air, puis atterrit dans l'eau avec bruit. Les deux filles assises sur le bord de la piscine furent aspergées au passage et détournèrent la tête avec un petit cri. Amusé, Jonathan espionnait, bien à l'abri derrière ses lunettes de soleil. Une femme d'une quarantaine d'années passa derrière les deux jeunes filles – qui gloussaient maintenant joyeusement – en marchant précautionneusement sur les dalles mouillées. De là où il était, Jonathan distinguait vaguement le motif fleuri de son maillot de bain.

En cette chaude journée du mois d'août, la piscine était saturée d'un amas de personnes hétéroclites. Ceux qui, pour une raison ou pour une autre, n'avaient pas pu fuir la chaleur étouffante de l'été,  se rafraîchissaient en pataugeant dans l'eau d'une température agréable.

Fermant les yeux, Jonathan dirigea son visage vers le soleil. Il perçut à travers ses paupières closes sa clarté. Il appréciait le confort de son appartement climatisé mais il aimait également passer du temps à l'extérieur, même si la température incitait à rester soigneusement calfeutré chez soi.

Il baignait dans une demi-lumière agréable, diffuse, présente malgré ses yeux fermés et son esprit vagabonda, rebondissant d'année en année. Il se souvint de ses années d'étudiant où son logement se résumait à une petite chambre sous les toits. L'isolation de la petite pièce laissait à désirer et, en hiver, il empilait les pulls et allait dès que possible se réfugier sous les nombreuses couvertures de son lit. Quant à l'été... la température atteignait des sommets et il fuyait sa chambre dès que possible, vagabondant dans les bâtiments climatisés : bibliothèques, magasins divers, cinémas et, pour les jours fastes, musées.

La sonnerie caractéristique du téléphone le fit sortir de ses rêveries. En soupirant, il rouvrit les yeux, farfouilla dans son sac – il frôla au passage l'emballage d'un gâteau, un livre, un tube de crème solaire... - observa l'écran où était affiché le numéro de sa sœur. Il savait dès à présent à quoi s'attendre : le récit détaillé de ses vacances à l'autre bout du monde, ses soucis avec son travail, sa dernière trouvaille dans les magasins, ses... Non. Définitivement, il n'en avait aucune envie. Il enfouit son téléphone tout au fond de son sac pour ne plus entendre la sonnerie, et prit au passage le gâteau qui attendait patiemment son heure dans le sac à dos.

Il esquissa un sourire quand il vit apparaître un brownie. Il avait complètement oublié que son choix s'était porté sur le petit gâteau au chocolat quand il avait fouillé, le matin même, dans les placards de sa cuisine. C'est à ce genre de petit détail que Jonathan pensait qu'il vieillissait. Il y a une dizaine d'années, sa pause de seize heures était l'occasion de manger un demi paquet de cookie premier prix, qu'il engloutissait sans prêter aucune attention au goût de ce qu'il avalait. C'était juste l'occasion de se remplir l'estomac en attendant le dîner... « Je change », se dit-il en déchirant l'emballage de la minuscule portion de gâteau chocolaté. Puis il planta avec délice ses dents dans le petit carré brun.

Mais, à sa grande surprise, même si la consistance du gâteau était incontestablement celle d'un brownie – il reconnaissait l'effritement caractéristique et la sensation un peu fondante – le goût qui envahissait sa bouche était celui de la fraise chimique. Avec stupeur, il scruta l'emballage. En vain. Alors qu'il cherchait à quoi ce goût lui faisait penser, il tourna la tête et regarda sans le voir un petit garçon qui mâchait, tout en faisant une partie de cartes avec un autre enfant du même âge. Non loin d'eux, une boîte de gâteaux dans lequel l'un puisa généreusement, tout en regardant ses cartes d'un air concentré. La forme allongée des biscuits fourrés à la fraise fit écho en lui et il se souvint des ses goûters d'école primaire, même s'il n'était pas sûr du nom de ces barquettes à la fraise. Trois chats ? Trois chatons ?     Peut importe, il n'eut pas le temps d'y penser davantage.

En effet, le bruit provoqué par un saut dans l'eau le fit sursauter. Surpris par la force supposée de l'impact, à cet endroit où le bassin était peu profond, il quitta les deux garçons des yeux et chercha d'où venait le bruit. Mais à part quelques vaguelettes provoquées par des nageurs faisant paisiblement des longueurs, la surface de l'eau était calme. Abasourdi, Jonathan essaya de comprendre et scruta les alentours. Bien plus loin, au niveau du deuxième bassin qui était, lui, surmonté d'un plongeoir, un jeune homme athlétique sortit la tête de l'eau en secouant la tête. Si l'on en croyait les remous dans lequel il était obligé de nager, il avait dû sauter – ou plonger ? - d'une hauteur importante. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le bruit devait provenir de là-bas. De cet endroit situé à une bonne quarantaine de mètres de lui alors qu'il avait entendu le bruit provoqué par le saut comme si quelqu'un avait sauté juste à côté de lui.

Étrange. Tout cela était étrangement étrange. Jonathan se rendit compte que malgré le soleil qui continuait de frapper sans relâche la piscine de ses rayons, il était glacé. Une autre impression désagréable vint s'ajouter à toutes celles qui l'assaillaient depuis quelques minutes : la sensation d'être vulnérable, exposé à tous les regards.

Jonathan se rendit alors compte que la luminosité était bien trop importante. Quelque chose ne collait pas. Il porta les mains à ses yeux et sentit pourtant ses lunettes de soleil, posées sur son nez. Accaparé par ce nouveau mystère, il ne s'était pas rendu compte du silence pesant qu'il le frappa soudain violemment. Pourtant, l'agitation aux alentours n'avait en rien diminué.

Lentement, Jonathan porta les mains à ses oreilles.