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Vers le nord

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Message  gaspard Mer 9 Avr 2014 - 7:36

Je suis allé au bout du monde.
Je voulais échapper au bruit des angles morts que ma gorge serrée m'obligeait à avaler jour après jour, au risque de m'étouffer. Je pensais que là bas, sur ces chapelets d'îles presque désertes, c'était l'oubli du monde qui serait ma seule habitation.
J'ai donc emporté quelques vêtements chauds, ceux qui servent ici pour les sports d'hivers.
Je voulais un bord de mer sauvage, faisant face à l'immensité vide du grand nord. J'ai trouvé, à l'écart d'un village, une de ces petites maisons qui sont louées l'été aux touristes en mal d'exotisme minéral.
L'hiver, on me l'a laissée pour rien.
Le propriétaire était trop content de savoir qu'elle serait chauffée pendant les périodes de glaces. Car il paraît que les tempêtes elles même sont ici parfois fixées en chaos immobiles par des températures incroyablement basses. Elles saisissent alors les vagues immenses comme un ciseau de sculpteur le ferait dans le marbre.
J'ai vu cela. Dans le crépuscule précoce d'un soir de décembre encore doux, j'ai vu venir vers moi descendant droit depuis le nord, à l'horizon, sur la mer gris acier, un mur noir.
C'était une tempête mortelle. Heureusement, on m'avait prévenu de rester à l'abri.
La nuit passa dans un vacarme de fin du monde, des fracas incessants que je croyais devoir tout ensevelir. La vétuste maison de bois craquait comme un navire en plein naufrage dans un conte de Stevenson.
Le lendemain matin, tout était transfiguré. Une vieille grange s'était effondrée. Le sol était couvert d'une poussière de neige gelée formant des congères. Derrière chaque forme familière, elles se déployaient comme des écharpes et toute la vue, au delà du rivage de la mer d'habitude si mobile, était transfigurée, zébrée de cônes blancs aux reflets bleutés, avec des poussières fines et tourbillonnantes levées encore ici et là par des résidus de vent sous un soleil d'une pâleur de spectre. Alors j'ai compris ce que je venais chercher au nord de la mort : la lustrale blancheur qui recouvre la mer, le pôle nodal de l'écriture, l'absence de tout, la page enfin blanche.
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Message  seyne Mer 9 Avr 2014 - 7:59

superbe !
(j'ai pensé, au début, à "La mer, la mer" d'Iris Murdoch, gros bouquin hypnotique)
l'histoire de la page blanche à la fin ne m'a pas tout à fait convaincue, ceci dit, ça fait un peu intellectualisation, là où ce n'est pas du tout nécessaire.
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http://www.angle-vivant.net/claireceira/

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Message  Lemonde Mer 9 Avr 2014 - 14:24

La première phrase accroche et l'on ne décolle pas le nez du texte jusqu'à la dernière phrase. J'ai beaucoup apprécié ce texte qui m'a fait voyager dans un espace vierge de la mémoire.

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Message  roro Mer 9 Avr 2014 - 16:42

A la première lecture, je dirai que ce texte est excellent. Quelques longueurs (inutiles) parfois? Pour moi, c'est de la vraie littérature, une écriture de grande qualité. Dans le sens où on a envie de lire phrase par phrase, comme on écouterait le refrain d'une chanson. Justement, parce que c'est bien écrit, chaque phrase est belle, porteuse de sens, de résonance.

Il y a de très belles images : "échapper au bruit des angles morts", "une poussière de neige gelée", "zébrée de cônes blancs aux reflets bleutés"

Belle structure de phrase: "Elles saisissent alors les vagues immenses comme un ciseau de sculpteur le ferait dans le marbre".

Joli effet de narration: "J'ai vu cela. Dans le crépuscule précoce d'un soir de décembre encore doux, j'ai vu venir vers moi descendant droit depuis le nord, à l'horizon, sur la mer gris acier, un mur noir."

Il y a de la précision et de la poésie. Il y a une sensation d'équilibre. Le narrateur est un peu poète, un peu voyageur, il y a un bel effet de suspense dans le texte.

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Message  hi wen Jeu 10 Avr 2014 - 0:16

texte fort. me suis perdu en route, à mi parcours.
à la relecture, la première phrase m'intrigue. peut-on jamais aller au bout du monde? il y a toujours un bout après le bout. vu que ça forme une sphère.

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Message  Rebecca Jeu 10 Avr 2014 - 5:21

Faut il affronter des tempêtes de fin du monde pour accéder enfin à la serennité ? Faut il aller au bout de nos passions pour découvrir la paix, pour découvrir après le paroxysme des éléments déchainés une plage de temps immaculé, vierge, la possibilité d'une ile, d'un "il" libéré, apaisé, la possibilité d'une renaissance , d'un nouvel état des choses, d'une transmutation, l'opportunité de tourner la page sur l'agitation, la fureur du monde ?
Aller au bout du monde de la solitude de la vie pour découvrir au fond de soi de nouvelles terres à explorer ?
Ou s'agit il plus simplement d'une renonciation, d'une recherche du néant , d'un temps suspendu, de l'acceptation de n'avoir plus à s'agiter en vain, plus rien à dire plus rien à écrire ? Au bout du bout du monde, une renaissance ou la promesse de la mort ?
J'aime bien ce texte comme une parabole qui permet au lecteur de l'interpréter à sa guise.
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Message  Jano Jeu 10 Avr 2014 - 10:16

Oui, une jolie métaphore sur l'absolu que l'on recherche à travers l'écriture, du moins c'est ce que je comprends. Le style est bon mais s'égare parfois dans l'emphatique :avec des poussières fines et tourbillonnantes levées encore ici et là par des résidus de vent sous un soleil d'une pâleur de spectre.
Un peu plus de simplicité dans l'expression ne nuirait pas à votre propos je pense.
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Message  So-Back Jeu 10 Avr 2014 - 11:26

le commentaire de Rebecca correspond a on ressenti

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Message  jfmoods Jeu 10 Avr 2014 - 23:39

-bas
elles-mêmes
au-delà

La radicalité de la démarche ainsi que l'image du pôle semblent renvoyer à Baudelaire ("N'importe où hors du monde" dans "Le spleen de Paris"), à  la nécessité de se libérer du carcan, de l'angoisse ("ma gorge serrée") d'une société matérialiste, sans idéal, ayant totalement perdu ses repères ("bruit des angles morts"). Au-delà de cette première approche, certains indices ("le ciseau du sculpteur", "un conte de Stevenson", "la page blanche") couplés à la thématique de l'eau devenue glace (fruit d'un travail de composition des éléments) dessinent une magnifique parabole sur la création artistique. L'eau, fuyante, se présente comme une symbolique possible de la vie, la glace figurant une forme de sédimentation concrétisée par l'oeuvre. Le point de rupture du texte se situe forcément ici...

"J'ai vu cela. Dans le crépuscule précoce d'un soir de décembre encore doux, j'ai vu venir vers moi descendant droit depuis le nord, à l'horizon, sur la mer gris acier, un mur noir."

La gradation ("J'ai vu...", "... j'ai vu  venir...") est particulièrement prégnante. Dans la seconde phrase, le rejet du complément d'objet direct en position finale signale l'attente prolongée, l'arrivée, presque interminable, en bout de course, du moment critique de la tempête intérieure. Le mur noir, mur d'encre, passe au tamis de la neige, au tamis de la feuille. À la radicalité première de la démarche répond le bouleversement, la violence de l'état des lieux final ("Une vieille grange s'était effondrée."). La "page blanche" fait inévitablement penser à l'oeuvre singulière de Blanchot sur le phénomène, complexe et éruptif, de la création littéraire.

Mais j'extrapole (extra-pôle) sans doute largement.
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Message  Polixène Ven 11 Avr 2014 - 7:55

J'arrive après le dégel mettre mon grain de sel (si, j'ose!)

Tout a été dit précédemment, y compris la référence à Blanchot...
J'aurais bien supporté que la parabole soit filée un peu en amont, pour éviter l'effet "soufflet qui retombe" en fin de texte, mais c'est juste un ressenti personnel, ton texte fonctionne parfaitement tel qu'il est, y compris dans son format.
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Message  gaspard Ven 11 Avr 2014 - 11:06

seyne a écrit:superbe !
(j'ai pensé, au début, à "La mer, la mer" d'Iris Murdoch, gros bouquin hypnotique)
l'histoire de la page blanche à la fin ne m'a pas tout à fait convaincue, ceci dit, ça fait un peu intellectualisation, là où ce n'est pas du tout nécessaire.
Je n'ai pas lu cette Iris Murdoch, mais je devrais. Le coup de la page blanche, tu as peut-être bien raison. Quoi qu'il en soit, si je dois conserver ça, c'est le sujet d'un autre texte, séparé, une page blanche chaotique,. Il y a là une idée à creuser. Les protagonistes d'un drame sont invisibles. ils sont dissimulés dans les creux tourmentés de la blancheur des vagues soudainement gelées. ils se meuvent dans l'immobilité. Il faut les traquer. Comme tu vois, ton commentaire me donne une idée.

Lemonde a écrit:La première phrase accroche et l'on ne décolle pas le nez du texte jusqu'à la dernière phrase. J'ai beaucoup apprécié ce texte qui m'a fait voyager dans un espace vierge de la mémoire.

Avoir une bonne critique du Monde fait toujours plaisir. Le concept “espace vierge de la mémoire“ demanderait toutefois quelques explications supplémentaires.

roro a écrit: (…) Quelques longueurs (inutiles) parfois? Pour moi, c'est de la vraie littérature, une écriture de grande qualité. Etc. Etc. Etc.
(…)

Merci, c'est trop, n'en jetez plus la cour est pleine.

roro a écrit:
Joli effet de narration: "J'ai vu cela. Dans le crépuscule précoce d'un soir de décembre encore doux, j'ai vu venir vers moi descendant droit depuis le nord, à l'horizon, sur la mer gris acier, un mur noir."

J'avoue que je suis assez content de celle là : je me prends pour Victor Hugo des fois. Le mot “joli“ en revanche, je ne l'aime pas : est-ce que Victor Hugo écrivait des choses “jolies“?
roro a écrit:
Il y a de la précision et de la poésie. Etc. (…).


Ça y est, elle recommence !
Je voudrais bien savoir ce que tu trouves être “des longueurs inutiles“, vraiment.

hi wen a écrit:texte fort. me suis perdu en route, à mi parcours.
à la relecture, la première phrase m'intrigue. peut-on jamais aller au bout du monde? il y a toujours un bout après le bout. vu que ça forme une sphère.
hi wen, “le bout du Monde“ est une locution imagée de la langue française, un concept. Comme :  “Ce n'est pas le bout du monde“. C'est une image, pas une réalité.
Il n'est ni rond, ni carré, ni pointu, il est ovale, le bout du monde !

Rebecca a écrit:Faut il affronter  (…) l'opportunité de tourner la page sur
Aller au bout du monde de la solitude de la vie pour découvrir au fond de soi de nouvelles terres à explorer ?
(…)
J'aime bien ce texte comme une parabole qui permet au lecteur de l'interpréter à sa guise.

La prochaine fois, je te le pose sur un rocher en contre jour et qui médite, gelé pour l'éternité comme un penseur de Rodin (c'est bien toi qui te tiens en retrait sur la plage?). Merci d'aimer quoi qu'il en soit.

Jano a écrit:Oui, une jolie métaphore sur l'absolu que l'on recherche à travers l'écriture, du moins c'est ce que je comprends. Le style est bon mais s'égare parfois dans l'emphatique :avec des poussières fines et tourbillonnantes levées encore ici et là par des résidus de vent sous un soleil d'une pâleur de spectre.
Un peu plus de simplicité dans l'expression ne nuirait pas à votre propos je pense.

Cette emphase que tu déplores, c'est pour moi une sorte d'ironie nostalgique. Mais je comprends très bien que ça ne plaise pas. Comme les vents de Saint-John Perse peuvent sentir le ridicule (le pet au choux dit un de mes amis qui n'aime pas Perse) pour certains. Mais pour moi leur emphatique puissance balaye tout sur leur passage :

C'étaient de très grands vents, sur toutes faces de ce monde,
De très grands vents en liesse par le monde, qui n'avaient d'aire ni de gîte,
Qui n'avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille,
En l'an de paille sur leur erre... Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants !


So-Back a écrit:le commentaire de Rebecca correspond a on ressenti  

Ce n'est pas grave de ne pas savoir quoi penser d'un texte.

jfmoods a écrit:

-bas
elles-mêmes
au-delà

Tien, un prof !

jfmoods a écrit:

La radicalité de la démarche (…) de l'état des lieux final ("Une vieille grange s'était effondrée.").

Je suis intéressé par cette lecture quelque peu “universitaire“. Le lecteur est souvent un être surprenant qui décripte et théorise ce qui, pour moi, est plutôt de l'ordre de la musique. Mais cette explication se tient tout à fait.
jfmoods a écrit:
La "page blanche" fait inévitablement penser à l'oeuvre singulière de Blanchot sur le phénomène, complexe et éruptif, de la création littéraire.

Mais j'extrapole (extra-pôle) sans doute largement.

Avec Blanchot je partage surtout le côté “génie méconnu“. j'avoue l'avoir peu lu, et ne pas avoir été marqué par quoi que ce soit chez lui. mais c'est probablement une lacune. Peut-être pourrais-tu me conseiller un extrait, un poème, susceptible de me le faire découvrir ? On ne peut pas tout lire non plus. Et la “French Theory“ me semble bien loin !

Polixène a écrit:J'arrive après le dégel mettre mon grain de sel (si, j'ose!)

Tout a été dit précédemment, y compris la référence à Blanchot...
J'aurais bien supporté que la parabole soit filée un peu en amont, pour éviter l'effet  "soufflet qui retombe" en fin de texte, mais c'est juste un ressenti personnel, ton texte fonctionne parfaitement tel qu'il est, y compris dans son format.

En tant que lectrice, ton ressenti est la vérité. Il faut choisir : ou le texte retombe comme un soufflet à la fin, ou il est bien tel qu'il est.
Ce n'est pas en disant la chose et son contraire que tu vas m'aider par ton commentaire ! Merci quand même.


Merci à tous pour la quantité et la variété de vos commentaires. J'apprécie énormément ces échanges francs et directs, sans une once d'agressivité. Super !
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Message  So-Back Ven 11 Avr 2014 - 11:15




So-Back a écrit:le commentaire de Rebecca correspond a on ressenti

Ce n'est pas grave de ne pas savoir quoi penser d'un texte.

elle a exprimé mon ressenti, donc rien a ajouter c'est aussi simple que çà,
voila Gaspard

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Message  roro Ven 11 Avr 2014 - 11:56

J'avoue que je suis assez content de celle là : je me prends pour Victor Hugo des fois. Le mot “joli“ en revanche, je ne l'aime pas : est-ce que Victor Hugo écrivait des choses “jolies“?

Vous avez raison de ne pas "aimer" le mot "joli".
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Message  Sahkti Ven 18 Juil 2014 - 9:30

C'est superbe !
J'apprécie particulièrement cette manière de traduire autant d'images et d'émotions à travers une telle économie de mots, dans certains passages. Cela me fait penser à quelques auteurs du Montana, notamment, qui transmettent leurs sentiments sans trop en faire. Et puis, en même temps, il y a de l'ampleur, une certaine emphase. Le mariage des deux fonctionne bien à mes yeux.
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