la belle impuissance

Rentrer
traverser le jardin qui nage dans le crépuscule.

au-dessus l’immense ciel navigue
si lentement, avec ses nuages légers
semblables aux rides de l’eau, simplement dérivant.
voir le premier signe des étoiles
l’olivier du sud se découpe
subtil et noir
sur cette cartographie inconnue,
ce lent et lumineux mouvement.

je reste immobile
libérant peu à peu le bruit du travail,
les voix des autres.

battant, accordé au ciel
clair et sombre, à la grâce parfaite
du bleu profond, le pouls profond
de ce qui n’est pas là.

Le ciel en cet instant
raconte un long film une vieille histoire
de vies et d’autres endroits

le ciel étend sur le monde la cape,
la faille du temps.

on dirait du carat.
précis.
beau controle sonore.

Beau texte dans lequel je suis entrée sans difficulté :
Rentrer
traverser le jardin qui nage dans le crépuscule.
Superbe !
après, il suffit de se laisser porter...
cartographie m'a retenue, accrochée sur cette cartographie inconnue,
le son "ke" sans doute placé entre subtil et noir et ce lent et lumineux mouvement. si mouvant sans bruit comme le cours lent d'un fleuve.
une question : le ciel étend sur le monde la cape,
pourquoi ne pas avoir écrit "sa" cape
J'aime !

Je n'aime pas (du tout) les poèmes listant des infinitifs (rentrer/ traverser/voir), ça me fait un effet fatigué, quasi mort.
Trop descriptif sans pour autant dégager une puissance évocatrice. Trop d'adjectifs pour mon goût (le ciel est immense, les nuages légers et semblables, le signe est premier, l'olivier est subtil et noir, la carto inconnue, le mouvement lent et lumineux... j'arrête-là).
 Dommage, car il y a de bons points d'appuis :
- simplement dérivant
- libérer le bruit/travail
- ce qui n'est pas là
- la faille du temps (quoique depuis les Visiteurs...).

Comme dirait jfmoods "merci du voyage"
il suffit d'embarquer et de se laisser dériver, sans oublier le trouble (la menace serait trop dire)
car la grâce parfaite répond à ce qui n’est pas là quand le temps défaille.

Sur le détail d'écriture je souscris aux remarques de teverino sur les adjectifs, assez pauvres dans la longue première strophe, et je n'aime pas aux rides de l’eau.

Très beau poème. Il parvient à être un film, fil sensible, évocateur d'une absence envoûtante et inquiétante.

Mon seul regret est la métaphore :
"Le ciel en cet instant
raconte un long film une vieille histoire
de vies et d’autres endroits"

Cette analogie explicite manque de finesse car vous parvenez à unir nature/mots/sensations/émotions/illusions sans avoir besoin d'utiliser la grosse ficelle du theatrum mundi que suggère le mot "film".

Belle écriture, merci.

merci de toutes vos remarques. j'ai corrigé le poème en tenant compte de certaines.
@Pussicat : la cape et la faille sont celles du temps. J'aimais bien cette double idée, paradoxale.
@ Annie : oui, je vois bien ce qui te gène, mais je ne vois aucun autre moyen de dire simplement la même chose, et à vrai dire, ça n'accroche pas trop pour moi en lecture fluide. Et oui, c'est un instant qui n'est pas un moment de pure contemplation extatique, mais plein d'émotions mêlées.
@ Teverino : je n'ai pas beaucoup cherché la qualité littéraire, mais à rendre compte au plus près d'un spectacle, d'un ressenti. Et j'ai eu besoin de ces adjectifs, si peu originaux qu'ils soient, si nombreux sans doute, ils disaient bien ce que j'essayais de dire, ils me replongeaient dans cet instant vécu. C'est dommage que ça vous gène au contraire.
@ Post scriptum : oui, je suis d'accord, j'ai essayé de dire les choses autrement, par un lieu commun (c'est bien de ça qu'il s'agit, en fait : d'un lieu commun).

J'aime beaucoup l'idée de "lieu commun" dès lors qu'on la prend au sens propre d'un lieu qui nous est commun.

oui, moi aussi...

Voilà la 2ème version :



Rentrer,
traverser le jardin
qui nage dans le crépuscule.

au-dessus l’immense ciel navigue
si lentement, avec ses nuages légers
semblables aux rides de l’eau, simplement dérivant.
voir le premier signe des étoiles
l’olivier du sud se découpe
subtil et noir
sur cette cartographie inconnue,
ce lent et lumineux mouvement.

je reste immobile
libérant peu à peu le bruit du travail,
les voix des autres.

battant, accordé au ciel
clair et sombre, à la grâce parfaite
du bleu profond
le pouls profond
de ce qui n’est pas là.

le ciel recouvre tous les lieux, tous les gens
il étend sur le monde la cape,
la faille du temps.

seyne a écrit:le ciel recouvre tous les lieux, tous les gens

la platitude de cette phrase me confond !
chercherais tu pas une autre formulation ?
par ex (mais ce n'est qu'un exemple vite fait) : lieux et gens, tous sous le même ciel (si on veut insister sur ce lieu commun) ou
lieux et gens, tous sous le ciel (si on veut ajouter qu'il n'y a personne "au delà") à vrai dire pas même d'au delà!
ou
tous les lieux, tous les gens à couvert du ciel

etc... et je sais que tu me pardonnes cette intrusion !

oui, ou plus simplement le vers est inutile, et fait double emploi avec la cape du temps....je l'enlève !
merci Annie.

@Pussicat : la cape et la faille sont celles du temps. J'aimais bien cette double idée, paradoxale.

Je ne comprends pas ce que tu entends par : "la cape et la faille sont celles du temps"
Le ciel étend sur le monde la cape,
la faille du temps.
La cape est bien le ciel, je ne me trompe pas, on est d'accord (?), on la retrouve utilisée maintes fois dans la littérature, BD, mythe : la cape d'invisibilité dans l'oeuvre de J. K. Rowling, la cape de Batman, la cape et l'épée, le roman de cape et d'épée, la cape de la nuit ou de l'oubli... la toison d'or, pourquoi pas...
Comment peut-elle être à la fois "ciel" et "faille", je ne pige pas la construction du vers. L'image de la "cape" est à mes yeux mal choisie. Elle recouvre, comme peut-elle être "faille" ?
Paradoxal, sans aucun doute.
Aide-moi à retirer cette incompréhension de ma caboche.

non, pour moi c'est bien la cape du temps :
ce qui nous enveloppe et nous recouvre de sa continuité, fait le lien avec le temps d'avant nous, et d'après nous.
Mais c'est aussi ce qui déchire et sépare, la mort, ce dans quoi on tombera.

disons que le poème relie un instant (à cause du lent mouvement, le crois), le ciel et le temps.

Simplement beau et suspendu comme le moment dépeint.