Petite variation sur un dessin animé d'enfance

le Capitaine Crochet n’a qu’une idée c’est de tuer
Peter qui lui a coupé la main.
pourtant ce membre coupé-mangé
a laissé place à un bel instrument
éventreur, tueur et accrocheur
le Capitaine Crochet veut se venger, mais il est poursuivi
par le Temps qui cliquète.

Dévorez-nous à demi, monstre marin
suivez-nous si personne
d’autre dans le sillage refermé ne nous suivra
nous sommes les pirates volants
les femmes sont trop mièvres
pour nos affaires de chair ouverte.
Qu’elles reprisent les chaussettes !

Mon sang bleuit mes dentelles, ma barbe
bleuit mes joues caves.

mes yeux
cueille-les, comme fleurs privées

avant que je referme
les plis de mes paupières
ne m’oublie pas.
Wendy je la veux pour tuer Peter.

Peter n’a qu’une idée c’est de tuer Crochet
parce qu’il n’a qu’une idée depuis qu’il est tombé
de sa poussette. Il cherche le rocher où mourir
en face à face. Il cherche le rocher d’où l’on s’enfuit
dans la tiède nappe des marées.

Peter, emmène-nous au milieu
des limites. Fais-nous voler à un mètre au dessus des lits
dans nos chambres d’enfants soumis
ton crochet, je le sens qui soutient la chair.

Que la douleur soit une fée qui vole
dans notre dos - ne te retourne pas
ses ailes sont trop diaphanes pour nous.

sympa.
enfantin, espiègle, malicieux.

Loin des dessins animés, je suis sensible au caractère cruel, sanglant de cette évocation de l'enfance.

S'il est permis de faire de l'autopub, ça me rappelle un poème que j'ai publié ici : Bibliothèque verte.

Oui, Annie, je réponds tout de suite parce que c'est bien ressenti : Peter Pan a tant de facettes, et je me suis beaucoup intéressée à l'histoire de James Matthew Barrie, le petit garçon qui a tenté (pour consoler sa mère) de porter les vêtements de son frère aîné, mort accidentellement...et qui a pratiquement cessé de grandir.

L'idée de départ de ce poème c'était la question sado-masochiste, quels rôles de survie elle peut jouer pour nous, quels espaces elle ouvre, avec quoi elle se mêle - quand elle n'est pas prise dans la perversion au sens pathologique.
Mais bien entendu c'est un poème et après c'est parti en live, enfin j'espère.

Un conte revisité de belle manière; cela me fait penser à un ouvrage d'Allison Lurie "Ne le dites pas aux grands", qui évoque la perversité et la cruauté de pas mal de textes que l'on destine (par erreur ?) aux enfants.
Je trouve que ton texte met en lumière, sans trop en faire, toute la complexité de tels personnages et pas uniquement leurs difficultés de sortir de l'enfance et de vivre, mais aussi ces tourments qui peuvent s'emparer d'eux, à l'image de ce qui se trame dans la tête des adultes. Des tourments qui causent souffrance mais pas uniquement, ils guident, ils façonnent, ils dictent... que l'on aie ou non prise sur eux. Une machinerie délicate et féroce qui apparaît clairement ici.