Tournée au pays des gens
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Tournée au pays des gens
Texte strictement autobiographique datant d'un an.
Ca se lit avec un paquet de pistaches sous la main.
Enfin, moi je vous le conseille mais maintenant c'est à vous de voir.
Ca caillait, quand même, dans ce train à moitié opérationnel. J’avais la tête un peu diluée dans le rosé de Provence. Mon périple commençait de façon tout à fait factice, c’était moyennement bon signe. Un retard statutaire de vingt-cinq minutes m’avait déjà mis dans le bain, dès ma première approche du milieu humain à tendance moyennement ennuyeuse voire hostile.
En chemin pour la gare, la perte du boîtier de protection de mon lecteur mp3 m’avait plongé dans une certaine angoisse concernant cet écran musical que j’affichais aussi régulièrement que possible face aux déambulations notoires des individus lambda. En effet, la fragilité de l’objet inhérente à son absence m’avait quelque peu interpellé. Mais sans plus, finalement.
Après avoir convenablement obstrué les toilettes de mon wagon à grands renforts de papier rosâtre, j’allumais une cigarette dans un sentiment d’impunité moyen, lui aussi. Il faut dire qu’il me fallait bien ce réconfort à la vue du paysage affligeant qui m’était offert. Marseille-Lyon, c’est effectivement un voyage d’un inintérêt complet en matière de défilement rural. Non content d’accuser un retard majeur suivi de deux arrêts pour des prétextes aussi farfelus qu’une fuite de gaz en gare de Nîmes, ce train absolument consternant avait une fâcheuse tendance à rouler en biais. Penché, quoi. Un particularisme qui me rendait hautement circonspect.
D’un autre côté, j’étais plus vraiment à ça près.
Contrôle des billets.
« La cigarette, c’est interdit ; c’est marqué, là. »
Pas vraiment hostile celui-là, j’en ai connu des bien plus bornés et des bien moins décontractés.
« Mouais, ben, je l’éteins.
- Vous avez votre billet ? »
Déjà, à son intonation, il était peu convaincu que je puisse en détenir un. J’ai apprécié cette anticipation, ça ne faisait que rehausser mon estime pour le type, finalement.
« Vous avez de l’argent ?
- Non.
- Une pièce d’identité ?
- Ouais. »
Pour cette première opposition de style de la journée, mon interlocuteur serein avait saisi que je faisais un effort pour avoir au moins quelque chose. En retour, il fut bref et efficace dans sa rédaction d’infraction et conclut avec un ‘Bonne journée’ tout à fait acceptable pour un être moyennement adaptable tel que moi.
Un coup d’œil rapide sur le jaunâtre feuillet me permit de constater le chiffre curieusement peu élevé de l’addition forfaitaire qui resterait impayée vu que je n’habitais plus depuis longtemps à l’adresse indiquée. D’ailleurs, en y réfléchissant furtivement, je n’habitais nulle part.
Je notais tout de même dans l’emplacement réservé aux ‘observations du voyageur’ que les commodités d’excrétion étaient ignoblement bouchées. On ne sait jamais. Si un deuxième individu à casquette bleu marine venait à me contrôler à nouveau, la lecture de cette remarque pouvait augurer d’un grand moment de divertissement. Plus ou moins.
J’avais toujours été un être ‘plus ou moins’.
Au sens où ma motivation en toute chose et en tout être humain s’était généralement contorsionnée autour d’un niveau approchant le zéro, en tout cas faiblement positif. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas totalement triste comme posture. On s’habitue parfois à la lassitude. C’est curieux et pourtant.
Les deux colocataires que je venais de quitter sans adieux larmoyants n’étaient, eux, ni curieux, ni pourtant. Plutôt du genre ‘en effet’.
En effet, quatre-vingt dix pour cent de la population globale s’emmerdent dans le vie.
En effet, les jours se ressemblent péniblement.
En effet, il y a du rien dans l’Homme.
Tous ces effets-là. Des démonstrations probantes bipèdes. Toujours pratiques pour étayer des thèses sociales, ces gens-là. Il en faut, ne jetons pas trop vite le parpaing.
En comparaison, j’étais assez satisfait de mon positionnement et de ma situation immédiate : ma carrière d’écrivain raté venait de se propulser d’elle-même à un échelon supérieur et là encore, j’y trouvais une certaine satisfaction. A tel point qu’on m’a demandé un jour par rapport à quoi je pouvais bien ne pas l’être. J’avais une marge de manœuvre assez large et n’importe quel exemple aurait suffi mais sur le coup, je n’avais pas trouvé de réponse à dégainer automatiquement. Il y a des moments de semi-vide comme ça où l’on peut se satisfaire d’à peu près rien. Des instants rares. A conserver.
Question nihilisme, j’étais un client très sérieux : plus d’appart, pas de travail puisque ce concept me paraissait un peu trop burlesque, quasiment pas d’amis dignes de ce nom, encore moins d’être vivant qui aurait pu accepter de m’accompagner dans cette existence un peu personnalisée et la seule occupation qui m’était finalement assez tolérable consistait à noircir des feuilles en toute occasion. J’avais joué placé. Et j’étais dans le peloton de tête.
Il n’y avait pas quarante issues à cette équation absolument peu inconnue : soit ça n’allait pas me mener bien loin, soit ça me mènerait beaucoup trop loin. J’entretenais une certaine tendresse pour la deuxième alternative. Evidemment. Quoique la première n’était pas à négliger. Bref, j’étais encore dans une position de légère satisfaction panoramique.
Lyon était en approche. Et ce n’était pas du luxe étant donné que la poussive locomotive m’avait tracté laborieusement pendant une période que j’estimais être de l’ordre du tiers du vingt-unième siècle. Je ne craignais pas vraiment ce vieillissement accéléré puisqu’un individu, remarquablement inspiré ce jour-là, avait mentionné avec laconisme à mon égard que je n’avais pas d’âge. Il est intéressant de constater à quel point on peut considérer certaines personnes de façon plus ou moins bienveillante dès lors qu’ils sont porteurs d’hommages divers envers soi-même.
Entrée en gare de Vienne. Une bonne trentaine d’années s’était écoulée, c’était très clair à présent. Mise à part une catastrophe nucléaire d’un haut degré, je ne voyais pas ce qui avait pu donner à ce lieu une telle allure post-apocalyptique. Etre viennois devait être bien pénible.
Mon passage à Lyon fut tout à fait furtif dans le sens où je trouvai glorieusement une correspondance assez extravagante pour Montbéliard, la première destination d’une série que j’espérais suffisamment longue pour rédiger assez méthodiquement mon chef-d’œuvre ultime, celui qui devait corner un peu les pages de l’humanité. Bon, ce train-là roulait droit, en gros, c’était déjà ça. Mais il avait une propension déconcertante à s’arrêter cinq minutes dans des villages innommables et ce, à peu près tous les quarts d’heure. Pour le coup, c’était peu satisfaisant. J’ai eu droit à mon papier jaune à peine vingt minutes après le départ. Cette fois, le contact fut moins convivial : quatre-vingt dix kilos de mépris et un mètre quatre-vingt de méfiance m’ont délivré le petit rapport de fraude avec une hostilité à peine rentrée et bien perceptible. Niveau comptabilité, on restait dans les mêmes eaux bien que le trajet soit plus court.
Il fallait que je chope une autre correspondance à Dijon, ça paraissait jouable. A l’aise. Pour ne pas déroger à ma nouvelle institution, j’y allais de mon petit commentaire d’observateur ferroviaire averti : ‘Le jaune des lampes de travail est relativement repoussant’
Infâme, même. Et c’était complètement vérifiable, d’ailleurs.
Mais bon, disons que les stylistes et autres publicitaires de la SNCF avaient été peu inspirés. Il faut essayer de les comprendre : ils doivent déjà créer des logos désespérants et inventer en permanence des slogans d’une mauvaise foi hilarante. Du genre : ‘Toujours une idée d’avance’. Ouais. Pas besoin d’en dire plus, ça se casse la gueule sans aide extérieure. Pour offrir une comparaison subtile, y croire était aussi pertinent que d’acheter des actions Moulinex ou Eurotunnel.
Je plaçais le trajet consistant à traverser le nord-est ex-aequo avec le Marseille-Lyon dans le domaine de l’apathie spontanée qu’il produisait sur tous les êtres vivants qui étaient à bord de ce train morne. Faut pas s’étonner que les gens se jettent souvent sur les rails : ils veulent se venger. Normal.
Ca se lit avec un paquet de pistaches sous la main.
Enfin, moi je vous le conseille mais maintenant c'est à vous de voir.
Ca caillait, quand même, dans ce train à moitié opérationnel. J’avais la tête un peu diluée dans le rosé de Provence. Mon périple commençait de façon tout à fait factice, c’était moyennement bon signe. Un retard statutaire de vingt-cinq minutes m’avait déjà mis dans le bain, dès ma première approche du milieu humain à tendance moyennement ennuyeuse voire hostile.
En chemin pour la gare, la perte du boîtier de protection de mon lecteur mp3 m’avait plongé dans une certaine angoisse concernant cet écran musical que j’affichais aussi régulièrement que possible face aux déambulations notoires des individus lambda. En effet, la fragilité de l’objet inhérente à son absence m’avait quelque peu interpellé. Mais sans plus, finalement.
Après avoir convenablement obstrué les toilettes de mon wagon à grands renforts de papier rosâtre, j’allumais une cigarette dans un sentiment d’impunité moyen, lui aussi. Il faut dire qu’il me fallait bien ce réconfort à la vue du paysage affligeant qui m’était offert. Marseille-Lyon, c’est effectivement un voyage d’un inintérêt complet en matière de défilement rural. Non content d’accuser un retard majeur suivi de deux arrêts pour des prétextes aussi farfelus qu’une fuite de gaz en gare de Nîmes, ce train absolument consternant avait une fâcheuse tendance à rouler en biais. Penché, quoi. Un particularisme qui me rendait hautement circonspect.
D’un autre côté, j’étais plus vraiment à ça près.
Contrôle des billets.
« La cigarette, c’est interdit ; c’est marqué, là. »
Pas vraiment hostile celui-là, j’en ai connu des bien plus bornés et des bien moins décontractés.
« Mouais, ben, je l’éteins.
- Vous avez votre billet ? »
Déjà, à son intonation, il était peu convaincu que je puisse en détenir un. J’ai apprécié cette anticipation, ça ne faisait que rehausser mon estime pour le type, finalement.
« Vous avez de l’argent ?
- Non.
- Une pièce d’identité ?
- Ouais. »
Pour cette première opposition de style de la journée, mon interlocuteur serein avait saisi que je faisais un effort pour avoir au moins quelque chose. En retour, il fut bref et efficace dans sa rédaction d’infraction et conclut avec un ‘Bonne journée’ tout à fait acceptable pour un être moyennement adaptable tel que moi.
Un coup d’œil rapide sur le jaunâtre feuillet me permit de constater le chiffre curieusement peu élevé de l’addition forfaitaire qui resterait impayée vu que je n’habitais plus depuis longtemps à l’adresse indiquée. D’ailleurs, en y réfléchissant furtivement, je n’habitais nulle part.
Je notais tout de même dans l’emplacement réservé aux ‘observations du voyageur’ que les commodités d’excrétion étaient ignoblement bouchées. On ne sait jamais. Si un deuxième individu à casquette bleu marine venait à me contrôler à nouveau, la lecture de cette remarque pouvait augurer d’un grand moment de divertissement. Plus ou moins.
J’avais toujours été un être ‘plus ou moins’.
Au sens où ma motivation en toute chose et en tout être humain s’était généralement contorsionnée autour d’un niveau approchant le zéro, en tout cas faiblement positif. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas totalement triste comme posture. On s’habitue parfois à la lassitude. C’est curieux et pourtant.
Les deux colocataires que je venais de quitter sans adieux larmoyants n’étaient, eux, ni curieux, ni pourtant. Plutôt du genre ‘en effet’.
En effet, quatre-vingt dix pour cent de la population globale s’emmerdent dans le vie.
En effet, les jours se ressemblent péniblement.
En effet, il y a du rien dans l’Homme.
Tous ces effets-là. Des démonstrations probantes bipèdes. Toujours pratiques pour étayer des thèses sociales, ces gens-là. Il en faut, ne jetons pas trop vite le parpaing.
En comparaison, j’étais assez satisfait de mon positionnement et de ma situation immédiate : ma carrière d’écrivain raté venait de se propulser d’elle-même à un échelon supérieur et là encore, j’y trouvais une certaine satisfaction. A tel point qu’on m’a demandé un jour par rapport à quoi je pouvais bien ne pas l’être. J’avais une marge de manœuvre assez large et n’importe quel exemple aurait suffi mais sur le coup, je n’avais pas trouvé de réponse à dégainer automatiquement. Il y a des moments de semi-vide comme ça où l’on peut se satisfaire d’à peu près rien. Des instants rares. A conserver.
Question nihilisme, j’étais un client très sérieux : plus d’appart, pas de travail puisque ce concept me paraissait un peu trop burlesque, quasiment pas d’amis dignes de ce nom, encore moins d’être vivant qui aurait pu accepter de m’accompagner dans cette existence un peu personnalisée et la seule occupation qui m’était finalement assez tolérable consistait à noircir des feuilles en toute occasion. J’avais joué placé. Et j’étais dans le peloton de tête.
Il n’y avait pas quarante issues à cette équation absolument peu inconnue : soit ça n’allait pas me mener bien loin, soit ça me mènerait beaucoup trop loin. J’entretenais une certaine tendresse pour la deuxième alternative. Evidemment. Quoique la première n’était pas à négliger. Bref, j’étais encore dans une position de légère satisfaction panoramique.
Lyon était en approche. Et ce n’était pas du luxe étant donné que la poussive locomotive m’avait tracté laborieusement pendant une période que j’estimais être de l’ordre du tiers du vingt-unième siècle. Je ne craignais pas vraiment ce vieillissement accéléré puisqu’un individu, remarquablement inspiré ce jour-là, avait mentionné avec laconisme à mon égard que je n’avais pas d’âge. Il est intéressant de constater à quel point on peut considérer certaines personnes de façon plus ou moins bienveillante dès lors qu’ils sont porteurs d’hommages divers envers soi-même.
Entrée en gare de Vienne. Une bonne trentaine d’années s’était écoulée, c’était très clair à présent. Mise à part une catastrophe nucléaire d’un haut degré, je ne voyais pas ce qui avait pu donner à ce lieu une telle allure post-apocalyptique. Etre viennois devait être bien pénible.
Mon passage à Lyon fut tout à fait furtif dans le sens où je trouvai glorieusement une correspondance assez extravagante pour Montbéliard, la première destination d’une série que j’espérais suffisamment longue pour rédiger assez méthodiquement mon chef-d’œuvre ultime, celui qui devait corner un peu les pages de l’humanité. Bon, ce train-là roulait droit, en gros, c’était déjà ça. Mais il avait une propension déconcertante à s’arrêter cinq minutes dans des villages innommables et ce, à peu près tous les quarts d’heure. Pour le coup, c’était peu satisfaisant. J’ai eu droit à mon papier jaune à peine vingt minutes après le départ. Cette fois, le contact fut moins convivial : quatre-vingt dix kilos de mépris et un mètre quatre-vingt de méfiance m’ont délivré le petit rapport de fraude avec une hostilité à peine rentrée et bien perceptible. Niveau comptabilité, on restait dans les mêmes eaux bien que le trajet soit plus court.
Il fallait que je chope une autre correspondance à Dijon, ça paraissait jouable. A l’aise. Pour ne pas déroger à ma nouvelle institution, j’y allais de mon petit commentaire d’observateur ferroviaire averti : ‘Le jaune des lampes de travail est relativement repoussant’
Infâme, même. Et c’était complètement vérifiable, d’ailleurs.
Mais bon, disons que les stylistes et autres publicitaires de la SNCF avaient été peu inspirés. Il faut essayer de les comprendre : ils doivent déjà créer des logos désespérants et inventer en permanence des slogans d’une mauvaise foi hilarante. Du genre : ‘Toujours une idée d’avance’. Ouais. Pas besoin d’en dire plus, ça se casse la gueule sans aide extérieure. Pour offrir une comparaison subtile, y croire était aussi pertinent que d’acheter des actions Moulinex ou Eurotunnel.
Je plaçais le trajet consistant à traverser le nord-est ex-aequo avec le Marseille-Lyon dans le domaine de l’apathie spontanée qu’il produisait sur tous les êtres vivants qui étaient à bord de ce train morne. Faut pas s’étonner que les gens se jettent souvent sur les rails : ils veulent se venger. Normal.
Siphon- Nombre de messages : 142
Age : 39
Localisation : Mons
Date d'inscription : 11/12/2007
Re: Tournée au pays des gens
Vu que je n’avais nullement envie de converser une seconde fois avec l’antipathique armoire à glace, je pris l’initiative maintenant récurrente d’aller m’en griller une autre dans les toilettes en toute décontraction, ce qui me permit de m’observer un instant dans la glace. J’en suis venu à une analyse intéressante de mon morphotype : une allure de faux John Lennon croisé avec un terroriste palestinien tout aussi factice, l’ensemble final étant le fruit d’une autre concoction hybride avec un Léonard de Vinci dans ses plus mauvais jours. J’étais le pionnier d’un genre nouveau. Je m’en réjouissais dans des proportions honorables.
Tournus n’arrivait pas à la cheville de Vienne. C’était sans appel. Trop coquet, trop de couleurs et de végétaux variés. Tant pis. Je ne désespérais pas, j’allais bien trouver mon Graal : la ville du néant par excellence. Tournus - et c’était là tout ce qu’il pouvait y avoir de remarquable – est doté d’un restaurant dans le style ‘Bistro Romain’ au-dessus duquel on peut admirer un drapeau norvégien. Non, moi non plus je n’ai pas saisi l’utilité de cet étendard qui semblait avoir été choisi de manière aléatoire par des tenanciers rongés par l’ennui et la mort.
Chalon-sur-Saône. Y a un bon club de basket, là-bas, non ? Je me le suis demandé sans raison apparente. Oui, c’était sans intérêt mais dans ce coin, on essaye de se rabattre sur des repères, quels qu’ils soient. Histoire de pas finir dépressif majeur en moins de cinq heures. Mimolette. Voilà : la mimolette. Depuis un certain temps, j’étais troublé par cette satanée lampe de travail jaune-orangée : forcément, elle agressait mes globes oculaires à chaque fois que j’avais le malheur de regarder par la fenêtre. Elle était de la couleur exacte de la mimolette, ce vil produit fromager. Moyennement fier de ma découverte, je suis tout de même allé me récompenser pour cet éclair de génie avec une énième clope-toilettes-faux Lennon. Je l’avais bien mérité. Je fus un peu décontenancé par le crissement douloureux des rails, cette fois-ci. C’était Charybde et Scylla en version techno-stéréo. Même avec le son relativement barbare d’AC/DC bien planté dans mes protubérances auditives, l’ambiance y était vraiment terrifiante, c’est pour dire. Je suis donc revenu auprès de la mimolette vaguement trapézoïdale.
Dijon. Rien de dangereux là-bas. Je me suis dit que tous les habitants devaient être morts de chagrin ou en passe de l’être. Et je me suis planté. Le dijonnais est endurant. Plus qu’on ne croirait de prime abord. Le dijonnais dispose de trains en tôle ondulée, je l’ai appris sur place. J’avais déjà vu ce genre de modèle auparavant au cœur de certaines villes impropres à tout habitat telles que Limoges ou Pau mais cette boîte de conserve qui prétendait m’emmener à Besançon semblait tout à fait commune dans la région. D’autant plus qu’elle arborait fièrement les tristes armoiries du Conseil Général de Bourgogne. Je pensais éviter le contrôle sur ce drôle d’engin : trop naze pour y faire travailler des êtres humains à dix-sept heures sans violer une quinzaine d’articles de la Convention de Genève. Eh bien, à Dijon, ils osent quand même. Ils sont comme ça, les dijonnais. Sale race…
« Pas de billet.
- Pas de billet ?
- Non.
- Vous avez de l’argent ?
- Non.
- Pas du tout ?
- Non.
- Une pièce d’identité ?
- Ouais. »
Et là, toute la solitude du mec bordélique m’est tombée dessus. Faut pas être doué pour laisser choir une amende par terre en sortant son portefeuille, quand même. J’ai peut-être un don inné pour la cocasserie, qui sait ?
« Vous avez déjà reçu une amende ?
- Ouais.
- Beaucoup ?
- Non, pas vraiment. »
Mademoiselle ‘je suis un agent plein de zèle’ est quand même allée vérifier sur la liste si je n’étais pas un terroriste habituel et dangereux. A son retour, cinq minutes plus tard, j’ai perçu comme une pointe de déception dans sa voix au moment de me remettre mon feuillet. Un peu moins cher, le Dijon-Besançon. Mais encore plus court. Je commençais à prendre un plaisir honnête à mon petit rituel : ‘Je ne pensais pas trouver des dijonnais, encore moins à cette heure-là’.
J’avais l’impression d’une nette amélioration dans mes assertions rouges sur fond jaune poisseux. Arrivé à Montbéliard - si j’y arrivais un jour - je serais devenu un pro des répliques concernant les gares de France. Ils m’embaucheraient peut-être en tant que technicien-conseil au service communication. Un projet original mais déprimant. Et il est déconseillé d’avoir un esprit négatif dans le nord-est car il paraît qu’on peut devenir paralysé sinon. Eux, ils ont l’habitude : ils arrivent à rester mobiles quand même et c’est bien ce qu’on leur reproche.
Le pied sur le sol besançon, j’étais convaincu que la boîte Saupiquet-Bourgogne avait battu un record de lenteur. J’étais sûrement pas loin du compte. Allez, une dernière correspondance pour Montbéliard. Intérêt qu’il y ait du champagne à l’arrivée.
« Si je vais à Belfort, ça passe part Montbé ?
- Ouais, ouais.
- Ok, nickel. »
Hug. Un drôle de numéro aussi, celui-là.
Et encore un drame : deuxième boîte de thon à la catalane pour arriver enfin à destination. Avec un intérieur de bus de ville, de surcroît. Si on m’avait dit que je ferai dix heures de train pour aller dans cette ville suspecte, et bien… Et bien, je crois que je l’aurais cru : je me connais un minimum. Quatrième train, quatrième contrôle, ils font les choses bien quand même. Là, c’était du costaud, ils voulaient me démontrer qu’ils avaient de la ressource. Billet, argent, papier. Non, non, ouais. Ce coup-ci, j’avais été plus performant en matière de sortage de portefeuille. Un peu hésitant mais souple.
« Vous avez déjà eu des problèmes chez nous ? »
Le sous-entendu d’appartenance à la communauté SNCF m’a un peu étourdi mais je suis resté brillant et crédible.
« Peut-être deux, trois amendes cette année…
- Humm. Je peux téléphoner…
- Ouais, ben ouais. »
Et il a dégainé son portable high-tech.
« Ouais, salut… Vérification usager… alpha… crochet… Dubois… 1985… Ouais ? Ok, merci. Bonne soirée à toi aussi. »
Heureusement qu’ils n’ont pas un système centralisé très réactif, sinon, il l’aurait mal pris, à mon avis. En prenant ma quatrième notification toujours aussi jaunâtre, je me rassis à moitié dans le vide : ce sale siège besançonnais s’était replié.
« Putain, ça fait deux fois : ils sont malicieux vos sièges, dans le nord-est.
- Ben, ce sont des strapontins…
-Ouais, on a les mêmes dans le sud mais ils sont moins traîtres. »
Et dans la foulée, je notai cette fabuleuse digression dans mon cadre réservé à l’inspection des services locaux. Bon, c’était parfait comme bouquet final. J’avais héroïquement mérité, encore une fois, mon trophée nicotinien. A un quart d’heure de la consécration. Je venais d’apprendre que Hug avait fait des courses et ça, c’était plutôt une bonne nouvelle : je sentais que j’allais avoir besoin d’un verre. De plusieurs. Carrément.
Je me suis positionné à côté d’un sapin d’environ quinze mètres de haut, à la sortie de la gare. Impossible de me rater. Le voilà qui se pointait en Peugeot locale, d’ailleurs. Une bonne variante franche-comtoise de la représentation du Conan, barbare moyen. Ma remontée fulgurante du pays allait trouver sa première halte ici, dans cet appart qui semblait être squatté en permanence plutôt qu’habité réellement à la manière dont on l’entend généralement. Parfait. On pouvait y découvrir des constructions artisanales contemporaines à connotation ouvertement contestataires de l’ordre d’un tournevis planté dans un écran de tv. Ecran qui portait l’inscription « Fracture ouverte des nerfs optiques ». Remarquablement porteur de sens au sein de la cocasserie.
Un chêne - en tout cas, il m’assura que c’en était un – d’une vingtaine de centimètres était placé dans un verre d’eau et de feuilles mortes. La performance était sans précédent, il fallait bien l’avouer : cet arbre en gestation se développait dans un milieu aquatique plus ou moins absolu. Je précise que son impressionnant propriétaire préparait un voyage de plusieurs mois en Eurasie dont la particularité résidait dans le fait que le moyen de transport choisi pour cette excursion était un âne. Et le chêne aquatique devait être de la partie également.
Bref, je ne m’étais pas trompé : cette étape serait inaugurale de l’état d’esprit artistique revendiqué intrinsèque à mon projet. Rabattant naturellement mon attention sur les contenants à vocation alcoolique présents dans mon environnement direct, je découvris le charme discret du vieux Pontarlier, collation anisée culminant au taux respectable de quarante-cinq degrés. Son destin venait de rencontrer en moi un tournant majeur et irrémédiable puisque sa durée de vie n’excéda pas une poignée d’heures. La soirée avançait toute seule, largement monopolisée par toutes sortes d’évocations littéraires et par la réduction exponentielle du niveau de flottaison des bouteilles alentours. Conversations pendant l’une desquelles Hug développa à mon intention son passionnant concept existentiel assimilable à un retour à la nature légèrement nietzschéen.
« Et donc, moi, je me taille souvent dans les bois pendant plusieurs jours, juste avec une hache à la main. Tu vois, je veux vraiment explorer les ressources de l’humain à l’origine, quoi. T’as rien, tu fais de la cueillette, tu construis ton abri…
- Mouais, c’est clair. »
Il accompagna son discours en prenant à témoin un ouvrage de sa bibliothèque qui était tout à fait innocent dans cette affaire. Le volume, dont la première de couverture représentait un puma aléatoire, traitait des méthodes de chasse chez des animaux divers et pouvait aisément laisser dans l’expectative.
Le premier de mes périlleux voyages en direction des toilettes fut l’occasion d’une découverte d’un intérêt notable : les présences cumulées d’un Fluide Glacial, d’un carnet de mots-croisés et d’un cendrier parfaitement positionné afin d’offrir ses services de façon fonctionnelle en ce lieu. On devrait toujours considérer ce genre d’éléments pour stabiliser son jugement à propos de tout individu. Mon retour fut accueilli par une présentation quasi-exhaustive de ses productions poétiques indéniablement modernes et subversives à l’image de l’un d’eux intitulé ‘Toc toc, connard’, un modèle du genre. Suite à une démonstration gestuelle dont la nature relevait déjà du vague notoire, Hug rencontra de façon tout à fait frontale la table basse qui centralisait notre espace. Une illustration probante de l’horizontalité du bipède soluble en milieu franc-comtois. Ma stoicité jusque là simplement participative prit de ce fait une dimension différente. C'est-à-dire que les discussions suivantes vinrent probablement renforcer les rangs trépignants du nihilisme mondial.
Les Doors occupaient la scène musicale pendant que le cultivateur d’éléments arboricoles en environnement insolite m’exposait quelques créations picturales personnelles qui représentaient respectivement un symbolisme douteux du Jardin des Hespérides, un vortex turquoise et un plagiat léger de Dali concernant une horloge dégoulinante.
Les cinq heures du matin nous trouvèrent quelque peu apathiques et annoncèrent un repli moyen de l’intensité de l’échange vers un sommeil qui le fût tout autant.
Mon réveil eut tout de symptomatique du refus de l’activité humaine dans une de ses applications les plus approfondies. Un pull en laine pouvant facilement me contenir quatre fois m’avait apparemment servi de couverture pendant la courte nuit que j’avais employée à trouver une position acceptable dans un canapé tendant vers le pouf entièrement adaptable. La face blafarde qu’affichait nonchalamment Hug dans une contention éthylique flagrante me conforta dans la certitude que cette journée serait à l’image de notre posture globale. Comme une ‘Bof attitude’. Une conception dont le charme ne nous était pas étranger.
« Hum… ?
- Hum.
- Mouais. »
Qu’attendre de plus, niveau syntaxe …?
L’ingurgitation d’un café ne modifia en rien notre composition vasculaire en regard du flot toujours lourdement vaseux qui régissait notre perception floutée des choses et des états. C’est d’ailleurs peut-être pour cette raison que le bûcheron franc-comtois commit une erreur grossière. A savoir appeler sur son lieu de travail afin de faire connaître une excuse tout à fait foireuse concernant son retard et le tout en concluant qu’il arrivait ‘en courant’. L’assurance jouée dont il fit preuve en cette occasion pour un mec bourré à dix heures du matin seulement capable d’aller du salon à la cuisine en moins de cinq minutes me laissa plutôt admiratif. Sûrement parce que j’avais fourni des efforts répétés pour ne jamais me retrouver dans de pareilles situations en usant d’une stratégie bien connue mais personnalisée : éviter le germe du travail aussi souvent que faire se peut.
Tournus n’arrivait pas à la cheville de Vienne. C’était sans appel. Trop coquet, trop de couleurs et de végétaux variés. Tant pis. Je ne désespérais pas, j’allais bien trouver mon Graal : la ville du néant par excellence. Tournus - et c’était là tout ce qu’il pouvait y avoir de remarquable – est doté d’un restaurant dans le style ‘Bistro Romain’ au-dessus duquel on peut admirer un drapeau norvégien. Non, moi non plus je n’ai pas saisi l’utilité de cet étendard qui semblait avoir été choisi de manière aléatoire par des tenanciers rongés par l’ennui et la mort.
Chalon-sur-Saône. Y a un bon club de basket, là-bas, non ? Je me le suis demandé sans raison apparente. Oui, c’était sans intérêt mais dans ce coin, on essaye de se rabattre sur des repères, quels qu’ils soient. Histoire de pas finir dépressif majeur en moins de cinq heures. Mimolette. Voilà : la mimolette. Depuis un certain temps, j’étais troublé par cette satanée lampe de travail jaune-orangée : forcément, elle agressait mes globes oculaires à chaque fois que j’avais le malheur de regarder par la fenêtre. Elle était de la couleur exacte de la mimolette, ce vil produit fromager. Moyennement fier de ma découverte, je suis tout de même allé me récompenser pour cet éclair de génie avec une énième clope-toilettes-faux Lennon. Je l’avais bien mérité. Je fus un peu décontenancé par le crissement douloureux des rails, cette fois-ci. C’était Charybde et Scylla en version techno-stéréo. Même avec le son relativement barbare d’AC/DC bien planté dans mes protubérances auditives, l’ambiance y était vraiment terrifiante, c’est pour dire. Je suis donc revenu auprès de la mimolette vaguement trapézoïdale.
Dijon. Rien de dangereux là-bas. Je me suis dit que tous les habitants devaient être morts de chagrin ou en passe de l’être. Et je me suis planté. Le dijonnais est endurant. Plus qu’on ne croirait de prime abord. Le dijonnais dispose de trains en tôle ondulée, je l’ai appris sur place. J’avais déjà vu ce genre de modèle auparavant au cœur de certaines villes impropres à tout habitat telles que Limoges ou Pau mais cette boîte de conserve qui prétendait m’emmener à Besançon semblait tout à fait commune dans la région. D’autant plus qu’elle arborait fièrement les tristes armoiries du Conseil Général de Bourgogne. Je pensais éviter le contrôle sur ce drôle d’engin : trop naze pour y faire travailler des êtres humains à dix-sept heures sans violer une quinzaine d’articles de la Convention de Genève. Eh bien, à Dijon, ils osent quand même. Ils sont comme ça, les dijonnais. Sale race…
« Pas de billet.
- Pas de billet ?
- Non.
- Vous avez de l’argent ?
- Non.
- Pas du tout ?
- Non.
- Une pièce d’identité ?
- Ouais. »
Et là, toute la solitude du mec bordélique m’est tombée dessus. Faut pas être doué pour laisser choir une amende par terre en sortant son portefeuille, quand même. J’ai peut-être un don inné pour la cocasserie, qui sait ?
« Vous avez déjà reçu une amende ?
- Ouais.
- Beaucoup ?
- Non, pas vraiment. »
Mademoiselle ‘je suis un agent plein de zèle’ est quand même allée vérifier sur la liste si je n’étais pas un terroriste habituel et dangereux. A son retour, cinq minutes plus tard, j’ai perçu comme une pointe de déception dans sa voix au moment de me remettre mon feuillet. Un peu moins cher, le Dijon-Besançon. Mais encore plus court. Je commençais à prendre un plaisir honnête à mon petit rituel : ‘Je ne pensais pas trouver des dijonnais, encore moins à cette heure-là’.
J’avais l’impression d’une nette amélioration dans mes assertions rouges sur fond jaune poisseux. Arrivé à Montbéliard - si j’y arrivais un jour - je serais devenu un pro des répliques concernant les gares de France. Ils m’embaucheraient peut-être en tant que technicien-conseil au service communication. Un projet original mais déprimant. Et il est déconseillé d’avoir un esprit négatif dans le nord-est car il paraît qu’on peut devenir paralysé sinon. Eux, ils ont l’habitude : ils arrivent à rester mobiles quand même et c’est bien ce qu’on leur reproche.
Le pied sur le sol besançon, j’étais convaincu que la boîte Saupiquet-Bourgogne avait battu un record de lenteur. J’étais sûrement pas loin du compte. Allez, une dernière correspondance pour Montbéliard. Intérêt qu’il y ait du champagne à l’arrivée.
« Si je vais à Belfort, ça passe part Montbé ?
- Ouais, ouais.
- Ok, nickel. »
Hug. Un drôle de numéro aussi, celui-là.
Et encore un drame : deuxième boîte de thon à la catalane pour arriver enfin à destination. Avec un intérieur de bus de ville, de surcroît. Si on m’avait dit que je ferai dix heures de train pour aller dans cette ville suspecte, et bien… Et bien, je crois que je l’aurais cru : je me connais un minimum. Quatrième train, quatrième contrôle, ils font les choses bien quand même. Là, c’était du costaud, ils voulaient me démontrer qu’ils avaient de la ressource. Billet, argent, papier. Non, non, ouais. Ce coup-ci, j’avais été plus performant en matière de sortage de portefeuille. Un peu hésitant mais souple.
« Vous avez déjà eu des problèmes chez nous ? »
Le sous-entendu d’appartenance à la communauté SNCF m’a un peu étourdi mais je suis resté brillant et crédible.
« Peut-être deux, trois amendes cette année…
- Humm. Je peux téléphoner…
- Ouais, ben ouais. »
Et il a dégainé son portable high-tech.
« Ouais, salut… Vérification usager… alpha… crochet… Dubois… 1985… Ouais ? Ok, merci. Bonne soirée à toi aussi. »
Heureusement qu’ils n’ont pas un système centralisé très réactif, sinon, il l’aurait mal pris, à mon avis. En prenant ma quatrième notification toujours aussi jaunâtre, je me rassis à moitié dans le vide : ce sale siège besançonnais s’était replié.
« Putain, ça fait deux fois : ils sont malicieux vos sièges, dans le nord-est.
- Ben, ce sont des strapontins…
-Ouais, on a les mêmes dans le sud mais ils sont moins traîtres. »
Et dans la foulée, je notai cette fabuleuse digression dans mon cadre réservé à l’inspection des services locaux. Bon, c’était parfait comme bouquet final. J’avais héroïquement mérité, encore une fois, mon trophée nicotinien. A un quart d’heure de la consécration. Je venais d’apprendre que Hug avait fait des courses et ça, c’était plutôt une bonne nouvelle : je sentais que j’allais avoir besoin d’un verre. De plusieurs. Carrément.
Je me suis positionné à côté d’un sapin d’environ quinze mètres de haut, à la sortie de la gare. Impossible de me rater. Le voilà qui se pointait en Peugeot locale, d’ailleurs. Une bonne variante franche-comtoise de la représentation du Conan, barbare moyen. Ma remontée fulgurante du pays allait trouver sa première halte ici, dans cet appart qui semblait être squatté en permanence plutôt qu’habité réellement à la manière dont on l’entend généralement. Parfait. On pouvait y découvrir des constructions artisanales contemporaines à connotation ouvertement contestataires de l’ordre d’un tournevis planté dans un écran de tv. Ecran qui portait l’inscription « Fracture ouverte des nerfs optiques ». Remarquablement porteur de sens au sein de la cocasserie.
Un chêne - en tout cas, il m’assura que c’en était un – d’une vingtaine de centimètres était placé dans un verre d’eau et de feuilles mortes. La performance était sans précédent, il fallait bien l’avouer : cet arbre en gestation se développait dans un milieu aquatique plus ou moins absolu. Je précise que son impressionnant propriétaire préparait un voyage de plusieurs mois en Eurasie dont la particularité résidait dans le fait que le moyen de transport choisi pour cette excursion était un âne. Et le chêne aquatique devait être de la partie également.
Bref, je ne m’étais pas trompé : cette étape serait inaugurale de l’état d’esprit artistique revendiqué intrinsèque à mon projet. Rabattant naturellement mon attention sur les contenants à vocation alcoolique présents dans mon environnement direct, je découvris le charme discret du vieux Pontarlier, collation anisée culminant au taux respectable de quarante-cinq degrés. Son destin venait de rencontrer en moi un tournant majeur et irrémédiable puisque sa durée de vie n’excéda pas une poignée d’heures. La soirée avançait toute seule, largement monopolisée par toutes sortes d’évocations littéraires et par la réduction exponentielle du niveau de flottaison des bouteilles alentours. Conversations pendant l’une desquelles Hug développa à mon intention son passionnant concept existentiel assimilable à un retour à la nature légèrement nietzschéen.
« Et donc, moi, je me taille souvent dans les bois pendant plusieurs jours, juste avec une hache à la main. Tu vois, je veux vraiment explorer les ressources de l’humain à l’origine, quoi. T’as rien, tu fais de la cueillette, tu construis ton abri…
- Mouais, c’est clair. »
Il accompagna son discours en prenant à témoin un ouvrage de sa bibliothèque qui était tout à fait innocent dans cette affaire. Le volume, dont la première de couverture représentait un puma aléatoire, traitait des méthodes de chasse chez des animaux divers et pouvait aisément laisser dans l’expectative.
Le premier de mes périlleux voyages en direction des toilettes fut l’occasion d’une découverte d’un intérêt notable : les présences cumulées d’un Fluide Glacial, d’un carnet de mots-croisés et d’un cendrier parfaitement positionné afin d’offrir ses services de façon fonctionnelle en ce lieu. On devrait toujours considérer ce genre d’éléments pour stabiliser son jugement à propos de tout individu. Mon retour fut accueilli par une présentation quasi-exhaustive de ses productions poétiques indéniablement modernes et subversives à l’image de l’un d’eux intitulé ‘Toc toc, connard’, un modèle du genre. Suite à une démonstration gestuelle dont la nature relevait déjà du vague notoire, Hug rencontra de façon tout à fait frontale la table basse qui centralisait notre espace. Une illustration probante de l’horizontalité du bipède soluble en milieu franc-comtois. Ma stoicité jusque là simplement participative prit de ce fait une dimension différente. C'est-à-dire que les discussions suivantes vinrent probablement renforcer les rangs trépignants du nihilisme mondial.
Les Doors occupaient la scène musicale pendant que le cultivateur d’éléments arboricoles en environnement insolite m’exposait quelques créations picturales personnelles qui représentaient respectivement un symbolisme douteux du Jardin des Hespérides, un vortex turquoise et un plagiat léger de Dali concernant une horloge dégoulinante.
Les cinq heures du matin nous trouvèrent quelque peu apathiques et annoncèrent un repli moyen de l’intensité de l’échange vers un sommeil qui le fût tout autant.
Mon réveil eut tout de symptomatique du refus de l’activité humaine dans une de ses applications les plus approfondies. Un pull en laine pouvant facilement me contenir quatre fois m’avait apparemment servi de couverture pendant la courte nuit que j’avais employée à trouver une position acceptable dans un canapé tendant vers le pouf entièrement adaptable. La face blafarde qu’affichait nonchalamment Hug dans une contention éthylique flagrante me conforta dans la certitude que cette journée serait à l’image de notre posture globale. Comme une ‘Bof attitude’. Une conception dont le charme ne nous était pas étranger.
« Hum… ?
- Hum.
- Mouais. »
Qu’attendre de plus, niveau syntaxe …?
L’ingurgitation d’un café ne modifia en rien notre composition vasculaire en regard du flot toujours lourdement vaseux qui régissait notre perception floutée des choses et des états. C’est d’ailleurs peut-être pour cette raison que le bûcheron franc-comtois commit une erreur grossière. A savoir appeler sur son lieu de travail afin de faire connaître une excuse tout à fait foireuse concernant son retard et le tout en concluant qu’il arrivait ‘en courant’. L’assurance jouée dont il fit preuve en cette occasion pour un mec bourré à dix heures du matin seulement capable d’aller du salon à la cuisine en moins de cinq minutes me laissa plutôt admiratif. Sûrement parce que j’avais fourni des efforts répétés pour ne jamais me retrouver dans de pareilles situations en usant d’une stratégie bien connue mais personnalisée : éviter le germe du travail aussi souvent que faire se peut.
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Re: Tournée au pays des gens
Il revînt de la cuisine avec du pain et toutes sortes de fromages : une idée brillante puisque le fait de me sustenter légèrement me plongea dans une apathie encore plus soutenue. Trois heures après ce terrifiant coup de fil, je regardais toujours le plafond, noyé dans mon pouf géant et Hug fumait une clope dans un fauteuil en essayant de se convaincre que ‘là, il faudrait vraiment qu’il y aille quand même’.
Rien d’étonnant. Tout être passablement éthylique connaît ce style de finalités. La récurrence se mute souvent en expérience plus ou moins utile, finalement. Toujours bon à prendre.
La conscience professionnelle était somme toute peu développée chez lui mais suffisante pour l’obliger à y aller avec une motivation quasi-nulle. J’avais décidé d’entrer au cœur des choses en l’accompagnant : cette région était totalement peuplée d’indigènes grisâtres et je suspectais d’autres découvertes vernaculaires. La Peugeot avait mal supporté la nuit, elle aussi. Sa décision inopportune de caler et de refuser obstinément tout redémarrage plongea Hug dans une affliction pénible, couronnant ainsi magistralement mes soupçons concernant toute activité construite ce jour-là de l’auréole du médium laconique. Par miséricorde ou par concession, je ne sais pas, la voiture repartit au bout d’un quart d’heure d’un visible arrêt en pleine route montbéliarde.
Après quelques kilomètres, il a fallu nous munir d’un autre véhicule, de fonction celui-là, puisque mon hôte avait eu l’idée saugrenue de bosser dans une mairie. Je ne l’en blâmais pas : ça pouvait être une très bonne planque, en un sens. Une fourgonnette Citroën tatouée ‘Ville de Flesches-Le-Châtel’ avec un écusson rouge et jaune, c’était vraiment le pied pour pas être emmerdés dans le coin, c’est sûr. Et comme la discrétion était le dernier de mes soucis…
J’avais bien envie de poursuivre mon récit néo-réaliste peinard. Ca tombait bien, apparemment cette ville disposait tout de même d’une salle informatique et Hug se proposa de l’ouvrir, ce à quoi j’approuvai. Cet échappatoire lui convenait parfaitement : il pourrait toujours invoquer un prétexte de l’ordre d’un travail quelconque sur place si jamais un fonctionnaire intègre se pointait avec des questions plus ou moins avancées à propos de son retard qui se mutait sereinement en absence caractérisée. En quelques minutes, les logiciels de messagerie et de traitement de textes ronronnaient sur les bécanes estampillées propriété de l’Etat. J’étais à moitié allongé sur la moquette, tel un mécanicien véreux, afin de déconnecter un graveur dont j’avais absolument besoin quand Mademoiselle Ragnagna, supérieure directe du poète subversif, fit son entrée, l’œil aussi mauvais que celui d’un mérou furibond.
J’appris par la suite que Mademoiselle Ragnagna, sobriquet fort à propos que je lui avais donné mentalement, était une ex-obèse qui estimait que la perte de vingt-cinq kilos offrait un statut considérable à tout être humain étant capable d’une telle prouesse technique. Elle virevoltait dans les bureaux administratifs afin de démontrer la fluidité de son déplacement et la nature de son caractère nouvellement acquis. C'est-à-dire celui d’un ragondin buté. En l’absence du maire, elle ordonnait de nouvelles directives censées prouver au malheureux personnel que son poste était à présent suffisamment élevé pour se le permettre. Prendre les rênes de Flesches-Le-Châtel : imaginez un peu.
De quoi devenir mégalo en peu de temps, c’est sûr.
« Bonjour-qu’est-ce-que-vous-faîtes-ici ?
- Ben, euh moi, j’étais venu pour ouvrir la salle info et lui, il va rester ici pour écrire et… voilà. »
C’était pas trop mal, il était resté souple mais la partie était jouée d’avance : on allait se faire virer de là, c’était trop net pour tenter quoi que ce soit.
« Nonononon. T’as du travail à la mairie qui t’attend.
- Ah bon.
- Bon. »
Là, c’était beaucoup moins satisfaisant d’autant plus qu’il allait devoir travailler à peu près concrètement maintenant et que ma marge en matière d’activités de jour venait subitement de se réduire. Notre fourgonnette affichant outrageusement son sponsor local, nous sommes arrivés au centre névralgique de la majestueuse mégalopole que représente Flesches-Le-Châtel.
« Difficile de squatter mon bureau à la mairie, on va être rapidement grillés.
- Ouais, ben, finis ta semi-journée. Moi, j’ai repéré un bar en face, je vais écrire là-bas. Ils ont de la bonne bière ? Tu connais ?
- Ah ouais, c’est ‘Chez Santini’. C’est le frère de l’ancien sélectionneur de l’Equipe de France qui tient le bistrot.
- Non…
- Si. »
Le Jacques nous avait amené à l’Euro 2004, quand même. Et il était né dans le coin de Flesches-Le-Châtel. Comme quoi…
Comme quoi on peut gagner des trophées sportifs majeurs et avoir un frangin sans intérêt. Rien de nouveau, évidemment. Un troquet nordiste est généralement sans surprises et celui-ci n’échappait pas à la règle. J’aurai du mal à en dire plus étant donné qu’il ne s’y est strictement rien passé mis à part un type du coin qui a cru intelligent de venir me dire bonjour en me tordant les phalanges de la main droite. Quelques pages, un demi coupé à l’eau et un café infâme plus tard, j’étais de nouveau dans le noyau interne de la mort par l’ennui. Il commençait à faire bien frais et j’alpaguai Hug à la sortie du bâtiment officiel.
« Ca y est ? Fini ?
- Non, ils ont décidé de me casser les couilles aujourd’hui.
- Hum.
- Je dois aller répertorier des réverbères.
- Parfait. »
Autant dire que la conversation durant notre parcours à travers les ruelles fleschiennes fut des plus limitées tant notre concentration était focalisée sur la stupidité profonde d’effectuer un tel travail en pleine nuit. Après y avoir passé une heure et demie d’intense introspection gelée, j’étais à peu près agonisant de froid et mes orteils, grâce à mes pompes aérodynamiques ouvertes au niveau du talon, avaient également renoncé à vivre plus longtemps dans cette triste contrée. Je décongelais péniblement dans la salle d’attente de la mairie suite à ce périple nocturne hautement inintéressant quand un VSD intitulé ‘Dustin Hoffman, la force tranquille’ me donna envie de ressortir, au péril de mon intégrité physique. La nécessité d’un retour aux valeurs traditionnelles du rien se faisait sentir. Aller simple vers le pouf géant. Je l’aimais bien. C’est grâce à de tels repères, même improvisés, que l’on parvient à se créer des objectifs en rapport à certains lieux vivables. L’ouverture d’une bouteille de rouge installa tout de suite une ambiance plus supportable. Ca, c’est l’art d’occulter les journées moyennes. Hug me fit écouter une œuvre musicale traitant du concessionnaire Peugeot, interprétée par l’un de ses amis. Un grand moment, ça aussi. Il faut préciser qu’effectivement Peugeot fait vivre Montbéliard et ses environs à grands renforts d’usines et de chaînes de montage. L’environnement, le transport routier comme ferroviaire, les commerces : tout est sponsorisé par le fameux groupe PSA. Objet du cynisme jouissif dont j’ai été l’auditeur.
‘J’ai fait des études… grâce à Peugeot,
J’habite dans une ville… Peugeot,
Mon père est mort en travaillant… chez Peugeot bien sûr,
On l’a enterré dans un cercueil… Peugeot,
Dans un corbillard… Peugeot,
Peugeot a pris le pouvoir à Montbéliard…’ etc…
Le tout sur une rythmique intéressante même si l’on pouvait avoir impression que le morceau n’en finissait pas de finir. Décidément, ici, on était bien préoccupé par la marque en question. Ca avait pris des allures de combat intellectuel urbain : pro-Peugeot, anti-Peugeot. Et j’étais arrivé dans le camp de la rébellion : parfait. D’un autre côté : quelle idée d’habiter à Montbéliard, aussi… ? D’ailleurs, je pensais déjà à ma nouvelle destination : Grenoble. Après cet interlude, chacun prit le parti d’aller dormir, une idée dont la définition m’avait un peu échappé depuis deux jours. Les trois épisodes des Simpson visionnés y étaient aussi pour beaucoup. Certains n’ont pas le sens du titre, d’autres celui des débuts ; eh bien Groening, c’était celui des fins. Clôturer sur un faux rock’n’roll avec les deux gosses sur des balançoires : je trouvais ça criminel. Mais bon. Le premier tome de Gaston Lagaffe m’acheva vers minuit. Dormir dans un sac de couchage sur un canapé mouvant, c’est complètement conceptuel. Et j’aime être novateur.
Rien d’étonnant. Tout être passablement éthylique connaît ce style de finalités. La récurrence se mute souvent en expérience plus ou moins utile, finalement. Toujours bon à prendre.
La conscience professionnelle était somme toute peu développée chez lui mais suffisante pour l’obliger à y aller avec une motivation quasi-nulle. J’avais décidé d’entrer au cœur des choses en l’accompagnant : cette région était totalement peuplée d’indigènes grisâtres et je suspectais d’autres découvertes vernaculaires. La Peugeot avait mal supporté la nuit, elle aussi. Sa décision inopportune de caler et de refuser obstinément tout redémarrage plongea Hug dans une affliction pénible, couronnant ainsi magistralement mes soupçons concernant toute activité construite ce jour-là de l’auréole du médium laconique. Par miséricorde ou par concession, je ne sais pas, la voiture repartit au bout d’un quart d’heure d’un visible arrêt en pleine route montbéliarde.
Après quelques kilomètres, il a fallu nous munir d’un autre véhicule, de fonction celui-là, puisque mon hôte avait eu l’idée saugrenue de bosser dans une mairie. Je ne l’en blâmais pas : ça pouvait être une très bonne planque, en un sens. Une fourgonnette Citroën tatouée ‘Ville de Flesches-Le-Châtel’ avec un écusson rouge et jaune, c’était vraiment le pied pour pas être emmerdés dans le coin, c’est sûr. Et comme la discrétion était le dernier de mes soucis…
J’avais bien envie de poursuivre mon récit néo-réaliste peinard. Ca tombait bien, apparemment cette ville disposait tout de même d’une salle informatique et Hug se proposa de l’ouvrir, ce à quoi j’approuvai. Cet échappatoire lui convenait parfaitement : il pourrait toujours invoquer un prétexte de l’ordre d’un travail quelconque sur place si jamais un fonctionnaire intègre se pointait avec des questions plus ou moins avancées à propos de son retard qui se mutait sereinement en absence caractérisée. En quelques minutes, les logiciels de messagerie et de traitement de textes ronronnaient sur les bécanes estampillées propriété de l’Etat. J’étais à moitié allongé sur la moquette, tel un mécanicien véreux, afin de déconnecter un graveur dont j’avais absolument besoin quand Mademoiselle Ragnagna, supérieure directe du poète subversif, fit son entrée, l’œil aussi mauvais que celui d’un mérou furibond.
J’appris par la suite que Mademoiselle Ragnagna, sobriquet fort à propos que je lui avais donné mentalement, était une ex-obèse qui estimait que la perte de vingt-cinq kilos offrait un statut considérable à tout être humain étant capable d’une telle prouesse technique. Elle virevoltait dans les bureaux administratifs afin de démontrer la fluidité de son déplacement et la nature de son caractère nouvellement acquis. C'est-à-dire celui d’un ragondin buté. En l’absence du maire, elle ordonnait de nouvelles directives censées prouver au malheureux personnel que son poste était à présent suffisamment élevé pour se le permettre. Prendre les rênes de Flesches-Le-Châtel : imaginez un peu.
De quoi devenir mégalo en peu de temps, c’est sûr.
« Bonjour-qu’est-ce-que-vous-faîtes-ici ?
- Ben, euh moi, j’étais venu pour ouvrir la salle info et lui, il va rester ici pour écrire et… voilà. »
C’était pas trop mal, il était resté souple mais la partie était jouée d’avance : on allait se faire virer de là, c’était trop net pour tenter quoi que ce soit.
« Nonononon. T’as du travail à la mairie qui t’attend.
- Ah bon.
- Bon. »
Là, c’était beaucoup moins satisfaisant d’autant plus qu’il allait devoir travailler à peu près concrètement maintenant et que ma marge en matière d’activités de jour venait subitement de se réduire. Notre fourgonnette affichant outrageusement son sponsor local, nous sommes arrivés au centre névralgique de la majestueuse mégalopole que représente Flesches-Le-Châtel.
« Difficile de squatter mon bureau à la mairie, on va être rapidement grillés.
- Ouais, ben, finis ta semi-journée. Moi, j’ai repéré un bar en face, je vais écrire là-bas. Ils ont de la bonne bière ? Tu connais ?
- Ah ouais, c’est ‘Chez Santini’. C’est le frère de l’ancien sélectionneur de l’Equipe de France qui tient le bistrot.
- Non…
- Si. »
Le Jacques nous avait amené à l’Euro 2004, quand même. Et il était né dans le coin de Flesches-Le-Châtel. Comme quoi…
Comme quoi on peut gagner des trophées sportifs majeurs et avoir un frangin sans intérêt. Rien de nouveau, évidemment. Un troquet nordiste est généralement sans surprises et celui-ci n’échappait pas à la règle. J’aurai du mal à en dire plus étant donné qu’il ne s’y est strictement rien passé mis à part un type du coin qui a cru intelligent de venir me dire bonjour en me tordant les phalanges de la main droite. Quelques pages, un demi coupé à l’eau et un café infâme plus tard, j’étais de nouveau dans le noyau interne de la mort par l’ennui. Il commençait à faire bien frais et j’alpaguai Hug à la sortie du bâtiment officiel.
« Ca y est ? Fini ?
- Non, ils ont décidé de me casser les couilles aujourd’hui.
- Hum.
- Je dois aller répertorier des réverbères.
- Parfait. »
Autant dire que la conversation durant notre parcours à travers les ruelles fleschiennes fut des plus limitées tant notre concentration était focalisée sur la stupidité profonde d’effectuer un tel travail en pleine nuit. Après y avoir passé une heure et demie d’intense introspection gelée, j’étais à peu près agonisant de froid et mes orteils, grâce à mes pompes aérodynamiques ouvertes au niveau du talon, avaient également renoncé à vivre plus longtemps dans cette triste contrée. Je décongelais péniblement dans la salle d’attente de la mairie suite à ce périple nocturne hautement inintéressant quand un VSD intitulé ‘Dustin Hoffman, la force tranquille’ me donna envie de ressortir, au péril de mon intégrité physique. La nécessité d’un retour aux valeurs traditionnelles du rien se faisait sentir. Aller simple vers le pouf géant. Je l’aimais bien. C’est grâce à de tels repères, même improvisés, que l’on parvient à se créer des objectifs en rapport à certains lieux vivables. L’ouverture d’une bouteille de rouge installa tout de suite une ambiance plus supportable. Ca, c’est l’art d’occulter les journées moyennes. Hug me fit écouter une œuvre musicale traitant du concessionnaire Peugeot, interprétée par l’un de ses amis. Un grand moment, ça aussi. Il faut préciser qu’effectivement Peugeot fait vivre Montbéliard et ses environs à grands renforts d’usines et de chaînes de montage. L’environnement, le transport routier comme ferroviaire, les commerces : tout est sponsorisé par le fameux groupe PSA. Objet du cynisme jouissif dont j’ai été l’auditeur.
‘J’ai fait des études… grâce à Peugeot,
J’habite dans une ville… Peugeot,
Mon père est mort en travaillant… chez Peugeot bien sûr,
On l’a enterré dans un cercueil… Peugeot,
Dans un corbillard… Peugeot,
Peugeot a pris le pouvoir à Montbéliard…’ etc…
Le tout sur une rythmique intéressante même si l’on pouvait avoir impression que le morceau n’en finissait pas de finir. Décidément, ici, on était bien préoccupé par la marque en question. Ca avait pris des allures de combat intellectuel urbain : pro-Peugeot, anti-Peugeot. Et j’étais arrivé dans le camp de la rébellion : parfait. D’un autre côté : quelle idée d’habiter à Montbéliard, aussi… ? D’ailleurs, je pensais déjà à ma nouvelle destination : Grenoble. Après cet interlude, chacun prit le parti d’aller dormir, une idée dont la définition m’avait un peu échappé depuis deux jours. Les trois épisodes des Simpson visionnés y étaient aussi pour beaucoup. Certains n’ont pas le sens du titre, d’autres celui des débuts ; eh bien Groening, c’était celui des fins. Clôturer sur un faux rock’n’roll avec les deux gosses sur des balançoires : je trouvais ça criminel. Mais bon. Le premier tome de Gaston Lagaffe m’acheva vers minuit. Dormir dans un sac de couchage sur un canapé mouvant, c’est complètement conceptuel. Et j’aime être novateur.
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Re: Tournée au pays des gens
Le matin fut un peu moins boueux que les autres. Je commençais à ranger un peu le foutoir de compétition qu’on avait mis dans cette pièce en à peine vingt-quatre heures : on avait pas battu de records mais on se positionnait avec un score à ne pas prendre à la légère, même si Hug avait déjà bien attaqué avant mon arrivée sur place. Deux options se présentaient à moi : un train honteusement programmé pour dix heures trente et un second, plus généreux, sur les coups de quatorze heures. Notre préférence alla à celle-ci car elle proposait un temps de nihilisation pré-ferroviaire supérieur. Temps utilisé au profit de l’observation méthodique des solutions aux problématiques sociales que proposait le délectable Poolvoerde, dans ses plus grands moments de génie. Un être décidément très éclairé. Je l’aime bien, lui aussi. J’aime peu de gens, d’où l’intérêt de le préciser lorsque c’est le cas.
Aux alentours de la gare moyennement croulante, nous avons eu droit aux cantiques facticement autrichiens, interprétés par des tyroliens bien suspects, eux aussi. Rien de tel que des rennes à l’air niais et un marché de Noël aussi sensé que la nécessité d’un portemanteau pour un cerf des bois francs-comtois pour être à l’article du décès moral. A mon avis, ceux qui osent tenir ces stands doivent être bien secs à l’intérieur, il ne doit plus leur rester qu’une face externe proche du panneau publicitaire de chez Colgate. Je quittai le nord-est légèrement grisé. Et plutôt satisfait.
Mon train était annoncé avec trente minutes de retard. Normal.
Je fus privé de jaunâtres papiers jusqu’à Grenoble. A la place, j’eus droit à de petits post-it blancs sortis d’une imprimante portable connectée à une sorte de Palm pour contrôleur moderne efficace. On n’arrête pas le progrès moyennement utile. Je m’évitais durant le voyage la tristesse des territoires gris en défigurant un certain nombre de pages de ma prose sans concessions. La superbe correspondance que je pris à Lyon, à peine dix minutes après mon arrivée, fut l’objet d’une belle réjouissance intérieure, un hommage éthéré à la facilité linéaire.
La cité iséroise s’offre en premier lieu au regard du visiteur en l’incarnation d’une œuvre d’art contemporaine relativement déconcertante au sens qu’elle reprend avec un stylisme particulier le schéma de la Tour Eiffel conjugué à celui d’une étoile. Eloignée des systèmes solaires connus, l’étoile. Transplantée là par un idéologue urbain sillonnant les aires d’autoroute d’Europe, elle marquait déjà, chez l’hédoniste en mouvement, un repère monumental en terme d’architecture angulaire, concept largement repris par la suite pour agrémenter les pas du nouveau venu à travers toute la ville.
Une rencontre plus ou moins séparatiste était prévue ici ; une petite dizaine d’individus représentant une certaine quintessence du mot subversif était attendue. La raison de mon escale. Un site internet de publication de textes s’était chargé pendant quelques mois de nous réunir autour d’une vision globalement commune ou tout du moins de conceptions relativement convergentes. Hug avait décliné l’invitation : il restait plein de réverbères au pays de l’ennui. Au sein d’un communautarisme, tant virtuel qu’il puisse être, on reconnaît sans le secours d’une grande habileté d’esprit ceux qui seront nos opposants. Concernant ceux qui seront susceptibles d’adhérer à nos idées, la visibilité est souvent moins nette. Néanmoins tout ce petit monde grenoblois semblait bien motivé pour cet évènement notable. A ceci près que la moitié des participants était absente. Pour des motifs aussi divers que variés et tout autant légitimes que vaporeux.
Les quatre éléments humains restants étaient à tout niveau d’un hétéroclisme patent. Un poète frisé un peu dément au chapeau anachronique, un nouvelliste fantien plus que fantasque porteur d’une veste à collerette de lapin, un alsacien lubrique et guilleret ainsi qu’une poétesse de Cracovie sans véritable statut littéraire. En tant que script subversif largement dénué de scrupules, il me semblait bien que ma présence pendant les prochaines vingt-quatre heures ailleurs qu’en ce lieu aurait été aberrante. Le domicile du poète chapeauté était stratégiquement positionné entre un centre EDF et une base d’essais atomiques. Autant dire qu’il pouvait dormir sur ses deux oreilles. Sur une table de chevet, je lus rapidement le titre d’un magazine apparemment littéraire : ‘La vie amoureuse des écrivains avec Marguerite Yourcenar’. Et il y avait quand même un Florian Zeller dans sa bibliothèque en bois de cagette. Tout cela n’était pas bien grave, finalement, il y avait des bières au frigo et une bouteille de blanc. On est ressortis une canette dans chaque main d’un pas décontracté en direction d’un resto indigène. Une cantine de montagnards dans un faux chalet en gros. Le Fante du vingt-unième siècle avait pris des photos sur le chemin : une poubelle, une bière, une voiture, un pylône… Un reporter des vacuités, en somme.
La conversation a vite tourné à la théorisation à outrance. L’échange autour des différentes conceptions de l’espace et du vide a abouti sans surprise à une néantisation de toutes les autres. La démocratie a été habillée pour l’hiver et je suis personnellement allé lui acheter des bottes fourrées et une toque russe. La saison fut bien rude pour elle. Le tout accompagné de saillies douloureuses envers chaque convive. Le salace alsacien évoqua avec conviction l’élaboration d’une éolienne à photons avant d’avouer que son utilité se limitait à fournir une rotation quelque peu spiralée. La physique porte bien son nom.
On décolla aussi sec dans la perspective d’arroser tout ça d’autant plus que l’être cracovien avait insisté pour que nous testions une vodka-pêche directement importée de sa contrée. L’éolienne à photons allait sûrement se l’envoyer dans une chambre grenobloise quelconque. Maltraiter des immigrés… Enfin. Sa poésie était une illustration bien involontaire du nihilisme coloré, elle l’avait bien cherché. Personne ne les enviait finalement. La vodka pour les coups de semonce et la bière pour l’endurance nocturne constituaient un programme tout à fait à notre portée. Ainsi fut fait.
LC, locataire des lieux, délaissa le chapeau Waynien pour endosser la casquette du libraire-poète-torturé : un rôle qu’on aurait dit sur-mesure.
« Moi, j’ai failli tout arrêter, l’écriture, tu vois, ça prenait trop de place. C’était trop énorme.
- Ah ouais… Ben, justement.
- Tu t’aperçois que c’est ton univers principal : si ça s’arrête, t’es fini.
- Tu vas pas très loin ou tu vas beaucoup trop loin, c’est comme ça. Pas de demi-mesure.
- Voilà. »
Val, le Fante de la non-vie un peu étonné racontait des conneries ; on a parlé conflits sociaux, écriture, auteurs mythiques et le petit matin nous a vus dépérir jusqu’au sommeil pâteux dans une flaccidité bien légitime. Il ne restait plus grand-chose de liquide dans la baraque et cette journée avait l’air d’avoir été moins inutile que les autres.
Au réveil, je m’envoyai un demi-verre de blanc resté là, sur le bureau, comme un témoin oculaire discret. Les bières statutaires en main, il fallait à présent nous séparer du couple Alsace-Cracovie. J’avais déjà bien verrouillé ma prochaine destination : ce serait Vienne, chez Val. C’est passé tout en douceur. On a rejoint le couple notoire au même endroit que la veille, l’éolienne s’envoyait maintenant une entrecôte. L’épicurien standard. Les laissant à leur triste sort culinaire, nous décidâmes d’en savoir un peu plus sur cette ville avec LC en guide touristique assez lucide à propos de l’intérêt limité de son lieu de vie. Et en effet Grenoble est un angle aigu, tout est aigu, même le relief alentour, même la léthargie. L’art y trouve une expression fatiguée, Stendhal habitait ici, rendez vous compte… Une plaque le signale comme si on pouvait y voir une certaine fierté. La bastide moyenâgeuse n’est pas exclue de ce vide, elle n’a quasiment subi aucun assaut de toute son histoire. Personne n’en a voulu. Encore un marché de Noël : les drames sont infinis à cette période de l’année. Les amis de l’entrecôte grenobloise ont dû trouver tout cela merveilleux, moi, ce que je trouve fantastique c’est de pouvoir me lever chaque jour en ayant un projet peu ennuyeux. Toujours le même : faire en sorte qu’il y ait plus de noir que de blanc sur mes pages et arriver à conserver mon fil rouge, mon envie.
De retour à la gare, tout le monde se quitte. ‘Ouais, ouais, on se reverra.’ Rien ne change. Val a embarqué quelques bouquins chez LC, j’ai monté une perspective professionnelle foireuse de volontaire pour expériences médicales qui a rencontré un échec rapide et c’en était fini de l’étape grenobloise.
J’ai évité trois contrôles qui n’avaient plus aucune espèce d’importance pour atterrir ici, à Vienne.
Je vous raconte ça pour que vous ayez une petite idée du parcours qui m’a mené dans cette ville dont j’ignorais jusqu’à l’existence. Plus de bars que d’habitants en caricaturant légèrement. Une cathédrale de mégalo et personne dedans. Des rues moites.
J’étais revenu ici, finalement, après y être passé en train quelques jours auparavant.
Comme un goût de cercle.
Ni vicieux. Ni bénéfique.
Juste un cercle ou plutôt juste un gouffre trop béant.
Mon œuvre ultime était juste un journal pas très clair et je me suis arrêté de vivre à Vienne.
Pourtant, Val m’aimait bien. Peut-être un peu trop. Je n’avais rien contre ça, c’était plutôt pour lui. Il était encore plus vide que moi, je crois. J’avais trouvé un maître, moi qui étais tout-puissant.
En mon royaume nihiliste.
Un jour, j’en ai eu assez.
Assez de chercher la vacuité puisque je la portais en moi.
Assez des gens peu drôles.
Assez de ce que j’écrivais aussi.
Alors, j’ai tout arrêté.
J’ai fini la bouteille de vodka et j’ai regardé la nuit.
Dans le ciel, il n’y avait que des étoiles noires.
Aux alentours de la gare moyennement croulante, nous avons eu droit aux cantiques facticement autrichiens, interprétés par des tyroliens bien suspects, eux aussi. Rien de tel que des rennes à l’air niais et un marché de Noël aussi sensé que la nécessité d’un portemanteau pour un cerf des bois francs-comtois pour être à l’article du décès moral. A mon avis, ceux qui osent tenir ces stands doivent être bien secs à l’intérieur, il ne doit plus leur rester qu’une face externe proche du panneau publicitaire de chez Colgate. Je quittai le nord-est légèrement grisé. Et plutôt satisfait.
Mon train était annoncé avec trente minutes de retard. Normal.
Je fus privé de jaunâtres papiers jusqu’à Grenoble. A la place, j’eus droit à de petits post-it blancs sortis d’une imprimante portable connectée à une sorte de Palm pour contrôleur moderne efficace. On n’arrête pas le progrès moyennement utile. Je m’évitais durant le voyage la tristesse des territoires gris en défigurant un certain nombre de pages de ma prose sans concessions. La superbe correspondance que je pris à Lyon, à peine dix minutes après mon arrivée, fut l’objet d’une belle réjouissance intérieure, un hommage éthéré à la facilité linéaire.
La cité iséroise s’offre en premier lieu au regard du visiteur en l’incarnation d’une œuvre d’art contemporaine relativement déconcertante au sens qu’elle reprend avec un stylisme particulier le schéma de la Tour Eiffel conjugué à celui d’une étoile. Eloignée des systèmes solaires connus, l’étoile. Transplantée là par un idéologue urbain sillonnant les aires d’autoroute d’Europe, elle marquait déjà, chez l’hédoniste en mouvement, un repère monumental en terme d’architecture angulaire, concept largement repris par la suite pour agrémenter les pas du nouveau venu à travers toute la ville.
Une rencontre plus ou moins séparatiste était prévue ici ; une petite dizaine d’individus représentant une certaine quintessence du mot subversif était attendue. La raison de mon escale. Un site internet de publication de textes s’était chargé pendant quelques mois de nous réunir autour d’une vision globalement commune ou tout du moins de conceptions relativement convergentes. Hug avait décliné l’invitation : il restait plein de réverbères au pays de l’ennui. Au sein d’un communautarisme, tant virtuel qu’il puisse être, on reconnaît sans le secours d’une grande habileté d’esprit ceux qui seront nos opposants. Concernant ceux qui seront susceptibles d’adhérer à nos idées, la visibilité est souvent moins nette. Néanmoins tout ce petit monde grenoblois semblait bien motivé pour cet évènement notable. A ceci près que la moitié des participants était absente. Pour des motifs aussi divers que variés et tout autant légitimes que vaporeux.
Les quatre éléments humains restants étaient à tout niveau d’un hétéroclisme patent. Un poète frisé un peu dément au chapeau anachronique, un nouvelliste fantien plus que fantasque porteur d’une veste à collerette de lapin, un alsacien lubrique et guilleret ainsi qu’une poétesse de Cracovie sans véritable statut littéraire. En tant que script subversif largement dénué de scrupules, il me semblait bien que ma présence pendant les prochaines vingt-quatre heures ailleurs qu’en ce lieu aurait été aberrante. Le domicile du poète chapeauté était stratégiquement positionné entre un centre EDF et une base d’essais atomiques. Autant dire qu’il pouvait dormir sur ses deux oreilles. Sur une table de chevet, je lus rapidement le titre d’un magazine apparemment littéraire : ‘La vie amoureuse des écrivains avec Marguerite Yourcenar’. Et il y avait quand même un Florian Zeller dans sa bibliothèque en bois de cagette. Tout cela n’était pas bien grave, finalement, il y avait des bières au frigo et une bouteille de blanc. On est ressortis une canette dans chaque main d’un pas décontracté en direction d’un resto indigène. Une cantine de montagnards dans un faux chalet en gros. Le Fante du vingt-unième siècle avait pris des photos sur le chemin : une poubelle, une bière, une voiture, un pylône… Un reporter des vacuités, en somme.
La conversation a vite tourné à la théorisation à outrance. L’échange autour des différentes conceptions de l’espace et du vide a abouti sans surprise à une néantisation de toutes les autres. La démocratie a été habillée pour l’hiver et je suis personnellement allé lui acheter des bottes fourrées et une toque russe. La saison fut bien rude pour elle. Le tout accompagné de saillies douloureuses envers chaque convive. Le salace alsacien évoqua avec conviction l’élaboration d’une éolienne à photons avant d’avouer que son utilité se limitait à fournir une rotation quelque peu spiralée. La physique porte bien son nom.
On décolla aussi sec dans la perspective d’arroser tout ça d’autant plus que l’être cracovien avait insisté pour que nous testions une vodka-pêche directement importée de sa contrée. L’éolienne à photons allait sûrement se l’envoyer dans une chambre grenobloise quelconque. Maltraiter des immigrés… Enfin. Sa poésie était une illustration bien involontaire du nihilisme coloré, elle l’avait bien cherché. Personne ne les enviait finalement. La vodka pour les coups de semonce et la bière pour l’endurance nocturne constituaient un programme tout à fait à notre portée. Ainsi fut fait.
LC, locataire des lieux, délaissa le chapeau Waynien pour endosser la casquette du libraire-poète-torturé : un rôle qu’on aurait dit sur-mesure.
« Moi, j’ai failli tout arrêter, l’écriture, tu vois, ça prenait trop de place. C’était trop énorme.
- Ah ouais… Ben, justement.
- Tu t’aperçois que c’est ton univers principal : si ça s’arrête, t’es fini.
- Tu vas pas très loin ou tu vas beaucoup trop loin, c’est comme ça. Pas de demi-mesure.
- Voilà. »
Val, le Fante de la non-vie un peu étonné racontait des conneries ; on a parlé conflits sociaux, écriture, auteurs mythiques et le petit matin nous a vus dépérir jusqu’au sommeil pâteux dans une flaccidité bien légitime. Il ne restait plus grand-chose de liquide dans la baraque et cette journée avait l’air d’avoir été moins inutile que les autres.
Au réveil, je m’envoyai un demi-verre de blanc resté là, sur le bureau, comme un témoin oculaire discret. Les bières statutaires en main, il fallait à présent nous séparer du couple Alsace-Cracovie. J’avais déjà bien verrouillé ma prochaine destination : ce serait Vienne, chez Val. C’est passé tout en douceur. On a rejoint le couple notoire au même endroit que la veille, l’éolienne s’envoyait maintenant une entrecôte. L’épicurien standard. Les laissant à leur triste sort culinaire, nous décidâmes d’en savoir un peu plus sur cette ville avec LC en guide touristique assez lucide à propos de l’intérêt limité de son lieu de vie. Et en effet Grenoble est un angle aigu, tout est aigu, même le relief alentour, même la léthargie. L’art y trouve une expression fatiguée, Stendhal habitait ici, rendez vous compte… Une plaque le signale comme si on pouvait y voir une certaine fierté. La bastide moyenâgeuse n’est pas exclue de ce vide, elle n’a quasiment subi aucun assaut de toute son histoire. Personne n’en a voulu. Encore un marché de Noël : les drames sont infinis à cette période de l’année. Les amis de l’entrecôte grenobloise ont dû trouver tout cela merveilleux, moi, ce que je trouve fantastique c’est de pouvoir me lever chaque jour en ayant un projet peu ennuyeux. Toujours le même : faire en sorte qu’il y ait plus de noir que de blanc sur mes pages et arriver à conserver mon fil rouge, mon envie.
De retour à la gare, tout le monde se quitte. ‘Ouais, ouais, on se reverra.’ Rien ne change. Val a embarqué quelques bouquins chez LC, j’ai monté une perspective professionnelle foireuse de volontaire pour expériences médicales qui a rencontré un échec rapide et c’en était fini de l’étape grenobloise.
J’ai évité trois contrôles qui n’avaient plus aucune espèce d’importance pour atterrir ici, à Vienne.
Je vous raconte ça pour que vous ayez une petite idée du parcours qui m’a mené dans cette ville dont j’ignorais jusqu’à l’existence. Plus de bars que d’habitants en caricaturant légèrement. Une cathédrale de mégalo et personne dedans. Des rues moites.
J’étais revenu ici, finalement, après y être passé en train quelques jours auparavant.
Comme un goût de cercle.
Ni vicieux. Ni bénéfique.
Juste un cercle ou plutôt juste un gouffre trop béant.
Mon œuvre ultime était juste un journal pas très clair et je me suis arrêté de vivre à Vienne.
Pourtant, Val m’aimait bien. Peut-être un peu trop. Je n’avais rien contre ça, c’était plutôt pour lui. Il était encore plus vide que moi, je crois. J’avais trouvé un maître, moi qui étais tout-puissant.
En mon royaume nihiliste.
Un jour, j’en ai eu assez.
Assez de chercher la vacuité puisque je la portais en moi.
Assez des gens peu drôles.
Assez de ce que j’écrivais aussi.
Alors, j’ai tout arrêté.
J’ai fini la bouteille de vodka et j’ai regardé la nuit.
Dans le ciel, il n’y avait que des étoiles noires.
Siphon- Nombre de messages : 142
Age : 39
Localisation : Mons
Date d'inscription : 11/12/2007
Re: Tournée au pays des gens
1) je n'ai que des cahouètes.
2) il y a une faute de frappe ici:
Je recommande une activité sexuelle plus intense, allant de la recherche d'une forme de vie appropriée et la relecture du kamasutra .
3)
la phrase fétiche de Sarko période 1980-2000 jouxtant l'antinomie de son "travailler plus pour gagner plus". Siphon, t'es un génie.
J'ai aimé l'ensemble, malgré tout je souhaite à chaque ligne que tu te détaches de cette introspection et que nous montre l'autre, l'autre chose, ce qui ne vient que par quelques touches. Le tout se tient bien. Je dis "pas mal".
J'ai bouffé par mégarde la carapace d'une cahouète.
...
2) il y a une faute de frappe ici:
.En effet, quatre-vingt dix pour cent de la population globale s’emmerdent dans le vie.
Je recommande une activité sexuelle plus intense, allant de la recherche d'une forme de vie appropriée et la relecture du kamasutra .
3)
Tu, là, nous balance un paradoxe jamais égalé dans la littérature moderne:éviter le germe du travail aussi souvent que faire se peut.
la phrase fétiche de Sarko période 1980-2000 jouxtant l'antinomie de son "travailler plus pour gagner plus". Siphon, t'es un génie.
J'ai aimé l'ensemble, malgré tout je souhaite à chaque ligne que tu te détaches de cette introspection et que nous montre l'autre, l'autre chose, ce qui ne vient que par quelques touches. Le tout se tient bien. Je dis "pas mal".
J'ai bouffé par mégarde la carapace d'une cahouète.
...
Invité- Invité
Re: Tournée au pays des gens
1) Va pour les cahouètes.
2) J'aime bien les lecteurs pointilleux. Cependant, les traditions indiennes ne peuvent rien face à mes dons d'acrobate, n'en doute pas.
3) " Tu, là, nous balance un paradoxe jamais égalé dans la littérature moderne " : inversion de termes en début de phrase, deuxième virgule superflue et faute d'accord. ( qu'est-ce qu'on se marre... )
Les coques de pistaches, ça crépite davantage sous la dent.
D'où leur suprématie sur les cahouètes.
Merci d'être passé.
2) J'aime bien les lecteurs pointilleux. Cependant, les traditions indiennes ne peuvent rien face à mes dons d'acrobate, n'en doute pas.
3) " Tu, là, nous balance un paradoxe jamais égalé dans la littérature moderne " : inversion de termes en début de phrase, deuxième virgule superflue et faute d'accord. ( qu'est-ce qu'on se marre... )
Les coques de pistaches, ça crépite davantage sous la dent.
D'où leur suprématie sur les cahouètes.
Merci d'être passé.
Siphon- Nombre de messages : 142
Age : 39
Localisation : Mons
Date d'inscription : 11/12/2007
Re: Tournée au pays des gens
Je suis pinailleur, c’est toi qui l’as dit, un jour. Alors je me débarrasse tout de suite du trop-plein :
je pense, sans en avoir fait le décompte exact, que tu as dû utiliser au moins une bonne centaine d’adverbes à terminaison « ment », et ça, je trouve que c’est très lourd, et pas « moyennement » lourd (celui-là il revient 6 fois, tu l’aimes). Quelques exemples :
- « ce train absolument consternant avait une fâcheuse tendance à rouler en biais. Penché, quoi. Un particularisme qui me rendait hautement circonspect. D’un autre côté, j’étais plus vraiment à ça près »
- « ma motivation en toute chose et en tout être humain s’était généralement contorsionnée autour d’un niveau approchant le zéro, en tout cas faiblement positif. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas totalement triste »
- « je trouvai glorieusement une correspondance assez extravagante pour Montbéliard, la première destination d’une série que j’espérais suffisamment longue pour rédiger assez méthodiquement »
Sinon ? Ben si c’est auto-bio, dans quel état du dois avoir le foie, s’il t’en reste un bout :-))) Ouais, c’est un peu trop alcoolisé pour moi, et pourtant j’aime bien monter les degrés.
Bref, ton humour me plaît toujours autant, mais le sujet abordé ici et son traitement me laissent un peu sur le côté, de la voie.
Je préfère encore vos échanges, à toi et Panda, ça me fait bien plus marrer. ;-)
je pense, sans en avoir fait le décompte exact, que tu as dû utiliser au moins une bonne centaine d’adverbes à terminaison « ment », et ça, je trouve que c’est très lourd, et pas « moyennement » lourd (celui-là il revient 6 fois, tu l’aimes). Quelques exemples :
- « ce train absolument consternant avait une fâcheuse tendance à rouler en biais. Penché, quoi. Un particularisme qui me rendait hautement circonspect. D’un autre côté, j’étais plus vraiment à ça près »
- « ma motivation en toute chose et en tout être humain s’était généralement contorsionnée autour d’un niveau approchant le zéro, en tout cas faiblement positif. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas totalement triste »
- « je trouvai glorieusement une correspondance assez extravagante pour Montbéliard, la première destination d’une série que j’espérais suffisamment longue pour rédiger assez méthodiquement »
Sinon ? Ben si c’est auto-bio, dans quel état du dois avoir le foie, s’il t’en reste un bout :-))) Ouais, c’est un peu trop alcoolisé pour moi, et pourtant j’aime bien monter les degrés.
Bref, ton humour me plaît toujours autant, mais le sujet abordé ici et son traitement me laissent un peu sur le côté, de la voie.
Je préfère encore vos échanges, à toi et Panda, ça me fait bien plus marrer. ;-)
Re: Tournée au pays des gens
Faut dire que tu as commencé par du Siphon nouveau avant d'en arriver à ce texte plus ancien.
Et comme le Beaujolais, il faut savoir me consommer rapidement et à la bonne saison pour mieux savourer mon côté banane avec du retour.
Un bémol pour celui-là, donc ?
Pas grave, je saurai contrebalancer la tendance. ;-)
May the adver be with you...
Et comme le Beaujolais, il faut savoir me consommer rapidement et à la bonne saison pour mieux savourer mon côté banane avec du retour.
Un bémol pour celui-là, donc ?
Pas grave, je saurai contrebalancer la tendance. ;-)
May the adver be with you...
Siphon- Nombre de messages : 142
Age : 39
Localisation : Mons
Date d'inscription : 11/12/2007
Re: Tournée au pays des gens
Il se trouve que tu décris un trajet que je connais pas mal et puis Tournus... rhaaa, ce fut un enfer pour moi pendant trois jours dont je ne parlerai point mais voilà, ça m'a marquée. Donc ton texte a trouvé un certain écho personnel chez moi, ça fausse sans doute la lecture, ça l'aide aussi.
Alors évidemment, j'ai apprécié pas mal de tes observations, ce regard caustico-égocentrique posé sur les choses.
Au début, j'ai craint d'être gênée par le temps employé et le mode narratif, j'avais peur d'un texte peu vivant et trop figé, mais tu arrives bien, avec tes digressions et tes réflexions narcissiques à créer un truc palpable et bien réel, qui se déroule sous les yeux du lecteur.
Peut-être un peu longuet par moments, l'impression de rallonger la sauce à tout prix, mais en même temps, ça colle assez bien avec cette idée de voyage simple et compliqué en train.
Et puis j'aime les pistaches...
Alors évidemment, j'ai apprécié pas mal de tes observations, ce regard caustico-égocentrique posé sur les choses.
Au début, j'ai craint d'être gênée par le temps employé et le mode narratif, j'avais peur d'un texte peu vivant et trop figé, mais tu arrives bien, avec tes digressions et tes réflexions narcissiques à créer un truc palpable et bien réel, qui se déroule sous les yeux du lecteur.
Peut-être un peu longuet par moments, l'impression de rallonger la sauce à tout prix, mais en même temps, ça colle assez bien avec cette idée de voyage simple et compliqué en train.
Et puis j'aime les pistaches...
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Tournée au pays des gens
La fourchette est un peu large, mais je profite d'une certaine similitude dans le découpage en tranches temporelles pour demander à Siphon en quoi la décennie 1990-2000 lui est à ce point importante pour qu'il en ait jugé ficelé enlevez c'est pesé aussi bien la collec de Fluide Glacial (à propos, le numéro dans les chiottes de Hug était-il de cette cuvée ?) que celle de Playboy ?pandaworks a écrit:période 1980-2000
Allez, raconte !
à tchaoum
df
à tchaoum- Nombre de messages : 612
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Date d'inscription : 06/05/2007
Re: Tournée au pays des gens
Oùhlà, mon pauvre, il y a au moins un an entre les deux textes.
Pas de rapport, c'est involontaire.
Inconscient, tout au plus.
Et encore.
Pas de rapport, c'est involontaire.
Inconscient, tout au plus.
Et encore.
Siphon- Nombre de messages : 142
Age : 39
Localisation : Mons
Date d'inscription : 11/12/2007
Re: Tournée au pays des gens
C'est donc bien un invariant, qui refait surface quand l'occasion se présente. Et comme on dit : il n'y a pas de rides en surface sans monstre dans le loch ; nous voulons voir la bête !!!Siphon a écrit:Oùhlà, mon pauvre, il y a au moins un an entre les deux textes.
à tchaoum
df
à tchaoum- Nombre de messages : 612
Age : 75
Date d'inscription : 06/05/2007
Re: Tournée au pays des gens
Ness pas ?à tchaoum a écrit:et comme on dit : il n'y a pas de rides en surface sans monstre dans le loch
à tchaoum
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à tchaoum- Nombre de messages : 612
Age : 75
Date d'inscription : 06/05/2007
Re: Tournée au pays des gens
J'ai pas pu aller au bout, je m'ennuie...
ninananere- Nombre de messages : 1010
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Date d'inscription : 14/03/2007
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