Je te Parle

Je te parle

J’entends les visiteurs qui gravissent les escaliers. Des brides de leurs voix viennent jusqu’à mes oreilles. Ils sont nombreux ce matin les aventuriers du jouet. Vont-ils me remarquer ? Je suis toujours gênée de me présenter dans une tenue aussi légère. J’ai bien dit au conservateur  du musée que je ne pouvais plus parler devant des inconnus en raison de ma nudité. Je veux que l’on m’habille d’une robe en velours rouge pour ce dimanche.
On a ouvert ma poitrine pour que l’on voie mon mécanisme. Mon cœur palpite depuis 1893 grâce à mon créateur Lioret-Jumeau. Il a mis tout son amour pour que je vous dise quelques mots. Ne sait-il pas que depuis de nombreuses années j’ai acquis un vocabulaire plus élaboré ? J’ai commencé à lire sur les lèvres des enfants qui m’ont bercée, cajolée, habillée, déshabillée. Ils ont été la source de mon existence. Je leur disais des mots tendres lorsqu’ils étaient en peine et retrouvaient aussitôt le sourire. Ils disaient à la mère « maman ma poupée parle ! » et leur mère répondait « mais bien-sûr ma chérie c’est normal ». Mais, ces mères n’avaient pas compris que je leur parlais réellement, que j’étais devenue une personne à part entière. J’entrais dans l’univers de l’enfance où les adultes ne pouvaient être invités. Je connaissais tous les secrets des gamins. Ils me parlaient dans le creux de l’oreille, me regardaient avec leurs yeux ronds étonnés et attendaient que je leur donne un conseil. J’aimais cette complicité qui se liait entre nous. Un lien invisible et pourtant si visible pour les yeux qui s’aiment.
Je suis une poupée rose nacrée avec toutes ses rondeurs. J’ai un visage de porcelaine et mes yeux bleus vous regardent. On a ouvert ma poitrine pour que l’on remarque mon mécanisme. Aujourd’hui, je suis derrière une vitrine en verre et j’attends chaque jour les visiteurs. Je ne les aime pas tous. Certains s’avancent dans le seul but de faire tourner uniquement ma mécanique et entendre ce que je pourrai leur dire. Ils collent leurs visages tout déformés sur la vitre et ils me font peur. Heureusement que je suis protégée et qu’ils ne peuvent pas me toucher. Alors, je ferme les yeux et j’attends quelques minutes qu’il s’en aille. Souvent, personne ne s’arrête ou me prête une attention particulière. C’est vrai que je suis moins attrayante que toutes les poupées qui sont en face de moi. Elles portent des habits de lumière et des manières de princesse. Je n’ai pas cette élégance. Il faut être patient avec moi. Je me dévoile lorsque je sens que l’âme de la personne me permettra de voyager avec elle. C’est celle qui, discrètement s’avance, tourne la tête dans un sens puis dans un autre. C’est certainement celle qui ose me parler et ne me pense pas que je suis une poupée ordinaire. Ce matin, je la vois cette personne. Elle s’est détachée du groupe. Elle a attendu que nous soyons seul pour que nous puissions échanger une conversation et ce respect m’invite à rentrer en contact avec elle. Elle me parle doucement, me sourit, attend que je me réveille. Mon mécanisme dans ma poitrine se remonte automatiquement. Ma peau se réchauffe, j’ai l’impression d’être une vraie personne. Je lui tends la main, elle me tend la sienne. La glace se brise. Je suis vivante.

Bonsoir Richard,

Un très beau texte, très bien construit à l'aide d'une langue riche et variée.
Le fond nous montre avec beaucoup de poésie que ces automates oubliés sont prêts à se réveiller et qu'ils ont une vie propre ... en sera-t-il de même des robots et des humanoïdes que nous commençons à fabriquer ?

ligne 17 : je penche pour : "... je pourrais leur dire."

... et Bonne Année Richard !

Quelques réminiscences de Cabrel dans ce texte. Ainsi "J’entends les visiteurs qui gravissent les escaliers. Des brides de leurs voix viennent jusqu’à mes oreilles." qui rappelle clairement "Corrida" et si je ne m'abuse également "habits de lumière"..
Un peu de Polnareff aussi : "Je suis une poupée ".

Quelques inadvertances ou fautes d'orthogaffe à relever : "que nous soyons seul/S " - "Des brides de leurs voix " pour "des briBes","j'entrais" pour "j'entrai" (prétérit),"pourraiS" et non "pourrai" leur dire, "qu'ils s'en ailleNT" ou encore "entrer en contact" et non "entrer".

Une thématique de la lumière (blanc, lumière) et du sang (rouge). Un motif de l'écorché aussi et du sarcophage vitré (avec réminiscence de 2001 Odyssée de l'espace), soit la bulle/cocon/enveloppe amniotique promordiale chère à Gilbert Durand : oeuf/naissance/saut hors de l'aquatique enveloppant/cri.
Le texte, qui part d'une situation créatrice intéressante gagnerait selon moi à être raccourci, et parfois à être moins explicite (la poésie, antidémonstrative par nature, est un bon maître en la matière).

un monde cohérent

Merci pour vos commentaires et désolée pour les fautes d'inattentions. Comme quoi on a toujours besoin d'un autre regard pour se corriger. Des phrases plus courtes et moins de descriptions. J'ai au bout des doigts de la peinture, c'est certainement pour cela que j'écris de cette façon. Ce n'est pas la poupée du chanteur de Polnareff. Elle ne dit pas non toute la journée On lui a souvent appris à dire "oui" dans la main des enfants.