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Les poèmes de l'excès

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teverino
Marine
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Les poèmes de l'excès Empty Les poèmes de l'excès

Message  Marine Lun 6 Fév 2017 - 23:12

C'est long. Vous pouvez choisir.

Poèmes de l'excès

1. Opérations

je me suis installé sur la table d'opération
et avec les pinces de la nuit
j'ai exhumé toute la douleur de moi
je me suis détruit dans la plus extrême souffrance
"j'ai sorti ma colère, je l'ai mise debout et je l'ai observée"

dans le plus étroit silence
l'extrême intensité du monde m'a pris et j'ai connu
la table
le mur
le béton
et par-dessus, le ciel.
dans la plus incroyable souffrance
j'ai vu mon corps s'ouvrir
laisser passer six mois, un an, et vingt-et-un de haine
j'ai vu le déni ; j'ai vu quelque chose
s'ouvrir :
deux yeux terribles me fixaient
j'ai demandé pardon
puis je me suis tué
je suis mort pour de vrai
en une seconde je suis mort et j'ai vu
la chose au-delà de toute limite, de tout langage
le cri muet
les parois du vide
le son
ma bouche atone dans l'espace
j'ai compris
la terrible difficulté de vivre
et la terrible grâce
le prix de Dieu
est terrible
au-delà de toute possibilité de vivre
au-delà même et c'est plus grave de la possibilité de mourir
la bouche ouverte dans la nuit
je reste
muet
écrasé
de silence
de nuit
de toi
écrasé du monde
le mot brute
la voix infiniment vide.
Que je retourne dans le monde des hommes,
pour pleurer.

là, peut-être, je pleurerais.

j'ai appris de toi, ma violence
que j'étais dangereux
un tsunami qui se brise
auprès de toi
je me suis demandé pardon

je me dis : « à genoux ! »
qu'on me brise

je le mérite

Je me dirai :
qu'on me détruise enfin entièrement
sans chair qui reste
sans chant
sans fête
sans aucun holocauste ni sacrifice ni rien
aucun privilège tapis ou ornement
que je connaisse
une souffrance la plus terrible
que les échardes de ce plancher rentrent dans mes genoux

que la mort s'ouvre et que je vive !

nous avons tous des bûchers sur la terre
et Jeanne couronne d'épines

je veux la grâce de Grünewald
je veux la grâce totale
je veux un peu moins mourir que tout à l'heure
mais un peu plus qu'hier

la chair tordue dans tous les sens l'encens grillé la boîte nue
le ciel qui resplendit comme un éclat d'épine
ton auréole à toi couronne d'aubépines
des christs doux qui chantent au bras des avenues
de petites lumières

il neige
la rivière charrie des glaces
la mort n'est pas passée beaucoup plus loin
que l'avenir

j'ai appris auprès de toi
à me pardonner."


2. Le sacrifice

Ma blonde en vie gris-clair
Tu n'aimes pas les teintes trop sûres
Tu n'aimes pas la vie trop mûre
Tu ne veux pas trop vite aller
Vers l'avenir

Ma blonde tu as besoin de temps
De calme et des enfants
qui courent dans les verts champs qu'auréole l'azur
qui vont aux vergers sûrs
tu es la fille des incertitudes certaines
et de l'angoisse qui se prévoit ;
tu ne veux pas
de la dispute
tu n'iras pas
à la culbute
des temps qui s'entrechoquent

(des corps qui se disloquent
sous la violence terrible de l'amour)

rien de tout ça pour toi !
les cauchemars sont durs à toi qui a souffert
et tu veux la nuit molle où passer ton hiver,
je comprends.

je comprends ton désir, louable
moi aussi j'ai rêvé bien longtemps d'une étable
où endormir mon croup
le mords
m'a retrouvé
on s'est serré la main

ce que je veux te dire :
on ne peut pas contenir le jour
un visage déborde des mains
et si le calme est sûr le danger est serein,
quand on s'y lance et on s'y perd !
j'aime la vie la folle le ruisseau le larcin
à toutes les sécurités du vide.

*

"retrouve-moi un jour quand tu sauras que ton calme est une meurtrissure et mon excès le moyen de production d'une différence dans l'économie du pire"

la violence est nécessaire à la vie qui s'endort
comme une euthanasie et ses silences d'or
qui mentent le parfum d'un langage oublié
tu comprends mon cœur pourquoi les forcenés
finissent par passer à travers les fenêtres
pour trouver la douceur
aperçue
dehors ?

le refus que tu crois de l'immense quiétude
c'est dans le cri que je la cherche

et si je mens, c'est pour la vérité.

(conseil : ne pas passer le pont, mais bien le traverser
et ton corps planté d'échardes
parcouru de lattes
sera comme un christ-poisson dans l'océan des heures !
Bien, oursin de chair, cristal de rose, peur !)

Un visage de blonde glisse sur les surfaces
Moi trappeur dans la neige je recherche la trace
D'une plénitude. Sous la physionomie,
D'un arbre échevelé, insulteur de crépuscules
elle est là, et tu ne l'as pas vue, trop occupée à regarder les branches qui creusaient la nuit, arrachaient les oiseaux, bousillait les nids, faisaient des trous dans l'absence de soleil, le nuage, la terre

Mais la quiétude que tu crois être la tienne
Elle te dupera dans l'oubli.

*
Pierre Jourde : "Il oriente l'excès vers l'au-delà (...)" (Huysmans, A Rebours, "l'identité impossible".)


3. Explications

a)
C'est un oiseau. C'est un ogre d'amour qui hante et qui pleure. C'est un besoin terrible de donner et une faim de recevoir. Ce que j'ai en moi, c'est un monstre : il dévore tout. Il fait peur comme le soir qui pleure d'où dégoulent les aboiements des chiens. Le chien ne veut pas arrêter d'aboyer ; il est là, avec les murs, avec ma tristesse et les télés qui chantent. J'aimerais que quelqu'un vienne et l'emmène ; que quelqu'un tire tire doucement la laisse et le prenne au collier ; le chien lui lèchera la joue, avide de reconnaissance, avide de nuit – cette grande gamelle.
En fermant les yeux on le sent : c'est cette espèce de fond de salive, ce goût d'être toujours essoufflé ; c'est d'une tension légère, mais permanente, dans la poitrine, et la main, qui vous serre. J'accepte les lieux de ma résidence ; mon crépis, mon mur.
Hier, j'ai accepté de mourir pour comprendre ma colère. Il serait dit un jour que la vérité serait le prix de la vie, et qu'alors les cieux s'ouvriraient : tu partirais. Il était écrit : j'emprunterais ce jour un petit escalier de pierre ; à flanc de falaise, je grimperai ; tu seras le calvaire sous mes doigts effrité ; et je serais la corde tendue à flanc de ciel. « Au revoir, dit le petit Prince » ; « au revoir », dit la falaise à la mer qui s'en vient, qui s'en va et qui perd. C'est un oiseau, il vole ; on le croyait tout, dit la passante ; mais il s'installe, il fait son nid partout ; violente est sa présence. On ne veut pas de lui sur les rives de la reconstruction.
Des ouvriers, maintenant ; accrochés à l'échelle – de mon cœur, ils sautent ; jeu débile ; jeu profondément bête ; magnifique saut à la corde penchée. Il y a un langage pour dire la bête, et un pour le pardon ; dans mon monde, ils sont de mêmes mots ; c'est le rythme qu'on imprime ; c'est le bateau qui hangue ; c'est la houle qui dit et c'est le ciel qui fend. Là, seule, est la différence.

b)
Ca y est. Maintenant l'amertume ; maintenant le ciel me retient. Je ne pouvais pas la contenir longtemps. Cette énergie dépasse. Ce ressentiment boit. Rien à faire, la mer toujours picorée des instances : aveu, désir, harcèlements. Rien ne la calme ; rien ne se rend. J'aimerais lâcher mes brides d'oiseau dans le calme d'un soir ; me promener sur le bord d'un étang ; voir s'envoler les roseaux et que murmure un croc. Je serais content. Ca serait un soir d'été, très beau. Ca serait la campagne et ça serait chez moi, où l'on tirait des chaises après le crépuscule. C'est ce bonheur qui n'existe pas d'un mur de pierre où poser la tête : aujourd'hui, la paroi est une peau, c'est le songe de chair. J'aimerais qu'on m'aime ; j'aimerais qu'une main soit denuée des tracas de la peur ; de l'angoisse ; des vibrations du multiple et du pire. Le son est lourd, l'air résonne ; le froid colle à la vitre comme des peaux d'enfants, noyés dans le grésil.
J'aimerais une main sans les tracas et sans l'angoisse. J'aimerais un verre et j'aimerais l'oubli. Je voudrais m'enfoncer et le corps, le froid du rien. Je voudrais rejoindre un autre je voudrais.
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Message  teverino Mar 7 Fév 2017 - 4:40

C'est superbe. Comment fait-on pour écrire des choses pareilles, ça sort d'où ? Ça c'est vraiment de la poésie contemporaine. Je n'ai lu que le 1, Opérations. J'y reviendrai, il est tard. Mais je voulais être le premier à saluer. Chapeau, man.
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Message  So-Back Mar 7 Fév 2017 - 10:13

j'ai appris auprès de toi
à me pardonner."


quoi de plus réconfortant que ce cri du cœur

voila pour ma 1ére lecture

So-Back

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Message  Gobu Mar 7 Fév 2017 - 11:45

"- Comment fait-on pour écrire des choses pareilles ?"

questionne le questionneur, à la main les instruments déjà rougis de la Question.

"C'est bien simple : on ne les écrit pas : elles sont déjà écrites. On se contente de soulever d'une main tremblante d'anxiété le rideau sous lequel elles se dissimulent." Et toque.

répond le répondeur, savant perroquet sans science mais avec tant, tellement, tant tellement trop de conscience. La conscience écorche et le rideau pèse d'un poids infini. Et l'infini encore n'est pas assez quand d'absolu on a soif absolument.

Un triptyque. En trois questions, et qu'est-ce qui n'est question, rien, même cette réponse, pour  cette vérité qu'entend l'incoercible flot des mots trahir : "A quoi sert la poésie ? A rien naturellement, sinon il la faudrait tuer comme il faut tuer le servage." Ta gueule le répondeur. Même si tu as raison. Surtout si tu as raison. Raison, le plus plus perfide des masques de la déraison.

Trois volets, jean van Eyck, poète des couleurs de l'insondable, n'en peignit pas un de plus pas un de moins pour son retable de l'Agneau Mystique. Il avait une excuse - qui n'est rien que la lâcheté du génie - le cataclysme de l'extase face à la Sainte Trinité. Convention picturale et message subliminal. Un c'est bien deux c'est trop trois c'est pas assez. l'Écossais ne dit pas autre chose à propos du whisky.

Triptyque, triolet, triade.

Opérations, Sacrifice, Explications.

En d'autres termes à peine : Opération : Sacrifice qui Explication quémande.

et qu'opèrent dans le complice silence des agneaux mystiques les pinces (ou les Princes ?) de la Nuit car est terrible le prix de Dieu et l'obscurité la plus absolue (encore !) suffit à peine à faire oublier (le peut-on ?) que le plus grave (le plus terrible !) est la possibilité de ne pas mourir

Ne me reste plus alors qu'à Me coiffer de ton auréole à toi couronne d'aubépine mon Fou ma Cendre mon Périlleux Amour et auprès de toi genoux noyés dans le bitume du remords apprendre à me pardonner.

Opération menée avec succès, Doc, le patient ne sent plus rien.

Accompli le sacrifice, débordante la coupe accueillante aux flots du sang même pas expiatoire (si le Sien même n'a pas suffi...) et s'il faut par toutes les baies vitrées du pénitencier se propulser en grand fracas de verre pour de la douceur aperçue du dehors goûter ne fût ce qu'un instant la consolante flaveur c'est que si l'on ment c'est pour la vérité celle de la vie folle du ruisseau du larcin et de la quiétude qui dupera dans l'oubli celle qui ne veut pas vers l'avenir trop vite aller entre nous, pas la peine d'y aller il vient si vite seul...

Alors, La sachant avide de nuit, cette grande gamelle à vrai dire dans toutes les acceptions du terme, à commencer par celle de ramassage de gueule sur le tarmac du quotidien, face à l'impassible silence de l'incréé, TU PARTIRAS, l'avertiras-tu, prophète de malheur au double langage de bois pour dire la bête qui gronde en toi et de mot pour le pardon qui sont de mêmes mots - qui pourrait l'ignorer - et tu voudrais enfin (ô insensée présomption du Poète rejoindre un autre je voudrais.

Bon, pour faire court, j'apprécie, lis et même relis ce qui ne tiens pas pour un poème mais pour un cri d'amour à la Poésie. Ce qui n'en est que plus grisant.

Comme toujours bravo. J'en crève de ne pouvoir écrire comme toi, tu me vénère (dans le sens tu me colles les abeilles naturellement) mais je suis sûr que je me débrouille mieux que toi sur une gratte, sinon y aurait pas de Justice. Mais y en a-t-il une ?

GOBU/ALAIN

PS : Décidément, la structure ternaire Thèse/Antithèse/Synthèse, y a que ça de vrai. Moyenne garantie. Je me pardonne  cette vacherie. fais de même, STP...

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Message  Gobu Mar 7 Fév 2017 - 11:52

Errata : Vers la fin il fallait lire "...que je ne tiens pas pour un poème... et non ce qui est écrit. Enfin tu auras rectifié de toi-même je suppose
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Message  seyne Mar 7 Fév 2017 - 13:48

oui, moi aussi je trouve cela superbe et tout à fait contemporain : une écriture exploratrice, interrogative, qui suit le chemin, s'appuie sur l'émotion comme le guide d'une perception encore indistincte. C'est à dire qui ressent et pense, et va plus loin.

Je n'ai pas envie d'aller chercher les passages les plus forts ou les imperfections, parce qu'il n'y a que toi qui puisses le savoir.
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Message  Silence écrit Mer 8 Fév 2017 - 17:12

Beaucoup de puissance dans ce (ces) texte(s), Marine, j'en suis encore soufflé. J'ai particulièrement apprécié la façon que tu as de revenir à la ligne souvent dans les deux premières parties, violemment, pour arrêter la lecture et la pensée. Ton texte en gagne quelque chose de brutal, comme si tu avais arraché chaque pierre de cet édifice à un roc plus grand. À lire à voix haute, c'est un régal.

J'admire aussi ton final inachevé "Je voudrais rejoindre un autre je voudrais.", avec ce point qu'on n'attend pas et qui fonctionne absolument.
Ton univers, s'il n'est pas tout à fait le mien de par sa complexité, est résolument moderne. Je n'ai pas les armes pour les décortiquer davantage, et me contente de le lire avec beaucoup de bonheur.

Au plaisir de te lire souvent,

Silence écrit
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http://silenceecrit.wordpress.com

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