Les jours rallongent
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Les jours rallongent
à nouveau. Depuis quelques jours, un rai spectral, pâle, surligne le bas de la fenêtre au réveil, sous les volets pleins. Il ne se sent pas mieux pour autant, sortant du chaos des nuits. Il a de plus en plus l’impression de n’être pas le même quand il dort. Un rêveur avide et bousculé hache ses nuits de situations inconnues, rampant de réveil en réveil et replongeant aussitôt, comme dans des milliers de vies non-vécues, qu’il tente de vivre, où il réfléchit sans cesse, sans continuité.
Le rai de lumière grise à la fenêtre (le « jour »), signe de ce qu’est sa vraie vie : une ligne qui ne dit rien.
Ce matin, après le café où il a ajouté un long trait d’eau du robinet tant il avait soif, il sort sur le pas de la porte. La ruelle est vide, il fait froid, il est content d’être ainsi en chemise, col et veste ouverts. A l’angle de la rue des Lois, à 20 mètres, le soleil rasant dessine sur le crépi du mur une surface si belle, avec ses aspérités, qu’on dirait un grain de peau, une peau qui a froid.
Il rentre dans la cuisine, il va chercher dans le tiroir de la table ses clefs de voiture. Voilà plus d’une semaine qu’elles sont là. Il se voit soudain comme la voisine qu’on a fini par venir chercher en ambulance après un appel aux pompiers. La minuscule baraque envahie de sacs en plastique puants, de vieux journaux, d’enveloppes vides, aussi mortes qu’elle bientôt. Ça s’appelle le « syndrome de Diogène », paraît-il. Il sent cette constipation de l’âme, garder ainsi la merde du cœur bien au chaud, accumulée, les vexations minuscules, les défauts trop vus, l’impression aigre d’être oublié. L’en-soi si reposant, comme une fenêtre cernée de blanc dans le noir de la chambre dit « reste là, ne bouge pas ».
Il lui vient une grande envie de purgation, sortir, grimper en haut du village, croiser quelqu’un, regarder la vallée, manger une herbe amère, se vider, léger.
Ou bien prendre la voiture, aller au supermarché, surmonté de la ligne des montagnes inchangée depuis l’invention de la photographie. Le camion des poulets rôtis remplit le parking entier d’une odeur sublime, comme l’odeur de la faim. Son petit voisin est là, sanglé dans sa poussette, et sa mère remplit le coffre, elle rit de le voir. Il l’aide à charger les packs d’eau pour les biberons.
Le rai de lumière grise à la fenêtre (le « jour »), signe de ce qu’est sa vraie vie : une ligne qui ne dit rien.
Ce matin, après le café où il a ajouté un long trait d’eau du robinet tant il avait soif, il sort sur le pas de la porte. La ruelle est vide, il fait froid, il est content d’être ainsi en chemise, col et veste ouverts. A l’angle de la rue des Lois, à 20 mètres, le soleil rasant dessine sur le crépi du mur une surface si belle, avec ses aspérités, qu’on dirait un grain de peau, une peau qui a froid.
Il rentre dans la cuisine, il va chercher dans le tiroir de la table ses clefs de voiture. Voilà plus d’une semaine qu’elles sont là. Il se voit soudain comme la voisine qu’on a fini par venir chercher en ambulance après un appel aux pompiers. La minuscule baraque envahie de sacs en plastique puants, de vieux journaux, d’enveloppes vides, aussi mortes qu’elle bientôt. Ça s’appelle le « syndrome de Diogène », paraît-il. Il sent cette constipation de l’âme, garder ainsi la merde du cœur bien au chaud, accumulée, les vexations minuscules, les défauts trop vus, l’impression aigre d’être oublié. L’en-soi si reposant, comme une fenêtre cernée de blanc dans le noir de la chambre dit « reste là, ne bouge pas ».
Il lui vient une grande envie de purgation, sortir, grimper en haut du village, croiser quelqu’un, regarder la vallée, manger une herbe amère, se vider, léger.
Ou bien prendre la voiture, aller au supermarché, surmonté de la ligne des montagnes inchangée depuis l’invention de la photographie. Le camion des poulets rôtis remplit le parking entier d’une odeur sublime, comme l’odeur de la faim. Son petit voisin est là, sanglé dans sa poussette, et sa mère remplit le coffre, elle rit de le voir. Il l’aide à charger les packs d’eau pour les biberons.
Re: Les jours rallongent
exact les jours rallongent, ce n'est pas un songe
texte sombre, pessimiste, gris comme un jour sans fin, mais bien écrit
je retiens
le soleil rasant dessine sur le crépi du mur une surface si belle, avec ses aspérités, qu’on dirait un grain de peau, une peau qui a froid."
belle metaphore
texte sombre, pessimiste, gris comme un jour sans fin, mais bien écrit
je retiens
le soleil rasant dessine sur le crépi du mur une surface si belle, avec ses aspérités, qu’on dirait un grain de peau, une peau qui a froid."
belle metaphore
So-Back- Nombre de messages : 3652
Age : 100
Date d'inscription : 04/04/2014
Re: Les jours rallongent
voila un rai de lumiere qui prend ses aises
hi wen- Nombre de messages : 899
Age : 27
Date d'inscription : 07/01/2011
Re: Les jours rallongent
tu es un malin, hi wen, j'aime tes commentaires lapidaires.
So Back, pour moi c'est une histoire de renaissance, de sortie d'hibernation, plutôt qu'un texte pessimiste.
So Back, pour moi c'est une histoire de renaissance, de sortie d'hibernation, plutôt qu'un texte pessimiste.
Re: Les jours rallongent
"Le rai de lumière grise à la fenêtre (le « jour »), signe de ce qu’est sa vraie vie : une ligne qui ne dit rien".
Rien que pour cette phrase, j'achète.
Les saisons ne veulent rien dire. Elle se succèdent, c'est la vraie vie. Elle ne dit rien non plus. C'est à nous de dire. Tu le fais bien...
Rien que pour cette phrase, j'achète.
Les saisons ne veulent rien dire. Elle se succèdent, c'est la vraie vie. Elle ne dit rien non plus. C'est à nous de dire. Tu le fais bien...
Gobu- Nombre de messages : 2400
Age : 69
Date d'inscription : 18/06/2007
Re: Les jours rallongent
Plein de petites formulations bien choisies à droite à gauche qui dépeignent bien l'état d'esprit de ce personnage entre défaitisme et volonté de rebondir.
isa- Nombre de messages : 559
Age : 33
Localisation : Elbonerg
Date d'inscription : 08/04/2009
Re: Les jours rallongent
Pareil que Gobu : il y a vraiment une jolie phrase qui pète...
Pour la renaissance, on ne la sent pas...du tout.
Il suffirait d'un rien...
Une allusion au fait qu'en soulevant les bacs d'eaux, un immense poids venait de disparaitre de ses épaules par exemple.
Pour la renaissance, on ne la sent pas...du tout.
Il suffirait d'un rien...
Une allusion au fait qu'en soulevant les bacs d'eaux, un immense poids venait de disparaitre de ses épaules par exemple.
boc21fr- Nombre de messages : 4770
Age : 53
Localisation : Grugeons, ville de culture...de vin rouge et de moutarde
Date d'inscription : 03/01/2008
Re: Les jours rallongent
ah, on n'est pas d'accord... Pour moi, un texte doit faire percevoir, ressentir les choses au lecteur, par empathie, et chaque fois qu'on les explicite on alourdit. Mais j'ai échoué à faire ressentir, visiblement.
Re: Les jours rallongent
Ce sera selon notre humeur " merdeuse " ou non qui rendra ce texte sombre ou pas. Pour ma part, en ce matin de septembre qui voit les jours diminuer, je ne sens pas une " renaissance" quelconque mais plutôt une description froide d'un homme qui a froid de mort derrière la porte.
Des sentiments " lézardés" sur un mur reptilien.
Le nôtre souvent.
Le glauque est bien tendu.
Des sentiments " lézardés" sur un mur reptilien.
Le nôtre souvent.
Le glauque est bien tendu.
Ba- Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009
Re: Les jours rallongent
L'évocation d'un moment de vacuité intense ou l'inverse, peut-être je n'en sais trop rien. À coup sûr, je découvre une belle plume à la faveur d'un fragment dont on aimerait qu'il fût augmenté.
HELLION- Nombre de messages : 477
Age : 74
Date d'inscription : 19/08/2017
Re: Les jours rallongent
merci HELLION.
C'est tout le problème de la prose courte : l'enfant en nous attend la suite de l'histoire...Pourtant il devrait y avoir moyen d'écrire l'équivalent d'une photographie : un instant suspendu que l'esprit prolonge, dans toutes les directions du temps.
Ce texte est déjà trop long pour cela, alors, oui, il faudrait écrire le livre.
C'est tout le problème de la prose courte : l'enfant en nous attend la suite de l'histoire...Pourtant il devrait y avoir moyen d'écrire l'équivalent d'une photographie : un instant suspendu que l'esprit prolonge, dans toutes les directions du temps.
Ce texte est déjà trop long pour cela, alors, oui, il faudrait écrire le livre.
Re: Les jours rallongent
C'est fin, malin, dense, émouvant. Je n'ai lu ni la renaissance ni la mélancolie, plutôt un entre-deux que je connais bien dans la vraie vie.
Dimanche- Nombre de messages : 22
Age : 31
Date d'inscription : 24/06/2019
Re: Les jours rallongent
merci. J'ai essayé de décrire un moment de basculement intérieur. On ne sait pas encore si ce sera une renaissance, mais le petit bébé dans sa poussette pourrait y engager le héros.
Re: Les jours rallongent
Superbement écrit. Vraiment un plaisir.
L'ambiance par contre, pour moi qui vis au soleil, c'est... comment dire ? Gris ? La renaissance pour ton personnage serait la mort pour moi :0)
Très joli texte.
L'ambiance par contre, pour moi qui vis au soleil, c'est... comment dire ? Gris ? La renaissance pour ton personnage serait la mort pour moi :0)
Très joli texte.
Re: Les jours rallongent
A l’angle de la rue des Lois, à 20 mètres, le soleil rasant dessine sur le crépi du mur une surface si belle, avec ses aspérités, qu’on dirait un grain de peau, une peau qui a froid.
Pour ma part, c'est cette phrase, qui dans ce très beau texte, a retenu toute mon attention.
Je la trouve d'une poèsie simple et directe.
J'ai beaucoup aimé votre texte seyne, j'y suis sensible. J'aime aussi cette idée de la photographie, reprise en commentaire. La photo est belle parce que sa limite et sa puissance est une suggestion infinie. Votre texte suggère suffisamment pour ne pas trop décrire.
Antoine
Pour ma part, c'est cette phrase, qui dans ce très beau texte, a retenu toute mon attention.
Je la trouve d'une poèsie simple et directe.
J'ai beaucoup aimé votre texte seyne, j'y suis sensible. J'aime aussi cette idée de la photographie, reprise en commentaire. La photo est belle parce que sa limite et sa puissance est une suggestion infinie. Votre texte suggère suffisamment pour ne pas trop décrire.
Antoine
Jand- Nombre de messages : 297
Age : 27
Date d'inscription : 05/04/2016
Re: Les jours rallongent
Ôte-toi de mon soleil ... répliqua Diogène qui ne voulait pas en perdre un rayon ! Ici on semble attendre les rayons plus nombreux jour après jour, mais ils n'arrivent pas à réchauffer une humanité morne et sans charme ... renvoyant le philosophe à son injuste postérité psychiatrique !
J'ai aimé les cle[b]f[b]s ...
J'ai aimé les cle[b]f[b]s ...
midnightrambler- Nombre de messages : 2606
Age : 70
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010
Re: Les jours rallongent
Et plaf ! Je suis tombée dedans............Tout. Et surtout cette " constipation de l'âme". Les bouteilles d'eau pour le biberon, c'est tellement effet mère...
Chapeau, Seyne !
Chapeau, Seyne !
coline dé- Nombre de messages : 353
Age : 24
Date d'inscription : 24/12/2019
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