Photo souvenir

je vois la photo

tu te rappelles avoir vu la photo

je vois la petite fille sur la photo

tu l’as vue ou tu l’as inventée

je vois la petite fille avec son gilet tricoté dans un point ajouré

peut-être

son gilet rouge boutonné des manches ballon qui s’arrêtent au coude

la photo est en noir et blanc !

je la vois, elle est triste, si triste, je veux me mettre à genoux devant elle
que mon visage soit à la hauteur du sien, je veux la serrer dans mes bras

et pourquoi pas attraper avec les doigts le mot coincé au bout de la langue ?

son gilet rouge boutonné a des manches ballon qui s’arrêtent au coude

Je vois le poème comme une plongée dans la préhistoire, (sa propre préhistoire ?) et des émotions enfouies à la limite extrême de la mémoire.

Il m'a fait penser à l'œuvre d'un graveur, que j'admire beaucoup : Dacos.


Dacos graveur

L'espace autobiographique, alimenté par une parole duelle, par un dialogue intérieur, rappelle forcément "Enfance" de Nathalie Sarraute. Ce mode de progression, entre certitude (verbe de perception : "je vois" x 3, "je la vois"), doute plus ou moins affirmé ("tu te rappelles avoir vu", "tu l’as vue ou tu l’as inventée", "peut-être") et dénégation brutale ("la photo est en noir et blanc !") tente de fixer une image de soi perdue et violemment désirée (anaphore : "la photo" x 3, "la petite fille" x 2, insistance sur les détails d'un vêtement : "son gilet tricoté dans un point ajouré", "son gilet rouge boutonné a des manches ballon qui s'arrêtent au coude", modalisation : "je veux me mettre à genoux devant elle", "je veux la serrer dans mes bras", marqueur d'intensité : "elle est triste, si triste", image du reflet dans le miroir : "que mon visage soit à la hauteur du sien"). La question qui clôt le poème referme sarcastiquement la porte à ce souvenir ardemment convoité, adresse un pied de nez à cette mémoire impuissante à réinvestir le temps (assimilation ironique des sens propre et figuré : "attraper avec les doigts le mot coincé au bout de la langue").

Merci pour ce partage !

le souvenir réinventé
la dentelle de l'espace mémoire
la couleur du passé
l'imparfait de chaque instant
je retiens "et pourquoi pas attraper avec les doigts le mot coincé au bout de la langue ?"
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