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Un homme tranquille

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Message  Rezkallah Mar 11 Fév 2020 - 8:20




J'ai toujours eu des sentiment pour cette femme.
Avant même notre rencontre, je crois que je l'aimais déjà. La première fois que mes yeux s’étaient posés sur elle, c’était comme un ange qui vous traverse l'âme et, du bout de l'aile,​vous effleure le cœur. Je raconte cette histoire pour me persuader que tout ceci s'est bien passé, que ce n'étaient pas les délires d'un esprit malade empêtré de solitude, recouvert de cicatrices, noyé d'alcool... A ce moment de mon histoire, j’étais marié depuis dix ans. Un mariage heureux, sans vagues, ni tempêtes, où les étapes se déroulaient avec la précision d'un scénario sans suspens, ni rebondissement. J'aimais être seul, le plus souvent possible.
Ma femme avait plein d'amis, elle était douée pour la vie, les relations, se souvenir des dates, remplir les impôts, prendre la température du bébé, se réveiller le matin sans râler... Moi, j’étais le total opposé. Dans une sorte de léthargie consciente, je vivais ma vie, en attendant que ma vraie vie démarre. Je guettais les moindres signes, cherchais le frisson qui donnerait le top départ, pour qu'enfin, je devienne qui je suis, lâcher les chevaux une bonne fois pour toutes... Ne vous méprenez pas, j’étais heureux, la vie me donnait tout ce dont j'avais besoin, et je rendais grâce tous les jours... Oui, elle me donnait ce dont j'avais besoin, mais pas ce que désirais au plus profond de moi. J'appelais ça la semi-vie. Ni réveillé, ni endormi, flottant de l'aube blafard jusqu'au crépuscule d'or, et sous la nuit, je questionnais les astres sur le pourquoi du comment de ma présence ici. Pourquoi moi ? Pourquoi pas un autre ? J’étais le centre d'un monde qui ne me montrait aucun intérêt si ce n’était, pour l'essentiel, de l'air pour respirer et de l'espoir à la pelle. Alors je pleurais, écrasé par ce sentiment de n’être rien, de passer à côté  de tout. Les autres tout autour avaient ce bonheur, par milliards sur la surface du globe, ils vivaient, et moi j'attendais...
J’abdiquais, acceptais mon sort, reconnaissant tout de même, et c'est là que mon histoire, ma vie s’étaient enfin mises en marche quand, pour une fois, j’accompagnai ma femme à une de ses soirées entre couples. Pour être honnête, je n'avais rien contre ses amis, ni les soirées couples, seulement, j’étais rapidement ivre, et il fallait me ramasser à la petite cuillère. Je ne faisais pas les choses à moitié. C'est ce soir-là que la terre avait tremblé pour moi. Un bouleversement silencieux, à l’intérieur. Juste un regard. Implosion. L'âme inondée de joie, l'ivresse, intemporelle, puis le retour à la réalité :
- Tu bois quoi ?
- Hein ?
- Ben qu'est-ce que t'as, on dirait que tu viens de voir un fantôme...
- Une bière stp.

C’était tout sauf un fantôme que je venais de voir, c’était la vie même. Un mètre soixante, brunette, la trentaine juvénile, le teint blafard, empourprée de vin, nos regard s’étaient croisés, et croyez-le ou non, j'ai su que c’était réciproque. Évidemment l'amour rend aveugle, mais qui se priverait de rêvasser à la réciprocité d'un sentiment nouveau ? Puis d’ailleurs, je  comptais ne rien faire, j’étais déjà tellement heureux d'avoir ressenti cette secousse que j'en voulais pas plus. Et qui s’acharnerait à séduire une femme mariée, mère de deux enfant. Non... Cela, je l'avais gardé bien en chaud au fond de moi, et le soir, quand je sentais que ma femme dormait profondément,  je le ressortais d'un tiroir de mon âme, et je jouai avec dans les ténèbres jusqu'à l'aube... Oui, je me contentais de peu. Je n'attendais rien, gardant ce secret intact et, quand une nouvelle invitation me permettait de me retrouver en sa présence, alors je remerciais la vie et me délectait de ce moment. Je l'ignorais, humais son parfum à la bise, laissais sa voix couler en moi, gobais ses coups d’œil discrets, refoulais le déchaînement d 'émotions folles qui me labouraient le bas-ventre. Je rentrais de ces soirées complètement abattu, plein de choses étranges en moi se bousculaient, grouillaient, me dévoraient vivant.

" Finies les nocturnes, finies les morsures, disait la publicité. Finis les fantasmes, réalisez-vous pleinement. C'est vous qui êtes en retard, la vie est toujours à l'heure. Appelez-nous  et prenez rendez-vous pour un changement radical."

J’étais seul pour noël, ma femme et ma fille étaient parties voir papy et mamie à plus d'onze heures d'avion. Ce n'était pas par méchanceté, juste une question de disponibilité, c’était soit pour noël, soit dans un an. Moi, j'avais du travail, impossible de bouger. A vrai dire j’étais bien content d'être seul. C'est quand on est seul que l'on peut laver son âme. La solitude pure, sa brûlure vous nettoie de l’intérieur, les secondes qui passent comme des heures, l'ennui, les envies impossibles qui se bousculent... j’étais seul quand cette publicité est passée. Très tard, je ne sais plus sur quelle chaîne. Le bon coté de l'ivresse, c'est qu'on ne réfléchit plus, on passe à l'action. Avec stupidité certes, mais on se bouge, j'appelai donc le numéro à presque quatre heures du matin.

- Allo ?
- Vous habitez où, Monsieur.
- Nice.
- Demain 14h. La gare de Nice-ville.

Puis il raccrocha. Je passai​ la nuit de merde. A 14h, une femme plutôt charmante vint à ma rencontre.

- Suivez-moi je vous prie.
- Comment savez vous que c'est...
- Plus tard, Monsieur. Le temps presse.
- Le temps presse ?

Nous marchâmes dans le froid hiver un bon quart d'heure, bifurquant dans des rues étroites, en équilibre sur des trottoirs tordus, feu rouge, feu vert, je ne reconnaissais plus la ville, et bientôt je me sentis perdu, dépaysé. On s’arrêta devant une vieille porte marron. Elle sonna au parlophone.Je pris le temps d'observer cette femme dans l’ascenseur. Des boucles mi-longues châtains. Un tailleur vert impeccable, des talons noirs, petit nez, une beauté à l'italienne, le regard sans émotion. Elle fouilla dans son sac, en sortit un miroir, se remit un peu de gloss.

- Nous avons peu de temps. Dites-moi ce que vous voulez.

Les quelques verres que j'avais bu avant le rendez-vous m'aidèrent grandement.

- Je ne sais pas vraiment.
-Seuls les aveugles, les handicapés, les laissés pour comptes, les causes perdues peuvent voir nos publicités...Vous êtes amoureux ?

-Je me laissais aller.

- Je voudrais lui parler, savoir si elle ressent la même chose, sans toutes les complications qui en découlent.
- Ce soir vous dormirez ici. Nous allons réaliser votre souhait.
-Ça me coûtera quoi ?
- Voyez cela comme une expérience, et vous êtes payé en tant que cobaye. Je tien à préciser que l'organisation se dégage de toutes les répercutions possibles dans votre réalité après cette entrevue. C'est compris.

Je hochais la tête.
L'appartement était au dernier. Mansardé. Vétuste. Sans chauffage. Elle me laissa seul avec la télé mode mute, et revint à la nuit tombée. Avec du traiteur chinois. J'aurais voulu boire. Mais pour le bon déroulement de la séance, il fallait être sobre d’après cette femme. Je lui demandai son nom. Elle s'appelait Canelle. Un faux nom à n'en point douter. A minuit, elle m'adressa la parole de nouveau.

-Bien, monsieur, c'est l'heure. Couchez-vous sur le canapé. Je m’exécutai. Posez votre tête sur mes genoux. J’obéis. Pour faire court, dit-elle tout en me fermant les yeux, je vais vous permettre d'entrer dans le rêve de cette femme que vous aimez, et ce sera à vous de jouer. Je suppose qu'elle dort à cette heure-ci, sinon nous essaierons toute la nuit jusqu'à que la brèche s'ouvre. Ne loupez pas votre chance. Laissez-vous aller, fit-elle en me caressant les cheveux, vous pouvez le faire.

-Ce n'est pas illégal?
-Shut... rien n'est illégal en amour...

Je m'endormis sans m'en rendre compte. Tout en restant conscient, je quittai cette pièce et me retrouvai dans un parc d'enfants. Elle était là. En train de jouer dans le bac à sable. Un soleil radieux illuminait la scène. Je m'approchai. Elle faisait des gâteaux de sable.

- Salut, dis-je.
- Ho, qu'est-ce que tu fais là ? Ça va ? Tu m'as manqué tu sais...on se voie si rarement !
-C'est vrai, on se voit pas assez.
- Tu fais des gâteaux avec moi ?
- Je n'ai pas le temps, désolé. Je suis juste venu te dire que je t'aime de tout mon cœur. Je t'aime à en crever, et je voulais que tu le saches.
-Moi aussi je t'aime beaucoup, t'aime énormément, mais je ne pourrai jamais te le dire. Je le garde pour moi. J'ai peur de mon mari, j'ai peur de tout ce qui se passerait si je me laissais aller.

-Je comprends. C'est pareil pour moi.
-Est-ce que tu quitterai tout pour moi, est-ce que tu brûlerai tout pour moi?
-Sans hésiter! Je ferai couler mon bateau pour toi...

Elle se leva et s'approcha. Je la tirai contre moi. Nous nous embrassâmes tendrement. Les larmes coulèrent sur nos baisers salés, une douce symphonie s’éleva dans la moiteur irréelle, c’était comme un arc-en-ciel sur le bout de la langue, je fondais d'amour, et le sens de la vie, je le comprenais maintenant, et l'attente, et l’espérance, et la tristesse... c’était la joie, la joie pure... Je souffrais de joie. Cette émotion, je ne pouvais la contenir, je me sentais grandir, gonfler, devenir immense, recouvrir les moindres contours du cosmos... Je pleurais, la serrais contre moi, son battement de cœur contre le mien, son souffle chaud, frêle, si frêle, je t'aime, je t'aimais je t'aimerai... J'explosais...

Je me réveillai dans mon salon. En sueur et plus triste que jamais. Cette séquence dans le parc d'enfant hanta mes insomnie. Je ne revis jamais la publicité. La ligne coupé.
Les jours passèrent. Les mois. Une année. Je m'occupais l'esprit. Aimais la vie du mieux je pouvais. Faisais du sport. Même une ombre peut être heureuse de temps à autre. Puis une autre soirée vint. Cette fois chez nous. Elle était là. Mon âme sortit de sa torpeur. Sensation exquise. Chaleur dans le bas ventre qui m'inonda des pieds à la tête. Je l'ignorai encore. Les enfants s’éclataient. On parlaient entre mecs, vidant bière sur bière. Elle semblait même fâchée contre moi, s’énervant à la moindre de mes paroles à son intention. Je trouvais ça étrange. Je buvais. Je passai la soirée comme je pouvais. Les mecs devenaient insipides. Fatiguaient. Fatiguants. Sans que je sache pourquoi, les maris rentrèrent en premier. Je les accompagnai au portail. Les femmes continuaient à boire et papotaient. J’étais seul de nouveau. Fis la vaisselle. Me rendis dans la chambre où les enfants avaient foutu le bordel. Je ramassai un PolyPocket, quand elle arriva soudain. Un peu éméchée.

- Tu sais...c'est drôle...j'ai l'impression que... je veux dire que... je t'aime beaucoup...

Je lâchai le Polypocket. Me redressai. Les mains dans le dos, le regard plein d'espoir, elle attendait. Elle était plus courageuse que moi. J'entendais ma femme rire à coté. Ma fille dormait paisiblement dans notre chambre. Un goût de cannelle me vint sur le bout de la langue.

- Moi... aussi, dis-je, je t'aime beaucoup.

Rezkallah

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Message  seyne Mar 11 Fév 2020 - 10:06

Quel beau récit : tout sonne juste, dans la plus grande simplicité, un récit où chacun peut se retrouver, s’interroger aussi sur ce qui fait sa vie, ce qu’est l’amour, le bonheur. Cette question surtout est creusée dans un questionnement sans réponse...
Le moment onirique vient cristalliser tout cela et apporter au texte par son étrangeté de quoi soutenir la curiosité du lecteur. Aucun effet de manche, c’est la justesse de l’ensemble qui en fait un tel plaisir !
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Message  Rezkallah Mar 11 Fév 2020 - 10:51

seyne a écrit:Quel beau récit : tout sonne juste, dans la plus grande simplicité, un récit où chacun peut se retrouver, s’interroger aussi sur ce qui fait sa vie, ce qu’est l’amour, le bonheur. Cette question surtout est creusée dans un questionnement sans réponse...
Le moment onirique vient cristalliser tout cela et apporter au texte par son étrangeté de quoi soutenir la curiosité du lecteur. Aucun effet de manche, c’est la justesse de l’ensemble qui en fait un tel plaisir !

Bonjour Seyne,

Pour commencer, merci infiniment d'avoir répondu à ma bouteille à la mer.
Ce texte me touche particulièrement, totalement ancré dans mon réel, bien qu'avec une part d'onirisme, et savoir que ces sentiments sont partagés, compris par ne serai-ce qu'une âme, me comble de joie

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Message  Rezkallah Mar 11 Fév 2020 - 10:52

seyne a écrit:Quel beau récit : tout sonne juste, dans la plus grande simplicité, un récit où chacun peut se retrouver, s’interroger aussi sur ce qui fait sa vie, ce qu’est l’amour, le bonheur. Cette question surtout est creusée dans un questionnement sans réponse...
Le moment onirique vient cristalliser tout cela et apporter au texte par son étrangeté de quoi soutenir la curiosité du lecteur. Aucun effet de manche, c’est la justesse de l’ensemble qui en fait un tel plaisir !

Bonjour Seyne,

Pour commencer, merci infiniment d'avoir répondu à ma bouteille à la mer.
Ce texte me touche particulièrement, totalement ancré dans mon réel, bien qu'avec une part d'onirisme, et savoir que ces sentiments sont partagés, compris par ne serai-ce qu'une âme, me comble de joie. merci encore

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Message  coline dé Mar 11 Fév 2020 - 17:59

C'est magnifique, plein d'une sensibilité sans aucune mièvrerie, je suis admirativede la justesse de chaque détail, de l'ancrage dans le quotidien qui n'est pas démenti par le passage onirique... vraiment bravo !
J'ai bien aimé " je souffrais de joie" : pile ce que je n'avais jamais réussi à définir !
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Message  coline dé Mar 11 Fév 2020 - 18:00

Et j'oubliais : le choix du titre !
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Message  Rezkallah Mer 12 Fév 2020 - 20:48

coline dé a écrit:C'est magnifique, plein d'une sensibilité  sans aucune mièvrerie, je suis admirativede la justesse de chaque détail, de l'ancrage dans le quotidien qui n'est pas démenti par le passage onirique... vraiment bravo !
J'ai bien aimé " je souffrais de joie"  : pile  ce que je n'avais jamais réussi à définir !

C'est pour un retour comme celui-ci que j'écris. Merci à l'infini Coline

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Message  Rezkallah Mer 12 Fév 2020 - 20:49

coline dé a écrit:Et j'oubliais : le choix du titre !

Ho le beau pitchou!! fait bisou à papa!

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