En attendant la pluie
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En attendant la pluie
En attendant la pluie
… dépassé la bosse d’un champ de cameline par la boue d’une ornière moirée d’huile, traversé une sorte de narce, guidé au loin par une haie d’arbres encore indécis, certains les branches nues où se posaient entre les boules de gui des vols d’étourneaux. Tel arbre se gansait en brun d’un duvet de jeune fille, tel autre déjà de verts frais et anisés, ou se teignant de cuivre dans la lumière du soir. Des sentes partout qui parlaient de furetages et d’amours animales…
… était maçon, Joseph devait l’aider le soir. Après on se retrouvait tous à la carrière pour user nos culottes dans les éboulis de kaolin, et on revenait par les champs le long de la propriété, en rentrant on passait se baigner dans le bain à chevaux, ou on regardait les filles jouer dans le parc. Noémie, Elvire. Et le patron dans son bureau. Cachés derrière les chênes on poussait des cris d’animaux. Jusqu’au jour où Isaïe, le garde-chasse nous a calmé les mollets d’un coup de gros sel, lointain, mais précis. Joseph lui, il ne regardait pas pareil.
… Il fallait devenir chevreuil se faire étroit dans le taillis jusqu’où l’œil devine le passage à la mousse lissée sur le haut d’une murette, au dernier moment le ruisseau franchi au-dessus de sa bluette un rien plus sonore entre deux rochers. C’étaient traverses, faux cairns de souches éclatées impasses et retours espacés de jurons… Je me guidais sur le pignon de la masure et c’est au dernier moment que je le découvris, le corps appuyé sur la grille du jardin, immobile et fixant sous la toiture la ligne de fenêtres de l’étage. Avant que je ne l’aie reconnu et sans tourner la tête il avait murmuré - C’est toi ? Tu vois, j’attends la pluie. Et il m’avait raconté.
- … front il avait été gazé au phosgène. Déjà qu’il n’était pas brillant. Mais dur au mal et pas lourdaud, il s’était mis dans les charpentes et les couvertures. La première fois, c’est Elvire qui l’a appelé. - une espèce de sycomore mal tanqué qu’une tempête a déraciné et passé à travers la toiture. La maison, il y avait moins d’argent. Mal chauffée, des courants d’air. Encore éclairée aux lampes à pétrole. Beaucoup de pièces fermées. Elvire vivait côté levant, à l’opposé du bureau du patron, à gauche du grand escalier et qui avait deux fenêtres qu’on voyait rarement ouvertes. Elvire ce n’était pas… Non, pas le genre. Plutôt une bourgeoise insouciante. Joseph lui il ne regardait ...
… jour de chaud, il approchait de la fin, il restait les chenaux, c’est tout, Elvire a demandé à Joseph s’il avait déjà trompé sa femme. Je ne sais pas mentir avec ces choses-là, il avait dit. Jeanne, je lui fais ça, elle le voit tout de suite. C’est écrit, là. Elvire parfois, prenait les joues rouges. Ou sortant devant la porte au barreaudage compliqué, regardait là-haut Joseph penché sur son travail. (passage illisible). Il est rentré il était comme fou. Il s’est trempé jusqu’aux cheveux en passant par le bain à chevaux. C’est un peu après, il s’est mis à tousser comme un âne qui brait, il a pris les fièvres et quelques jours...
… il est revenu du sana – c’est là que je l’ai retrouvé un soir contre la grille, Elvire elle ne sortait déjà plus. La journée on ouvrait les volets de la fenêtre à l’est… et de temps en temps quelqu’un à la cuisine. Un peu de fumée. Dans le jardin l’herbe qui poussait. Un soir à la fenêtre on a vu une religieuse, habit gris avec la cornette, qui fermait les volets. Joseph revenait quand même, il s’appuyait contre la grille du jardin, et il regardait la porte d’entrée, avec l’imposte et la traverse qui marquaient comme une croix blanche au milieu du barreaudage et les fenêtres qui ne s’ouvraient plus.
Il attendait la pluie.
Inexplicablement on retrouva dans les papiers d’Elvire une liasse de pages arrachées au carnet de Simon, dans le plus grand désordre et bien souvent illisibles d’avoir été pliées dépliées et relues.
… dépassé la bosse d’un champ de cameline par la boue d’une ornière moirée d’huile, traversé une sorte de narce, guidé au loin par une haie d’arbres encore indécis, certains les branches nues où se posaient entre les boules de gui des vols d’étourneaux. Tel arbre se gansait en brun d’un duvet de jeune fille, tel autre déjà de verts frais et anisés, ou se teignant de cuivre dans la lumière du soir. Des sentes partout qui parlaient de furetages et d’amours animales…
… était maçon, Joseph devait l’aider le soir. Après on se retrouvait tous à la carrière pour user nos culottes dans les éboulis de kaolin, et on revenait par les champs le long de la propriété, en rentrant on passait se baigner dans le bain à chevaux, ou on regardait les filles jouer dans le parc. Noémie, Elvire. Et le patron dans son bureau. Cachés derrière les chênes on poussait des cris d’animaux. Jusqu’au jour où Isaïe, le garde-chasse nous a calmé les mollets d’un coup de gros sel, lointain, mais précis. Joseph lui, il ne regardait pas pareil.
… Il fallait devenir chevreuil se faire étroit dans le taillis jusqu’où l’œil devine le passage à la mousse lissée sur le haut d’une murette, au dernier moment le ruisseau franchi au-dessus de sa bluette un rien plus sonore entre deux rochers. C’étaient traverses, faux cairns de souches éclatées impasses et retours espacés de jurons… Je me guidais sur le pignon de la masure et c’est au dernier moment que je le découvris, le corps appuyé sur la grille du jardin, immobile et fixant sous la toiture la ligne de fenêtres de l’étage. Avant que je ne l’aie reconnu et sans tourner la tête il avait murmuré - C’est toi ? Tu vois, j’attends la pluie. Et il m’avait raconté.
- … front il avait été gazé au phosgène. Déjà qu’il n’était pas brillant. Mais dur au mal et pas lourdaud, il s’était mis dans les charpentes et les couvertures. La première fois, c’est Elvire qui l’a appelé. - une espèce de sycomore mal tanqué qu’une tempête a déraciné et passé à travers la toiture. La maison, il y avait moins d’argent. Mal chauffée, des courants d’air. Encore éclairée aux lampes à pétrole. Beaucoup de pièces fermées. Elvire vivait côté levant, à l’opposé du bureau du patron, à gauche du grand escalier et qui avait deux fenêtres qu’on voyait rarement ouvertes. Elvire ce n’était pas… Non, pas le genre. Plutôt une bourgeoise insouciante. Joseph lui il ne regardait ...
… jour de chaud, il approchait de la fin, il restait les chenaux, c’est tout, Elvire a demandé à Joseph s’il avait déjà trompé sa femme. Je ne sais pas mentir avec ces choses-là, il avait dit. Jeanne, je lui fais ça, elle le voit tout de suite. C’est écrit, là. Elvire parfois, prenait les joues rouges. Ou sortant devant la porte au barreaudage compliqué, regardait là-haut Joseph penché sur son travail. (passage illisible). Il est rentré il était comme fou. Il s’est trempé jusqu’aux cheveux en passant par le bain à chevaux. C’est un peu après, il s’est mis à tousser comme un âne qui brait, il a pris les fièvres et quelques jours...
… il est revenu du sana – c’est là que je l’ai retrouvé un soir contre la grille, Elvire elle ne sortait déjà plus. La journée on ouvrait les volets de la fenêtre à l’est… et de temps en temps quelqu’un à la cuisine. Un peu de fumée. Dans le jardin l’herbe qui poussait. Un soir à la fenêtre on a vu une religieuse, habit gris avec la cornette, qui fermait les volets. Joseph revenait quand même, il s’appuyait contre la grille du jardin, et il regardait la porte d’entrée, avec l’imposte et la traverse qui marquaient comme une croix blanche au milieu du barreaudage et les fenêtres qui ne s’ouvraient plus.
Il attendait la pluie.
Inexplicablement on retrouva dans les papiers d’Elvire une liasse de pages arrachées au carnet de Simon, dans le plus grand désordre et bien souvent illisibles d’avoir été pliées dépliées et relues.
'toM- Nombre de messages : 289
Age : 68
Date d'inscription : 10/07/2014
Re: En attendant la pluie
Quel texte magnifique ! J'ai pensé à L'iris de Suse, un des plus beaux romans de Giono. Ton écriture a une densité poétique, des respirations, et puis ces ellipses ! Cette façon de créer des vides me rappelle l'aquarelle où le blanc du papier structure la couleur et est presque plus important ...
Tes personnages à peine esquissés et pourtant si singuliers, si vivants...
Whaa, je suis éblouie !
Et en plus j'ai appris de nouveaux mots ( et c'est pas fréquent !) " narce", " caméline".
Ce texte est un bijou, 'toM !
Tes personnages à peine esquissés et pourtant si singuliers, si vivants...
Whaa, je suis éblouie !
Et en plus j'ai appris de nouveaux mots ( et c'est pas fréquent !) " narce", " caméline".
Ce texte est un bijou, 'toM !
coline dé- Nombre de messages : 353
Age : 25
Date d'inscription : 24/12/2019
Re: En attendant la pluie
Texte immersif, on en viendrait à souffler la poussière sur l'écran dans l'espoir d'accéder aux parties illisibles.
Bravo pour ces ellipses qui encadrent et mettent en valeur chaque paragraphe. C'est court mais dense, le vocabulaire est précis, et quelques explétions ou phrases nominales donnent une oralité qui rend le tout extrêmement crédible.
Lecture très plaisante, merci pour ce partage.
Bravo pour ces ellipses qui encadrent et mettent en valeur chaque paragraphe. C'est court mais dense, le vocabulaire est précis, et quelques explétions ou phrases nominales donnent une oralité qui rend le tout extrêmement crédible.
Lecture très plaisante, merci pour ce partage.
Hop-Frog- Nombre de messages : 614
Age : 36
Date d'inscription : 11/04/2012
Re: En attendant la pluie
ça fait un choc! quel bijou! quelle réussite! vraiment magnifique mais c'est terrible d'avoir l'équivalent d'un roman de Hardy dans les trous, les interstices de ton texte!
On veut la totalité de l'histoire, des ressentis, de tout!! et en même temps, on sait bien que ça casserait la magie .... Alors on le garde comme ça, exactement. Merci
On veut la totalité de l'histoire, des ressentis, de tout!! et en même temps, on sait bien que ça casserait la magie .... Alors on le garde comme ça, exactement. Merci
obi- Nombre de messages : 576
Date d'inscription : 24/02/2013
Re: En attendant la pluie
Colline qui me parle de Giono, tu penses si je fonds....
Les explétions, il faut que je me renseigne. Les phrases, l'oralité dans le corps du texte, 1000 fois oui.
Ce texte, ce sont ces phrases avec des didascalies un peu longues autour.
Sympas, vos commentaires. Obi je serais bien incapable de remplir les trous sans me prendre les pieds dans un tapis ou une racine.
Et puis je crois à la promesses des ébauches.
Les explétions, il faut que je me renseigne. Les phrases, l'oralité dans le corps du texte, 1000 fois oui.
Ce texte, ce sont ces phrases avec des didascalies un peu longues autour.
Sympas, vos commentaires. Obi je serais bien incapable de remplir les trous sans me prendre les pieds dans un tapis ou une racine.
Et puis je crois à la promesses des ébauches.
'toM- Nombre de messages : 289
Age : 68
Date d'inscription : 10/07/2014
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