L’art de l’esquive
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L’art de l’esquive
L’art de l’esquive.
A midi, sous un ciel d’été, les montagnes. Au fond d’une vallée, le village. Depuis la place, une rue qui monte. A mi-côte, un tilleul en fleurs. Et sous l’arbre, une fontaine.
C’est un ancien abreuvoir. A présent, le bassin est plus petit, cinquante centimètres de côté. Autant de profondeur. Ses bords en granit ont l’épaisseur d’une main. Un tuyau tordu crachote une eau glacée, dont une partie coule en silence sur la mousse du mur. L’autre partie tombe au milieu du bassin en éclaboussures sonores. Quelques gouttes rejaillissent parfois jusqu’à la rue. Mais seuls les bords et l’intérieur du bassin restent mouillés en permanence.
Quatre guêpes bourdonnent. Mi ombre, mi soleil, elles volent sous le tilleul. Elles s’approchent de la fontaine pour boire.
La première se pose sur le pavé de la rue, au bord d’une goutte échappée. Mais le soleil est plus rapide, et la goutte s’évapore avant qu’elle puisse boire. Une autre tombe, tout prêt. Escaladant un gravier, contournant une brindille, la guêpe rampe vers elle. Mais le temps de s’y mouiller les pattes, la nouvelle goutte disparaît encore. Et la course recommence, de goutte en goutte, sans jamais pouvoir étancher la soif de la guêpe. Elle repart, essaye plus loin, toujours sur le pavé. Elle s’égare.
La deuxième se risque face au tuyau. Suspendue en l’air. Immobile, ailes invisibles, cherchant le meilleur endroit pour se poser. Mais le tuyau est trop court. Aucun atterrissage possible. Et elle ne résisterait pas à la force du jet. Elle se déplace légèrement, à droite, à gauche, examinant le filet d’eau sous tous les angles. La guêpe flotte là, s’épuisant à voler pour rien.
La troisième s’installe sur la margelle mouillée. Le temps de replier ses ailes. Elle est aussitôt assommée par les gouttes jaillissant sans arrêt du bassin. Presque noyée, chancelante, la guêpe décolle lourdement pour un ailleurs sans danger.
La dernière guêpe vole toujours, au gré des mouvements d’air sous le tilleul. En petits cercles, elle descend vers la fontaine, se tenant loin du tumulte de l’eau. Elle se pose sur la paroi extérieure du bassin. S’accrochant à la pierre, elle grimpe pour atteindre l’angle de la margelle. Mais elle ne va pas plus loin. Elle reste là, cramponnée à la verticale. Au sec. Puis, millimètre par millimètre, la guêpe avance sa tête au dessus du rebord luisant. Juste ce qu’il faut pour atteindre le liquide espéré sans être mouillée. Son abdomen balance en douceur. A l’abri des gouttes, lentement, elle boit.
A midi, sous un ciel d’été, les montagnes. Au fond d’une vallée, le village. Depuis la place, une rue qui monte. A mi-côte, un tilleul en fleurs. Et sous l’arbre, une fontaine.
C’est un ancien abreuvoir. A présent, le bassin est plus petit, cinquante centimètres de côté. Autant de profondeur. Ses bords en granit ont l’épaisseur d’une main. Un tuyau tordu crachote une eau glacée, dont une partie coule en silence sur la mousse du mur. L’autre partie tombe au milieu du bassin en éclaboussures sonores. Quelques gouttes rejaillissent parfois jusqu’à la rue. Mais seuls les bords et l’intérieur du bassin restent mouillés en permanence.
Quatre guêpes bourdonnent. Mi ombre, mi soleil, elles volent sous le tilleul. Elles s’approchent de la fontaine pour boire.
La première se pose sur le pavé de la rue, au bord d’une goutte échappée. Mais le soleil est plus rapide, et la goutte s’évapore avant qu’elle puisse boire. Une autre tombe, tout prêt. Escaladant un gravier, contournant une brindille, la guêpe rampe vers elle. Mais le temps de s’y mouiller les pattes, la nouvelle goutte disparaît encore. Et la course recommence, de goutte en goutte, sans jamais pouvoir étancher la soif de la guêpe. Elle repart, essaye plus loin, toujours sur le pavé. Elle s’égare.
La deuxième se risque face au tuyau. Suspendue en l’air. Immobile, ailes invisibles, cherchant le meilleur endroit pour se poser. Mais le tuyau est trop court. Aucun atterrissage possible. Et elle ne résisterait pas à la force du jet. Elle se déplace légèrement, à droite, à gauche, examinant le filet d’eau sous tous les angles. La guêpe flotte là, s’épuisant à voler pour rien.
La troisième s’installe sur la margelle mouillée. Le temps de replier ses ailes. Elle est aussitôt assommée par les gouttes jaillissant sans arrêt du bassin. Presque noyée, chancelante, la guêpe décolle lourdement pour un ailleurs sans danger.
La dernière guêpe vole toujours, au gré des mouvements d’air sous le tilleul. En petits cercles, elle descend vers la fontaine, se tenant loin du tumulte de l’eau. Elle se pose sur la paroi extérieure du bassin. S’accrochant à la pierre, elle grimpe pour atteindre l’angle de la margelle. Mais elle ne va pas plus loin. Elle reste là, cramponnée à la verticale. Au sec. Puis, millimètre par millimètre, la guêpe avance sa tête au dessus du rebord luisant. Juste ce qu’il faut pour atteindre le liquide espéré sans être mouillée. Son abdomen balance en douceur. A l’abri des gouttes, lentement, elle boit.
Arno Body- Nombre de messages : 1
Age : 66
Localisation : Sud
Date d'inscription : 26/01/2022
Re: L’art de l’esquive
Pas mal du tout ! J'aime beaucoup la précision extrême de la description et de l'ensemble du récit.
Juste une petite critique de vraisemblance (je pinaille toujours là-dessus) : la scène doit se passer à Djibouti pour que les gouttes d'eau s'évaporent sur le sol avant que la malheureuse guêpe ait eu le temps de boire...et le reste de la scène ne laisse pas imaginer un climat caniculaire.
On dirait une fable malicieuse sur la façon de prendre les choses pour arriver à ses fins (une tangente), mais sans morale lourdaude.
merci pour le plaisir de la lecture et bienvenue dans cet espace où nous pratiquons facilement la distanciation sociale...
Juste une petite critique de vraisemblance (je pinaille toujours là-dessus) : la scène doit se passer à Djibouti pour que les gouttes d'eau s'évaporent sur le sol avant que la malheureuse guêpe ait eu le temps de boire...et le reste de la scène ne laisse pas imaginer un climat caniculaire.
On dirait une fable malicieuse sur la façon de prendre les choses pour arriver à ses fins (une tangente), mais sans morale lourdaude.
merci pour le plaisir de la lecture et bienvenue dans cet espace où nous pratiquons facilement la distanciation sociale...
Re: L’art de l’esquive
Seyne a raison : on pourrait chipoter sur la vraisemblance du récit. Il est bien mené, très agréable à lire.
Finalement la vraisemblance n'a plus tellement d'importance si on lit ce morceau comme une métaphore de l'existence humaine. Les guêpes ont une capacité de nuisance certes mais aussi une volonté d'arriver à leurs fins et des espoirs difficiles à combler. Les plus avisées y parviennent parfois....
Merci
Finalement la vraisemblance n'a plus tellement d'importance si on lit ce morceau comme une métaphore de l'existence humaine. Les guêpes ont une capacité de nuisance certes mais aussi une volonté d'arriver à leurs fins et des espoirs difficiles à combler. Les plus avisées y parviennent parfois....
Merci
obi- Nombre de messages : 566
Date d'inscription : 24/02/2013
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