baba

Tu biaises ta fatigue
dans des étendues d’herbe sèches
entre les garages et les entrepôts,
les voies royales.
Tu n’es qu’un archer sans arc, flèche à la main.

Tu fais vibrer à sa pointe,
un œil fermé,
l’éclat de platine du ciel muet.

Tu voudrais modifier les interactions
aller jusqu’au sentier des douaniers
mais il n’y a pas de rivage.
L’horizon est plaqué de paperasses.

Et chacun va son chemin
un gobelet à la main
comme un curiste muni de son eau tiède,
et rien n’est près de changer.

C'est parfois un travail d'archéologue que de lire la poésie. Depuis le temps j'y ai pris goût. Comme de lire des journaux étrangers. Ne pas être sûr, loin de là, du sens, aimer s'y perdre, savoir qu'on n'aura pas la solution en retournant le magazine à l'envers. Entre le "ciel muet" et "l'horizon" (tiens ...), je me perds un peu dans le vide, sinon, c'est plein de points d'accroches.

(Baba si je ne me trompe, c'est le nom du père au Moyen-Orient ? - je suis déjà presque trop curieux)

Il y aurait un parallèle à faire entre nos deux commentaires sur nos deux poèmes. La question de la "compréhension" du poème par le lecteur, ce qu'il y saisit du propos ( délibéré ou non) de l'auteur, ce qu'il y instille de son propre vécu, ce qui est résonance, rêverie...
Dans ton poème tu est inspiré par quelque chose que ton lecteur ne connaît pas, tu glisses un indice. Pour autant, la référence m'est restée tout à fait opaque, à part le résultat d'une recherche sur Google. Mais la beauté du poème, la richesse des représentations, l'angoisse vague et la nostalgie qu'il convoque , son mystère, me satisfont tout à fait.

Mon poème ne se prête pas beaucoup à l'archéologie car il est construit à partir du hasard : 10 mots non choisis dans un dictionnaire selon le jeu que nous avait proposé un des intervenants du forum il y a un moment. Le poème, je l'ai écrit avec effort, attendant, espérant qu'il prenne pour moi une unité de sens, au fur et à mesure. Il m'a conduit au sentiment d'enfermement que je ressens souvent dans le monde tel qu'il va, mais je ne sais pas si un lecteur peut également le ressentir.
J'aurais pu présenter dès le départ la contrainte du poème, mais je n'avais pas envie qu'on cherche les "mots" en le lisant et j'avais envie de laisser le lecteur dans l'étrangeté qui l'imprègne forcément.

baba est un des mots imposés. Je l'ai choisi pour titre à cause de la multiplicité des images qu'il évoque pour moi : un gâteau un peu mou, un nostalgique fatigué du flower power, une grand-mère russe à la silhouette engoncée mais toujours courageuse.

...et aussi j'oubliais : " j'en reste baba".

Le poème dans son ensemble traduit l'irrémédiable inconsistance de la relation au monde, tandis que son titre manifeste une forme d'hébétude face à cette situation. C'est à travers un réseau de contradictions insolubles que s'éprouve le point mort de la perspective. À l'ouverture envisagée répond implacablement la fermeture. Que manque-t-il pour se construire un futur, se fixer un cap et s'y tenir ? De la volonté ? Du courage ? Il est certes plus confortable de continuer à se croire en thalasso que se coltiner le réel, qu'envisager de renoncer à quoi que ce soit. Le passage de "Tu" (qui peut aussi bien désigner la locutrice elle-même qu'interpeller son lectorat) à "chacun" - généralise le propos à une communauté humaine confrontée aux douloureux enjeux de la modernité.

Merci pour ce partage !

Je n'avais pas vu ton commentaire, merci !
Oui, c'est bien de cela qu'il s'agit et je mesure ma préoccupation au fait que ce thème ait surgi dans un poème aux contraintes serrées...

Je viens d'assister à une présentation et un débat avec Roland Gori autour de son film. Ces questions de la "servitude volontaire" dans laquelle nous enferme la poigne de velours de la "modernité" néo-libérale...et comment résister, reconstruire autre chose, exister ?
Il donnait une place importante à la poésie, et aussi à la compétence que chacun se connaît dans son métier