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Message  'toM Ven 24 Mar 2023 - 17:19

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. J’ai pu visiter sa chambre dans la maison des parents. Une pièce partagée entre les deux sœurs. Elle et Paule.
Paule m’a fait visiter la maison, contrainte et forcée qu’elle est maintenant de la mettre en vente. Au mur, les portraits des deux jeunes femmes, photographiées à l’époque par Visconti. Paule, jolie aussi, qui regarde en souriant vers le photographe. Charnelle, enjôleuse. Elle, elle regarde au loin. Elle idéalise. Profil d’héroïne, Ava Gardner, Katherine Hepburn, Garbo.
Paule disait qu’on la surnommait Choute, avec les copains du voisinage, parce que c’était la préférée des parents.
Mais, toujours, cette ride en travers du front, qui retient son bonheur.


. Son père avait parlé à F. d’une ballade en vélo un jour à la campagne avec celle qui deviendrait sa mère. Les copains. Elle en robe légère, s’affairant à tenir décente la position du vêtement au-dessus des genoux.
« - Je la suivais. Je regardais sa silhouette, son style. Son assise, la selle, le guidon. Le dos droit. Est-ce que je ne pourrais pas l’aider à passer la montée au bout de la ligne droite ? M’enhardir ? Simplement poser la main à la jonction du dos et des lombaires et pédaler pour deux comme si de rien n’était. Mais c’était Armando, pendant que j’étais encore à hésiter, qui avait devancé mon geste. Armando, 96kg une livre de pâtes tous les midis, une 4CV qui sentait le vieux pet...
S. avait regardé son fils d’un air perplexe, si longtemps après il ne comprenait toujours pas. « -Et elle lui avait souri. »


. J’ai récupéré l’enregistrement. Une cassette, vaguement audible ; un micro minable, à la fin d’un repas de famille. Un peu dans le désordre, mais toute sa tête encore, elle parlait d’Alger, des citronniers et des odeurs de jasmin. Des quartiers où on pouvait se promener, ou pas.
De son mariage. Du dévolu. Ils avaient fait les mêmes études. Elle, une des seules femmes. Avec la conscience de ce qu’elle aurait pu faire, et sans doute mieux qu’eux, plus haut, plus loin. Sûre d’elle-même, d’y arriver.
Mais S. avait décidé, sa femme ne travaillerait pas. Alors elle avait rangé ça, avec ses diplômes, dans une petite sacoche, dans l’armoire. Et ils étaient partis deux ans à Alger.
Mieux, plus haut, plus loin, sans doute. « -Mais ce n’aurait pas été que ce qu’on attendait de moi. »
Soixante ans plus tard et alors qu’elle allait tous les jours sur la tombe de son mari, elle n’avait pas manqué de le dire. Avec l’odeur des citronniers et du jasmin.


. J’ai rencontré l’infirmier du service de soins à domicile qui les avait assistés les dernières semaines. Quand l’affection n’avait plus suffi à résoudre les problèmes ... techniques, disons techniques.
«  - Courageuse cette famille. Inconscients mais courageux. Ils ont tenu bon. Comme quoi les « valeurs », ça s’incruste… Imaginez le bol de porridge du matin. Une bonne demi-heure et de la bouillie un peu partout. Elle relit haut et fort pour la quinzième fois l’étiquette sur la bouteille de lait. Puis parfois éteinte toute la journée. Le cerveau les volets fermés ».
F. m’avait parlé de cette expression « les volets fermés ». Et de la nuit les yeux ouverts sur des silhouettes dans le souvenir qui s’efface.
« Elle a usé quelques aides-soignants de toutes les couleurs. Griffé les peaux jusqu’au sang. Les a traités de salauds de merdeux. Mais elle est morte chez elle. Dans sa chambre, au milieu du respect et de toute une pharmacie. Les boîtes les tubes. L’aspiration, les sacs. Des sacs partout. Et tout était périmé… Pas tout, non. Pas les valeurs. »
J’ai vu sa photo avant la mise en bière. Un visage lisse et calme, qui ne lui ressemblait pas. Au bout de l’effacement.


Quand ses petits-enfants lui avaient demandé son plus ancien souvenir, elle avait parlé des petits papiers chiffonnés. Son père qui travaillait à son bureau, sérieux parmi les sérieux. Elle, assise sagement à côté, jouant sur le tapis. Quelques boules de papier glanées dans la corbeille, dépliées, étalées, classées. Avec une science d’enfant. Quand son père l’avait vue, il s’était levé, sévère, désapprobateur. Avait rejeté les feuillets dans la corbeille en fil de fer grillagé.
Elle n’avait pas pleuré. S’était peut-être juste mordu les lèvres.
Mais toute sa vie elle avait gardé cette misère, coincée à la racine de la mémoire comme un pied dans une porte. Le renoncement.


F., sur le tard, s’était décidé d’engager un secrétaire - « pour gérer les affaires courantes... ». Il m’embaucha, moi et mes « solides références... ».
«- Je vous emmène, on fait le tour de la maison. » J’avais tout de suite été frappé par cette photographie sur le piano. « - Ma mère. » Frappé? Fasciné, plutôt.
Un jour j’ai du demander à F. de choisir une photographie de sa mère. « La » photographie. Celle dont il ne se séparerait à aucun prix.
Elle se tient debout, un jour de printemps, en haut du perron. Il fait beau. Elle porte une robe de Vichy bleu, elle tient son fils dans les bras. Heureuse ? Elle sourit. C’est tout l’épanouissement d’une journée de printemps ce sourire. Le bébé sourit aussi, cette journée s’annonce bien, cette vie, aussi. Je vois l’actrice. Katharine, Ava, coiffure années cinquante. - Je ne sais pas pourquoi, m’avait-il dit, cette photo je ne l’aurais pas choisie sans la robe de Vichy bleu.


J’avais rangé dans une chemise cartonnée ces quelques feuilles de notes prises à temps perdu. Enquête discrète sur une présence absente, qui fût l’objet de ma part, je m’en aperçois maintenant, d’une sorte de ferveur, de déférence, par portraits interposés.
Le dossier était rangé dans un tiroir personnel, de sorte que F. n’en prenne jamais connaissance, je ne sais ce qu’il en aurait pensé. Je regrette de n’avoir pu y joindre la photo car bien au-delà de ce que j’avais pu écrire, tout était là.
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Message  seyne Mar 28 Mar 2023 - 14:38

C'est vraiment très intéressant, juste. Il faut le lire plusieurs fois pour repérer les places, les époques, les voix, et singulièrement celle du narrateur... et comme on dit : "d'où il parle".

Le questionnement se dessine en creux, comme la silhouette de l'absente, sa vie intérieure, devinée. Une forme d'empathie qui s'appuie sur les vivants pour faire renaître une morte, un destin de femme, une belle femme.

Ce qui est intéressant c'est le côté clandestin, parcellaire, de cette recherche, presque interdite, et le fait que le portrait n'est pas dans la fascination .

Un truc m'a gênée (toujours cette manie de la vraisemblance) : à quelle occasion ce secrétaire-confident a-t-il été amené à rencontrer l'infirmier du SAD ? En principe les personnes qui accompagnent un mourant disparaissent après sa mort. Il faudrait trouver quelque chose.

Enfin, des broutilles, on va "à" vélo (ma mère me disait : tu ne rentres pas dans ton vélo) et il me semble qu'on doit plutôt dire : : "se décider à "
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Message  'toM Dim 2 Avr 2023 - 11:28

Merci. J'ai bien aimé travailler cette forme. C'est méticuleux. Choisir le personnage, trouver la part de réel et de fictif, adopter les points de vues. S'il ne reste que l'infirmier comme invraisemblance, c'est plutôt bien. D'autant qu'il est plausible. Complètement étranger au secret professionnel, mais plausible, un brave infirmier de quartier à qui on raconte un peu sa vie en faisant un prélèvement ou un vaccin et qui va rebondir sur autre chose que la météo. Bon, fictif, d'accord...
Je crois que je reviendrai sur ce thème. Il suffit d'attendre le personnage. Tiens, toi, par exemple....
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