Tables
2 participants
Page 1 sur 1
Tables
Affamée! Voilà ce que j'aurais aimé être encore : affamée. Mais la lumière de la table m'avait quittée depuis longtemps. Pourquoi? Est-ce une question que l'on se pose? Peut-être faut-il juste ouvrir les mains, laisser couler....Boulimie, anorexie sont-ils les écueils inévitables de toute vie? Espérer sans repos la satiété n'est pas moins douloureux que quitter la table le coeur en nausée. Presque vingt ans après ma rupture, j'ai encore des angoisses, des folies qui me jettent à genoux dans des églises.
Chaque heure, la sonnerie de fin des cours ou celle des alertes de confinement remplace la cloche paisible du couvent. Pourquoi avoir renié plus de quinze ans de prières, de soumission, d'espoir? S'il est un travers que la mère supérieure m'avait reproché dès mon arrivée, c'était bien l'orgueil. Celui de vouloir penser par moi-même. "Remettez-vous entre les mains de Dieu ma fille. Ayez confiance. Priez, ne cessez jamais de prier." Dieu, s'il existait, savait combien j'avais prié, combien je priais encore. Pourtant je n'abdiquais pas et très au fond de moi, la petite voix qui restait moi après ce fiasco me répétait : "Ce n'est pas de ta faute. Tu devais le faire."
Je ne regrettais rien. Je ne regrettais pas Alex, la vie douce, bonne, que nous aurions eue. Je l'avais fait pleurer beaucoup. J'avais pleuré plus encore. Prier et douter toujours. Avais-je bien fait ce que je devais faire? Il n'y a pas de meilleur bourreau de soi que soi-même. L'image de la table des noces s'imposa encore une fois à moi. Celle de ma cousine, celle de ma soeur aussi. On m'avait laissé sortir du couvent pour marier ma jumelle. J'étais encore novice alors. Rien n'était définitif. Et la voix de mon tourment n'avait cessé de me chuchoter : "Ouvre les yeux, regarde, emplis-toi. Tu pourrais être à sa place." C'était plausible, tellement plausible que, quittant la table avant la pièce couronnée, j'avais fini par m'évanouir dans un coin du jardin. Après l'affolement général, comme je faisais la fière pour rassurer l'assemblée, ma soeur et Alex avaient plaisanté gentiment : "Tu as raison de nous parler sans cesse des banquets du Seigneur. L'expérience de la bonne chère est sans doute moins digeste que celle de la chair du Christ!" Pleine de contrition, j'étais retournée au couvent. Petit à petit l'oeuvre du malin ou celle de mon bon sens avait fini par me détacher de presque tout. Quelques années de lutte plus tard, j'avais abandonné l'habit et plus de la moitié de ma vie.
J'ai eu faim d'autre chose. Puis ces autres choses m'ont à leur tour déçue. Mais je reste plus que jamais reliée aux autres. Je crois l'être davantage à moi-même. J'espère qu'un jour je saurai si j'ai eu raison. Ou tort. Depuis longtemps une phrase ne me quitte plus. L'ai-je entendue, lue quelque part ou rêvée? La lumière affame ceux que l'expérience déçoit.
obi- Nombre de messages : 566
Date d'inscription : 24/02/2013
Re: Tables
J'ai buté sur ce texte, pas par manque d'intérêt, au contraire, mais à cause de sa complexité.
Je crois que d'abord il y a le mouvement de recul que je ressens devant un certain type de piété féminine, l'hystérie que j'y perçois (les "belles âmes") : la recherche d'un idéal sublime qui ressemble à des belles histoires qu'on se raconte. C'est présent dans le texte, tout comme l'amertume et les doutes que laisse ensuite la désillusion.
Mais le plus intéressant n'est pas cela, c'est plutôt la métaphore de la table, les aliments du corps et ceux de l'âme, la faim de lumière, c'est étonnant. On voit une femme la bouche grande ouverte comme pour avaler un vide lumineux. Thérèse peut-être ?
et le retour au monde semble plein de questionnements, mais plus vrai aussi.
Je crois que d'abord il y a le mouvement de recul que je ressens devant un certain type de piété féminine, l'hystérie que j'y perçois (les "belles âmes") : la recherche d'un idéal sublime qui ressemble à des belles histoires qu'on se raconte. C'est présent dans le texte, tout comme l'amertume et les doutes que laisse ensuite la désillusion.
Mais le plus intéressant n'est pas cela, c'est plutôt la métaphore de la table, les aliments du corps et ceux de l'âme, la faim de lumière, c'est étonnant. On voit une femme la bouche grande ouverte comme pour avaler un vide lumineux. Thérèse peut-être ?
et le retour au monde semble plein de questionnements, mais plus vrai aussi.
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum