MARIAGE : Nos noces à ronger

Nos noces à ronger.

Nous arrivons à Falaise en long ruban effiloché, l'événement n'est pas du goût de tout le monde. J'ouvre la marche. Comme il se doit dans le néandertal (riante petite vallée située entre Dusseldorf et Wuppertal nous apprend Wikipédia) en pareille circonstance, c'est le marié qui mène son clan à la cérémonie. En tête du cortège, les pacifistes me pressent, ils voient là une occasion d'en finir avec les sempiternelles querelles de voisinage qui nous opposent à ces prétentieux retranchés ; les bellicistes sentent ce mariage comme une gêne à venir dans les règlements de comptes brutaux avec ces pouilleux mesquins, alors ça traîne les pieds. Et tout mon clan s'étire bon gré mal gré sur le chemin qui mène à l'imprenable cité des Granpanaches. Leur guetteur, qui lui se doit d'épier tout ce qui bouge, signale notre approche à grands cris :
Les P'tipanaches au grand complet débarquent chez les Granpanaches pour enlever une de leurs filles.
Nos deux groupes sont issus d'une même souche, seulement voilà, l'histoire et des interprétations différentes de la coutume nous ont séparés. C'est comme des lointains cousins qui habiteraient tout près ; on se mélange rarement. Mais comme on a de plus en plus de cons (trefaits) dans nos rangs, il faut un sang neuf à la tribu ; et puis de toute façon, Jiih est plus mignonne que les filles de chez nous, plus coquette, plus subtile que les deux soeurs malpropres qui me courent après et passent leur temps à glousser en me foutant des coups d'coude. Et Jiih est bien contente de fuir officiellement les primates qui la courtisent à Falaise, il fallait se décider, chez elle comme chez moi. Jiih et moi, on est capables de rester ensemble sans rien dire et que ça gène pas, alors on pense que ça veux dire...
Les vieux qui se réservent ce rôle ont palabré, marchandé, j'ai taillé une pirogue pour son père -qui s'est déjà foutu à l'eau il a fallu que j'aille le rechercher- la mère a eu ses cinq vessies d'oeufs de saumons à s'en rendre malade et ses plumes rouges qui m'ont coûté la peau des fesses, et on a fixé la date, aujourd'hui.
Le seul problème c'était lequel des deux chamans allait nous unir. Ça a été vite réglé, le nôtre, chez nous à Berge, il voulait se faire Jiih avant de me la confier pour le meilleur et pour le pire, pour l'introduire dans notre tribu, disait-il ; ce saligaud a déjà fait le coup. Jiih et moi on a un peu forcé pour que les Granpanaches soient intraitables, coutume-coutume sinon rien, Jiih ne pouvait quitter son clan autrement que dans les formes de son clan, chez eux, avec leur homme-médecine, qui est nettement plus accommodant que le nôtre. Je lui assure pour ce service du poisson séché une fois par semaine pour l'année à venir.
Bref.
Le temps que les dernières mauvaises volontés rejoignent le gros des troupes, on est tous sur l'esplanade, épouillés, coiffés, récurés, tous en tenue d'apparat, le vêtement de nos meilleures peaux et le signe d'appartenance tribale : eux tous avec leur puante queue de renard sur la braguette, nous nos élégantes queues d'écureuil pendues à la ceinture. S'ils avaient des colliers de griffes d'ours et nous des pectoraux d'écaille, les rapports seraient plus faciles, on serait franchement différents, mais cette histoire de grande ou de petite queue, ça roule trop de sous-entendus. Jiih m'a bien confirmé que ça ne traduisait évidemment pas systématiquement la réalité, mais tout d'même, ils en profitent toujours un peu pour se foutre de notre gueule. Jiih a droit à des blagues salaces comme quoi elle est miraude, qu'elle ne sait pas ce qu'elle perd, tout y passe. Le chef Granpanache calme le jeu quand il sent que ça commence à en échauffer des de chez nous.
Les salutations, les échanges rituels, nos poissons contre leurs oeufs « Oh merci, juste ce que je voulais, comme c'est aimable i fallait pas, non-non, ça m'fait plaisir » à n'en plus finir. Puis leur chef active les choses, il le joue très classe bras ouverts :
- Ehrr, jeune P'tipanache, tu cherches femme, et c'est chez nous Granpanaches que tu trouves. Notre fille Jiih est ton choix et nous en sommes tous fiers et même un peu jaloux, mais tu nous fais honneur.
- Le chef des Gropanaches sera désormais comme un père pour le Finpanache qui lui enlève sa fille.
Le chef grimace, il a compris le glissement de sens dans les noms, et quelques autres du clan ont aussi saisi la nuance, mais ils peuvent difficilement relever l'affront sans se lancer dans une argutie sémantique, ils sont un peu pris de court et c'est pas vraiment le moment. Le chef passe le relais au chaman avec la répugnance de celui qui l'a dans l'cul, mais derrière son sourire crispé, ses yeux disent clairement qu'on en reparlera. Bon, c'est vrai que c'était pas malin de ma part, ça m'a échappé, j'ai pas pu m'empêcher. D'accord, c'est pas une excuse, mais ça explique.
Leur chaman nous fait tous les deux monter sur leur pierre de cérémonie. Je ne l'ai jamais vue de si près cette pierre que tout le monde leur envie, elle est magnifique. Ocre rouge, d'un plat lisse et marbré, d'un bel ovale orienté Est-Ouest dans l'axe de l'esplanade, je veux la même ! Non, c'est vraiment une de ces pierres qui forcent le respect, d'où ils l'ont sortie ça, ils le diront jamais ! Tous les P'tipanaches en arc au sud, et tous les Granpanaches en arc au nord, entre Jiih et moi et la falaise truffée de niches et couverte d'échelles.
En nous secouant son tambourin sous le nez, l'officiant psalmodie des mots qu'il se fabrique exprès pour n'être compris de personne d'autres que des esprits qu'il invoque, en gros il leur demande de ne pas nous rendre la vie trop difficile, elle l'est déjà bien assez comme ça. Puis il danse ou claudique autour de la pierre, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre, le temps de brûler un bon paquet d'armoise dans un crâne de chien qu'il tend vers le sol puis vers le ciel en offrande pour que ça marche notre histoire.
Je vois le chef se pencher vers ses lieutenants avec un rictus mauvais, je sais pas ce qu'il leur raconte mais ça les fait marrer, ils me regardent tous les trois comme des sales renards qu'ils sont qui auraient débusqué un dindon...
Le chaman revient sur terre et termine en langage d'humain :
- Vous voilà rendus les deux moitiés d'un même fruit, puissiez-vous en savourer ensemble longtemps la pulpe, le jus, le sucre et les pépins, tirez vous les enfants !
C'est gentil, merci.
Voilà, c'est bouclé, je suis marié, ON est mariés, je suis LE marié ; je roule la pelle d'usage à Jiih en y mettant du coeur, tandis qu'elle m'empoigne affectueusement par les couilles et signe de possession et les femmes des deux bords y vont à l'unisson du cri des matrones, leur chant monte, aigu jusqu'à l'insupportable. Je suis marié, c'est tout con mais ça me fait quelque chose.
Le chef Granpanache s'avance avec un air chaleureux que je n'aime pas du tout et me met la main sur l'épaule. Outch ! Il serre fort, le con.
- Ehrr, tu embarques une de nos filles et tu la fais femme, c'est son choix. Tu es un brave garçon et elle sera heureuse, mais je veux juste qu'avant de quitter les Granpanaches, celle qu'a p'us les yeux en face des trous emporte une dernière vision de ce qu'elle abandonne.
Il s'arrache la queue de renard et la coquille d'un coup, révélant le plus gros paf que j'ai jamais vu, la vache !
Il est monstrueux ! Ça s'peut pas !? L'enfoiré comment il est monté !
Sa femme se rengorge, narquoise elle passe en revue les regards des femmes de chez nous. Un immense éclat de rire secoue tous les Granpanaches, dans nos rangs c'est la panique, la débandade. J'attrape Jiih par la main, je me secoue de la poigne du chef qui m'enfonçait la clavicule pour m'obliger à regarder son gourdin, et on s'esquive pendant qu'enfin un de chez nous s'arrache l'écureuil en vociférant « j'ai pas à rougir de ça ! » et puis un autre, et encore un autre.
Ça démarre en concours de bites, ça va finir en baston générale.
Notre mariage va laisser des traces, on a pas fini d'en parler !

Bof pour moi... Plutôt artificiel.

Pour ce qui est de la fête pas grand chose de changé. Pour le texte, c'est bien amené. Petit truc et grand machin, queue dire!

C'est dingue comme ça néanderthalise sec, par ici, ça a l'air assez tendance. A force de panache ceci, grand panache cela, moi j'ai pas résisté, tout droit sur mon frigo américain (c'est pas vrai, ça c'est celui dans mon rêve, le vrai c'est Indesit), tout droit, donc, disais-je, et hop, un Panaché siou plaît !

"- Le chef des Gropanaches sera désormais comme un père pour le Finpanache qui lui enlève sa fille….
…mais je veux juste qu'avant de quitter les Granpanaches, celle qu'a p'us les yeux en face des trous emporte une dernière vision de ce qu'elle abandonne."

Z'avaient pas encore inventé l'inceste en ces temps anciens, c'est sûr! Mais on ne peut guère attendre plus fine démonstration de sa puissance de la part d'un Grobravache…euh! Pardon…Panache ;-)

Arielle a écrit:"- Le chef des Gropanaches sera désormais comme un père pour le Finpanache qui lui enlève sa fille…
Z'avaient pas encore inventé l'inceste en ces temps anciens, c'est sûr!

Argh ! dans ma tête le personnage dit "sa fille" pour parler d'une fille de son clan, comme si le chef était le père de toute la tribu (avec au moins des moustaches à la Staline) je ne comptais pas lui faire épouser carrément la fille du chef... il était simplement honteusement fayot en balançant une vacherie...
Mais puisque tu quotais ce passage, tu n'as point relevé une des sentinelles embusquées ?-)
Je précise que l'idée directrice de cette plaisanterie m'est venue de deux vrais véridiques villages de l'île Ambrym (Vanuatu), les big-nambas et les small-nambas, le namba étant l'étui pénien...

ça me fait penser à pourquoi j'ai mangé mon père, en plus léger sans doute.
amusant. mais ceci dit, oui, d'où sort cet engouement préhistorique ?

Leila Zhour a écrit:ça me fait penser à pourquoi j'ai mangé mon père, en plus léger sans doute.

Wahoo ! On peut être vu en plus mauvaise compagnie ! Merci.

amusant. mais ceci dit, oui, d'où sort cet engouement préhistorique ?

"Un homme se penche sur son passé" ?
Je ne sais pas, peut-être qu'on finit par comprendre qu'ils nous sont en tout point semblables, que leurs peines et leurs joies sont les mêmes que les nôtres et que "Frères zhumains qui après nous vivez, arrêtez de vous foutre de not' gueule !"
Un jour j'ai dépecé un ragondin, et j'ai eu le sentiment de ne pas avoir fait ça depuis 5000 ans.

à tchaoum a écrit:Un jour j'ai dépecé un ragondin

pour Outretemps, on a les amphis qu'on peut.

Il n'y aura donc personne pour relever mes "sentinelles" ?
Certaines sont pourtant grosses, et on évite par gentillesse de s'y appesantir ou alors c'est qu'elles sont trop bien planquées ?-)

Elles vont prendre racine.

Les rustres, les beaufs, les confreries des mères tapent dur et des pères frappent mous, existaient déjà à l'époque ?
Ton reportage rétro-virtuel cogne où ça fait mal. Vivement l'apparition de Rahan pour nous inventer les philosophes, les poètes (une association de vos personnages avec mentor et pif87, mériterait son pesant d'os laids)

J'ai bien cru comprendre, queue d'écureuil et de renard, la taille, que la fille devait emporter une derniere vision de ce qu'il y avait dessous, de ce qu'elle perd en quelque sorte, ou ce à quoi elle échappe, c'est selon; Mais de grâce si ce n'est ça pas cela dont tu causes, fais moi pas languir, donne des signes mets nous sur les pistes; faut dire que toi à ces exercices tu excelles, comme j'ai pu constater par la pertinence de tes remarques, mais c'est pas évident pour tous, je pense en tous cas pas pour moi.

bof bof, dirais-je ... Tant au niveau de l'histoire, qu'au niveau du style "langage parlé" vaguement gouailleur, on frole la gaudriole pas franchement légère... Pas vraiment séduit pour cette fois !

Bon moi je viens de le lire, une fois, pas plus, donc je me laisse le temps de le relire dans le calme et sans précipitation; déjà, à vue de nez (!), j'aime bien les 2 clans; pour les jeux de cache-cache, va falloir compter sur des Sherlock plus avertis que moi, les yeux en face des trous, pas toujours; mais je vais revenir à Falaise, y a trop de tractations en sous-bois.

... pour les laiser en plan.

laisser avec deuzèss

J'ai oublié d'ajouter : nos noces à ronger, c'est poilant, il fallait la trouver celle-là, bravo !

Bon, puisque le faut, je relève mes sentinelles moi-même, qui restaient là à se faire chier sans que personne ne vienne leur porter la tambouille...
les deux lourdingues, d'abord :

Comme il se doit dans le néandertal

et à peine plus loin que j'en avais presque honte :

Leur guetteur, qui lui se doit d'épier

les finaudes (tout est relatif) :

leur chant monte, aigu jusqu'à l'insupportable. [... ]celle qu'a p'us les yeux en face des trous

et enfin les anodines superflues, elle s'appelle J, il s'appelle R, et vous me croirez si vous voulez, mais à peine déformé, leur mariage, on en parle encore !

C'est rodéo et Juliette, la troisième, supérieur, mon cher à tchaoum, pour les deux premières ça reste de l'esprit bien tempéré Là où tu m'affliges c'est pour Dallas

Rodéo et chut Liette, ach !

Superbe éxo, l'humour et quoi? Le jeu, l'écriture, ça fantasque, ça fantasme.
Artificiel oui mais tellement sympa. T'as proposé le texte à Disney ?

Je me suis bien amusée, vraiment. Un texte bien écrit, un humour distillé finement (notamment les jeux de mots et les anachronismes comme « avec leur puante queue de renard sur la braguette ». Un récit bien mené, très visuel. Un vrai régal. Et le titre est excellent.

Pas grand chose à ajouter aux commentaires précédents…C'est bien vu.
Pour le titre suis un peu moins d'accord : j'écoute Pauline Croze "De vieux chiens, rongeant leurs noces"

claire a écrit:déjà, à vue de nez (!),

Claire, j'ai vu que t'avais vu :-)

à tchaoum a écrit:

claire a écrit:déjà, à vue de nez (!),

Claire, j'ai vu que t'avais vu :-)

Yesss ! mais tu vois, j'ai pas encore pris le temps de relire et pis j'ai vu qu't'as refourgué en la place les noms des sentinelles; eh ben c'est pas grave, parce que c'est drôl'ment bon quand même!

Ca y est, relu ... et reluqué; c'est toujours aussi bon et rebond; quand même hein la "puante queue de renard sur la braguette"!!, "nos poissons contre leurs oeufs", Finpanache en tête, Finpanache à la fête, clavicule défoncée !!!!! et le "tandis qu"elle m'empoigne affectueusement les couilles en signe de possession" (!!!!), "un de chez nous s'arrache l'écureuil", bon je vais pas tout citer, faut relire !!!

A mi-chemin entre le récit ethno-parodique et la franche gauloiserie. Une écriture alerte au service d'une histoire de noces de (l'âge de) pierre plutôt bien enlevée. Drôle et plus sérieux qu'il n'y paraît, même si la préhistoire est loin d'être mon époque favorite...

C'est parce que tu insistes, à plusieurs reprises et parfois un peu trop, qu'on arrive à situer ton texte dans une lointaine période historique, sinon ça ne se remarquait pas vraiment au vu de la trame et du déroulement de l'histoire. Il y a donc là une impression forcée qui me séduit moyennement, une couche en trop, trop de détails pour être sûr d'être bien compris et ça apporte un côté superficiel à l'histoire, dommage.

Sahkti a écrit: sinon ça ne se remarquait pas vraiment au vu de la trame et du déroulement de l'histoire.

Mais c'est bien ce que je voulais, que les accessoires soient anachroniques vus d'ici-maintenant, mais que les esprits soient intemporels, car rien de nouveau sous le soleil je suis bien convaincu qu'on haussait les épaules ou trépignait de rage impuissante déjà à cette époque...
Sinon, j'enregistre, oui, sans doute une tendance à en faire trop. C'est pas d'ma faute, c'est passqueue je me suis longtemps retenu...

Je n'ai pas réussie à dépasser les 2 premiers paragraphes. Désolé...

J'ai bien aimé, j'ai trouvé ça très rigolo. Tu es juste à la limite d'en faire un peu trop, mais ça fonctionne bien, tu "retiens" ou laisse échapper la blague au bon moment.

Il y en a un peut-être cependant par moments un "poil" trop :-) Par exemple : Mais comme on a de plus en plus de cons (trefaits) dans nos rangs, le "trefaits", c'est la blague dans la blague, et ça s'annule un peu pour mon goût (même si je sais qu'il y a des amateurs de ça !).

Sur la forme, l'idée d'entremêler une narration et des dialogues au milieu des réflexions et de "l'histoire" est peut-être à réfléchir.

J'aime le côté potache, l'ensemble m'a semblé fort bien mené !

Ton texte me fait penser à la série « Kaamelott » : un vocabulaire d’aujourd’hui dans un environnement d’un autre âge. C’est burlesque, ça fait sourire, j’ai bien aimé dans l’ensemble. Le titre est bien trouvé. Par contre il manque le poème.

Truculent ! Parodique, anachronique. Des procédés un peu visuels qui mettent en relief l'écriture en ligne , par exemple le soulignage :

Jiih ne pouvait quitter son clan autrement que dans les formes de son clan, chez eux, avec leur homme-médecine,

Du grand cru exo qui fait pâlir le vin jeune.