Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
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Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
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Préambule : Apoutsiak s'est trompé à propos des contraintes de l'exercice "Nouvelles Vagues" et a compris 7000 - 15000 mots pour autant de signes. Il poste donc ce conte, qui ne peut plus faire partie de l'exercice.
ONDINE ( 1 )
Ce que je pouvais bien faire là, debout, perché au sommet de cette montagne aride, à contempler un paysage que je n'avais jamais vu, je l'ignorais. Mais, si je ne connaissais pas cette géographie, me disais-je, sans rien perdre de ma contemplation, je n'étais pas étonné qu'elle existât. Un peu plus tard, un sentiment curieux s'empara de moi. Il me sussurra que j'avais rêvé, un jour, de la découvrir, mais que j'avais enfoui ce désir au fond de ma tête. Non, ce n'était guère possible, je n'aurais pu cacher une telle merveille au fond de ma mémoire. Elle aurait pris trop de place. Elle n'aurait jamais cessé, en tout cas, d'y briller. En découvrant un chemin, démarrant un peu plus loin, sur ma droite, je finis par me dire que ces questions n'avaient ni queue ni tête. Ce qui comptait vraiment, c'était que cette beauté fût là, à mes pieds, et que mes yeux pussent assouvir sans fin leur gourmandise : Ici, des escaliers tournoyant jusqu'au vertige, des serpentins, des hélices de pierre, devrais-je dire, sans pouvoir expliquer comment elles avaient acquis cette finesse de dentelle. Là, des cascades, des jets d'eau, sans qu'il soit humainement possible de comprendre comment ils parvenaient à toucher le ciel sans effort, mieux encore, à le décorer, très haut, de blanches arabesques. Des sons flûtés me parvenaient de temps en temps et me rappelaient une musique d'orgue assourdie par la distance. Aussi incroyable que cela pût paraître, les arabesques se formaient au tempo de la musique, les deux s'épousaient parfaitement.
Je ne sais pas combien de temps je restai là, le souffle coupé. Je ne pouvais même pas me fier au ciel : Tout me disait qu'une journée splendide avait commencé, mais, je venais de le découvrir avec stupeur, il n'y avait pas de soleil au-dessus de l'horizon. Sans pouvoir expliquer cette étrangeté, je dus reconnaître qu'aucun astre n'aurait jamais pu répandre cette lumière qui posait sur ma peau un habit de velours, sur le ciel un dais liquide, une vaste mer suspendue très loin, au-dessus de ma tête. Ainsi, je ne sais rien du temps qui passa, mais, soudain, je compris que j'étais seul. Cette solitude ne m'étonna pas outre mesure, non, ce que je trouvai étrange, c'était que la chose ne m'avait pas frappé jusque-là. J'ai regardé de nouveau le chemin et il n'y avait pas de doute pour moi que je devais l'emprunter. À ce moment-là, une autre évidence s'imposa à mon esprit. Un chemin. Des escaliers. Des jets d'eau. Il avait fallu des mains pour les bâtir. Ce que je contemplais depuis le début, je le découvris avec exaltation, devait être une Cité.
Poussé par cette révélation, je me mis à courir. Je dévalai les pentes de la montagne au risque de me rompre cent fois le cou. Une seule pensée me vint pendant cette course folle : la Cité devait être une oasis, puisque, tout autour de moi, sous mes pieds, ce n'était que matière sèche et dure, cailloux et terre. Cette pensée avait disparu depuis longtemps quand je parvins, fourbu, au pied de la Cité, protégée par de hautes murailles. Tout à coup, mon cœur se contracta à l'idée qu'elles fussent infranchissables. Je ne vis aucune porte, aucun passage, personne ne montant la garde, ni à l'extérieur, ni au sommet, sur un possible chemin de ronde. Je décidai de suivre les murs par la gauche et, très vite, la chance me sourit. Je découvris une porte, aussi minuscule que le mur était immense, et de la voir entrebâillée me causa un emballement indescriptible, à la fois du cœur, des bras, des jambes.
Après cela, la vue du premier être humain, qui se tenait tout près de la porte, me parut très naturelle. Un jeune homme jovial, en redingote, qui me souhaita la bienvenue et m'affirma, en consultant une montre à gousset, ne pas voir vu de visiteur depuis… il prit son élan : deux mille cinq cent cinquante cinq jours cinq heures trente minutes et quarante secondes. Il parlait de son service officiel, celui de jour. Ce qui se passait la nuit ne le regardait pas. J'aurais juré qu'il m'adressait un sourire complice. Puis, adoptant une attitude un peu solennelle (dont j'essayais de cacher l'effet comique qu'elle produisait sur moi), il me proposa à boire, certain, dit-il, que j'avais très chaud et très soif. J'avais à peine répondu qu'il me tendait une coupe pleine à ras bord, que je buvais sans cérémonie, la tête en arrière, pour ne pas y laisser la moindre goutte, tant j'avais soif et tant le breuvage était délicieux. Je lui rendis la coupe en le remerciant, et il me pria de lui accorder quelques secondes d'attention. Le temps pour moi d'écouter une recommandation nouvelle, m'expliqua-t-il, qu'il avait le devoir d'énoncer à quiconque franchissait les portes de cette Cité. C'était au sujet des callopes bleues, callopus caeruleus, fit sa bouche en cul-de-poule, ce qui acheva, cette fois, de me faire rire. Des oiseaux, traduisit-il sans tenir compte de mon hilarité, qui ont été pétrifiés il y a longtemps, par milliers, et que tout un chacun se doit, à chaque trouvaille, de lancer le plus haut possible vers le ciel. Dans ce cas, et si tout se passait bien, j'allais voir l'oiseau bleu traversé à nouveau par le souffle de la vie, étendre ses ailes et voler. Pendant que le Portier parlait, j'observais à la ronde avec l'idée d'apercevoir un de ces mystérieux volatiles, mais je n'en vis aucun. Je me retournai, pour poser une question au jeune homme, mais celui-ci s'était volatilisé. Je le cherchai derrière des bosquets, dans une maisonnette, un peu plus loin. Ce fut peine perdue.
Je résolus donc d'avancer sur la route qui se présentait à moi, entièrement recouverte de mosaïques, et qui disparaissait après un virage, derrière un édifice imposant soutenu par une forêt de colonnes. Dans l'ensemble, le bâtiment ressemblait à un animal étrange. J'imaginais une femelle gravide, pourvue de myriades de pattes. Rouges. Porphyre, pensai-je, quand je fus assez près des choses. Et antique, conclus-je, en voyant, ici ou là, des colonnes endommagées, l'une d'elles, en particulier, dont on pouvait se demander comment elle fût encore en place. Puis, je poursuivis ma route, mon regard oscillant sans cesse entre le bas et le haut, au gré de ma curiosité. Sous mes pieds, les milliers d'abacules dessinaient des soleils, des paons, des banquets, des enfants jouant au cerceau, et à hauteur des yeux, défilaient bassins, gloriettes, pergolas, topiaires. On eût dit que toutes ces choses cherchaient à rivaliser entre elles, de beauté et de gloire. Quand je compris que jaillissaient d'une fontaine des pluies de diamants, que ceux-ci, en tombant en musique dans la vasque, devenaient autant de perles d'eau, je courus de longues minutes pour en faire le tour, mes regards sans cesse éclaboussés par le scintillement des pierres et celui du plan d'eau, qui aurait fait oublier le plus parfait miroir. Malheureusement, toute cette féérie cessa d'une manière brutale. Au début, je ne reçus que quelques pierres sur la tête. Je n'y pris pas garde, mais ensuite, les pierres me touchaient avec force, comme si un mystérieux guerrier s'amusait à les pointer dans ma chair. Cette fois, je pris peur et j'eus l'idée de plonger sous la vasque. Très vite, les pierres retombèrent avec fracas, suivi d'un silence à peine troublé par le chant des oiseaux. J'attendis un bon moment avant de me relever, mais la peur ne m'avait pas quitté. Je finis par courir droit devant moi, sur le premier chemin que je découvris. Soudain, j'entrevis quelque chose dans ma course sur le côté de ma vision. Je stoppai net mes pas. Là, sur un banc, une jeune femme était assise, bras étendus et m'observait.
Quand nous ne fûmes plus séparés que de quelques pas, elle me sourit et me demanda à brûle-pourpoint pourquoi j'avais mis autant de temps à revenir. Je demeurai interdit, ne sachant quoi répondre, et la femme éclata de rire. Si tu voyais ta tête ! s'exclama-t-elle, en m'invitant d'un geste à m'asseoir. Plus que la blancheur de son visage, extrême, ce sont ces cheveux, qui touchaient presque le sol, qui firent écho dans ma mémoire. Tu t'appelles Ondine, lui dis-je alors pour garder contenance. Évidemment, gros bêta, je ne me suis pas amusée à changer de nom à ton départ. Elle me dévisagea avant de dire : tu es bizarre, aujourd'hui. Elle rit à nouveau. Tu ne remarques rien ? Tu es très belle, dis-je, sans oser la regarder et parce que je me sentais rougir. Merci, me dit-elle en prenant ma main dans la sienne. Mais encore ? Je jure que ce que je vis alors, n'était pas visible la minute, que dis-je, la seconde précédente. Son ventre était très rond. Je le lui dis et elle voulut savoir si je découvrais cette chose avec plaisir. Je lui répondis sans hésiter oui, beaucoup. C'était ce que je ressentais réellement, mais je trouvai quand même curieux de ne pas comprendre pourquoi. Deux petites fossettes se creusèrent autour de sa bouche et je crus que son sourire allait happer son visage, sa robe. Sa robe... Comment est-ce possible ? m'écriai-je soudain, frappé par l'évidence. Comment peut-elle avoir emprunté sa couleur, sa texture, aux colonnes de Porphyre ? La même, exactement. Visiblement ravie de ma découverte, elle se leva, tourna sur place et m'entraîna avec elle, sans lâcher ma main.
Fais-moi visiter la Cité, lui demandai-je, alors que nous étions parvenus sur une place si grande qu'il était impossible à mes yeux d'en faire le tour. Par exemple, au milieu de la place, qu'est-ce que ?... D'un geste, elle me tira en avant, m'obligeant à suspendre ma question. Elle m'informa que nous n'étions pas dans une Cité mais dans une ville. On disait la Ville, avec une majuscule. Ensuite, selon elle, je ne la regardais pas de la meilleure manière. Pas elle, non, elle parlait de la Ville. Selon elle, toujours, si je n'étais pas parti, je n'aurais pas posé toutes ces questions, car la Ville ne serait pas devenue pour moi une étrangère. Cette fois, je tins bon. J'affirmai avec conviction que je n'avais jamais vu cette ville. Ville, corrigea-t-elle. Mais comment savait-elle que je n'y avais pas mis de majuscule ? Elle haussa les épaules. Ces choses-là s'entendaient, d'après elle, mais le problème n'était pas là. Où alors ? Le problème était qu'il avait tout oublié de leur première rencontre et que cela n'eût pas pu se produire s'il était resté auprès d'elle. Tout ce temps à se chamailler l'avait été en marchant main dans la main, sur le cercle blanc tracé autour de la place, comme au bord d'un précipice. Je suis incapable d'expliquer comment nous parvînmes de l'autre côté si rapidement et la jeune femme a éludé la question que je lui posai à ce sujet. Plus exactement, elle dit qu'en fait, je cherchais à connaître des chiffres, celui du rayon, de la circonférence, mais que les chiffres n'étaient pas sa tasse de thé. Ce n'est pas de cette façon que je devais regarder la ville, insista-t-elle. C'est en l'admirant au-delà du miroir de ses yeux, c'est en la regardant admirer sa beauté, c'est en admirant ses yeux qui sont le miroir des miens et de cette beauté. Tout ça à la fois. Elle m'attira à elle mais son ventre était un obstacle à notre rapprochement. J'eus l'impression de me battre, de me contorsionner pour rapprocher ma bouche de la sienne, et de comprendre la vanité de tous ces efforts finit par me mettre en colère. Elle éclata de rire. Je suis si heureuse, dit-elle. Je suis si heureuse que tu sois en colère de ne pas pouvoir m'embrasser plutôt que de ne pas connaître tous ces chiffres.
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Préambule : Apoutsiak s'est trompé à propos des contraintes de l'exercice "Nouvelles Vagues" et a compris 7000 - 15000 mots pour autant de signes. Il poste donc ce conte, qui ne peut plus faire partie de l'exercice.
ONDINE ( 1 )
Ce que je pouvais bien faire là, debout, perché au sommet de cette montagne aride, à contempler un paysage que je n'avais jamais vu, je l'ignorais. Mais, si je ne connaissais pas cette géographie, me disais-je, sans rien perdre de ma contemplation, je n'étais pas étonné qu'elle existât. Un peu plus tard, un sentiment curieux s'empara de moi. Il me sussurra que j'avais rêvé, un jour, de la découvrir, mais que j'avais enfoui ce désir au fond de ma tête. Non, ce n'était guère possible, je n'aurais pu cacher une telle merveille au fond de ma mémoire. Elle aurait pris trop de place. Elle n'aurait jamais cessé, en tout cas, d'y briller. En découvrant un chemin, démarrant un peu plus loin, sur ma droite, je finis par me dire que ces questions n'avaient ni queue ni tête. Ce qui comptait vraiment, c'était que cette beauté fût là, à mes pieds, et que mes yeux pussent assouvir sans fin leur gourmandise : Ici, des escaliers tournoyant jusqu'au vertige, des serpentins, des hélices de pierre, devrais-je dire, sans pouvoir expliquer comment elles avaient acquis cette finesse de dentelle. Là, des cascades, des jets d'eau, sans qu'il soit humainement possible de comprendre comment ils parvenaient à toucher le ciel sans effort, mieux encore, à le décorer, très haut, de blanches arabesques. Des sons flûtés me parvenaient de temps en temps et me rappelaient une musique d'orgue assourdie par la distance. Aussi incroyable que cela pût paraître, les arabesques se formaient au tempo de la musique, les deux s'épousaient parfaitement.
Je ne sais pas combien de temps je restai là, le souffle coupé. Je ne pouvais même pas me fier au ciel : Tout me disait qu'une journée splendide avait commencé, mais, je venais de le découvrir avec stupeur, il n'y avait pas de soleil au-dessus de l'horizon. Sans pouvoir expliquer cette étrangeté, je dus reconnaître qu'aucun astre n'aurait jamais pu répandre cette lumière qui posait sur ma peau un habit de velours, sur le ciel un dais liquide, une vaste mer suspendue très loin, au-dessus de ma tête. Ainsi, je ne sais rien du temps qui passa, mais, soudain, je compris que j'étais seul. Cette solitude ne m'étonna pas outre mesure, non, ce que je trouvai étrange, c'était que la chose ne m'avait pas frappé jusque-là. J'ai regardé de nouveau le chemin et il n'y avait pas de doute pour moi que je devais l'emprunter. À ce moment-là, une autre évidence s'imposa à mon esprit. Un chemin. Des escaliers. Des jets d'eau. Il avait fallu des mains pour les bâtir. Ce que je contemplais depuis le début, je le découvris avec exaltation, devait être une Cité.
Poussé par cette révélation, je me mis à courir. Je dévalai les pentes de la montagne au risque de me rompre cent fois le cou. Une seule pensée me vint pendant cette course folle : la Cité devait être une oasis, puisque, tout autour de moi, sous mes pieds, ce n'était que matière sèche et dure, cailloux et terre. Cette pensée avait disparu depuis longtemps quand je parvins, fourbu, au pied de la Cité, protégée par de hautes murailles. Tout à coup, mon cœur se contracta à l'idée qu'elles fussent infranchissables. Je ne vis aucune porte, aucun passage, personne ne montant la garde, ni à l'extérieur, ni au sommet, sur un possible chemin de ronde. Je décidai de suivre les murs par la gauche et, très vite, la chance me sourit. Je découvris une porte, aussi minuscule que le mur était immense, et de la voir entrebâillée me causa un emballement indescriptible, à la fois du cœur, des bras, des jambes.
Après cela, la vue du premier être humain, qui se tenait tout près de la porte, me parut très naturelle. Un jeune homme jovial, en redingote, qui me souhaita la bienvenue et m'affirma, en consultant une montre à gousset, ne pas voir vu de visiteur depuis… il prit son élan : deux mille cinq cent cinquante cinq jours cinq heures trente minutes et quarante secondes. Il parlait de son service officiel, celui de jour. Ce qui se passait la nuit ne le regardait pas. J'aurais juré qu'il m'adressait un sourire complice. Puis, adoptant une attitude un peu solennelle (dont j'essayais de cacher l'effet comique qu'elle produisait sur moi), il me proposa à boire, certain, dit-il, que j'avais très chaud et très soif. J'avais à peine répondu qu'il me tendait une coupe pleine à ras bord, que je buvais sans cérémonie, la tête en arrière, pour ne pas y laisser la moindre goutte, tant j'avais soif et tant le breuvage était délicieux. Je lui rendis la coupe en le remerciant, et il me pria de lui accorder quelques secondes d'attention. Le temps pour moi d'écouter une recommandation nouvelle, m'expliqua-t-il, qu'il avait le devoir d'énoncer à quiconque franchissait les portes de cette Cité. C'était au sujet des callopes bleues, callopus caeruleus, fit sa bouche en cul-de-poule, ce qui acheva, cette fois, de me faire rire. Des oiseaux, traduisit-il sans tenir compte de mon hilarité, qui ont été pétrifiés il y a longtemps, par milliers, et que tout un chacun se doit, à chaque trouvaille, de lancer le plus haut possible vers le ciel. Dans ce cas, et si tout se passait bien, j'allais voir l'oiseau bleu traversé à nouveau par le souffle de la vie, étendre ses ailes et voler. Pendant que le Portier parlait, j'observais à la ronde avec l'idée d'apercevoir un de ces mystérieux volatiles, mais je n'en vis aucun. Je me retournai, pour poser une question au jeune homme, mais celui-ci s'était volatilisé. Je le cherchai derrière des bosquets, dans une maisonnette, un peu plus loin. Ce fut peine perdue.
Je résolus donc d'avancer sur la route qui se présentait à moi, entièrement recouverte de mosaïques, et qui disparaissait après un virage, derrière un édifice imposant soutenu par une forêt de colonnes. Dans l'ensemble, le bâtiment ressemblait à un animal étrange. J'imaginais une femelle gravide, pourvue de myriades de pattes. Rouges. Porphyre, pensai-je, quand je fus assez près des choses. Et antique, conclus-je, en voyant, ici ou là, des colonnes endommagées, l'une d'elles, en particulier, dont on pouvait se demander comment elle fût encore en place. Puis, je poursuivis ma route, mon regard oscillant sans cesse entre le bas et le haut, au gré de ma curiosité. Sous mes pieds, les milliers d'abacules dessinaient des soleils, des paons, des banquets, des enfants jouant au cerceau, et à hauteur des yeux, défilaient bassins, gloriettes, pergolas, topiaires. On eût dit que toutes ces choses cherchaient à rivaliser entre elles, de beauté et de gloire. Quand je compris que jaillissaient d'une fontaine des pluies de diamants, que ceux-ci, en tombant en musique dans la vasque, devenaient autant de perles d'eau, je courus de longues minutes pour en faire le tour, mes regards sans cesse éclaboussés par le scintillement des pierres et celui du plan d'eau, qui aurait fait oublier le plus parfait miroir. Malheureusement, toute cette féérie cessa d'une manière brutale. Au début, je ne reçus que quelques pierres sur la tête. Je n'y pris pas garde, mais ensuite, les pierres me touchaient avec force, comme si un mystérieux guerrier s'amusait à les pointer dans ma chair. Cette fois, je pris peur et j'eus l'idée de plonger sous la vasque. Très vite, les pierres retombèrent avec fracas, suivi d'un silence à peine troublé par le chant des oiseaux. J'attendis un bon moment avant de me relever, mais la peur ne m'avait pas quitté. Je finis par courir droit devant moi, sur le premier chemin que je découvris. Soudain, j'entrevis quelque chose dans ma course sur le côté de ma vision. Je stoppai net mes pas. Là, sur un banc, une jeune femme était assise, bras étendus et m'observait.
Quand nous ne fûmes plus séparés que de quelques pas, elle me sourit et me demanda à brûle-pourpoint pourquoi j'avais mis autant de temps à revenir. Je demeurai interdit, ne sachant quoi répondre, et la femme éclata de rire. Si tu voyais ta tête ! s'exclama-t-elle, en m'invitant d'un geste à m'asseoir. Plus que la blancheur de son visage, extrême, ce sont ces cheveux, qui touchaient presque le sol, qui firent écho dans ma mémoire. Tu t'appelles Ondine, lui dis-je alors pour garder contenance. Évidemment, gros bêta, je ne me suis pas amusée à changer de nom à ton départ. Elle me dévisagea avant de dire : tu es bizarre, aujourd'hui. Elle rit à nouveau. Tu ne remarques rien ? Tu es très belle, dis-je, sans oser la regarder et parce que je me sentais rougir. Merci, me dit-elle en prenant ma main dans la sienne. Mais encore ? Je jure que ce que je vis alors, n'était pas visible la minute, que dis-je, la seconde précédente. Son ventre était très rond. Je le lui dis et elle voulut savoir si je découvrais cette chose avec plaisir. Je lui répondis sans hésiter oui, beaucoup. C'était ce que je ressentais réellement, mais je trouvai quand même curieux de ne pas comprendre pourquoi. Deux petites fossettes se creusèrent autour de sa bouche et je crus que son sourire allait happer son visage, sa robe. Sa robe... Comment est-ce possible ? m'écriai-je soudain, frappé par l'évidence. Comment peut-elle avoir emprunté sa couleur, sa texture, aux colonnes de Porphyre ? La même, exactement. Visiblement ravie de ma découverte, elle se leva, tourna sur place et m'entraîna avec elle, sans lâcher ma main.
Fais-moi visiter la Cité, lui demandai-je, alors que nous étions parvenus sur une place si grande qu'il était impossible à mes yeux d'en faire le tour. Par exemple, au milieu de la place, qu'est-ce que ?... D'un geste, elle me tira en avant, m'obligeant à suspendre ma question. Elle m'informa que nous n'étions pas dans une Cité mais dans une ville. On disait la Ville, avec une majuscule. Ensuite, selon elle, je ne la regardais pas de la meilleure manière. Pas elle, non, elle parlait de la Ville. Selon elle, toujours, si je n'étais pas parti, je n'aurais pas posé toutes ces questions, car la Ville ne serait pas devenue pour moi une étrangère. Cette fois, je tins bon. J'affirmai avec conviction que je n'avais jamais vu cette ville. Ville, corrigea-t-elle. Mais comment savait-elle que je n'y avais pas mis de majuscule ? Elle haussa les épaules. Ces choses-là s'entendaient, d'après elle, mais le problème n'était pas là. Où alors ? Le problème était qu'il avait tout oublié de leur première rencontre et que cela n'eût pas pu se produire s'il était resté auprès d'elle. Tout ce temps à se chamailler l'avait été en marchant main dans la main, sur le cercle blanc tracé autour de la place, comme au bord d'un précipice. Je suis incapable d'expliquer comment nous parvînmes de l'autre côté si rapidement et la jeune femme a éludé la question que je lui posai à ce sujet. Plus exactement, elle dit qu'en fait, je cherchais à connaître des chiffres, celui du rayon, de la circonférence, mais que les chiffres n'étaient pas sa tasse de thé. Ce n'est pas de cette façon que je devais regarder la ville, insista-t-elle. C'est en l'admirant au-delà du miroir de ses yeux, c'est en la regardant admirer sa beauté, c'est en admirant ses yeux qui sont le miroir des miens et de cette beauté. Tout ça à la fois. Elle m'attira à elle mais son ventre était un obstacle à notre rapprochement. J'eus l'impression de me battre, de me contorsionner pour rapprocher ma bouche de la sienne, et de comprendre la vanité de tous ces efforts finit par me mettre en colère. Elle éclata de rire. Je suis si heureuse, dit-elle. Je suis si heureuse que tu sois en colère de ne pas pouvoir m'embrasser plutôt que de ne pas connaître tous ces chiffres.
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Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
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ONDINE ( 2 )
Puis elle se mit à danser en chantonnant, kilomètres, hectomètres, mètres, et je vis sa robe se déployer comme une voile gigantesque et un de ses volants me recouvrir en entier. Mais comment ?... Pas comment, m'interrompit-elle, pourquoi ? Pourquoi laisse-t-elle le vent gonfler et jouer à ce point avec les plis de sa robe ? Parce que, désormais, elle me cachait toute la ville, elle me cachait toutes ses beautés, elle me séparait de toutes les questions inutiles qui n'engrangeaient rien pour notre amour, elle me montrait que sans lui, les questions ne valaient même pas d'être posées. Comprends-tu ? lança-t-elle.
Je ne répondis rien. Je n'avais pas tout écouté. Pendant qu'elle dansait, j'avais découvert que la trame du tissu de sa robe était lâche et qu'en y collant mon œil, j'avais une bonne idée de ce qui nous environnait. Ce n'était pas parfait, toute la ville était rouge, mais je voyais qu'il y avait des arbres, de l'eau, des bassins, des immeubles en forme de ziggourats. Bon sang ! Je criai : des immeubles ! D'un seul coup, il n'y eut plus rien sur mes yeux et je vis la femme au ventre rond me fixer d'un regard noir. Si je savais qu'il y avait des immeubles, c'était que j'avais triché. Et si j'avais triché, c'était que je n'avais rien compris à ce qu'elle m'avait dit. Et si je n'avais rien compris, c'était que je me tenais loin d'elle, très, très loin, et que je n'avais pas besoin de revenir dans ces conditions.
Je crus qu'elle allait pleurer, mais non, elle serra les poings et me dit qu'elle avait pris sa décision. Elle allait quitter la Ville. C'était la meilleure solution. Il y avait d'autres villes. Bien moins belles. Elle choisirait l'une d'entre elles. S'il l'aimait, s'il voulait aimer l'enfant, il la suivrait. Bien sûr, ai-je dit. Bien sûr, ai-je répété, sans parvenir à détacher mes regards des ziggourats qui nous environnaient, à cause de leur blancheur de lait, de leur allure de sylphide, de toutes ses ouvertures parfaitement carrées, taillées en biseau vers l'intérieur et qui en faisait, à mes yeux, une architecture parfaite. La jeune femme haussa les épaules. Ne cherche pas, me dit-elle, tu ne verras personne aux fenêtres. À part moi, cette ville compte quatre habitants, et aucun d'eux n'habite ce quartier. Mais alors, demandai-je stupéfait, qui habite les ziggourats ? Je vois des rideaux, des pots de fleurs sur le rebord des fenêtres. Sur le visage d'Ondine, se peignit un air triste. Elle pointa un doigt vers une fenêtre, puis une autre, puis une autre encore, et me dit que nous dormions chaque nuit dans un lit différent. Elle tourna la tête vers un immeuble lointain et dit que, là-bas aussi, nous nous étions aimés des jours et des jours. Elle se tourna à nouveau, désigna cette fois une petite tour, juste derrière la route. Là, nous avions des pivoines dans chaque vase, dans chaque pièce, sur tous les meubles. Nous étions restés nus deux jours entiers, buvant l'or de la lumière, mangeant des mots comme des affamés du pain.
J'ai voulu parler, mais elle mit un doigt sur ma bouche. Ne dis rien, je sais que tu as tout oublié, mais je ne veux pas l'entendre. Pars, maintenant. Pars aimer la ville, tu en brûles d'envie. Puis, viens me retrouver. À l'aube. Et nous la quitterons. J'aurais une robe plus simple. Celle-là, je n'ai pas le droit de l'emporter. Je lui en demandai la raison mais elle me répondit que j'aurais dû le savoir, puisque sa robe avait été arrachée aux colonnes du vieux temple, confectionnée avec leur matière. Si elle quittait la Ville, elle devait la leur rendre. Je lui dis que c'était impossible. Les colonnes étaient minérales, comment auraient-elles pu devenir un vêtement ? La couleur, passe encore, mais la matière... Pas simplement la couleur, affirma-t-elle. La matière, aussi. C'est un cadeau de l'enfant, murmura-t-elle en forme de confidence. Pas celui de son ventre, un autre déjà grand, qui possède pour la magie des dons extraordinaires. Mais je ne devais jamais l'appeler ainsi, il était un peu susceptible sur son âge. Il habitait seul, derrière une colline, mais tout le monde, ici prenait soin de lui.
Était-il orphelin ? demandai-je. La femme me répondit qu'on ne savait rien de ses parents. Il y avait bien un Voyageur, juste avant lui, qui avait séjourné en Ville, mais, fait étrange, personne ne se souvenait de lui. Quant à sa mère, c'était un mystère plus grand encore. On trouva l'enfant à quelques jours, nu comme un ver, au creux d'un roseau. A l'époque, il n'y avait aucune femme au ventre rond dans la Ville. Et si elle était venue d'une autre ville pour le mettre au monde, le Portier aurait enregistré sa présence. Si elle avait franchi les portes de nuit, le Portier, dans son sommeil, n'en aurait rien su, mais la Ville, oui. La Ville voit tout. Entend tout. Et elle aurait enregistré sa naissance sur un document. Elle me répéta que les origines de l'enfant étaient un mystère. Un mystère complet. Elle pointa une éminence lointaine de son index, me suggéra d'aller à la rencontre de l'enfant, qui eût été selon ses dires, ravi de me connaître. Comme je restai planté là, sans mot dire (j'étais troublé par ses propos), elle fit quelques pas avec moi dans la bonne direction, avant de rebrousser chemin. Quand je me retournai, peu après, elle avait disparu avec le même enchantement qui avait effacé le Portier du paysage. J'avais un peu la gorge serrée. Je ne réussis pas vraiment à l'appeler. Ondine.
Je n'étais pas parvenu au pied de la colline que la neige se mit à tomber. Drue. Je longeais depuis peu les grilles d'un bâtiment, que j'avais pris alors pour une espèce de palais, et je dus faire une visière de ma paume pour pouvoir continuer de lever la tête vers les toits. On eût dit des bonnets de géants aux couleurs vives, mêlées à des paillettes d'or, des bonnets tout mous et surmontés de pompons blancs. Je ne comprenais pas comment des toits d'une beauté aussi extravagante avaient accepté de protéger des murs aussi austères. Je secouai la grille d'entrée, mais elle était fermée avec un cadenas. Je poursuivis ma route de plus en plus inquiet à propos du temps, quand il me parut entendre crier dans mon dos. Je me retournai et vis un homme courir dans ma direction, à l'intérieur des jardins du palais, un parapluie à la main. Je m'arrêtai. Parvenu à ma hauteur, il attendit quelques secondes avant de parler, le souffle coupé, ses mains fines accrochées à la grille. Il me demanda si j'étais le Voyageur et je répondis : Qui d'autre ? Il me fixa de ses petits yeux noirs, sans animosité mais avec une lueur de reproche, avant de répondre : Je suis un scientifique, monsieur. Je soutins son regard franc un moment, j'essayais, du moins, car la neige et le vent paraissaient s'être mis d'accord pour laisser libre cours à leur furie. Finalement, je pris de nouveau la parole (en forçant la voix à cause des éléments), pour dire à l'homme que j'étais en route pour voir l'enfant, et il me répondit que je ne ferais pas un kilomètre de plus dans cette tempête, que la neige allait recouvrir le sol jusqu'au bas des fenêtres du Musée, et qu'ils seraient mieux, tous deux, à deviser autour d'un grog et d'un feu de cheminée. Il partit ouvrir la grille et je ne vis aucune raison de ne pas le suivre.
À peine entré, nous échangeâmes une solide poignée de main et l'homme proposa de partager son parapluie. J'acceptai, bien évidemment, et nous nous dirigeâmes vers l'imposant édifice. Sur le chemin, il me confia qu'il n'avait pas vu une telle tempête depuis des lustres. Le plus étrange, était la date d'un tel évènement. Jamais on ne voyait pareille intempérie en cette saison. Il allait étudier le phénomène. Il fallait éplucher les prévisions, les relevés, il se passait quelque chose d'inhabituel. À mon tour, je racontai que, moi aussi, j'avais vécu tout à l'heure une expérience inhabituelle et plutôt traumatisante. Je lui narrai mon aventure, à la fontaine de diamants, et quand j'eus fini, il arrêta ses pas, malgré une bourrasque qui faillit emporter le parapluie. Impensable ! lança-t-il, il ne s'est jamais produit une telle chose dans toute l'Histoire de la Ville. Il reprit la marche de manière nerveuse, en affirmant de différentes façons qu'il fallait examiner la question, interroger les mythes, les chroniques. Nous entrâmes dans un salon démesuré, où mon hôte me pria de me mettre à l'aise. Quand le grog fut dans mes mains, la chaleur du feu sur mes joues, sous mes pieds, je remerciai chaleureusement mon hôte de son invitation. Il se présenta sous le nom de Professeur. Ses petites lunettes rondes, sa petite barbiche accentuait la gravité de son visage, naturellement présente sur ses traits et ses expressions. Le Professeur avança que nous avions de la chance tous les deux. Moi, en ma qualité de Voyageur, curieux des us et coutumes d'un pays, je n'étais pas mieux tombé, dans le Musée Historique de la Ville. Lui, Professeur attaché au Musée, éternel étudiant, avait de la chance de croiser le chemin d'un homme venu d'un autre pays, d'une autre culture. Ce n'était pas un évènement courant, par ici. Je n'osai pas lui dire que je n'avais aucune idée du pays dont je venais et que, par conséquent, je n'avais rien à dire sur une culture que j'avais entièrement oubliée.
Heureusement, j'entrevis le moyen de détourner la conversation et je ne le laissai pas passer. J'ai parlé de la femme au ventre rond. Il me demanda tout de suite si elle avait parlé de la Ville. Je sentis qu'il nourrissait des craintes à cet endroit. Le sujet revêtait sans doute beaucoup d'intérêt à ses yeux. Je répondis oui à sa question et demandai aussitôt s'il connaissait le père de l'enfant. Il baissa la tête. La question, d'évidence, le gênait. Il signifia son ignorance en secouant la tête, comme s'il avait adressé sa réponse au tapis, sous ses pieds. Il n'aimait pas parler de choses à propos desquelles on ne possédait aucune trace écrite, aucun témoignage attesté, juste des on-dit, des rumeurs sans fondement. Il ajouta, à toute vitesse, que la réponse, de toutes les manières, ne l'intéressait pas. Il ne fréquentait pas la jeune femme. Elle ne pensait qu'à l'amour, n'avait que ce sujet à la bouche. Puis il revint à la charge, à propos de la Ville, de ce que la femme, justement, en avait dit. Je tentai de restituer ses propos et, quand j'eus fini de parler, il se leva dans un mouvement d'humeur et me dit que j'étais exactement au bon endroit pour comprendre à quel point la jeune femme se trompait. Il me demanda de bien vouloir le suivre, sur un ton doctoral qui allait bien à un enseignant tel que lui.
ONDINE ( 2 )
Puis elle se mit à danser en chantonnant, kilomètres, hectomètres, mètres, et je vis sa robe se déployer comme une voile gigantesque et un de ses volants me recouvrir en entier. Mais comment ?... Pas comment, m'interrompit-elle, pourquoi ? Pourquoi laisse-t-elle le vent gonfler et jouer à ce point avec les plis de sa robe ? Parce que, désormais, elle me cachait toute la ville, elle me cachait toutes ses beautés, elle me séparait de toutes les questions inutiles qui n'engrangeaient rien pour notre amour, elle me montrait que sans lui, les questions ne valaient même pas d'être posées. Comprends-tu ? lança-t-elle.
Je ne répondis rien. Je n'avais pas tout écouté. Pendant qu'elle dansait, j'avais découvert que la trame du tissu de sa robe était lâche et qu'en y collant mon œil, j'avais une bonne idée de ce qui nous environnait. Ce n'était pas parfait, toute la ville était rouge, mais je voyais qu'il y avait des arbres, de l'eau, des bassins, des immeubles en forme de ziggourats. Bon sang ! Je criai : des immeubles ! D'un seul coup, il n'y eut plus rien sur mes yeux et je vis la femme au ventre rond me fixer d'un regard noir. Si je savais qu'il y avait des immeubles, c'était que j'avais triché. Et si j'avais triché, c'était que je n'avais rien compris à ce qu'elle m'avait dit. Et si je n'avais rien compris, c'était que je me tenais loin d'elle, très, très loin, et que je n'avais pas besoin de revenir dans ces conditions.
Je crus qu'elle allait pleurer, mais non, elle serra les poings et me dit qu'elle avait pris sa décision. Elle allait quitter la Ville. C'était la meilleure solution. Il y avait d'autres villes. Bien moins belles. Elle choisirait l'une d'entre elles. S'il l'aimait, s'il voulait aimer l'enfant, il la suivrait. Bien sûr, ai-je dit. Bien sûr, ai-je répété, sans parvenir à détacher mes regards des ziggourats qui nous environnaient, à cause de leur blancheur de lait, de leur allure de sylphide, de toutes ses ouvertures parfaitement carrées, taillées en biseau vers l'intérieur et qui en faisait, à mes yeux, une architecture parfaite. La jeune femme haussa les épaules. Ne cherche pas, me dit-elle, tu ne verras personne aux fenêtres. À part moi, cette ville compte quatre habitants, et aucun d'eux n'habite ce quartier. Mais alors, demandai-je stupéfait, qui habite les ziggourats ? Je vois des rideaux, des pots de fleurs sur le rebord des fenêtres. Sur le visage d'Ondine, se peignit un air triste. Elle pointa un doigt vers une fenêtre, puis une autre, puis une autre encore, et me dit que nous dormions chaque nuit dans un lit différent. Elle tourna la tête vers un immeuble lointain et dit que, là-bas aussi, nous nous étions aimés des jours et des jours. Elle se tourna à nouveau, désigna cette fois une petite tour, juste derrière la route. Là, nous avions des pivoines dans chaque vase, dans chaque pièce, sur tous les meubles. Nous étions restés nus deux jours entiers, buvant l'or de la lumière, mangeant des mots comme des affamés du pain.
J'ai voulu parler, mais elle mit un doigt sur ma bouche. Ne dis rien, je sais que tu as tout oublié, mais je ne veux pas l'entendre. Pars, maintenant. Pars aimer la ville, tu en brûles d'envie. Puis, viens me retrouver. À l'aube. Et nous la quitterons. J'aurais une robe plus simple. Celle-là, je n'ai pas le droit de l'emporter. Je lui en demandai la raison mais elle me répondit que j'aurais dû le savoir, puisque sa robe avait été arrachée aux colonnes du vieux temple, confectionnée avec leur matière. Si elle quittait la Ville, elle devait la leur rendre. Je lui dis que c'était impossible. Les colonnes étaient minérales, comment auraient-elles pu devenir un vêtement ? La couleur, passe encore, mais la matière... Pas simplement la couleur, affirma-t-elle. La matière, aussi. C'est un cadeau de l'enfant, murmura-t-elle en forme de confidence. Pas celui de son ventre, un autre déjà grand, qui possède pour la magie des dons extraordinaires. Mais je ne devais jamais l'appeler ainsi, il était un peu susceptible sur son âge. Il habitait seul, derrière une colline, mais tout le monde, ici prenait soin de lui.
Était-il orphelin ? demandai-je. La femme me répondit qu'on ne savait rien de ses parents. Il y avait bien un Voyageur, juste avant lui, qui avait séjourné en Ville, mais, fait étrange, personne ne se souvenait de lui. Quant à sa mère, c'était un mystère plus grand encore. On trouva l'enfant à quelques jours, nu comme un ver, au creux d'un roseau. A l'époque, il n'y avait aucune femme au ventre rond dans la Ville. Et si elle était venue d'une autre ville pour le mettre au monde, le Portier aurait enregistré sa présence. Si elle avait franchi les portes de nuit, le Portier, dans son sommeil, n'en aurait rien su, mais la Ville, oui. La Ville voit tout. Entend tout. Et elle aurait enregistré sa naissance sur un document. Elle me répéta que les origines de l'enfant étaient un mystère. Un mystère complet. Elle pointa une éminence lointaine de son index, me suggéra d'aller à la rencontre de l'enfant, qui eût été selon ses dires, ravi de me connaître. Comme je restai planté là, sans mot dire (j'étais troublé par ses propos), elle fit quelques pas avec moi dans la bonne direction, avant de rebrousser chemin. Quand je me retournai, peu après, elle avait disparu avec le même enchantement qui avait effacé le Portier du paysage. J'avais un peu la gorge serrée. Je ne réussis pas vraiment à l'appeler. Ondine.
Je n'étais pas parvenu au pied de la colline que la neige se mit à tomber. Drue. Je longeais depuis peu les grilles d'un bâtiment, que j'avais pris alors pour une espèce de palais, et je dus faire une visière de ma paume pour pouvoir continuer de lever la tête vers les toits. On eût dit des bonnets de géants aux couleurs vives, mêlées à des paillettes d'or, des bonnets tout mous et surmontés de pompons blancs. Je ne comprenais pas comment des toits d'une beauté aussi extravagante avaient accepté de protéger des murs aussi austères. Je secouai la grille d'entrée, mais elle était fermée avec un cadenas. Je poursuivis ma route de plus en plus inquiet à propos du temps, quand il me parut entendre crier dans mon dos. Je me retournai et vis un homme courir dans ma direction, à l'intérieur des jardins du palais, un parapluie à la main. Je m'arrêtai. Parvenu à ma hauteur, il attendit quelques secondes avant de parler, le souffle coupé, ses mains fines accrochées à la grille. Il me demanda si j'étais le Voyageur et je répondis : Qui d'autre ? Il me fixa de ses petits yeux noirs, sans animosité mais avec une lueur de reproche, avant de répondre : Je suis un scientifique, monsieur. Je soutins son regard franc un moment, j'essayais, du moins, car la neige et le vent paraissaient s'être mis d'accord pour laisser libre cours à leur furie. Finalement, je pris de nouveau la parole (en forçant la voix à cause des éléments), pour dire à l'homme que j'étais en route pour voir l'enfant, et il me répondit que je ne ferais pas un kilomètre de plus dans cette tempête, que la neige allait recouvrir le sol jusqu'au bas des fenêtres du Musée, et qu'ils seraient mieux, tous deux, à deviser autour d'un grog et d'un feu de cheminée. Il partit ouvrir la grille et je ne vis aucune raison de ne pas le suivre.
À peine entré, nous échangeâmes une solide poignée de main et l'homme proposa de partager son parapluie. J'acceptai, bien évidemment, et nous nous dirigeâmes vers l'imposant édifice. Sur le chemin, il me confia qu'il n'avait pas vu une telle tempête depuis des lustres. Le plus étrange, était la date d'un tel évènement. Jamais on ne voyait pareille intempérie en cette saison. Il allait étudier le phénomène. Il fallait éplucher les prévisions, les relevés, il se passait quelque chose d'inhabituel. À mon tour, je racontai que, moi aussi, j'avais vécu tout à l'heure une expérience inhabituelle et plutôt traumatisante. Je lui narrai mon aventure, à la fontaine de diamants, et quand j'eus fini, il arrêta ses pas, malgré une bourrasque qui faillit emporter le parapluie. Impensable ! lança-t-il, il ne s'est jamais produit une telle chose dans toute l'Histoire de la Ville. Il reprit la marche de manière nerveuse, en affirmant de différentes façons qu'il fallait examiner la question, interroger les mythes, les chroniques. Nous entrâmes dans un salon démesuré, où mon hôte me pria de me mettre à l'aise. Quand le grog fut dans mes mains, la chaleur du feu sur mes joues, sous mes pieds, je remerciai chaleureusement mon hôte de son invitation. Il se présenta sous le nom de Professeur. Ses petites lunettes rondes, sa petite barbiche accentuait la gravité de son visage, naturellement présente sur ses traits et ses expressions. Le Professeur avança que nous avions de la chance tous les deux. Moi, en ma qualité de Voyageur, curieux des us et coutumes d'un pays, je n'étais pas mieux tombé, dans le Musée Historique de la Ville. Lui, Professeur attaché au Musée, éternel étudiant, avait de la chance de croiser le chemin d'un homme venu d'un autre pays, d'une autre culture. Ce n'était pas un évènement courant, par ici. Je n'osai pas lui dire que je n'avais aucune idée du pays dont je venais et que, par conséquent, je n'avais rien à dire sur une culture que j'avais entièrement oubliée.
Heureusement, j'entrevis le moyen de détourner la conversation et je ne le laissai pas passer. J'ai parlé de la femme au ventre rond. Il me demanda tout de suite si elle avait parlé de la Ville. Je sentis qu'il nourrissait des craintes à cet endroit. Le sujet revêtait sans doute beaucoup d'intérêt à ses yeux. Je répondis oui à sa question et demandai aussitôt s'il connaissait le père de l'enfant. Il baissa la tête. La question, d'évidence, le gênait. Il signifia son ignorance en secouant la tête, comme s'il avait adressé sa réponse au tapis, sous ses pieds. Il n'aimait pas parler de choses à propos desquelles on ne possédait aucune trace écrite, aucun témoignage attesté, juste des on-dit, des rumeurs sans fondement. Il ajouta, à toute vitesse, que la réponse, de toutes les manières, ne l'intéressait pas. Il ne fréquentait pas la jeune femme. Elle ne pensait qu'à l'amour, n'avait que ce sujet à la bouche. Puis il revint à la charge, à propos de la Ville, de ce que la femme, justement, en avait dit. Je tentai de restituer ses propos et, quand j'eus fini de parler, il se leva dans un mouvement d'humeur et me dit que j'étais exactement au bon endroit pour comprendre à quel point la jeune femme se trompait. Il me demanda de bien vouloir le suivre, sur un ton doctoral qui allait bien à un enseignant tel que lui.
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
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ONDINE ( 3)
Nous empruntâmes un long corridor, au bout duquel il nous fit entrer dans une vaste pièce, très haute de plafond, presque vide, le presque n'étant représenté que par deux méridiennes en velours rouge, trônant au milieu de la salle. Partout, sur les murs, des tableaux, la plupart de grande taille, dont le sujet était partout la Cité. Le professeur me laissa admirer les œuvres en silence. Devant l'une d'elles, particulièrement large, je reconnus le temple de porphyre. Le professeur, qui avait compris mon intérêt particulier pour le tableau, crut bon de me préciser qu'il avait été peint il y avait près de deux cents ans, par un artiste prolifique. Je n'écoutais pas le reste des explications. Mes regards venaient de se poser sur la colonne la plus endommagée. Je l'avais vue dans le même état. J'en conçus du dépit, que j'exprimais à haute voix. Je dis au professeur ce que la femme m'avait dit, à propos de sa robe rouge, mais à ce moment-là, il parut être troublé. Il marmonna dans sa barbe, se saisit de quelque chose dans sa poche et la fit rouler à travers la pièce avec un petit sourire de contentement. Sans commenter son manège, le Professeur revint naturellement à la conversation, dont il n'avait rien perdu. Il n'était guère étonné des propos de la jeune femme. Ne m'avait-il pas dit en substance que l'amour, chez elle, était comme un prisme ? Pour l'amour, elle pouvait mentir, tromper. Il hésita quelques instants, jeta un œil à la ronde avant d'ajouter, à voix basse : Tuer, aussi. Tuer ? Ma voix parut un cri dans cette pièce presque vide et il voulut me calmer, sans doute, en levant haut ses mains. Il y a longtemps, s'empressa-t-il d'ajouter, sans cesser de murmurer. Et le fait est incontestable, il est inscrit dans des documents officiels, frappés du sceau de la Ville. Il les a étudiés minutieusement et il pouvait m'assurer qu'ils étaient authentiques. Puis il soupira. Il n'aurait jamais dû me parler de ce drame. Il me demanda comme une faveur de revenir à cette histoire une autre fois. J'étais un Voyageur, dans le plus beau Musée de la Ville, j'avais à ma disposition un guide patenté, que valait pour moi un crime passionnel, qui s'était produit dans un pays inconnu de moi et dans un temps reculé, quand j'avais de quoi comprendre la grande Histoire ? Il me laissa jeter un œil à d'autres tableaux, avant d'annoncer que les éléments s'étaient calmés et que, s'il le voulait, il était libre pour lui faire visiter la Ville. Il pouvait toujours revenir ensuite et consulter les livres de la bibliothèque. Et puis, s'il voulait voir l'enfant, il pouvait ensuite le conduire près de chez lui. Je n'eus pas le courage de lui dire non. Mais d'abord, il devait me dire, avant de quitter les lieux, pourquoi on n'avait pas conçu un corps de bâtiment aussi pimpant que le toit, dans un pays où la beauté, où la gaieté semblait la règle. C'est une très bonne question, admit le professeur. Elle a fait l'objet de nombreux livres, de nombreux discours, et il ne me cacha pas qu'il lui était impossible de lui expliquer le détail des polémiques en une seule visite.
Il me conduisit à l'extérieur, dans les jardins du Musée, et s'arrêta à un endroit d'où il était possible d'avoir une vue d'ensemble du bâtiment. Juste au moment où il ouvrait la bouche, je fus parcouru d'un grand frisson. J'avais aperçu une forme colorée au pied d'un arbre, posée sur la neige, et je la désignai du doigt, muet de surprise. Le Professeur hocha la tête et je courus dans la direction de l'arbre. Je ramassai ensuite ce qui s'apparentait le plus à un galet bleu de belle taille. Une Callope ! Callopus caeruleus ! m'exclamai-je, et le Professeur opina une nouvelle fois du chef. Je tournai et retournai l'objet dans tous les sens, tentant de retrouver les propos du Portier, tout en guettant la réaction de mon voisin. Pour la troisième fois, ce dernier confirma de la tête. Je n'attendis pas d'avantage pour préparer mon geste et je me concentrai de toutes mes forces pour projeter la fausse pierre le plus haut possible. Enfin, je la lançai et suivis son élévation tendu comme un arc. Quand la pierre fut gagnée par la vie, que l'oiseau bleu agita ses ailes pour reprendre de la hauteur, je me mis à pousser des cris de joie et je revins auprès du Professeur pour le prendre dans mes bras avec effusion, avant de le lâcher en rougissant. Je surpris un sourire sur son visage, mais il le fit disparaître quand il vit que je l'observais. L'oiseau bleu disparut dans l'eau du ciel et nous restâmes un moment silencieux. C'est le Professeur qui reprit en premier la parole. Ce faisant, il revint à nos moutons, sans transition aucune. La clef du problème est l'Histoire, lança-t-il en balayant un index en direction de la façade du Musée. D'un ton plutôt péremptoire, il me pria d'observer un moment les murs, et me promit de ne pas manquer d'y voir la sueur, celle des hommes qui les ont érigés, celle de ceux qui se sont battus pour les sauvegarder du temps, de la sauvagerie d'autres hommes. Il me promit aussi de sentir à travers eux la force de toutes ces âmes du passé, à bâtir un patrimoine glorieux pour tout un peuple. Je ris en moi-même, en pensant que ce peuple se comptait peut-être sur le doigt d'une main. Sans doute allait-il me dire bientôt ce que tous les autres étaient devenus. À partir de là, il se passa un phénomène bizarre et, à vrai dire, agréable. Le Professeur parlait, parlait, mais je n'entendais plus sa voix. Je ressentis un malin plaisir à voir sa bouche articuler des sons qui ne me parvenaient plus. C'était à la fois comique, il y avait sa bouche pincée, ses lunettes qui manquaient sans cesse de tomber et qu'il remettait en un geste étudié sur le bout de son nez, et reposant, parce que mon esprit pouvait à nouveau s'évader.
Ce phénomène étrange cessa, et le Professeur me fit voyager en bateau, sur des canaux que je n'avais pas vus parce que, selon lui, j'étais demeuré principalement sur les routes, d'où ils étaient invisibles. Il insista pour que je visse à nouveau, mais cette fois en sa compagnie, le temple de Porphyre. Il m'amena directement à l'étrange colonne, au pied de laquelle il sortit de son volumineux cartable des plans, des analyses, des commentaires, qu'il me tendit en vrac. Lisez, mon ami, lisez, répéta-t-il. Il me promit que j'allais y trouver toutes les réponses, toutes les données véritables sur la question, angles d'attaque de la roche, datation des agressions, précisions sur le matériel utilisé, de la culture concernée. Je lui fis remarquer qu'il mettait beaucoup d'énergie à montrer que la femme au ventre rond avait tort. Il me répondit du tac au tac que la chose était d'importance, qu'il ne fallait pas tromper les gens sur la vérité de l'Histoire, qu'il chérissait, parce qu'elle était une des mamelles de cette Ville, alors que l'amour, non. Je lui posai la question de savoir s'il ne le regrettait pas. Ses yeux s'agrandirent pour me répondre. Pourquoi l'aurait-il regretté ? Quelle question ! L'homme est ainsi fait qu'il fabrique de la beauté avec du sang, des larmes, de la force, du courage, de l'abnégation et plein d'autres choses encore. Mais l'amour… (il s'emporta un peu), bien sûr qu'il fallait une once d'amour par-ci, un trait d'amour par-là, une dose de passion, aussi, il était prêt à en convenir, mais pas de quoi en faire un drapeau, un emblème, pas de quoi se rendre malade chaque jour à cause de lui, comme la femme que j'ai rencontrée. Je trouvai à lui dire que, de toute manière, il n'entendrait bientôt plus parler d'elle, qu'elle allait quitter la ville. Dès demain. Je ne sais pas pourquoi j'ai rajouté : vous ne serez plus que quatre. Il me sembla que le Professeur me prît en pitié quand il me dit : On voit que vous n'êtes pas d'ici. Ici, on sait que la Ville fourmille de toutes les âmes qu'elle a accueillies dans son sein. Dans la pierre. Dans les peintures. Dans une solive. Dans le métal d'une cloche.
Pendant que je l'écoutais, je vis clairement les mots du Professeur se remplir de tristesse et je n'eus aucun doute sur les bruits de craquement que son cœur faisait entendre. Ce cœur avait un jour pris froid et ce froid l'avait saisi pour ne plus jamais le lâcher. Est-ce cette vision qui me fit dire, sans que je pusse me retenir de le faire : "L'enfant répondra certainement à ma question", "je dois trouver l'enfant" ? Le Professeur ouvrit la bouche en regardant une portion de ciel. Il me dit savoir à l'avance que cette visite ne devait pas aller jusqu'à son terme, que je n'étais pas dans les meilleures dispositions, que je ressemblais à la femme, finalement. Un rêveur, sans doute. Il garda le silence le reste du voyage qui devait me conduire près du quartier où habitait l'enfant. Enfin, si je le trouvais, me dit le Professeur en guise de conclusion. Parce que ce n'était pas chose facile. J'étais déjà en marche, mais je me suis retourné pour lui demander ce qu'il entendait par là. Cette fois, je sus avant même de tourner la tête qu'il avait disparu, lui aussi.
J'ai repris mon chemin et je cherchai l'enfant avec insouciance, curieux de découvrir un quartier de la ville que je ne connaissais pas. Je l'appelai assez vite le Royaume de l'Eau. Partout, l'élément liquide était roi, s'exprimant de toutes les voix possibles et imaginables, bouillonnant, tournoyant, chutant, bondissant, galopant au creux de roseaux magnifiques, qui tiraient sur le jaune, sur le vert ou sur le bleu, et sur chacun, je l'aurais juré, la plume d'un oiseau céleste avait gravé les signes d'une langue disparue, et les stries de cette calligraphie magique m'émouvait de plusieurs manières. Par la beauté de son trait cela va sans dire, mais aussi, plus étrangement, parce qu'il me semblait y voir un message, alors même que la langue employée me fût inconnue. C'est ainsi que je me perdis dans la forêt de roseaux, mais à ce moment-là, je crus m'égarer au milieu d'un grand livre qui me racontait une histoire que je ne comprenais pas. Je mis beaucoup de temps à retrouver sinon mon chemin un espace qui devait être habité, et où j'avais peut-être plus de chances de rencontrer l'enfant. J'étais fourbu, j'avais faim, j'avais soif. Je m'assis sur le rebord d'une fontaine en bronze, très simple et très belle à la fois, en forme de corolle, avec en son centre un fin pistil de verre, qui s'élevait un peu au-dessus de ma tête et qui faisait jaillir l'eau de tous ses stigmates. Je bus une première fois de son eau. C'est en tendant les mains une deuxième fois que j'entendis une voix d'enfant.
Je regardai autour de moi mais je ne vis personne. Ici, fit la voix. Je refis l'exercice, avec plus d'attention cette fois. Je m'attardai sur le creux d'un tronc, le sommet d'un rocher. Sans résultat. Je criai que je ne le voyais pas. J'ajoutai, toujours en criant : tu es rudement fort pour te cacher. L'enfant fit entendre de nouveau sa voix, et cette fois, je crus qu'il me parlait à l'oreille. Pourquoi cries-tu si fort ? Je suis juste à côté de toi. Le fait de ne pas voir l'enfant ne m'affolait pas, la femme au ventre rond l'avait dit magicien, et j'admirais son premier tour. Je me mis à l'applaudir, en spectateur ébahi. Au beau milieu de ma claque, je vis quelque chose sauter d'un des stigmates de verre et atterrir près de moi. Ce devait être l'enfant. Il avait la taille d'un insecte, et si je lui devinais bien un corps d'enfant en miniature, il m'était impossible de distinguer ses traits. Devinant mes pensées, il m'annonça qu'il pouvait être plus grand s'il le voulait, mais que cela n'avait aucun intérêt. Aujourd'hui, il pouvait se pelotonner dans une goutte d'eau, traverser la ville au cœur des roseaux, entrer dans les maisons sans être vu. J'étais avec toi, tout à l'heure, lança-t-il gaiement. Tu étais sur le banc, avec la femme au ventre rond. J'étais près du feu, aussi. Dans la poche du Professeur, parce qu'elle sent bon la pipe. En fait, je te suis depuis ce matin. Je lui demandai comment il avait appris ma présence, et il me répondit que c'était très simple. À chaque passage d'un Voyageur, si du moins celui-ci (ou celle-là) arrivait de jour, leur soleil, si timide, avait l'habitude de se cacher et de laisser une provision de lumière jusqu'à son départ. Il voulut savoir si c'était pareil chez moi et je dus lui avouer à regret que je n'en avais aucune idée, que je ne me souvenais de rien, que je ne savais même plus d'où j'étais issu. Je commençais à croire que chez moi, c'était ici, dans cette ville. Ville, dit l'enfant. Avec… je sais, coupai-je, mille excuses, on me l'a déjà dit. Je repris ma phrase en n'omettant pas la majuscule, cette fois. Si on acceptait de m'y faire une petite place, ajoutai-je. Que pensait-il de mon idée ? M'installer ici. Me faire des amis. Lui, par exemple. Faire de grandes promenades en sa compagnie. Admirer les tableaux du Professeur. La robe de la femme au ventre rond.
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ONDINE ( 3)
Nous empruntâmes un long corridor, au bout duquel il nous fit entrer dans une vaste pièce, très haute de plafond, presque vide, le presque n'étant représenté que par deux méridiennes en velours rouge, trônant au milieu de la salle. Partout, sur les murs, des tableaux, la plupart de grande taille, dont le sujet était partout la Cité. Le professeur me laissa admirer les œuvres en silence. Devant l'une d'elles, particulièrement large, je reconnus le temple de porphyre. Le professeur, qui avait compris mon intérêt particulier pour le tableau, crut bon de me préciser qu'il avait été peint il y avait près de deux cents ans, par un artiste prolifique. Je n'écoutais pas le reste des explications. Mes regards venaient de se poser sur la colonne la plus endommagée. Je l'avais vue dans le même état. J'en conçus du dépit, que j'exprimais à haute voix. Je dis au professeur ce que la femme m'avait dit, à propos de sa robe rouge, mais à ce moment-là, il parut être troublé. Il marmonna dans sa barbe, se saisit de quelque chose dans sa poche et la fit rouler à travers la pièce avec un petit sourire de contentement. Sans commenter son manège, le Professeur revint naturellement à la conversation, dont il n'avait rien perdu. Il n'était guère étonné des propos de la jeune femme. Ne m'avait-il pas dit en substance que l'amour, chez elle, était comme un prisme ? Pour l'amour, elle pouvait mentir, tromper. Il hésita quelques instants, jeta un œil à la ronde avant d'ajouter, à voix basse : Tuer, aussi. Tuer ? Ma voix parut un cri dans cette pièce presque vide et il voulut me calmer, sans doute, en levant haut ses mains. Il y a longtemps, s'empressa-t-il d'ajouter, sans cesser de murmurer. Et le fait est incontestable, il est inscrit dans des documents officiels, frappés du sceau de la Ville. Il les a étudiés minutieusement et il pouvait m'assurer qu'ils étaient authentiques. Puis il soupira. Il n'aurait jamais dû me parler de ce drame. Il me demanda comme une faveur de revenir à cette histoire une autre fois. J'étais un Voyageur, dans le plus beau Musée de la Ville, j'avais à ma disposition un guide patenté, que valait pour moi un crime passionnel, qui s'était produit dans un pays inconnu de moi et dans un temps reculé, quand j'avais de quoi comprendre la grande Histoire ? Il me laissa jeter un œil à d'autres tableaux, avant d'annoncer que les éléments s'étaient calmés et que, s'il le voulait, il était libre pour lui faire visiter la Ville. Il pouvait toujours revenir ensuite et consulter les livres de la bibliothèque. Et puis, s'il voulait voir l'enfant, il pouvait ensuite le conduire près de chez lui. Je n'eus pas le courage de lui dire non. Mais d'abord, il devait me dire, avant de quitter les lieux, pourquoi on n'avait pas conçu un corps de bâtiment aussi pimpant que le toit, dans un pays où la beauté, où la gaieté semblait la règle. C'est une très bonne question, admit le professeur. Elle a fait l'objet de nombreux livres, de nombreux discours, et il ne me cacha pas qu'il lui était impossible de lui expliquer le détail des polémiques en une seule visite.
Il me conduisit à l'extérieur, dans les jardins du Musée, et s'arrêta à un endroit d'où il était possible d'avoir une vue d'ensemble du bâtiment. Juste au moment où il ouvrait la bouche, je fus parcouru d'un grand frisson. J'avais aperçu une forme colorée au pied d'un arbre, posée sur la neige, et je la désignai du doigt, muet de surprise. Le Professeur hocha la tête et je courus dans la direction de l'arbre. Je ramassai ensuite ce qui s'apparentait le plus à un galet bleu de belle taille. Une Callope ! Callopus caeruleus ! m'exclamai-je, et le Professeur opina une nouvelle fois du chef. Je tournai et retournai l'objet dans tous les sens, tentant de retrouver les propos du Portier, tout en guettant la réaction de mon voisin. Pour la troisième fois, ce dernier confirma de la tête. Je n'attendis pas d'avantage pour préparer mon geste et je me concentrai de toutes mes forces pour projeter la fausse pierre le plus haut possible. Enfin, je la lançai et suivis son élévation tendu comme un arc. Quand la pierre fut gagnée par la vie, que l'oiseau bleu agita ses ailes pour reprendre de la hauteur, je me mis à pousser des cris de joie et je revins auprès du Professeur pour le prendre dans mes bras avec effusion, avant de le lâcher en rougissant. Je surpris un sourire sur son visage, mais il le fit disparaître quand il vit que je l'observais. L'oiseau bleu disparut dans l'eau du ciel et nous restâmes un moment silencieux. C'est le Professeur qui reprit en premier la parole. Ce faisant, il revint à nos moutons, sans transition aucune. La clef du problème est l'Histoire, lança-t-il en balayant un index en direction de la façade du Musée. D'un ton plutôt péremptoire, il me pria d'observer un moment les murs, et me promit de ne pas manquer d'y voir la sueur, celle des hommes qui les ont érigés, celle de ceux qui se sont battus pour les sauvegarder du temps, de la sauvagerie d'autres hommes. Il me promit aussi de sentir à travers eux la force de toutes ces âmes du passé, à bâtir un patrimoine glorieux pour tout un peuple. Je ris en moi-même, en pensant que ce peuple se comptait peut-être sur le doigt d'une main. Sans doute allait-il me dire bientôt ce que tous les autres étaient devenus. À partir de là, il se passa un phénomène bizarre et, à vrai dire, agréable. Le Professeur parlait, parlait, mais je n'entendais plus sa voix. Je ressentis un malin plaisir à voir sa bouche articuler des sons qui ne me parvenaient plus. C'était à la fois comique, il y avait sa bouche pincée, ses lunettes qui manquaient sans cesse de tomber et qu'il remettait en un geste étudié sur le bout de son nez, et reposant, parce que mon esprit pouvait à nouveau s'évader.
Ce phénomène étrange cessa, et le Professeur me fit voyager en bateau, sur des canaux que je n'avais pas vus parce que, selon lui, j'étais demeuré principalement sur les routes, d'où ils étaient invisibles. Il insista pour que je visse à nouveau, mais cette fois en sa compagnie, le temple de Porphyre. Il m'amena directement à l'étrange colonne, au pied de laquelle il sortit de son volumineux cartable des plans, des analyses, des commentaires, qu'il me tendit en vrac. Lisez, mon ami, lisez, répéta-t-il. Il me promit que j'allais y trouver toutes les réponses, toutes les données véritables sur la question, angles d'attaque de la roche, datation des agressions, précisions sur le matériel utilisé, de la culture concernée. Je lui fis remarquer qu'il mettait beaucoup d'énergie à montrer que la femme au ventre rond avait tort. Il me répondit du tac au tac que la chose était d'importance, qu'il ne fallait pas tromper les gens sur la vérité de l'Histoire, qu'il chérissait, parce qu'elle était une des mamelles de cette Ville, alors que l'amour, non. Je lui posai la question de savoir s'il ne le regrettait pas. Ses yeux s'agrandirent pour me répondre. Pourquoi l'aurait-il regretté ? Quelle question ! L'homme est ainsi fait qu'il fabrique de la beauté avec du sang, des larmes, de la force, du courage, de l'abnégation et plein d'autres choses encore. Mais l'amour… (il s'emporta un peu), bien sûr qu'il fallait une once d'amour par-ci, un trait d'amour par-là, une dose de passion, aussi, il était prêt à en convenir, mais pas de quoi en faire un drapeau, un emblème, pas de quoi se rendre malade chaque jour à cause de lui, comme la femme que j'ai rencontrée. Je trouvai à lui dire que, de toute manière, il n'entendrait bientôt plus parler d'elle, qu'elle allait quitter la ville. Dès demain. Je ne sais pas pourquoi j'ai rajouté : vous ne serez plus que quatre. Il me sembla que le Professeur me prît en pitié quand il me dit : On voit que vous n'êtes pas d'ici. Ici, on sait que la Ville fourmille de toutes les âmes qu'elle a accueillies dans son sein. Dans la pierre. Dans les peintures. Dans une solive. Dans le métal d'une cloche.
Pendant que je l'écoutais, je vis clairement les mots du Professeur se remplir de tristesse et je n'eus aucun doute sur les bruits de craquement que son cœur faisait entendre. Ce cœur avait un jour pris froid et ce froid l'avait saisi pour ne plus jamais le lâcher. Est-ce cette vision qui me fit dire, sans que je pusse me retenir de le faire : "L'enfant répondra certainement à ma question", "je dois trouver l'enfant" ? Le Professeur ouvrit la bouche en regardant une portion de ciel. Il me dit savoir à l'avance que cette visite ne devait pas aller jusqu'à son terme, que je n'étais pas dans les meilleures dispositions, que je ressemblais à la femme, finalement. Un rêveur, sans doute. Il garda le silence le reste du voyage qui devait me conduire près du quartier où habitait l'enfant. Enfin, si je le trouvais, me dit le Professeur en guise de conclusion. Parce que ce n'était pas chose facile. J'étais déjà en marche, mais je me suis retourné pour lui demander ce qu'il entendait par là. Cette fois, je sus avant même de tourner la tête qu'il avait disparu, lui aussi.
J'ai repris mon chemin et je cherchai l'enfant avec insouciance, curieux de découvrir un quartier de la ville que je ne connaissais pas. Je l'appelai assez vite le Royaume de l'Eau. Partout, l'élément liquide était roi, s'exprimant de toutes les voix possibles et imaginables, bouillonnant, tournoyant, chutant, bondissant, galopant au creux de roseaux magnifiques, qui tiraient sur le jaune, sur le vert ou sur le bleu, et sur chacun, je l'aurais juré, la plume d'un oiseau céleste avait gravé les signes d'une langue disparue, et les stries de cette calligraphie magique m'émouvait de plusieurs manières. Par la beauté de son trait cela va sans dire, mais aussi, plus étrangement, parce qu'il me semblait y voir un message, alors même que la langue employée me fût inconnue. C'est ainsi que je me perdis dans la forêt de roseaux, mais à ce moment-là, je crus m'égarer au milieu d'un grand livre qui me racontait une histoire que je ne comprenais pas. Je mis beaucoup de temps à retrouver sinon mon chemin un espace qui devait être habité, et où j'avais peut-être plus de chances de rencontrer l'enfant. J'étais fourbu, j'avais faim, j'avais soif. Je m'assis sur le rebord d'une fontaine en bronze, très simple et très belle à la fois, en forme de corolle, avec en son centre un fin pistil de verre, qui s'élevait un peu au-dessus de ma tête et qui faisait jaillir l'eau de tous ses stigmates. Je bus une première fois de son eau. C'est en tendant les mains une deuxième fois que j'entendis une voix d'enfant.
Je regardai autour de moi mais je ne vis personne. Ici, fit la voix. Je refis l'exercice, avec plus d'attention cette fois. Je m'attardai sur le creux d'un tronc, le sommet d'un rocher. Sans résultat. Je criai que je ne le voyais pas. J'ajoutai, toujours en criant : tu es rudement fort pour te cacher. L'enfant fit entendre de nouveau sa voix, et cette fois, je crus qu'il me parlait à l'oreille. Pourquoi cries-tu si fort ? Je suis juste à côté de toi. Le fait de ne pas voir l'enfant ne m'affolait pas, la femme au ventre rond l'avait dit magicien, et j'admirais son premier tour. Je me mis à l'applaudir, en spectateur ébahi. Au beau milieu de ma claque, je vis quelque chose sauter d'un des stigmates de verre et atterrir près de moi. Ce devait être l'enfant. Il avait la taille d'un insecte, et si je lui devinais bien un corps d'enfant en miniature, il m'était impossible de distinguer ses traits. Devinant mes pensées, il m'annonça qu'il pouvait être plus grand s'il le voulait, mais que cela n'avait aucun intérêt. Aujourd'hui, il pouvait se pelotonner dans une goutte d'eau, traverser la ville au cœur des roseaux, entrer dans les maisons sans être vu. J'étais avec toi, tout à l'heure, lança-t-il gaiement. Tu étais sur le banc, avec la femme au ventre rond. J'étais près du feu, aussi. Dans la poche du Professeur, parce qu'elle sent bon la pipe. En fait, je te suis depuis ce matin. Je lui demandai comment il avait appris ma présence, et il me répondit que c'était très simple. À chaque passage d'un Voyageur, si du moins celui-ci (ou celle-là) arrivait de jour, leur soleil, si timide, avait l'habitude de se cacher et de laisser une provision de lumière jusqu'à son départ. Il voulut savoir si c'était pareil chez moi et je dus lui avouer à regret que je n'en avais aucune idée, que je ne me souvenais de rien, que je ne savais même plus d'où j'étais issu. Je commençais à croire que chez moi, c'était ici, dans cette ville. Ville, dit l'enfant. Avec… je sais, coupai-je, mille excuses, on me l'a déjà dit. Je repris ma phrase en n'omettant pas la majuscule, cette fois. Si on acceptait de m'y faire une petite place, ajoutai-je. Que pensait-il de mon idée ? M'installer ici. Me faire des amis. Lui, par exemple. Faire de grandes promenades en sa compagnie. Admirer les tableaux du Professeur. La robe de la femme au ventre rond.
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Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
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ONDINE (4 )
J'avais à peine dit "rond" que l'enfant sauta dans le pavillon de mon oreille droite pour me chuchoter quelque chose. Je lui répondis qu'il ne savait rien de ces choses-là, qu'il était encore un enfant. En un rien de temps, il fut dans mon dos, entre peau et chemise, à sauter dans tous les sens, et je compris que pour arrêter ce supplice, entre démangeaisons et chatouilles, je devais me confondre en excuse, ce que je fis, en plaidant non coupable, à cause de ce que je connaissais de lui, sa voix, sa taille. Il me fit promettre de ne plus l'appeler ainsi et me révéla sans transition que, de toutes les façons, j'avais été obligé de tomber amoureux de la femme au ventre rond. Je n'eus pas besoin de lui demander pourquoi, car il m’expliqua dans la foulée que le Portier m'avait fait boire un philtre d'amour. Je lui posai aussitôt la question qui m'était venue à l'esprit. L'avait-il fait pour le Voyageur précédent ? Le faisait-il pour chacun d'eux ? Le rire joyeux de l'enfant, sur mon épaule, me fit sursauter. Il est jaloux, il est jaloux, il est… Je voulus attraper le garnement, mais il était insaisissable. Bien entendu, il avait entièrement raison. Ce qui ne m'empêcha pas de lui apprendre qu'elle voulait partir avec moi, demain, dès l'aube. Son manque de réaction m'étonna. Je lui demandai s'il était toujours là. Il répondit oui d'une voix boudeuse. Je regrettai ce que je venais de lui dire. Je lui demandai s'il était triste. Ce n'est pas du tout une bonne idée, fit l'enfant. Et puis, j'avais dit que je voulais m'installer ici. Les adultes ne savaient jamais ce qu'ils voulaient, ils changeaient toujours d'idée. Je lui rétorquai que c'était elle qui voulait partir, et pas moi. Mais je pouvais encore la convaincre de rester. Elle voulait vivre dans une ville moins belle, pour que je ne regarde qu'elle. Je pouvais lui promettre de la regarder dix fois plus que la Ville. Ou cent fois plus, pourquoi pas ? De toute façon, la Ville ne pouvait pas l'accepter, dit l'enfant, sans relever mon propos. Qu'entendait-il par-là ? Depuis quand les villes se permettaient de mettre leur grain de sel dans les décisions des gens ? Les autres, je ne sais pas, répondit l'enfant, mais elle, souvent. Il me rappela la tempête de neige, tout à l'heure. Et avant, la fontaine de diamants. C'était la Ville qui était derrière tout ça, il le savait. J'hésitai à me servir de l'ironie, me ravisai et demandai à l'enfant de m'expliquer les raisons de ces agissements. Il me répondit qu'il n'en savait rien, que c'était des affaires d'adultes, compliquées et idiotes. La Ville aussi, était une adulte. Et peut-être que la Ville ne m'aimait pas, sinon elle n'aurait pas essayé de me faire du mal. Peut-être aussi que ce n'était pas une bonne idée de partir et d'emmener la femme et son enfant loin d'elle. Elle allait peut-être se mettre dans une colère terrible. Peut-être même qu'elle allait faire trembler le ciel et la terre et essayer de nous engloutir tous les trois.
Je vis la terre s'ouvrir sous mes pas et, sous l'effet de la peur, j'eus soudain très froid. Je priai l'enfant de me dire ce que je devais faire. Je n'avais pas envie d'être avalé par la terre, je n'avais pas envie de voir mourir la femme au ventre rond, ni son enfant, je n'avais pas envie de quitter cette Cité magnifique et quitter mes nouveaux amis. Je connais son point faible, me dit l'enfant d'un ton fier. Il s'agissait de la jeune femme, et j'étais très intéressé, bien sûr, alors je le laissai parler. Il me dit qu'elle aimait beaucoup se faire belle, qu'elle raffolait des toilettes. Pour son anniversaire, le petit lui avait fait une robe… de porphyre, je complétais à toute vitesse, et justement, je ne comprenais pas, le Professeur m'avait démontré par a + b que la colonne avait été endommagée depuis une guerre vieille de… Le rire éclatant de l'enfant m'empêcha d'aller plus loin. C'est la Ville ! s'exclama t-il avec une vitalité typiquement enfantine. C'est la Ville ! répéta-t-il, mais ce qu'il allait me dire maintenant était un grand secret, je devais le garder pour moi, ne jamais le révéler au Professeur. Je lui fis ma seconde promesse, le bras levé, et il me raconta comment la Ville était restée longtemps seule, et sans Histoire. Pendant longtemps, elle avait cru que les Hommes la choisiraient pour sa seule beauté, mais un jour, un Voyageur comme moi lui fit comprendre ce qui lui manquait d'important à nos yeux, et, avec son aide, elle s'inventa une histoire. Elle n'était pas une spécialiste, et le Voyageur non plus, alors le résultat de leur travail commun était un peu spécial, ironisa l'enfant. Il y a des erreurs dans les tableaux, dans les livres, les monuments, partout. C'est ce qui a coûté beaucoup d'efforts au Professeur, et qui continuait de lui poser beaucoup de problèmes. Il étudiait cette Cité avec autant de passion que le premier jour de son arrivée. Il faisait des analyses, des études, il continuait de lire tous les livres, tous les documents que la Ville a fait écrire en l'espace d'une nuit. Il disait souvent que tout se tenait, que les contradictions n'étaient qu'apparentes. Il était heureux ainsi. Et puis, l'enfant croyait savoir pourquoi le Professeur se jetait à corps perdu dans les livres, les tableaux. Il aimait depuis longtemps une femme qui ne l'aimait pas, et cet amour faisait un trou dans son cœur. Alors, tant que son esprit était occupé ailleurs, il ne sentait pas sa blessure.
Vint le moment où le garçon évoqua à nouveau la robe rouge, et lui confirma que c'était bien lui qui avait prélevé le porphyre pour en confectionner la robe. Rien ne l'empêchait, alors, proposai-je, de créer d'autres robes, tout aussi fantastiques, pourquoi pas dix, que le Voyageur, moi en l'occurrence allait pouvoir offrir ensuite en cadeau à la jeune femme, à condition de ne pas partir, à condition de vivre ici, dans un des quartiers de la Ville. C'était bien ce qu'il désirait, non ? Pour une question que je posai au gamin, celui-ci m'en retourna deux en réponse : si l'enfant naissait loin d'ici, avec qui jouerait-il ? Aurait-il une seconde chance de connaître un autre enfant que lui ? Et puis, ce n'était pas la meilleure chose que pour lui. La ville, demain, dans sa colère, pouvait se laisser aller, d'une manière ou d'une autre, à faire remonter la vérité aux oreilles du Professeur, et cette nouvelle ne pouvait que le rendre très malheureux. Et puis aussi, d'autres choses encore, mais il me les dirait une autre fois. Je voulus le regarder de près mais il sauta dans mes cheveux et s'y cacha. Nous allons nous mettre tout de suite à l'ouvrage, lui dis-je alors, pour lui donner confiance en l'avenir. J'imagine une robe de roseau, une autre s'ouvrant en corolle, un coquelicot ou une tulipe. Saurait-il faire cela ? Je sentis mes cheveux bouger et je compris que le petit avait haussé les épaules. Bien sûr, affirma-t-il, il y avait juste un problème à résoudre. Ah ? Lequel ? Il fallait l'accord de la Vieille Dame, les fleurs n'écoutaient que sa voix. La Vieille Dame ? Je comptais : le Portier, un, la jeune femme au ventre rond, deux, le Professeur trois, l'enfant, quatre. Il manquait effectivement quelqu'un. Mais pourquoi personne ne lui en avait parlé ? L'enfant ne répondit pas. Je ne savais plus où il se trouvait. Il était si minuscule. Obscurément, j'avais l'impression de savoir que tous les enfants n'étaient pas ainsi. Tu es là ? Je faisais bien attention de ne prononcer ni le mot enfant, ni celui de petit. J'essayai garçon. Garçon, tu es là ? Oui, finit-il par répondre. Il était dans la poche de ma chemise et se demandait s'il allait m'expliquer, à propos de la Vieille Dame. Il m'avait déjà dit beaucoup de choses que l'on ne dit jamais à un étranger. Je le remerciai chaleureusement de cette marque de confiance et lui conseillai de faire selon son cœur, à propos de la Vieille Dame. Il pouvait faire des robes d'un autre genre si c'était plus commode pour lui, taillées dans un morceau du ciel ou de nuages. L'enfant retrouva son rire, et imita ma voix, piquant au passage ciel et nuages. Comme j'y allais, il n'avait pas encore une telle dextérité ! S'il parvenait à faire de tels vêtements, ce ne serait pas avant de longues années. Non, il n'y avait pas trente-six solutions, il fallait qu'il me dise, pour la Vieille Dame, et tant pis s'il se faisait gronder ensuite par les autres. Surtout que je pouvais l'aider, qui sait ? Dans tous les cas, je lui promettais de faire tout ce qui était en mon possible, cela allait de soi, pour moi.
Il laissa passer un temps, pendant lequel je marchai sans but, poursuivant le chemin sur lequel j'étais et qui longeait d'un côté un bâtiment de brique et de bois, et de l'autre, un potager. Je m'enquis auprès de l'enfant de savoir si nous avions quitté la ville, et il me répondit par la négative. Le bâtiment à notre gauche était l'école d'horticulture, où la Vieille Dame enseignait, et le potager, à droite, faisait partie de l'école. Je me tournai du côté du potager. A l'infini, me sembla-t-il, des carrés parfaits se succédaient, entourés de buis, de briques, de plessis, et deux mots me vinrent à l'esprit, deux mots dont je ne connaissais pas le sens et qui pourtant me ravissaient. Hortus Conclusus. Je le dis à haute voix, et l'enfant réagit en disant qu'il connaissait ces mots, qu'ils étaient écrits sur les roseaux, près de chez lui, mais il ne savait pas ce qu'ils voulaient dire. Je répondis que c'était pareil pour moi, ils étaient gravés dans ma tête, mais je n'en connaissais ni la raison ni leur sens.
Je remerciai ensuite l'enfant en moi-même de ne pas m'abreuver de paroles, car j'étais subjugué par tous les trésors que la terre avaient produits un peu partout, surtout par les courges, de toutes les tailles, de toutes les couleurs. Les arbres fruitiers, aussi. J'oubliai l'enfant. J'oubliai tout pour contempler ces merveilles. Jusqu'à ce qu'une question me fouette le visage. Je la posai à l'enfant, dont je connaissais pour une fois la position, perché sur la barrière où j'étais moi-même assis, à califourchon. La Vieille Dame, me répondit l'enfant, évidemment. Évidemment. Qui d'autre aurait pu demander aux plantes d'être si belles ? Il est arrivé quelque chose à la Vieille Dame, lâcha tout à coup l'enfant, et j'entendis dans sa voix le soulagement de s'être débarrassé d'un lourd fardeau. Elle ne peut plus se lever. Elle ne veut plus manger. Il lui a bien demandé de lui expliquer ce qui se passait, mais elle lui a répondu que ce n'était rien, que ça n'allait pas durer longtemps. J'ai demandé aux autres, ils m'ont répondu la même chose. Je crois que c'est des mensonges et que la Vieille Dame ne va pas bien du tout, mais peut-être que toi, tu me diras ce qui se passe. J'essayais de ne pas trop prendre de temps pour réfléchir, alors je lui dis que je ne connaissais pas la Vieille Dame, mais qu'elle pouvait effectivement connaître un peu de fatigue, rien de plus normal à son âge. L'enfant me demanda pourquoi je disais ça, rien de plus normal à son âge. Il avait bien connu d'autres personnes âgées, non ? Jamais. N'avais-je pas remarqué que la Ville était habitée par les Cinq Âges ? Le sien, celui de l'adolescent (le Portier, pensais-je), celui de la jeune femme, de l'homme mûr (je revis l'air sérieux du Professeur), et celui de la vieillesse. Tu viens de le dire toi-même, ai-je fait remarquer à l'enfant, la vieillesse. Bien sûr qu'il l'avait dit (l'enfant semblait de mauvais poil), et alors ? Et alors, il devait bien savoir ce qui arrivait, quand on devenait très vieux. L'enfant était remonté sur ma tête et je sentis qu'il trépignait. Qu'est-ce qui arrivait dans ces cas-là ? questionna l'enfant, impatient. D'être fatiguée comme la Vieille Dame ? J'aurais dû répondre plus vite et de manière plus assurée. Au lieu de ça, je pris peur, freinai des quatre fers et traînai un oui sans consistance. Sa réaction ne se fit pas attendre. Il sauta sur une branche qui se présentait à lui, fit volte-face et me cria que j'étais comme tous les adultes, que je pesais toute mes pensées avant. Il cria menteur, menteur, menteur, un nombre incalculable de fois avant de se laisser tomber, en pleurs, sur la branche. Je cherchai à le caresser du bout du doigt, mais il était si petit, que je n'allai pas au bout de mon geste. J'attendis qu'il sèche un peu ses larmes, avant de lui parler à nouveau. Je supposai que la Vieille Dame était peut-être malade. L'enfant me répondit : certainement pas. Il m'expliqua que c'était elle qui connaissait le mieux les plantes, et quand quelqu'un de la Ville était malade, c'était elle qu'il allait voir, pour lui parler de sa maladie, et elle trouvait toujours les plantes dont on avait besoin pour se soigner. Ce qui est sûr, continuai-je, c'est qu'après le cinquième âge de la vie (je me remis à hésiter)… on part faire un long, très long voyage. Mais alors, s'étonna t-il, pourquoi la Vieille Dame était déjà fatiguée avant même de commencer son voyage ? Et pourquoi je prenais cet air si triste ? Un voyage, c'est gai, c'est rempli d'aventures palpitantes. Tu me mens encore ! Vous mentez tous, cria l'enfant. Et il pleura à nouveau. A chaudes larmes. Cette fois, j'attendis longtemps avant qu'il ne retrouvât son calme. Après, je tentai de faire un autre pas, pour lui faire comprendre que le cinquième âge, celui de la vieille dame, était le dernier. Il me rétorqua sans attendre que je ne lui apprenais rien, que ça, il le savait. Mais alors, s'il le savait, pourquoi ces mystères, ces questions sur son état ? Parce qu'elle était soudain si fatiguée, si différente, gémit-il, il ne comprenait pas, c'était la première fois qu'une telle chose arrivait à quelqu'un dans la Ville. Il n'aurait pas dû le dire, mais il aurait préféré voir le Portier dans cet état. Parce que, si rien ne changeait, les fleurs, les fruits, les légumes, allaient dépérir, faute de soins. Et puis, le Portier pouvait bien vivre fatigué, il ne se levait que pour ouvrir aux Voyageurs, pour manger ou pour boire. Je lui demandai s'il était sûr de n'avoir jamais vu un habitant de la Ville très fatigué. Si, me répondit le gamin, la femme au ventre rond. Parfois, elle est très fatiguée. Pourtant, elle est encore plus jolie comme ça, fit-il remarquer (j'étais d'accord avec lui). Il ne voyait pas pourquoi je lui demandais ça. Et quelqu'un qui disparaît sans être fatigué, en avait-il vu ?
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ONDINE (4 )
J'avais à peine dit "rond" que l'enfant sauta dans le pavillon de mon oreille droite pour me chuchoter quelque chose. Je lui répondis qu'il ne savait rien de ces choses-là, qu'il était encore un enfant. En un rien de temps, il fut dans mon dos, entre peau et chemise, à sauter dans tous les sens, et je compris que pour arrêter ce supplice, entre démangeaisons et chatouilles, je devais me confondre en excuse, ce que je fis, en plaidant non coupable, à cause de ce que je connaissais de lui, sa voix, sa taille. Il me fit promettre de ne plus l'appeler ainsi et me révéla sans transition que, de toutes les façons, j'avais été obligé de tomber amoureux de la femme au ventre rond. Je n'eus pas besoin de lui demander pourquoi, car il m’expliqua dans la foulée que le Portier m'avait fait boire un philtre d'amour. Je lui posai aussitôt la question qui m'était venue à l'esprit. L'avait-il fait pour le Voyageur précédent ? Le faisait-il pour chacun d'eux ? Le rire joyeux de l'enfant, sur mon épaule, me fit sursauter. Il est jaloux, il est jaloux, il est… Je voulus attraper le garnement, mais il était insaisissable. Bien entendu, il avait entièrement raison. Ce qui ne m'empêcha pas de lui apprendre qu'elle voulait partir avec moi, demain, dès l'aube. Son manque de réaction m'étonna. Je lui demandai s'il était toujours là. Il répondit oui d'une voix boudeuse. Je regrettai ce que je venais de lui dire. Je lui demandai s'il était triste. Ce n'est pas du tout une bonne idée, fit l'enfant. Et puis, j'avais dit que je voulais m'installer ici. Les adultes ne savaient jamais ce qu'ils voulaient, ils changeaient toujours d'idée. Je lui rétorquai que c'était elle qui voulait partir, et pas moi. Mais je pouvais encore la convaincre de rester. Elle voulait vivre dans une ville moins belle, pour que je ne regarde qu'elle. Je pouvais lui promettre de la regarder dix fois plus que la Ville. Ou cent fois plus, pourquoi pas ? De toute façon, la Ville ne pouvait pas l'accepter, dit l'enfant, sans relever mon propos. Qu'entendait-il par-là ? Depuis quand les villes se permettaient de mettre leur grain de sel dans les décisions des gens ? Les autres, je ne sais pas, répondit l'enfant, mais elle, souvent. Il me rappela la tempête de neige, tout à l'heure. Et avant, la fontaine de diamants. C'était la Ville qui était derrière tout ça, il le savait. J'hésitai à me servir de l'ironie, me ravisai et demandai à l'enfant de m'expliquer les raisons de ces agissements. Il me répondit qu'il n'en savait rien, que c'était des affaires d'adultes, compliquées et idiotes. La Ville aussi, était une adulte. Et peut-être que la Ville ne m'aimait pas, sinon elle n'aurait pas essayé de me faire du mal. Peut-être aussi que ce n'était pas une bonne idée de partir et d'emmener la femme et son enfant loin d'elle. Elle allait peut-être se mettre dans une colère terrible. Peut-être même qu'elle allait faire trembler le ciel et la terre et essayer de nous engloutir tous les trois.
Je vis la terre s'ouvrir sous mes pas et, sous l'effet de la peur, j'eus soudain très froid. Je priai l'enfant de me dire ce que je devais faire. Je n'avais pas envie d'être avalé par la terre, je n'avais pas envie de voir mourir la femme au ventre rond, ni son enfant, je n'avais pas envie de quitter cette Cité magnifique et quitter mes nouveaux amis. Je connais son point faible, me dit l'enfant d'un ton fier. Il s'agissait de la jeune femme, et j'étais très intéressé, bien sûr, alors je le laissai parler. Il me dit qu'elle aimait beaucoup se faire belle, qu'elle raffolait des toilettes. Pour son anniversaire, le petit lui avait fait une robe… de porphyre, je complétais à toute vitesse, et justement, je ne comprenais pas, le Professeur m'avait démontré par a + b que la colonne avait été endommagée depuis une guerre vieille de… Le rire éclatant de l'enfant m'empêcha d'aller plus loin. C'est la Ville ! s'exclama t-il avec une vitalité typiquement enfantine. C'est la Ville ! répéta-t-il, mais ce qu'il allait me dire maintenant était un grand secret, je devais le garder pour moi, ne jamais le révéler au Professeur. Je lui fis ma seconde promesse, le bras levé, et il me raconta comment la Ville était restée longtemps seule, et sans Histoire. Pendant longtemps, elle avait cru que les Hommes la choisiraient pour sa seule beauté, mais un jour, un Voyageur comme moi lui fit comprendre ce qui lui manquait d'important à nos yeux, et, avec son aide, elle s'inventa une histoire. Elle n'était pas une spécialiste, et le Voyageur non plus, alors le résultat de leur travail commun était un peu spécial, ironisa l'enfant. Il y a des erreurs dans les tableaux, dans les livres, les monuments, partout. C'est ce qui a coûté beaucoup d'efforts au Professeur, et qui continuait de lui poser beaucoup de problèmes. Il étudiait cette Cité avec autant de passion que le premier jour de son arrivée. Il faisait des analyses, des études, il continuait de lire tous les livres, tous les documents que la Ville a fait écrire en l'espace d'une nuit. Il disait souvent que tout se tenait, que les contradictions n'étaient qu'apparentes. Il était heureux ainsi. Et puis, l'enfant croyait savoir pourquoi le Professeur se jetait à corps perdu dans les livres, les tableaux. Il aimait depuis longtemps une femme qui ne l'aimait pas, et cet amour faisait un trou dans son cœur. Alors, tant que son esprit était occupé ailleurs, il ne sentait pas sa blessure.
Vint le moment où le garçon évoqua à nouveau la robe rouge, et lui confirma que c'était bien lui qui avait prélevé le porphyre pour en confectionner la robe. Rien ne l'empêchait, alors, proposai-je, de créer d'autres robes, tout aussi fantastiques, pourquoi pas dix, que le Voyageur, moi en l'occurrence allait pouvoir offrir ensuite en cadeau à la jeune femme, à condition de ne pas partir, à condition de vivre ici, dans un des quartiers de la Ville. C'était bien ce qu'il désirait, non ? Pour une question que je posai au gamin, celui-ci m'en retourna deux en réponse : si l'enfant naissait loin d'ici, avec qui jouerait-il ? Aurait-il une seconde chance de connaître un autre enfant que lui ? Et puis, ce n'était pas la meilleure chose que pour lui. La ville, demain, dans sa colère, pouvait se laisser aller, d'une manière ou d'une autre, à faire remonter la vérité aux oreilles du Professeur, et cette nouvelle ne pouvait que le rendre très malheureux. Et puis aussi, d'autres choses encore, mais il me les dirait une autre fois. Je voulus le regarder de près mais il sauta dans mes cheveux et s'y cacha. Nous allons nous mettre tout de suite à l'ouvrage, lui dis-je alors, pour lui donner confiance en l'avenir. J'imagine une robe de roseau, une autre s'ouvrant en corolle, un coquelicot ou une tulipe. Saurait-il faire cela ? Je sentis mes cheveux bouger et je compris que le petit avait haussé les épaules. Bien sûr, affirma-t-il, il y avait juste un problème à résoudre. Ah ? Lequel ? Il fallait l'accord de la Vieille Dame, les fleurs n'écoutaient que sa voix. La Vieille Dame ? Je comptais : le Portier, un, la jeune femme au ventre rond, deux, le Professeur trois, l'enfant, quatre. Il manquait effectivement quelqu'un. Mais pourquoi personne ne lui en avait parlé ? L'enfant ne répondit pas. Je ne savais plus où il se trouvait. Il était si minuscule. Obscurément, j'avais l'impression de savoir que tous les enfants n'étaient pas ainsi. Tu es là ? Je faisais bien attention de ne prononcer ni le mot enfant, ni celui de petit. J'essayai garçon. Garçon, tu es là ? Oui, finit-il par répondre. Il était dans la poche de ma chemise et se demandait s'il allait m'expliquer, à propos de la Vieille Dame. Il m'avait déjà dit beaucoup de choses que l'on ne dit jamais à un étranger. Je le remerciai chaleureusement de cette marque de confiance et lui conseillai de faire selon son cœur, à propos de la Vieille Dame. Il pouvait faire des robes d'un autre genre si c'était plus commode pour lui, taillées dans un morceau du ciel ou de nuages. L'enfant retrouva son rire, et imita ma voix, piquant au passage ciel et nuages. Comme j'y allais, il n'avait pas encore une telle dextérité ! S'il parvenait à faire de tels vêtements, ce ne serait pas avant de longues années. Non, il n'y avait pas trente-six solutions, il fallait qu'il me dise, pour la Vieille Dame, et tant pis s'il se faisait gronder ensuite par les autres. Surtout que je pouvais l'aider, qui sait ? Dans tous les cas, je lui promettais de faire tout ce qui était en mon possible, cela allait de soi, pour moi.
Il laissa passer un temps, pendant lequel je marchai sans but, poursuivant le chemin sur lequel j'étais et qui longeait d'un côté un bâtiment de brique et de bois, et de l'autre, un potager. Je m'enquis auprès de l'enfant de savoir si nous avions quitté la ville, et il me répondit par la négative. Le bâtiment à notre gauche était l'école d'horticulture, où la Vieille Dame enseignait, et le potager, à droite, faisait partie de l'école. Je me tournai du côté du potager. A l'infini, me sembla-t-il, des carrés parfaits se succédaient, entourés de buis, de briques, de plessis, et deux mots me vinrent à l'esprit, deux mots dont je ne connaissais pas le sens et qui pourtant me ravissaient. Hortus Conclusus. Je le dis à haute voix, et l'enfant réagit en disant qu'il connaissait ces mots, qu'ils étaient écrits sur les roseaux, près de chez lui, mais il ne savait pas ce qu'ils voulaient dire. Je répondis que c'était pareil pour moi, ils étaient gravés dans ma tête, mais je n'en connaissais ni la raison ni leur sens.
Je remerciai ensuite l'enfant en moi-même de ne pas m'abreuver de paroles, car j'étais subjugué par tous les trésors que la terre avaient produits un peu partout, surtout par les courges, de toutes les tailles, de toutes les couleurs. Les arbres fruitiers, aussi. J'oubliai l'enfant. J'oubliai tout pour contempler ces merveilles. Jusqu'à ce qu'une question me fouette le visage. Je la posai à l'enfant, dont je connaissais pour une fois la position, perché sur la barrière où j'étais moi-même assis, à califourchon. La Vieille Dame, me répondit l'enfant, évidemment. Évidemment. Qui d'autre aurait pu demander aux plantes d'être si belles ? Il est arrivé quelque chose à la Vieille Dame, lâcha tout à coup l'enfant, et j'entendis dans sa voix le soulagement de s'être débarrassé d'un lourd fardeau. Elle ne peut plus se lever. Elle ne veut plus manger. Il lui a bien demandé de lui expliquer ce qui se passait, mais elle lui a répondu que ce n'était rien, que ça n'allait pas durer longtemps. J'ai demandé aux autres, ils m'ont répondu la même chose. Je crois que c'est des mensonges et que la Vieille Dame ne va pas bien du tout, mais peut-être que toi, tu me diras ce qui se passe. J'essayais de ne pas trop prendre de temps pour réfléchir, alors je lui dis que je ne connaissais pas la Vieille Dame, mais qu'elle pouvait effectivement connaître un peu de fatigue, rien de plus normal à son âge. L'enfant me demanda pourquoi je disais ça, rien de plus normal à son âge. Il avait bien connu d'autres personnes âgées, non ? Jamais. N'avais-je pas remarqué que la Ville était habitée par les Cinq Âges ? Le sien, celui de l'adolescent (le Portier, pensais-je), celui de la jeune femme, de l'homme mûr (je revis l'air sérieux du Professeur), et celui de la vieillesse. Tu viens de le dire toi-même, ai-je fait remarquer à l'enfant, la vieillesse. Bien sûr qu'il l'avait dit (l'enfant semblait de mauvais poil), et alors ? Et alors, il devait bien savoir ce qui arrivait, quand on devenait très vieux. L'enfant était remonté sur ma tête et je sentis qu'il trépignait. Qu'est-ce qui arrivait dans ces cas-là ? questionna l'enfant, impatient. D'être fatiguée comme la Vieille Dame ? J'aurais dû répondre plus vite et de manière plus assurée. Au lieu de ça, je pris peur, freinai des quatre fers et traînai un oui sans consistance. Sa réaction ne se fit pas attendre. Il sauta sur une branche qui se présentait à lui, fit volte-face et me cria que j'étais comme tous les adultes, que je pesais toute mes pensées avant. Il cria menteur, menteur, menteur, un nombre incalculable de fois avant de se laisser tomber, en pleurs, sur la branche. Je cherchai à le caresser du bout du doigt, mais il était si petit, que je n'allai pas au bout de mon geste. J'attendis qu'il sèche un peu ses larmes, avant de lui parler à nouveau. Je supposai que la Vieille Dame était peut-être malade. L'enfant me répondit : certainement pas. Il m'expliqua que c'était elle qui connaissait le mieux les plantes, et quand quelqu'un de la Ville était malade, c'était elle qu'il allait voir, pour lui parler de sa maladie, et elle trouvait toujours les plantes dont on avait besoin pour se soigner. Ce qui est sûr, continuai-je, c'est qu'après le cinquième âge de la vie (je me remis à hésiter)… on part faire un long, très long voyage. Mais alors, s'étonna t-il, pourquoi la Vieille Dame était déjà fatiguée avant même de commencer son voyage ? Et pourquoi je prenais cet air si triste ? Un voyage, c'est gai, c'est rempli d'aventures palpitantes. Tu me mens encore ! Vous mentez tous, cria l'enfant. Et il pleura à nouveau. A chaudes larmes. Cette fois, j'attendis longtemps avant qu'il ne retrouvât son calme. Après, je tentai de faire un autre pas, pour lui faire comprendre que le cinquième âge, celui de la vieille dame, était le dernier. Il me rétorqua sans attendre que je ne lui apprenais rien, que ça, il le savait. Mais alors, s'il le savait, pourquoi ces mystères, ces questions sur son état ? Parce qu'elle était soudain si fatiguée, si différente, gémit-il, il ne comprenait pas, c'était la première fois qu'une telle chose arrivait à quelqu'un dans la Ville. Il n'aurait pas dû le dire, mais il aurait préféré voir le Portier dans cet état. Parce que, si rien ne changeait, les fleurs, les fruits, les légumes, allaient dépérir, faute de soins. Et puis, le Portier pouvait bien vivre fatigué, il ne se levait que pour ouvrir aux Voyageurs, pour manger ou pour boire. Je lui demandai s'il était sûr de n'avoir jamais vu un habitant de la Ville très fatigué. Si, me répondit le gamin, la femme au ventre rond. Parfois, elle est très fatiguée. Pourtant, elle est encore plus jolie comme ça, fit-il remarquer (j'étais d'accord avec lui). Il ne voyait pas pourquoi je lui demandais ça. Et quelqu'un qui disparaît sans être fatigué, en avait-il vu ?
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Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
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ONDINE (5)
L'enfant devait réfléchir en retenant son souffle. Oui, finit-il par répondre, il y a très longtemps. Un Voyageur qui était musicien, Il faisait la cour à la femme au ventre rond. Et elle ? demandai-je un peu trop vite. Elle était amoureuse de lui, répondit le garçon. Seulement, un beau matin (il était présent, ce jour-là, dans un pli de sa robe), il lui apprit qu'il devait partir. Changer d'air. Changer de ville. De pays. La jeune femme aurait voulu le suivre, mais il lui avait dit que ce n'était pas possible, qu'il voulait être seul, avec sa musique. Elle l'avait supplié pendant deux jours, deux nuits entières, mais l'homme n'avait pas changé d'idée. Le matin du troisième jour, la femme avait insisté pour le conduire sur un chemin, mais aux portes de la ville, l'enfant avait sauté en route, parce qu'il avait peur de se retrouver loin de chez lui. Le reste, il l'apprit de la Vieille Dame. J'avançai une paume vers la place supposée de l'enfant. Arrête, fis-je brutalement. Je crois que je connais la fin de l'histoire, le Professeur me l'a racontée. En fait, je n'en connaissais aucun détail, mais je n'avais pas envie de les entendre. J'entendis l'enfant se fendre d'un ricanement. Le Professeur m'aura probablement raconté n'importe quoi à ce sujet, avança l'enfant, sinon, il ne l'aurait pas attrapé dans sa poche à ce moment-là pour le faire rouler jusqu'à l'autre bout de la salle. Il m'a probablement dit que c'était la femme qui avait entraîné le Voyageur sur la route d'un désert où il continuait jusqu'à ce jour de se perdre. Je mentis à l'enfant en confirmant ses propos, tout en m'imposant une vision terrible, celle de la femme poignardant le musicien dans le dos. En fait, c'est faux ! affirma l'enfant assez fort. C'est la Ville. Elle a demandé au vent de se lever et de souffler sur le musicien, de souffler et de l'emmener dans un pays lointain, où les pirates capturent les gens et les vendent à la Cour d'un Prince. Mais l'histoire ne s'arrête pas là, poursuivit le gamin. Je pris un air étonné et l'enfant eut un soupir de satisfaction. Il était sûr que le Professeur ne lui en avait pas parlé. Quelques temps après la disparition du musicien, dit-il, la jeune femme vit son ventre s'arrondir pour la première fois. Elle partit de la Ville et on a cru qu'elle était allé retrouver le musicien, mais en fait, pas du tout, elle est revenue un peu après. Son ventre rond avait disparu. L'enfant lui en avait voulu pour cela, parce qu'elle l'avait privé de la compagnie d'un autre enfant comme lui. C'était ce qu'il craignait pour demain. Cette fois, c'est différent, rétorquai-je. L'enfant va sortir de son ventre, il est sur le point d'arriver. Mais si vous partez, gémit l'enfant… tsst tsst, coupai-je, on ne baisse pas les bras, on va voir la Vieille Dame, elle te connaît bien, elle nous donnera certainement son accord pour cueillir quelques fleurs, et alors, tu en feras des robes époustouflantes, qui émerveilleront ma fiancée, je n'admirerai plus qu'elle, et elle ne songera plus à partir. Que pensait-il de mon plan ? Formidable, lança-t-il, en courant sur la barrière, et je me suis senti heureux de le voir si allègre.
Sans stopper sa course, il arracha une haute graminée, terminée par un stipe jaune, et me cria, au loin, de le suivre. En plus d'être magicien, ce gamin avait de la suite dans les idées. Sachant que sa taille empêchait quiconque de l'apercevoir de loin, il brandissait bien haut son fanion végétal, que je ne perdis pas du regard jusqu'à la chaumière de la Vieille Dame. De l'intérieur, une petite voix nous dit que la porte était ouverte. Nous entrâmes dans la pénombre d'une pièce, et nous fûmes assaillis par une douce odeur d'oranger. La Vieille Dame nous guida de sa voix et nous fûmes très vite au pied de son lit, dans lequel elle était allongée. Je suis venu vous présenter quelqu'un, dit l'Enfant, d'une voix douce. Le Voyageur, je sais, dit la Vieille Dame en tournant son visage vers nous. Toute la Ville ne parle que de vous, ajouta t-elle en m'adressant un sourire. La Ville y compris. Il paraît qu'elle vous a déjà joué de vilains tours. Je lui dis qu'un Voyageur aguerri s'attendait toujours à rencontrer différentes menaces le long son périple, qu'il s'y préparait à l'avance, mais qu'une Ville lui en voulût personnellement, ça ne lui était jamais arrivé. Oh, fit la Vieille Dame, il ne fallait pas pour autant m'alarmer. Les sautes d'humeurs de la Ville avaient de quoi impressionner, mais elles ne portaient pas à conséquence. La Ville était une grande sensible. Tout de même, fis-je remarquer, si l'on songe au musicien. Le musicien n'a eu que ce qu'il mérite, rétorqua-t-elle immédiatement. Il a promis à la jeune femme de lui donner son amour et sa vie, et il n'a pas tenu sa promesse. C'est le genre de choses qui met la Ville dans tous ses états. Je réagis à ces propos en lui disant que ce sentiment ne lui interdisait pas de tronquer l'Histoire. Dites-moi, monsieur le Voyageur, qui est du côté de l'Amour ? La Ville, qui en jouant avec l'Histoire, a rendu le Professeur heureux, ou le musicien, qui a dévasté le cœur de la jeune femme ? Je n'avais rien à répondre à cela et me tus.
La Vieille Dame se mit sur son séant et nous pria, l'enfant et moi, d'ouvrir tous les volets de la maison, ce que nous fîmes immédiatement. Ensuite, elle demanda à l'enfant de se mettre derrière la goutte d'eau. Je ne compris pas tout de suite le sens de ces paroles, ni pourquoi l'enfant protestait, disait qu'il avait tout fait et qu'il n'était plus un enfant. Elle réitéra sa demande sans ôter la douceur de sa voix, mais cette fois, de manière plus impérative. J'écarquillai les yeux pour apercevoir la goutte en question, mais je ne vis rien, alors je me contentai de suivre l'enfant, qui tenait toujours son herbe à la main. Il se dirigea en ronchonnant vers une espèce de vase et je retins un cri quand il passa derrière lui. Tout à coup, par un effet de loupe, j'eus devant mes yeux un véritable enfant, un diablotin tout ébouriffé qui regardait la Vieille Dame avec ses yeux immenses. Plus stupéfiant encore, et mon cœur fit un bon dans ma poitrine en le découvrant, je compris que ce petit bout d'homme était mon fils, mais je me retenai de dire quoi que ce soit sur ce sujet, sentant obscurément que ce n'était pas le moment de le faire. La Vieille Dame lui fit ouvrir la bouche, présenter ses mains et le sermonna. Il avait encore manqué de faire sa toilette, il n'était pas coiffé, il avait pourtant promis. Il baissa la tête et se dirigea sans un mot vers la salle de bains, derrière lui. Je me retrouvai seul un moment avec la Vieille Dame. Elle me tendit un morceau de gâteau et je le saisis avec plaisir, en la remerciant. Elle attendit de croiser mon regard avant de me confier qu'elle était heureuse de mon retour. Depuis ma précédente visite, la jeune femme comptait les jours et jurait de se laisser mourir avec l'enfant si je ne revenais pas. Elle pouvait partir tranquille, maintenant. Non, il y avait une dernière chose. L'enfant. Il avait besoin d'un père d'une mère. Je suis son père, ai-je lâché d'un coup. Je suis venu retrouver Ondine, mais je suis aussi venu le retrouver lui.
La Vieille Dame n'avait pas cessé de me regarder. Il a vos yeux, dit-elle, mais il est sauvage comme sa mère. Elle gloussa. Il est toujours dépenaillé et fait au mieux une toilette de chat. La Vieille Dame semblait lire en moi, car elle ajouta : Ne cherchez pas pourquoi vous ne vous souvenez plus de vos visites. A chaque fois, le Portier vous fait boire une potion qui vous fait oublier tout ce que vous avez vécu ici dès que vous quittez la Ville. Cependant, la première fois que vous êtes arrivé ici, c'était la nuit, et comme le Portier n'était pas réveillé, vous n'avez pas bu le breuvage. Vous auriez donc dû vous rappeler votre première visite. Je reconnus qu'il ne m'en était rien resté non plus mais que cette situation pénible allait cesser, car je ne voulais plus partir. De cette manière, mes souvenirs allaient s'attacher à moi, tout comme l'amour d'Ondine, celui de mes enfants, tout comme mes amitiés. Mais j'ai un peu de crainte à cause de la Ville, avouai-je. Elle ne semble pas ravie de ma présence. Pourtant, je n'ai pour elle qu'admiration. C'est justement là toute la question, commenta la Vieille Dame. Je lui dis ne pas comprendre mais, au lieu de m'éclairer en retour, elle accrocha son regard au mien, et il me parut qu'elle fouillait en moi, qu'elle cherchait à remonter une chose enfouie. Puis, vint le moment où elle s'éclaircit la gorge et se remit à parler. Elle m'annonça qu'elle allait me délivrer une vérité, une vérité qui me concerne au premier chef. Elle ne m'aurait pas dévoilé son contenu si celui-ci n'avait été qu'une simple conviction. En préambule à celle-ci, il fallait qu'elle lui fasse une confidence. Elle avait longtemps tenu sa propre vision de la Ville comme la seule valable. En cela, elle avait fait montre d'une intolérance qu'elle regrettait aujourd'hui. Le Professeur et elle s'étaient aimés, autrefois, mais sa passion pour la science, pour l'histoire, sa détermination à connaître les choses avec exactitude l'avaient exaspérée et elle l'avait éconduit de manière blessante, en se moquant copieusement de ses travaux. L'amour ne se présenta plus à elle et elle se réfugia parmi les plantes, qui lui donnèrent le leur. Ce qui l'éloigna aussi longtemps de la jeune fille devenue femme, pour qui l'amour était toute la vie, et qui ne regardait la Ville qu'à travers lui. De son côté, elle avait une tout autre vision des choses et elle avait longtemps été la seule à aimer la Ville les yeux fermés. Elle ne ressentait jamais le besoin de les ouvrir pour examiner le temple ou la bibliothèque. Elle laissait ses mains caresser la pierre, elle en percevait toutes les aspérités, l'odeur des matériaux, et il en était ainsi des fontaines ou des bassins, dont ses oreilles percevaient mieux la musique, ou encore des fleurs, dont elle ne se lassait pas de sentir les parfums, mais il y avait aussi la sève des arbres, l'odeur de la terre, des écorces, des feuilles et des fruits.
C'est en voulant comprendre la vérité qu'elle s'apprêtait à partager avec moi qu'elle regretta sa conduite sectaire. Au début, ce ne fut qu'une vague suspicion dans son esprit. Elle s'était interrogée sur les talents extraordinaires de l'enfant, bien au-delà de ce qu'un homme ou une femme peut transmettre. Et puis, a-t-on déjà vu un enfant naître au creux d'un roseau ? Elle demanda au Professeur de la guider dans ses archives, sans lui raconter vraiment ses préoccupations dans le détail, et le Professeur l'aida du mieux qu'il pût. S'il n'avait pas été là pour noter toutes les dates, faire tous les rapprochements possibles, elle eût certainement douté de cette incroyable vérité. Mais elle avait réuni toutes les preuves. C'était bien moi qui était entré dans la Ville il y avait plus de deux mille cinq cent cinquante cinq jours. A propos de ce séjour, à l'exception de la date et de ma signature dans le Livre d'Or, elle n'avait trouvé aucun document, aucun relevé d'aucune sorte. On eût pu croire que le cœur de la Ville s'était arrêté de battre pendant quelques jours, et que les habitants avaient été frappés d'amnésie. En réalité, la Ville les avait endormis pendant tout ce temps.
Je n'avais pas franchi son seuil, selon la Vieille Dame, que la Ville m'aimait déjà. Elle avait senti mes regards tout le temps où j'étais resté sur la montagne à l'admirer, et elle avait été émue de me voir prendre froid, résister au sommeil, à la faim et à la soif, dans le seul but de contempler sa splendeur. N'avez-vous vraiment aucun souvenir, me demanda la Vieille Dame, de l'accueil qu'elle vous fit ? Non, suis-je bête, bien sûr que non. Et bien, toute ses eaux, lacs, rivières, canaux, fontaines, toutes s'évaporèrent ensemble et retombèrent plus tard avec fracas. La Ville sanglotait de joie pour vous et voulut s'offrir à vous, et à vous seul, pendant trois jours. Elle endormit les hommes et les animaux, mais elle oublia les plantes. Ce sont elles, qui m'ont livré une partie de la vérité. Ce sont elles qui m'ont conté ce témoignage unique et indicible de la passion d'une Cité pour un homme. Elle ne vous laissa partir qu'en vous faisant tenir la promesse de votre retour. Connaissant la versatilité humaine, elle déploya toute sa magie pour vous combler de plaisir, et, parvenu à votre acmé, elle n'eut qu'à recueillir votre semence. L'enfant a vos yeux, mais il possède sa sauvagerie, je vous l'ai dit. Quand vous êtes revenu la première fois, l'enfant marchait déjà. Vous êtes arrivé de nuit et sa mère était endormie. Tous, d'ailleurs, avait trouvé le sommeil, sauf la jeune femme, qui avait senti votre présence. Quand la Ville se réveilla, et qu'elle vous trouva dans ses bras, elle explosa de rage. Elle fit se craquer la terre, tomber des arbres, sortir les eaux de leur cours, mais elle vit que cela ne vous terrifiait ni l'un ni l'autre. Alors, elle dut se résigner à souffrir pendant plusieurs nuits et plusieurs jours, à vous voir aimer une autre qu'elle, à vous voir remplir les vases de belles fleurs, à vous entendre chanter à tue-tête, à répandre votre semence en elle. Ses sanglots, encore une fois, ont laissé des traces que le Professeur a retrouvées pour moi. Il les a datées, authentifiées, il n'y a aucun doute là-dessus.
Ces derniers mots m'avaient donné le vertige. Mon esprit était un puits obscur et la révélation que je venais de recevoir était une pierre qui tombait en lui sans cesser de chuter, sans rencontrer de fond. Jusqu'au moment où l'enfant parut à nouveau et se plaça derrière la goutte géante. Sa peau était devenue éclatante et rose et il avait réuni sa tignasse rousse sur le côté, avec soin. Un sou neuf, notre fils, pensai-je. La Vieille Dame et moi l'avons applaudi sans nous concerter, et juste après, on frappa à la porte. J'ouvris et le Portier lui-même apparut, tout rouge, tout essoufflé. Venez vite, venez vite, lança-t-il à la ronde, tout excité. C'est la jeune femme. Elle a donné naissance. C'est une fille. Je me rappelle très bien de ce sourire qui me vint en sortant, à voir dans le ciel le soleil, qui était revenu, à sentir les mains de l'enfant dans les miennes. Je n'étais plus un Voyageur.
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ONDINE (5)
L'enfant devait réfléchir en retenant son souffle. Oui, finit-il par répondre, il y a très longtemps. Un Voyageur qui était musicien, Il faisait la cour à la femme au ventre rond. Et elle ? demandai-je un peu trop vite. Elle était amoureuse de lui, répondit le garçon. Seulement, un beau matin (il était présent, ce jour-là, dans un pli de sa robe), il lui apprit qu'il devait partir. Changer d'air. Changer de ville. De pays. La jeune femme aurait voulu le suivre, mais il lui avait dit que ce n'était pas possible, qu'il voulait être seul, avec sa musique. Elle l'avait supplié pendant deux jours, deux nuits entières, mais l'homme n'avait pas changé d'idée. Le matin du troisième jour, la femme avait insisté pour le conduire sur un chemin, mais aux portes de la ville, l'enfant avait sauté en route, parce qu'il avait peur de se retrouver loin de chez lui. Le reste, il l'apprit de la Vieille Dame. J'avançai une paume vers la place supposée de l'enfant. Arrête, fis-je brutalement. Je crois que je connais la fin de l'histoire, le Professeur me l'a racontée. En fait, je n'en connaissais aucun détail, mais je n'avais pas envie de les entendre. J'entendis l'enfant se fendre d'un ricanement. Le Professeur m'aura probablement raconté n'importe quoi à ce sujet, avança l'enfant, sinon, il ne l'aurait pas attrapé dans sa poche à ce moment-là pour le faire rouler jusqu'à l'autre bout de la salle. Il m'a probablement dit que c'était la femme qui avait entraîné le Voyageur sur la route d'un désert où il continuait jusqu'à ce jour de se perdre. Je mentis à l'enfant en confirmant ses propos, tout en m'imposant une vision terrible, celle de la femme poignardant le musicien dans le dos. En fait, c'est faux ! affirma l'enfant assez fort. C'est la Ville. Elle a demandé au vent de se lever et de souffler sur le musicien, de souffler et de l'emmener dans un pays lointain, où les pirates capturent les gens et les vendent à la Cour d'un Prince. Mais l'histoire ne s'arrête pas là, poursuivit le gamin. Je pris un air étonné et l'enfant eut un soupir de satisfaction. Il était sûr que le Professeur ne lui en avait pas parlé. Quelques temps après la disparition du musicien, dit-il, la jeune femme vit son ventre s'arrondir pour la première fois. Elle partit de la Ville et on a cru qu'elle était allé retrouver le musicien, mais en fait, pas du tout, elle est revenue un peu après. Son ventre rond avait disparu. L'enfant lui en avait voulu pour cela, parce qu'elle l'avait privé de la compagnie d'un autre enfant comme lui. C'était ce qu'il craignait pour demain. Cette fois, c'est différent, rétorquai-je. L'enfant va sortir de son ventre, il est sur le point d'arriver. Mais si vous partez, gémit l'enfant… tsst tsst, coupai-je, on ne baisse pas les bras, on va voir la Vieille Dame, elle te connaît bien, elle nous donnera certainement son accord pour cueillir quelques fleurs, et alors, tu en feras des robes époustouflantes, qui émerveilleront ma fiancée, je n'admirerai plus qu'elle, et elle ne songera plus à partir. Que pensait-il de mon plan ? Formidable, lança-t-il, en courant sur la barrière, et je me suis senti heureux de le voir si allègre.
Sans stopper sa course, il arracha une haute graminée, terminée par un stipe jaune, et me cria, au loin, de le suivre. En plus d'être magicien, ce gamin avait de la suite dans les idées. Sachant que sa taille empêchait quiconque de l'apercevoir de loin, il brandissait bien haut son fanion végétal, que je ne perdis pas du regard jusqu'à la chaumière de la Vieille Dame. De l'intérieur, une petite voix nous dit que la porte était ouverte. Nous entrâmes dans la pénombre d'une pièce, et nous fûmes assaillis par une douce odeur d'oranger. La Vieille Dame nous guida de sa voix et nous fûmes très vite au pied de son lit, dans lequel elle était allongée. Je suis venu vous présenter quelqu'un, dit l'Enfant, d'une voix douce. Le Voyageur, je sais, dit la Vieille Dame en tournant son visage vers nous. Toute la Ville ne parle que de vous, ajouta t-elle en m'adressant un sourire. La Ville y compris. Il paraît qu'elle vous a déjà joué de vilains tours. Je lui dis qu'un Voyageur aguerri s'attendait toujours à rencontrer différentes menaces le long son périple, qu'il s'y préparait à l'avance, mais qu'une Ville lui en voulût personnellement, ça ne lui était jamais arrivé. Oh, fit la Vieille Dame, il ne fallait pas pour autant m'alarmer. Les sautes d'humeurs de la Ville avaient de quoi impressionner, mais elles ne portaient pas à conséquence. La Ville était une grande sensible. Tout de même, fis-je remarquer, si l'on songe au musicien. Le musicien n'a eu que ce qu'il mérite, rétorqua-t-elle immédiatement. Il a promis à la jeune femme de lui donner son amour et sa vie, et il n'a pas tenu sa promesse. C'est le genre de choses qui met la Ville dans tous ses états. Je réagis à ces propos en lui disant que ce sentiment ne lui interdisait pas de tronquer l'Histoire. Dites-moi, monsieur le Voyageur, qui est du côté de l'Amour ? La Ville, qui en jouant avec l'Histoire, a rendu le Professeur heureux, ou le musicien, qui a dévasté le cœur de la jeune femme ? Je n'avais rien à répondre à cela et me tus.
La Vieille Dame se mit sur son séant et nous pria, l'enfant et moi, d'ouvrir tous les volets de la maison, ce que nous fîmes immédiatement. Ensuite, elle demanda à l'enfant de se mettre derrière la goutte d'eau. Je ne compris pas tout de suite le sens de ces paroles, ni pourquoi l'enfant protestait, disait qu'il avait tout fait et qu'il n'était plus un enfant. Elle réitéra sa demande sans ôter la douceur de sa voix, mais cette fois, de manière plus impérative. J'écarquillai les yeux pour apercevoir la goutte en question, mais je ne vis rien, alors je me contentai de suivre l'enfant, qui tenait toujours son herbe à la main. Il se dirigea en ronchonnant vers une espèce de vase et je retins un cri quand il passa derrière lui. Tout à coup, par un effet de loupe, j'eus devant mes yeux un véritable enfant, un diablotin tout ébouriffé qui regardait la Vieille Dame avec ses yeux immenses. Plus stupéfiant encore, et mon cœur fit un bon dans ma poitrine en le découvrant, je compris que ce petit bout d'homme était mon fils, mais je me retenai de dire quoi que ce soit sur ce sujet, sentant obscurément que ce n'était pas le moment de le faire. La Vieille Dame lui fit ouvrir la bouche, présenter ses mains et le sermonna. Il avait encore manqué de faire sa toilette, il n'était pas coiffé, il avait pourtant promis. Il baissa la tête et se dirigea sans un mot vers la salle de bains, derrière lui. Je me retrouvai seul un moment avec la Vieille Dame. Elle me tendit un morceau de gâteau et je le saisis avec plaisir, en la remerciant. Elle attendit de croiser mon regard avant de me confier qu'elle était heureuse de mon retour. Depuis ma précédente visite, la jeune femme comptait les jours et jurait de se laisser mourir avec l'enfant si je ne revenais pas. Elle pouvait partir tranquille, maintenant. Non, il y avait une dernière chose. L'enfant. Il avait besoin d'un père d'une mère. Je suis son père, ai-je lâché d'un coup. Je suis venu retrouver Ondine, mais je suis aussi venu le retrouver lui.
La Vieille Dame n'avait pas cessé de me regarder. Il a vos yeux, dit-elle, mais il est sauvage comme sa mère. Elle gloussa. Il est toujours dépenaillé et fait au mieux une toilette de chat. La Vieille Dame semblait lire en moi, car elle ajouta : Ne cherchez pas pourquoi vous ne vous souvenez plus de vos visites. A chaque fois, le Portier vous fait boire une potion qui vous fait oublier tout ce que vous avez vécu ici dès que vous quittez la Ville. Cependant, la première fois que vous êtes arrivé ici, c'était la nuit, et comme le Portier n'était pas réveillé, vous n'avez pas bu le breuvage. Vous auriez donc dû vous rappeler votre première visite. Je reconnus qu'il ne m'en était rien resté non plus mais que cette situation pénible allait cesser, car je ne voulais plus partir. De cette manière, mes souvenirs allaient s'attacher à moi, tout comme l'amour d'Ondine, celui de mes enfants, tout comme mes amitiés. Mais j'ai un peu de crainte à cause de la Ville, avouai-je. Elle ne semble pas ravie de ma présence. Pourtant, je n'ai pour elle qu'admiration. C'est justement là toute la question, commenta la Vieille Dame. Je lui dis ne pas comprendre mais, au lieu de m'éclairer en retour, elle accrocha son regard au mien, et il me parut qu'elle fouillait en moi, qu'elle cherchait à remonter une chose enfouie. Puis, vint le moment où elle s'éclaircit la gorge et se remit à parler. Elle m'annonça qu'elle allait me délivrer une vérité, une vérité qui me concerne au premier chef. Elle ne m'aurait pas dévoilé son contenu si celui-ci n'avait été qu'une simple conviction. En préambule à celle-ci, il fallait qu'elle lui fasse une confidence. Elle avait longtemps tenu sa propre vision de la Ville comme la seule valable. En cela, elle avait fait montre d'une intolérance qu'elle regrettait aujourd'hui. Le Professeur et elle s'étaient aimés, autrefois, mais sa passion pour la science, pour l'histoire, sa détermination à connaître les choses avec exactitude l'avaient exaspérée et elle l'avait éconduit de manière blessante, en se moquant copieusement de ses travaux. L'amour ne se présenta plus à elle et elle se réfugia parmi les plantes, qui lui donnèrent le leur. Ce qui l'éloigna aussi longtemps de la jeune fille devenue femme, pour qui l'amour était toute la vie, et qui ne regardait la Ville qu'à travers lui. De son côté, elle avait une tout autre vision des choses et elle avait longtemps été la seule à aimer la Ville les yeux fermés. Elle ne ressentait jamais le besoin de les ouvrir pour examiner le temple ou la bibliothèque. Elle laissait ses mains caresser la pierre, elle en percevait toutes les aspérités, l'odeur des matériaux, et il en était ainsi des fontaines ou des bassins, dont ses oreilles percevaient mieux la musique, ou encore des fleurs, dont elle ne se lassait pas de sentir les parfums, mais il y avait aussi la sève des arbres, l'odeur de la terre, des écorces, des feuilles et des fruits.
C'est en voulant comprendre la vérité qu'elle s'apprêtait à partager avec moi qu'elle regretta sa conduite sectaire. Au début, ce ne fut qu'une vague suspicion dans son esprit. Elle s'était interrogée sur les talents extraordinaires de l'enfant, bien au-delà de ce qu'un homme ou une femme peut transmettre. Et puis, a-t-on déjà vu un enfant naître au creux d'un roseau ? Elle demanda au Professeur de la guider dans ses archives, sans lui raconter vraiment ses préoccupations dans le détail, et le Professeur l'aida du mieux qu'il pût. S'il n'avait pas été là pour noter toutes les dates, faire tous les rapprochements possibles, elle eût certainement douté de cette incroyable vérité. Mais elle avait réuni toutes les preuves. C'était bien moi qui était entré dans la Ville il y avait plus de deux mille cinq cent cinquante cinq jours. A propos de ce séjour, à l'exception de la date et de ma signature dans le Livre d'Or, elle n'avait trouvé aucun document, aucun relevé d'aucune sorte. On eût pu croire que le cœur de la Ville s'était arrêté de battre pendant quelques jours, et que les habitants avaient été frappés d'amnésie. En réalité, la Ville les avait endormis pendant tout ce temps.
Je n'avais pas franchi son seuil, selon la Vieille Dame, que la Ville m'aimait déjà. Elle avait senti mes regards tout le temps où j'étais resté sur la montagne à l'admirer, et elle avait été émue de me voir prendre froid, résister au sommeil, à la faim et à la soif, dans le seul but de contempler sa splendeur. N'avez-vous vraiment aucun souvenir, me demanda la Vieille Dame, de l'accueil qu'elle vous fit ? Non, suis-je bête, bien sûr que non. Et bien, toute ses eaux, lacs, rivières, canaux, fontaines, toutes s'évaporèrent ensemble et retombèrent plus tard avec fracas. La Ville sanglotait de joie pour vous et voulut s'offrir à vous, et à vous seul, pendant trois jours. Elle endormit les hommes et les animaux, mais elle oublia les plantes. Ce sont elles, qui m'ont livré une partie de la vérité. Ce sont elles qui m'ont conté ce témoignage unique et indicible de la passion d'une Cité pour un homme. Elle ne vous laissa partir qu'en vous faisant tenir la promesse de votre retour. Connaissant la versatilité humaine, elle déploya toute sa magie pour vous combler de plaisir, et, parvenu à votre acmé, elle n'eut qu'à recueillir votre semence. L'enfant a vos yeux, mais il possède sa sauvagerie, je vous l'ai dit. Quand vous êtes revenu la première fois, l'enfant marchait déjà. Vous êtes arrivé de nuit et sa mère était endormie. Tous, d'ailleurs, avait trouvé le sommeil, sauf la jeune femme, qui avait senti votre présence. Quand la Ville se réveilla, et qu'elle vous trouva dans ses bras, elle explosa de rage. Elle fit se craquer la terre, tomber des arbres, sortir les eaux de leur cours, mais elle vit que cela ne vous terrifiait ni l'un ni l'autre. Alors, elle dut se résigner à souffrir pendant plusieurs nuits et plusieurs jours, à vous voir aimer une autre qu'elle, à vous voir remplir les vases de belles fleurs, à vous entendre chanter à tue-tête, à répandre votre semence en elle. Ses sanglots, encore une fois, ont laissé des traces que le Professeur a retrouvées pour moi. Il les a datées, authentifiées, il n'y a aucun doute là-dessus.
Ces derniers mots m'avaient donné le vertige. Mon esprit était un puits obscur et la révélation que je venais de recevoir était une pierre qui tombait en lui sans cesser de chuter, sans rencontrer de fond. Jusqu'au moment où l'enfant parut à nouveau et se plaça derrière la goutte géante. Sa peau était devenue éclatante et rose et il avait réuni sa tignasse rousse sur le côté, avec soin. Un sou neuf, notre fils, pensai-je. La Vieille Dame et moi l'avons applaudi sans nous concerter, et juste après, on frappa à la porte. J'ouvris et le Portier lui-même apparut, tout rouge, tout essoufflé. Venez vite, venez vite, lança-t-il à la ronde, tout excité. C'est la jeune femme. Elle a donné naissance. C'est une fille. Je me rappelle très bien de ce sourire qui me vint en sortant, à voir dans le ciel le soleil, qui était revenu, à sentir les mains de l'enfant dans les miennes. Je n'étais plus un Voyageur.
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Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
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Si un modo pouvait mettre mes callopus caeruleus en italique, cela me ferait plaisir. Merci d'avance.
Si un modo pouvait mettre mes callopus caeruleus en italique, cela me ferait plaisir. Merci d'avance.
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
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Une autre requête : corriger "Pour une question que posai au gamin, celui-ci m'en retournais deux en réponse :"
en
"Pour une question que je posai au gamin, celui-ci m'en retourna deux en réponse :"
Enfin :
"il ne se levait que pour ouvrir aux Voyageurs, pour manger, pour boire ou pour dormir."
en
il ne se levait que pour ouvrir aux Voyageurs, pour manger ou pour boire.
Merci encore.
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Une autre requête : corriger "Pour une question que posai au gamin, celui-ci m'en retournais deux en réponse :"
en
"Pour une question que je posai au gamin, celui-ci m'en retourna deux en réponse :"
Enfin :
"il ne se levait que pour ouvrir aux Voyageurs, pour manger, pour boire ou pour dormir."
en
il ne se levait que pour ouvrir aux Voyageurs, pour manger ou pour boire.
Merci encore.
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Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Ouf. En découvrant le conte, j'ai cru que tu avais posté les vingt-trois pages à la suite. Je prends mon temps pour déguster l'aventure.
bertrand-môgendre- Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
apoutsiak a écrit:.
Si un modo pouvait mettre mes callopus caeruleus en italique, cela me ferait plaisir.
Fait
apoutsiak a écrit:.
"Pour une question que je posai au gamin, celui-ci m'en retourna deux en réponse :"
il ne se levait que pour ouvrir aux Voyageurs, pour manger ou pour boire.
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Et fait !
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Houla ! Je me l'imprime et on en recause...
à tchaoum- Nombre de messages : 612
Age : 75
Date d'inscription : 06/05/2007
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
à tchaoum a écrit:Houla ! Je me l'imprime et on en recause...
De même!
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Alors bon ! j'ai imprimé, et j'ai lu.
Au début j'ai fredonné "follow the yellow brick road", puis plus loin j'ai rêvé de ma balader sur les pas d'Irving Washington dans un Alhambra désert et enfin j'ai eu comme des images des villes de Schuiten et Peeters, bien que ton texte n'emprunte à rien de tout cela. C'est donc une promenade agréable pour l'impression générale.
Mais je le trouve trop profus, non, vérification faite, c'est le mot qui me vient mais ça n'est pas celui qui dit ce que je veux dire... Profusion, touffu, taillis, il faut tailler dedans.
Peut-être devrais-tu dessiner la carte de la Ville pour pouvoir nous y promener.
D'accord pour les cinq âges, mais peut-être faut-il les exploiter davantage ?
J'allais dire les sous-tendre des cinq éléments, mais merde ! ils ne sont que quatre. Le portier me semble sous-exploité en (au ?) regard des quatre autres.
Tu as beaucoup de choses à mettre, mais j'ai parfois l'impression que si tu en disais moins, tu maintiendrais mieux le lecteur en tension, en attention.
Du point de vue formel, il y a plusieurs choses qui me gênent :
Le passage intempestif du JE au IL, comme si tu avais d'abord écrit le conte avec un voyageur troisième personne du singulier pour le passer ensuite à la première et qu'il en restait des pétouilles... M'étant moi-même déjà fait piéger à ce jeu, j'imagine que ça peut venir de là. Ça me semble particulièrement remarquable ici par exemple (mais ça se produit plusieurs fois) :
En résumé, je crois que tu peux rabattre le texte d'un bon tiers, il en serait plus rond, plus ficelé... plus efficace ?
Vu d'ma f'nêtre en tout cas.
Quoi qu'il en soit, merci.
Au début j'ai fredonné "follow the yellow brick road", puis plus loin j'ai rêvé de ma balader sur les pas d'Irving Washington dans un Alhambra désert et enfin j'ai eu comme des images des villes de Schuiten et Peeters, bien que ton texte n'emprunte à rien de tout cela. C'est donc une promenade agréable pour l'impression générale.
Mais je le trouve trop profus, non, vérification faite, c'est le mot qui me vient mais ça n'est pas celui qui dit ce que je veux dire... Profusion, touffu, taillis, il faut tailler dedans.
Peut-être devrais-tu dessiner la carte de la Ville pour pouvoir nous y promener.
D'accord pour les cinq âges, mais peut-être faut-il les exploiter davantage ?
J'allais dire les sous-tendre des cinq éléments, mais merde ! ils ne sont que quatre. Le portier me semble sous-exploité en (au ?) regard des quatre autres.
Tu as beaucoup de choses à mettre, mais j'ai parfois l'impression que si tu en disais moins, tu maintiendrais mieux le lecteur en tension, en attention.
Du point de vue formel, il y a plusieurs choses qui me gênent :
Si je t'ai bien suivi, c'est elle qui parle, c'est donc la Ville, et cette erreur revient plusieurs fois.je devais regarder la ville, insista-t-elle
Le passage intempestif du JE au IL, comme si tu avais d'abord écrit le conte avec un voyageur troisième personne du singulier pour le passer ensuite à la première et qu'il en restait des pétouilles... M'étant moi-même déjà fait piéger à ce jeu, j'imagine que ça peut venir de là. Ça me semble particulièrement remarquable ici par exemple (mais ça se produit plusieurs fois) :
En plus je me demande s'il n'y aurait pas un p'tit problème de concordance d'étang (pour une ville d'eau...)Elle m'annonça qu'elle allait me délivrer une vérité, une vérité qui me concerne au premier chef. Elle ne m'aurait pas dévoilé son contenu si celui-ci n'avait été qu'une simple conviction. En préambule à celle-ci, il fallait qu'elle lui fasse une confidence.
En résumé, je crois que tu peux rabattre le texte d'un bon tiers, il en serait plus rond, plus ficelé... plus efficace ?
Vu d'ma f'nêtre en tout cas.
Quoi qu'il en soit, merci.
à tchaoum- Nombre de messages : 612
Age : 75
Date d'inscription : 06/05/2007
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Chapeau Apou ! (beurk, c'est pas beau à dire tout haut ça !)
Je croyais bien lire une version revisitée d'Alice, "Apou au pays des merveilles" ou "Apou de l'autre côté du miroir"
Et puis l'allégorie a pris forme
Effectivement c'est dense, trop, ça foisonne de descriptions, mais c'est tellement bien écrit que j'aurais du mal à trancher dans le vif pour épurer
Un superbe conte au final, encore bravo
Je croyais bien lire une version revisitée d'Alice, "Apou au pays des merveilles" ou "Apou de l'autre côté du miroir"
Et puis l'allégorie a pris forme
Effectivement c'est dense, trop, ça foisonne de descriptions, mais c'est tellement bien écrit que j'aurais du mal à trancher dans le vif pour épurer
Un superbe conte au final, encore bravo
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
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Merci, ô Menthe-Or !
A Tchaoum :
- profusion : je garde, j'aime trop ça
- Ville : c'est vrai il faudra que je demande la correction.
- Passage intempestif du JE au IL : je comprends que ça puisse embêter, j'ai essayé le plus possible de réduire les confusions.
- Rabattre : t'es fou ! ma femme, grande lectrice devant l'Eternel, a dit touche à rien (c'est pas un des onze commandements, ça ?)
Elle m'a parlé de... Schuiten et Peeters (que j'adore) ! Merci de ta dissection !
.
Merci, ô Menthe-Or !
A Tchaoum :
- profusion : je garde, j'aime trop ça
- Ville : c'est vrai il faudra que je demande la correction.
- Passage intempestif du JE au IL : je comprends que ça puisse embêter, j'ai essayé le plus possible de réduire les confusions.
- Rabattre : t'es fou ! ma femme, grande lectrice devant l'Eternel, a dit touche à rien (c'est pas un des onze commandements, ça ?)
Elle m'a parlé de... Schuiten et Peeters (que j'adore) ! Merci de ta dissection !
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Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Ca fait vingt pages, vains dieux. J'ai imprimé pour lire tranquille.
outretemps- Nombre de messages : 615
Age : 77
Date d'inscription : 19/01/2008
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Avant d'entamer la lecture et le commentaire dans la foulée, je regarde l'heure. Onze heures trente : je tente.
En début de lecture, je replonge dans l'atmosphère de Minard « le dernier monde », avec des qualités en plus : la poésie bucolique à déguster, la magie du conte à savourer.
J'eu l'impression de changer de perspective lorsque tu utilises le il à la place du je.
...Le problème était qu'il avait tout oublié de leur première rencontre et que cela n'eût pas pu se produire s'il était resté auprès d'elle. Tout ce temps à se chamailler l'avait été en marchant main dans la main, sur le cercle blanc tracé autour de la place, comme au bord d'un précipice. Je suis incapable d'expliquer...
Tu places la barre très haute, pour le béotien que je suis, à oser tenter d'approcher telle écriture travaillée. Quand bien même, quelques petites imperfections ralentiraient la lecture (légères répétitions faciles à corriger, ou expressions bancales) la qualité du texte ici posté, ne peut être niée.
...Je n'osai pas lui dire que je n'avais aucune idée du pays dont je venais...
...C'est le Professeur qui reprit en premier la parole. Ce faisant, il revint à nos moutons, sans transition aucune...
...Et puis, ce n'était pas la meilleure chose que pour lui ...
Les dialogues avec l'enfant appauvrissent un peu l'ensemble du texte.
Le temps est présent, celui qui passe sans ennui, permettant d'apprécier paysage et description, ambiance et divagation.
Le temps est présent, celui qui passe avec l' ennui, cette matière capable, de libérer l'esprit créateur de l'écrivain, de tremper sa plume dans un silence émerveillé.
Seules les langueurs du temps éprouvent, monotones, ton récit, sans autre alternative qu'une poursuite d'avenir dans un rêve somnolent.
Au final : ton imaginaire laisse divaguer ton esprit dans une aventure féérique.
Si ce genre de sujet sans contraintes donne libre cours à une telle emphase, alimentons la machine de carburant productif d'énergie positive.
Encore une fois bravo. (bon, je bois un verre d'eau)
En début de lecture, je replonge dans l'atmosphère de Minard « le dernier monde », avec des qualités en plus : la poésie bucolique à déguster, la magie du conte à savourer.
J'eu l'impression de changer de perspective lorsque tu utilises le il à la place du je.
...Le problème était qu'il avait tout oublié de leur première rencontre et que cela n'eût pas pu se produire s'il était resté auprès d'elle. Tout ce temps à se chamailler l'avait été en marchant main dans la main, sur le cercle blanc tracé autour de la place, comme au bord d'un précipice. Je suis incapable d'expliquer...
Tu places la barre très haute, pour le béotien que je suis, à oser tenter d'approcher telle écriture travaillée. Quand bien même, quelques petites imperfections ralentiraient la lecture (légères répétitions faciles à corriger, ou expressions bancales) la qualité du texte ici posté, ne peut être niée.
...Je n'osai pas lui dire que je n'avais aucune idée du pays dont je venais...
...C'est le Professeur qui reprit en premier la parole. Ce faisant, il revint à nos moutons, sans transition aucune...
...Et puis, ce n'était pas la meilleure chose que pour lui ...
Les dialogues avec l'enfant appauvrissent un peu l'ensemble du texte.
Le temps est présent, celui qui passe sans ennui, permettant d'apprécier paysage et description, ambiance et divagation.
Le temps est présent, celui qui passe avec l' ennui, cette matière capable, de libérer l'esprit créateur de l'écrivain, de tremper sa plume dans un silence émerveillé.
Seules les langueurs du temps éprouvent, monotones, ton récit, sans autre alternative qu'une poursuite d'avenir dans un rêve somnolent.
Au final : ton imaginaire laisse divaguer ton esprit dans une aventure féérique.
Si ce genre de sujet sans contraintes donne libre cours à une telle emphase, alimentons la machine de carburant productif d'énergie positive.
Encore une fois bravo. (bon, je bois un verre d'eau)
bertrand-môgendre- Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Je viens de dépasser mon quota lecture-écran pour la journée. Pas d'imprimante à disposition oblige à une certaine gymnastique des mirettes !
J'ai eu l'impression de me replonger dans la lecture des contes philosophiques que nous lisions au lycée. Vraiment, chapeau pour l'exercice ! Ce texte est dense et riche en descriptions, mais quelles descriptions. Bien vu pour l'oiseau bleu ! Je ne vais pas faire un commentaire de ton texte -mes yeux ne me le permettraient pas et mon sens critique est, de toute manière, au repos.
Seul regret : que cette nouvelle ne puisse faire partie des textes des "nouvelles vagues" mais heureuse d'avoir pu le découvrir quand même.
J'ai eu l'impression de me replonger dans la lecture des contes philosophiques que nous lisions au lycée. Vraiment, chapeau pour l'exercice ! Ce texte est dense et riche en descriptions, mais quelles descriptions. Bien vu pour l'oiseau bleu ! Je ne vais pas faire un commentaire de ton texte -mes yeux ne me le permettraient pas et mon sens critique est, de toute manière, au repos.
Seul regret : que cette nouvelle ne puisse faire partie des textes des "nouvelles vagues" mais heureuse d'avoir pu le découvrir quand même.
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 47
Date d'inscription : 31/03/2008
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
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Merci, Lucy, mais ne regrette rien : j'ose espérer que celui que je posterai
pour les Nouvelles Vagues te plaira aussi. Ce ne serait alors que du bonus !
Merci, Lucy, mais ne regrette rien : j'ose espérer que celui que je posterai
pour les Nouvelles Vagues te plaira aussi. Ce ne serait alors que du bonus !
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
je me garde Ondine pour la semaine prochaine. Qu'elle soit bien sage.
Invité- Invité
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Moi aussi, je mets de côté pour plus tard... trop long pour m'y consacrer ce soir.
D'abord les textes plus courts et ensuite... à nous deux !
D'abord les textes plus courts et ensuite... à nous deux !
Reginelle- Nombre de messages : 1753
Age : 74
Localisation : au fil de l'eau
Date d'inscription : 07/03/2008
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Tu nous ballades dans une atmosphère onirique qui nous déstabilise et nous transporte à la fois. On est plongés dans cette Ville dont la majuscule nous intrigue. Plus elle se personnifie, plus ton récit prend une tournure fantastique. Je regrette un peu cette évolution marquée vers l’irrationnel, la dimension onirique, irréelle, laissait davantage de place au doute et à l’incertitude mais qu’importe, je t’ai quand même suivi dans l’aventure...
J’aime l’idée de la majuscule que l’on entend, j’aime aussi l’idée de ce portier qui n’existe qu’en creux, j’aime certains leitmotivs qui reviennent au fil du texte... Et puis je suis admirative devant la construction du récit, même si certaines accélérations, notamment vers la fin, rompent de façon un peu abrupte le rythme de croisière que tu as instauré. Bref, c’est un texte solide, travaillé qui témoigne d’une maitrise certaine de la plume.
Il y a néanmoins quelques petites faiblesses... Le rythme de croisière dont je parlais a parfois tendance à agacer la lectrice impatiente que je suis ! Je ne crois pas qu’il faille tronquer ce texte mais il serait peut-être utile de recapter par moment l’attention du lecteur par des « accroches ». Tu pourrais aussi dé-densifier un peu le tout, aérer et laisser le lecteur respirer entre deux phrases, deux paragraphes etc...
Enfin, tu joues sur le style direct et indirect libre, tu te passes de guillemets et de tirets mais tu t’y perds un peu parfois et nous aussi du coup ! Bref certaines constructions sont un peu bancales et contribuent à alourdir tes faux dialogues.
J’aime l’idée de la majuscule que l’on entend, j’aime aussi l’idée de ce portier qui n’existe qu’en creux, j’aime certains leitmotivs qui reviennent au fil du texte... Et puis je suis admirative devant la construction du récit, même si certaines accélérations, notamment vers la fin, rompent de façon un peu abrupte le rythme de croisière que tu as instauré. Bref, c’est un texte solide, travaillé qui témoigne d’une maitrise certaine de la plume.
Il y a néanmoins quelques petites faiblesses... Le rythme de croisière dont je parlais a parfois tendance à agacer la lectrice impatiente que je suis ! Je ne crois pas qu’il faille tronquer ce texte mais il serait peut-être utile de recapter par moment l’attention du lecteur par des « accroches ». Tu pourrais aussi dé-densifier un peu le tout, aérer et laisser le lecteur respirer entre deux phrases, deux paragraphes etc...
Enfin, tu joues sur le style direct et indirect libre, tu te passes de guillemets et de tirets mais tu t’y perds un peu parfois et nous aussi du coup ! Bref certaines constructions sont un peu bancales et contribuent à alourdir tes faux dialogues.
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Krystelle a écrit:
1) "Le rythme de croisière dont je parlais a parfois tendance à agacer la lectrice impatiente que je suis !"
(...)
2) "Enfin, tu joues sur le style direct et indirect libre, tu te passes de guillemets et de tirets mais tu t’y perds un peu parfois et nous aussi du coup !"
Je suis d'accord avec toi sur l'aspect subjectif du premier point, donc je ne le commenterai pas.
Le second point m'interpelle davantage, parce que je me faisais la même remarque avant de poster le texte, sans être certain de sa pertinence. Je ne manquerai pas d'y revenir pour y mettre un peu d'ordre quand j'aurai fini le recueil de nouvelles que j'ai commencé de former (et dont Ondine est le point de départ) à partir des contraintes suivantes :
- une ville (comme Nouvelles Vagues, relation à la ville et pas touristique)
- un ou plusieurs crimes
- un personnage d'une nouvelle retrouvé dans la nouvelle suivante pour éclairage de son action passée
- ôter à chaque récit un ou plusieurs voiles du récit précédent
Merci à toi et attention : balader et non ballader
.
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Bonjour,
J'ai un peu de mal à lire sur l'écran de si longs textes, je ferai comme certains, j'imprimerai lorsque je pourrai.
J'ai quand même lu de grands passages et j'avoue être très sensible à la richesse du style qui s'appuie sur l'image et la poésie ainsi qu'au rythme, très enlevé.
Combien de temps faut-il pour écrire un beau texte comme celui-ci ?
Comme je suis nouvelle, je me demande ce que deviennent tous ces textes ? Ils seront publiés ?
J'ai un peu de mal à lire sur l'écran de si longs textes, je ferai comme certains, j'imprimerai lorsque je pourrai.
J'ai quand même lu de grands passages et j'avoue être très sensible à la richesse du style qui s'appuie sur l'image et la poésie ainsi qu'au rythme, très enlevé.
Combien de temps faut-il pour écrire un beau texte comme celui-ci ?
Comme je suis nouvelle, je me demande ce que deviennent tous ces textes ? Ils seront publiés ?
annallissée- Nombre de messages : 83
Age : 74
Localisation : région parisienne
Date d'inscription : 07/04/2008
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Ah, pour le devenir de ce texte, je viens de lire la réponse !
annallissée- Nombre de messages : 83
Age : 74
Localisation : région parisienne
Date d'inscription : 07/04/2008
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
exact ! j'ai appris ça aussi il y a peu et j'ai été surprisapoutsiak a écrit:et attention : balader et non ballader
baLade pour promenade
baLLade pour chansonnette, ritournelle
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
ha ouais ! ça aussi ! merci manapoutsiak a écrit:et surtout : balader existe et non ballader !!!
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Déjà merci du compliment Annallissée, et je peux te répondre : je l'ai écrit en cinq jours (mais ce n'est pas à chaque fois la même fête, hein, ça serait trop beau !)
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
J'ai relu plusieurs fois avec toujours la même impression.
Un très beau texte dans un style approprié, une langue soignée. De magnifiques images à la Schuiten (oui, c'est ça, elle a raison ta femme et j'adore!) Les personnages eux-mêmes font penser à ceux de Schuiten très typés, originaux mais assez froids et désincarnés dans l'ensemble. Seuls la jeune femme et l'enfant expriment des émotions vives (jalousie, colère) mais plutôt sous forme de caprices vite consolés.
J'ai cherché un sens caché à cette histoire. Elle est trop belle, trop bien écrite pour ne pas se lire à un autre niveau, pour ne pas avoir quelque chose à nous révéler derrière cette magnifique façade de papier glacé...Je n'ai pas trouvé et mon impression se résume à peu près à ça : éblouie mais déçue.Un beau conte auquel il manquerait une âme. Je crois pourtant que je garderai, imprimés dans ma mémoire, les décors magiques de la Ville que tu y as fait naître et tant pis si l'histoire qui s'y déroule s'efface un peu plus vite...
Un très beau texte dans un style approprié, une langue soignée. De magnifiques images à la Schuiten (oui, c'est ça, elle a raison ta femme et j'adore!) Les personnages eux-mêmes font penser à ceux de Schuiten très typés, originaux mais assez froids et désincarnés dans l'ensemble. Seuls la jeune femme et l'enfant expriment des émotions vives (jalousie, colère) mais plutôt sous forme de caprices vite consolés.
J'ai cherché un sens caché à cette histoire. Elle est trop belle, trop bien écrite pour ne pas se lire à un autre niveau, pour ne pas avoir quelque chose à nous révéler derrière cette magnifique façade de papier glacé...Je n'ai pas trouvé et mon impression se résume à peu près à ça : éblouie mais déçue.Un beau conte auquel il manquerait une âme. Je crois pourtant que je garderai, imprimés dans ma mémoire, les décors magiques de la Ville que tu y as fait naître et tant pis si l'histoire qui s'y déroule s'efface un peu plus vite...
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Apoutsiak...
Je suis en plein dedans et j'aime beaucoup... au point que... ben... j'ai fait "comme pour moi"... J'ai noté quelques petites fautes d'ortho et de temps... et je me suis lancée dans une relecture-correction. J'en suis au quatrième chapitre.
Bon... j'espère que ça ne t'embête pas...
Mais si ça t'intéresse, je peux t'envoyer le fichier avec mes petites notes, plutôt que de le poster ici, barbouillé de rouge et de bleu...
Si ça te contrarie, il n'y a aucun problème... tu me dis "Non mais ... de quoi tu te mêles !!!!!!" et je laisse tomber. T'inquiète... je ne me facherais ni ne me vexerais pour autant !
voilà... tu vois et tu me dis...
Je suis en plein dedans et j'aime beaucoup... au point que... ben... j'ai fait "comme pour moi"... J'ai noté quelques petites fautes d'ortho et de temps... et je me suis lancée dans une relecture-correction. J'en suis au quatrième chapitre.
Bon... j'espère que ça ne t'embête pas...
Mais si ça t'intéresse, je peux t'envoyer le fichier avec mes petites notes, plutôt que de le poster ici, barbouillé de rouge et de bleu...
Si ça te contrarie, il n'y a aucun problème... tu me dis "Non mais ... de quoi tu te mêles !!!!!!" et je laisse tomber. T'inquiète... je ne me facherais ni ne me vexerais pour autant !
voilà... tu vois et tu me dis...
Reginelle- Nombre de messages : 1753
Age : 74
Localisation : au fil de l'eau
Date d'inscription : 07/03/2008
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Je suis assez d'accord avec ce que dit Arielle pour ce qui est de l'ambiance. les personnages sont à la mesure des décors. Pour ce qui est de l'écriture, c'est comme toujours parfait. Malgré la présence de merveilleux, cela me semble être avant plus la transcription d'un vécu, plus qu'un conte, une problématique personnelle, vu la fin où l'on a l'impression que le héros, après une longue parenthèse, (errance? ou quête stérile), retombe sur ses pieds. A prendre comme un avis, bien sûr!
outretemps- Nombre de messages : 615
Age : 77
Date d'inscription : 19/01/2008
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
.
Réginelle, tu es l'exemple parfait de la bonne commentatrice. Bon, la tâche t'est facilitée parce que tu aimes mon texte (ce qui me touche, bien sûr), mais après ce compliment, tu avances avec tact, avec douceur, et cela me touche beaucoup aussi parce que je trouve souvent qu'on oublie cette dimension en critiquant les autres, dimension très importante : on pourrait faire une horrible nouvelle avec un personnage postant pour la première fois son texte un soir et se faisant jeter avec une telle violence qu'il fait une tentative de suicide le soir-même. Je suis sûr que ce scénario n'est pas irréaliste du tout. Mais je m'égare, excuse-moi, et je te réponds merci de cette attention. Relisant cent fois mes textes, j'ai dû corriger dans mon original un bon nombre de fautes d'ortho que tu as trouvées, mais pour les fautes de temps, je les avais remarquées aussi mais j'avais la flemme de m'y mettre : je me disais, mon petit Apou, tu y retourneras quand ce sera sur le bureau de l'éditeur :-))))) Oui, trois fois oui, Réginelle, je suis sensible à la perfectibilité. J'espère ne pas t'avoir ennuyée avec mes digressions.
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Réginelle, tu es l'exemple parfait de la bonne commentatrice. Bon, la tâche t'est facilitée parce que tu aimes mon texte (ce qui me touche, bien sûr), mais après ce compliment, tu avances avec tact, avec douceur, et cela me touche beaucoup aussi parce que je trouve souvent qu'on oublie cette dimension en critiquant les autres, dimension très importante : on pourrait faire une horrible nouvelle avec un personnage postant pour la première fois son texte un soir et se faisant jeter avec une telle violence qu'il fait une tentative de suicide le soir-même. Je suis sûr que ce scénario n'est pas irréaliste du tout. Mais je m'égare, excuse-moi, et je te réponds merci de cette attention. Relisant cent fois mes textes, j'ai dû corriger dans mon original un bon nombre de fautes d'ortho que tu as trouvées, mais pour les fautes de temps, je les avais remarquées aussi mais j'avais la flemme de m'y mettre : je me disais, mon petit Apou, tu y retourneras quand ce sera sur le bureau de l'éditeur :-))))) Oui, trois fois oui, Réginelle, je suis sensible à la perfectibilité. J'espère ne pas t'avoir ennuyée avec mes digressions.
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Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Ce que je pouvais bien faire là, debout, perché au sommet de cette montagne aride, à contempler un paysage que je n'avais jamais vu, je l'ignorais. Mais, si je ne connaissais pas cette géographie, me disais-je, sans rien perdre de ma contemplation, je n'étais pas étonné qu'elle existât. Un peu plus tard, un sentiment curieux s'empara de moi. Il me sussurra que j'avais rêvé, un jour, de la découvrir, mais que j'avais enfoui ce désir au fond de ma tête. Non, ce n'était guère possible, je n'aurais pu cacher une telle merveille au fond de ma mémoire. Elle aurait pris trop de place. Elle n'aurait jamais cessé, en tout cas, d'y briller. En découvrant un chemin, démarrant un peu plus loin, sur ma droite, je finis par me dire que ces questions n'avaient ni queue ni tête. Ce qui comptait vraiment, c'était que cette beauté fût là, à mes pieds, et que mes yeux pussent assouvir sans fin leur gourmandise : Ici, des escaliers tournoyant jusqu'au vertige, des serpentins, des hélices de pierre, devrais-je dire, sans pouvoir expliquer comment elles avaient acquis cette finesse de dentelle. Là, des cascades, des jets d'eau, sans qu'il soit humainement possible de comprendre comment ils parvenaient à toucher le ciel sans effort, mieux encore, à le décorer, très haut, de blanches arabesques. Des sons flûtés me parvenaient de temps en temps et me rappelaient une musique d'orgue assourdie par la distance. Aussi incroyable que cela pût paraître, les arabesques se formaient au tempo de la musique, les deux s'épousaient parfaitement.
D'entrée de jeu je suis boudeur devant la narration.
je n'aime pas "devrais-je dire", pas trop concerné par ce que le narrateur veux dire ou pas. Je n'aime pas non plus "sans qu'il soit humainement possible de comprendre comment ils parvenaient à toucher le ciel sans effort"
J'aurais aimé comprendre, au moins visualiser en le fonctionnement. Je sais ce que sont le ruban de Moebus et les Jardins de Babylone. Je n'ai pas aimé non plus que la même phrase ,qui comporte deux négations "sans-sans", soit suivie de "mieux encore". c'est pour moi un illogisme curieux.
je n'ai pas trop aimé "blanches arabesques " non plus, un lyrisme appuyé dès le début qui me redouter la longueur de la lecture. Et puis je me suis interrogé sur "le tempo" d'un orgue, instrument éthéré, utilisé généralement pour des pièces musicales denses ou les tempos sont difficiles à suivre.
Je lirai la suite demain. Pas de passion excessive pour le premier paragraphe. voilà.
Invité- Invité
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Est-ce que tu connais "Arkhalia, le livre sans page" de Pierre de la Coste? Je pense que ce livre, que je trouve extraordinaire, te plairait beaucoup (éditions Lampsaque).
Ton texte est très riche, j'apprécie le travail d'écriture mais c'est peut-être un peu long dans certains passages, trop descriptifs. Je voudrais bien ressentir le temps qui passe, la torpeur qui s'installe dans certains lieux, cette impression de vivre les choses en temps réel mais je n'y arrive pas vraiment. Peut-être est-ce à cause du mode narratif et du temps employés, ça m'empêche de pleinement entrer dans le texte et c'est dommage, car il fourmille d'éléments intéressants.
Le travail d'écriture fourni est remarquable, on devine le texte relu et travaillé. Peut-être un peu trop justement. Toi, tu es en plein dedans, tu te promènes dans cette ville avec facilité parce que quelque part, c'est chez toi, mais pour le lecteur, c'est autre chose. La densité empêche parfois d'emprunter la bonne ruelle et de se retrouver à l'endroit où l'on souhaiterait aller (Sokal est un champion de la chose).
De plus, insérer quelques respirations n'aurait pas été inutile, mais c'est un avis personnel. Disons que ça donnerait, à mes yeux, plus de vie à ce texte qui finit par étouffer sous un rythme narratif trop puissant.
Ton texte est très riche, j'apprécie le travail d'écriture mais c'est peut-être un peu long dans certains passages, trop descriptifs. Je voudrais bien ressentir le temps qui passe, la torpeur qui s'installe dans certains lieux, cette impression de vivre les choses en temps réel mais je n'y arrive pas vraiment. Peut-être est-ce à cause du mode narratif et du temps employés, ça m'empêche de pleinement entrer dans le texte et c'est dommage, car il fourmille d'éléments intéressants.
Le travail d'écriture fourni est remarquable, on devine le texte relu et travaillé. Peut-être un peu trop justement. Toi, tu es en plein dedans, tu te promènes dans cette ville avec facilité parce que quelque part, c'est chez toi, mais pour le lecteur, c'est autre chose. La densité empêche parfois d'emprunter la bonne ruelle et de se retrouver à l'endroit où l'on souhaiterait aller (Sokal est un champion de la chose).
De plus, insérer quelques respirations n'aurait pas été inutile, mais c'est un avis personnel. Disons que ça donnerait, à mes yeux, plus de vie à ce texte qui finit par étouffer sous un rythme narratif trop puissant.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Ondine - Conte de la Nouvelle Vague
Merci, Sahkti, je m'achèterai ce livre après les vacances et te dirai mon sentiment. Merci, en passant, pour tous tes autres commentaires. Je pense faire de ce texte, un peu plus tard car j'ai trop de projets sur le feu, un petit roman, où je prendrai en compte les idées d'allègement par la densité et la respiration. Car, mon avis est que c'est plus sur la longueur que je devrais faire attention à ces points. Je retourne auprès des galets et des étoiles de mer.
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