La bibliothèque idéale
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La bibliothèque idéale
Les livres ont vieilli, les pages ont jauni. Ils semblent si fragiles que je n’ose pas les toucher. L’odeur qui plane dans la bibliothèque n’est pas désagréable ; je la trouve même accueillante. Elle me rappelle les gros coffres que ma grand-mère gardait au grenier et que toute mon enfance j’imaginais remplis de trésors. Pendant un instant, je ne fais qu’observer sans prêter attention aux rats qui compulsent des bouquins dans les autres rayons. Je ne veux pas brusquer : la littérature dort.
Ma liste en main, je me demande si l’usage de l’engin de recherche informatique serait approprié dans les circonstances. Après une brève réflexion, je décide qu’il est préférable de chercher sans chercher, de trouver par hasard. Sinon mon texte n’aurait l’air que d’une énumération, que d’un enchaînement inutile d’énoncés méthodologiques sans émotion.
Je me lance donc dans mon errance littéraire avec deux heures libres devant moi. Les livres devront excuser mes gestes : je dois les toucher, les tâter, humer leur odeur, les lire un peu. Je promets de ne pas les réveiller. Certaines choses sont plus belles les paupières closes.
La Tour d’écrou , d’Henry James est le premier livre que je trouve. Il est étrangement disposé, penché vers l’avant, prêt à tomber, en équilibre comme un funambule sur son fil, aux abords de l’oubli, sans filet pour le retenir. Et s’il tombait, le ramasserait-on ? Marcherait-on sur lui comme s’il n’était que la carcasse d’un arbre ? Doucement, je le remets droit comme ses compatriotes et continue mon chemin sans l’ouvrir.
Une bonne quinzaine de minutes passent avant que je ne tombe sur Faulkner. Je cherche le recueil de nouvelles sur ma liste, Descends, Moïse, mais à première vue, il semble absent. Ce n’est que dans le troisième volume d’une édition des oeuvres complètes de La pléiade que je le trouve, noyé dans des milliers de pages, dans des centaines de milliers de mots que personne, si je me fie aux dates d’emprunts, n’a lus depuis bientôt six ans.
Je referme le livre et un nuage de poussière se forme. J’éternue sans pouvoir me retenir et un autre étudiant à côté de moi sursaute. Décidément, il était concentré celui-là! D’ailleurs, moi-même je ne l’avais pas remarqué! Il tient un Edgar Allan Poe dans ses mains, Nouvelles histoires extraordinaires. Un de mes livres préférés. Je regarde ma liste. Un autre recueil de Poe y est mentionné : Histoires grotesques et sérieuses. Par crainte de faire éclater encore sa bulle, je m’éloigne de l’étudiant déjà replongé dans sa lecture debout. Je reviendrai plus tard.
Par la suite, les livres s’enchaînent. Le Flaubert est le premier que je rencontre. C’est un vieux bouquin, du genre de ceux dont je parlais au début, une édition de 1928 à couverture rigide, dont je devine qu’il manque des pages. Trois Contes ne m’intéresse aucunement, Flaubert faisant partie de ces auteurs que j’ai depuis longtemps banni de ma bibliothèque parce que je le trouve trop ennuyant comme blablateur.
Paradis Perdu, d'Ernest Hemingway me donne l'effet de sortir de nulle part. Il manifeste ouvertement son incongruité en se détachant du reste. Le livre est différent des autres, mais je n'arrive pas à saisir ce qui le rend ainsi. Pas les couleurs de la couverture, certainement pas : elles sont ternes et sans véritable intérêt, même pour amateur de vieilleries. Non. C'est autre chose d'indescriptible. Hemingway est de ces auteurs qui n'ont jamais appartenu à la société, qui sont nés et qui sont morts avant même qu'on n'ait eu le temps de se rendre compte qu'ils vivaient.
Vient finalement, à deux pas de là, Maupassant et ses Contes et Nouvelles. Je trouve trois copies de la même édition, et une quatrième version plus récente. Du coup, sans réfléchir, je prends la nouvelle édition et la feuillette avec ennui. C’est trop beau, c’est trop blanc ; cette édition a perdu son charme probablement dès sa naissance. En effet, dès que je me mets à consulter l’une des trois autres copies, mon intérêt est décuplé et je passe dix minutes à tourner les pages, à lire des extraits. Ce n’est qu’en entendant quelqu'un dire l'heure que je me décide à abandonner ce livre. La moitié du temps est déjà passée.
Je me promène encore quelques instants. Je ne trouve plus rien. Peut-être est-ce qu'à force de me promener sans raison ici, je ne vois plus vraiment les livres. Un commis m'approche et me demande si je cherche quelque chose. Je le dévisage. À l’ère de l’informatique, où les adeptes de la facilité s’opposent aux traditionnels explorateurs, que vient y faire un commis de bibliothèque ? Je lui dis que « non », ça va, j’ai trouvé ce que je cherchais. Il voit bien que je ne tiens aucun livre dans mes mains, mais prétend comprendre et continue son chemin.
Je ne trouve aucun autre livre ce jour-là. Le lendemain, chez moi, je tape les titres manquants dans l’engin de recherche. Fictions de Borges a été emprunté et les autres sont inexistants à la bibliothèque (un Kafka, un Kipling et un Tchekhov). Je me rappelle alors que je n’ai pas consulté le Poe. Je tape le titre et me rends compte qu’il a lui aussi été emprunté. Je repense à l’étudiant qui a sursauté. Je tape Nouvelles histoires extraordinaires. Emprunté aussi.
Je souris.
Ma liste en main, je me demande si l’usage de l’engin de recherche informatique serait approprié dans les circonstances. Après une brève réflexion, je décide qu’il est préférable de chercher sans chercher, de trouver par hasard. Sinon mon texte n’aurait l’air que d’une énumération, que d’un enchaînement inutile d’énoncés méthodologiques sans émotion.
Je me lance donc dans mon errance littéraire avec deux heures libres devant moi. Les livres devront excuser mes gestes : je dois les toucher, les tâter, humer leur odeur, les lire un peu. Je promets de ne pas les réveiller. Certaines choses sont plus belles les paupières closes.
La Tour d’écrou , d’Henry James est le premier livre que je trouve. Il est étrangement disposé, penché vers l’avant, prêt à tomber, en équilibre comme un funambule sur son fil, aux abords de l’oubli, sans filet pour le retenir. Et s’il tombait, le ramasserait-on ? Marcherait-on sur lui comme s’il n’était que la carcasse d’un arbre ? Doucement, je le remets droit comme ses compatriotes et continue mon chemin sans l’ouvrir.
Une bonne quinzaine de minutes passent avant que je ne tombe sur Faulkner. Je cherche le recueil de nouvelles sur ma liste, Descends, Moïse, mais à première vue, il semble absent. Ce n’est que dans le troisième volume d’une édition des oeuvres complètes de La pléiade que je le trouve, noyé dans des milliers de pages, dans des centaines de milliers de mots que personne, si je me fie aux dates d’emprunts, n’a lus depuis bientôt six ans.
Je referme le livre et un nuage de poussière se forme. J’éternue sans pouvoir me retenir et un autre étudiant à côté de moi sursaute. Décidément, il était concentré celui-là! D’ailleurs, moi-même je ne l’avais pas remarqué! Il tient un Edgar Allan Poe dans ses mains, Nouvelles histoires extraordinaires. Un de mes livres préférés. Je regarde ma liste. Un autre recueil de Poe y est mentionné : Histoires grotesques et sérieuses. Par crainte de faire éclater encore sa bulle, je m’éloigne de l’étudiant déjà replongé dans sa lecture debout. Je reviendrai plus tard.
Par la suite, les livres s’enchaînent. Le Flaubert est le premier que je rencontre. C’est un vieux bouquin, du genre de ceux dont je parlais au début, une édition de 1928 à couverture rigide, dont je devine qu’il manque des pages. Trois Contes ne m’intéresse aucunement, Flaubert faisant partie de ces auteurs que j’ai depuis longtemps banni de ma bibliothèque parce que je le trouve trop ennuyant comme blablateur.
Paradis Perdu, d'Ernest Hemingway me donne l'effet de sortir de nulle part. Il manifeste ouvertement son incongruité en se détachant du reste. Le livre est différent des autres, mais je n'arrive pas à saisir ce qui le rend ainsi. Pas les couleurs de la couverture, certainement pas : elles sont ternes et sans véritable intérêt, même pour amateur de vieilleries. Non. C'est autre chose d'indescriptible. Hemingway est de ces auteurs qui n'ont jamais appartenu à la société, qui sont nés et qui sont morts avant même qu'on n'ait eu le temps de se rendre compte qu'ils vivaient.
Vient finalement, à deux pas de là, Maupassant et ses Contes et Nouvelles. Je trouve trois copies de la même édition, et une quatrième version plus récente. Du coup, sans réfléchir, je prends la nouvelle édition et la feuillette avec ennui. C’est trop beau, c’est trop blanc ; cette édition a perdu son charme probablement dès sa naissance. En effet, dès que je me mets à consulter l’une des trois autres copies, mon intérêt est décuplé et je passe dix minutes à tourner les pages, à lire des extraits. Ce n’est qu’en entendant quelqu'un dire l'heure que je me décide à abandonner ce livre. La moitié du temps est déjà passée.
Je me promène encore quelques instants. Je ne trouve plus rien. Peut-être est-ce qu'à force de me promener sans raison ici, je ne vois plus vraiment les livres. Un commis m'approche et me demande si je cherche quelque chose. Je le dévisage. À l’ère de l’informatique, où les adeptes de la facilité s’opposent aux traditionnels explorateurs, que vient y faire un commis de bibliothèque ? Je lui dis que « non », ça va, j’ai trouvé ce que je cherchais. Il voit bien que je ne tiens aucun livre dans mes mains, mais prétend comprendre et continue son chemin.
Je ne trouve aucun autre livre ce jour-là. Le lendemain, chez moi, je tape les titres manquants dans l’engin de recherche. Fictions de Borges a été emprunté et les autres sont inexistants à la bibliothèque (un Kafka, un Kipling et un Tchekhov). Je me rappelle alors que je n’ai pas consulté le Poe. Je tape le titre et me rends compte qu’il a lui aussi été emprunté. Je repense à l’étudiant qui a sursauté. Je tape Nouvelles histoires extraordinaires. Emprunté aussi.
Je souris.
Jonjon- Nombre de messages : 2908
Age : 40
Date d'inscription : 21/12/2005
Re: La bibliothèque idéale
Tu as bien fait d'annoncer la couleur Jonjon, en parlant d'exercice avec contrainte.
C'est parfaitement écrit, comme on me le dit à moi (trop souvent), c'est académique, parfaitement formaté, sans une seule virgule un peu farfelue, tu vois ce que je veux dire? C'est trop sage quoi!
Du coup ça me semble un peu plat, alors que j'aime beaucoup la description de la bibliothèque, du respect que tu lui portes, du calme nécessaire à ses visiteurs.
Mais pour le coup, quand tu dis au début : "Sinon mon texte n’aurait l’air que d’une énumération, que d’un enchaînement inutile d’énoncés", eh bien on arrive presque à ça!
Donc pour moi, manque d'originalité dans la manière d'insérer les titres imposés.
Voilà Jonjon, avec franchise.
Cela dit, ortho très très soignée! Bravo.
;-)
C'est parfaitement écrit, comme on me le dit à moi (trop souvent), c'est académique, parfaitement formaté, sans une seule virgule un peu farfelue, tu vois ce que je veux dire? C'est trop sage quoi!
Du coup ça me semble un peu plat, alors que j'aime beaucoup la description de la bibliothèque, du respect que tu lui portes, du calme nécessaire à ses visiteurs.
Mais pour le coup, quand tu dis au début : "Sinon mon texte n’aurait l’air que d’une énumération, que d’un enchaînement inutile d’énoncés", eh bien on arrive presque à ça!
Donc pour moi, manque d'originalité dans la manière d'insérer les titres imposés.
Voilà Jonjon, avec franchise.
Cela dit, ortho très très soignée! Bravo.
;-)
Re: La bibliothèque idéale
Bon je ne connais pas les contraintes initiales et j'ignore si les titres d'ouvrages t'étaient imposés ou non. Je regrette un peu que la quête se fasse à partir d'une liste; du coup il ne s'agit pas d'une véritable érrance. Il n'y a pas de rencontre avec les livres, juste des titres à retrouver.
Le livre est posé là simplement en tant qu'objet ni plus ni moins et ça me gène. Il y a bien cette idée de la "littérature qui dort" mais elle est à peine exploitée.
L'écriture est soignée mais sans ardeur hors il me semble que le sujet se prète à plus de passion...
Le livre est posé là simplement en tant qu'objet ni plus ni moins et ça me gène. Il y a bien cette idée de la "littérature qui dort" mais elle est à peine exploitée.
L'écriture est soignée mais sans ardeur hors il me semble que le sujet se prète à plus de passion...
Re: La bibliothèque idéale
J'aime le passage du Tour d'écrou, c'est plein d'humanité, avec un petit côté touchant qui donne une dimension nouvelle à cet ouvrage.
La phrase Décidément, il était concentré celui-là! me gêne beaucoup, elle crée une rupture pas forcément bienvenue au milieu de la torpeur que tu installes pendant ta promenade livresque.
C'est une drôle de balade que tu effectues, ou plutôt devrais-je dire une bibliothèque bizarrement classée, sans ordre alphabétique ou thématique apparent.
J'aime bien l'idée, mais ça manque un peu de force, tu aurais dû t'imprégner davantage des bouquins, leur donner une véritable personnalité. On sent qu'il y a un potentiel là-derrière, l'idée est bonne, la promenade pourrait être plus émouvante ou plus instructive. Ici, c'est un peu trop sommaire, presque survolé, comme un étudiant qui serait obligé de faire un devoir et qui se rendrait à la bibliothèque parce qu'il faut bien, sans en ressentir l'âme.
La phrase Décidément, il était concentré celui-là! me gêne beaucoup, elle crée une rupture pas forcément bienvenue au milieu de la torpeur que tu installes pendant ta promenade livresque.
C'est une drôle de balade que tu effectues, ou plutôt devrais-je dire une bibliothèque bizarrement classée, sans ordre alphabétique ou thématique apparent.
J'aime bien l'idée, mais ça manque un peu de force, tu aurais dû t'imprégner davantage des bouquins, leur donner une véritable personnalité. On sent qu'il y a un potentiel là-derrière, l'idée est bonne, la promenade pourrait être plus émouvante ou plus instructive. Ici, c'est un peu trop sommaire, presque survolé, comme un étudiant qui serait obligé de faire un devoir et qui se rendrait à la bibliothèque parce qu'il faut bien, sans en ressentir l'âme.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: La bibliothèque idéale
J'aime aussi l'idée du texte, mais je trouve également qu'il manque de la passion, là, ça fait un peu trop "liste" ce que tu voulais éviter au départ, pourtant il y a de beaux passages, qui mériteraient d'être allongés, pour l'instant c'est un peu trop froid pour que je rentre dedans.
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