Les jouets animés
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Yali
claude
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Ole Touroque
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Les jouets animés
Comment effondrer le futur d’un pays ?
Ecran noir.
En sacrifiant sa jeunesse.
Ecran noir
Puis ombré de fumées poudreuses. Devant nous, un petit homme au regard court et dévasté. Juste son visage.
Couvert de boue, couvert de honte jusqu’à la moelle ; et la sensation de n’avoir plus de sensation. Plus rien ne bat sous le poumon gauche.
Gérard, Antoine, Donatien… dis-moi ton prénom petit homme.
« Je suis universel, je suis vivant et je suis mort, je n’existe pour vous que par ma mort, je suis le relief des stèles de la mémoire. »
A pied, à cheval, en voiture, de toutes parts ils arrivent. Un nuage au-dessus de la tête. De leurs jeunes têtes. Aveuglés, mais l’aigle veille, nauséabond. Dans les grands chemins d’une invasion occasionnellement ennemie, la marche se dessine. Tout de chair et d’esprits frais, un soleil froid au fond des yeux, les fils de France naviguent en poudre douce dans le froid alcoolisé.
« Des années en enfer, je proclame avoir passé des années en enfer. La terre coulait entre mes doigts, elle était liquide de sang. Evanoui de pensées libres, que je pensais libres ; elles m’ont enchaîné les mains dans un vent redoublant aux matins gelées. Et l’aube ressemble au jour, le jour au crépuscule, le crépuscule à la nuit. Le temps est mort. Foudroyé. Même les rêves ne sont plus salutaires. On m’a fait croire et j’ai cru, on m’a fait venir et je suis venu.
Tu gagneras ton honneur et ta fierté dans cet enclos sifflant de balles. J’y ai gagné mes peurs, mes sommeils vides, mon adieu à la Terre. J’espère au moins toucher le paradis. »
Au ras de la clairière, les croix sont des fusils.
Le corbeau pleure les générations, crache au monde les surfaces inégales qui peuplent les déserts de l’homme. Ego, maître du monde, se cache des armes et envoie ses enfants dans les bras de l’agonie rieuse.
C’est un futur qui mange la terre, un futur dompté car il fait peur. Les sauvages n’ont pas de limites, donnez-leur du ciel, ils seront grands, contrôlez-le et ils le brûleront en explosant. Supernovas.
Hachés par la grande faux des orgueilleux patriotes, les visages juvéniles et martyrs de la grande horloge s’effacent emportant dans leurs poches les prémices d’une fleur fanée à l’étoile printanière.
« Ma jeunesse fut un train lancé à toute vitesse sur le fil des clairons fissurés. Fil détendu, rompu. Et j’ai regardé mes wagons de rêves tomber, trouant le sol comme une pierre. Vilaine bouche noire, tu portes en toi mes mots usés, mes ambitions qui fouettent les tempes dans une pluie de regrets. Je n’ai pas connu les nuits bleues qui meurent dans un feu de soleil, les mèches ballotées d’est en ouest. Il me manque tout ça. Il me manquera tout ça. La douceur d’un buste mêlée à la surface de l’eau, le ballet des feuilles, ombres chinoises dans la nuit dévorante.
J’aurais aimé. J’en suis sûr. Je lègue aux nouveaux le soin de dorer le chant des sirènes et de le suivre sans peur.
Ceux qui viendront. Ceux qui hurleront dans la lune, qui cracheront sur la stèle de nos ancêtres. Il le faut.
L’étoile filante nommée jeunesse se transformera en une vaste boule éclairant la surface du monde, elle réchauffera les dunes, épuisera les montagnes pour y faire pousser des prairies d’émeraude. Solitaire mais solidaire.
Quel beau jour pour le meurtre des lignes droites ! qui courbent les dos, abrutissent les élans, regroupent les individualités.
Je rêve de voir des éclairs. Des éclairs d’or, cicatrices du ciel. Pour des matins neufs, et des oiseaux de passage. Modernes… »
…au-dessus des champs opaques des lieux de bataille, allons regarder briller les diamants fous et éternels des macchabés adolescents ; marchons le long des plaines recueillir les larmes de lune, l’éternelle mère désenfantée.
Puis un jour nouveau…
Et nous reprendrons, sous la griffe rouge d’un tigre ensanglanté, le compte des tombeaux creusés au cœur même des lycées.
Ecran noir.
En sacrifiant sa jeunesse.
Ecran noir
Puis ombré de fumées poudreuses. Devant nous, un petit homme au regard court et dévasté. Juste son visage.
Couvert de boue, couvert de honte jusqu’à la moelle ; et la sensation de n’avoir plus de sensation. Plus rien ne bat sous le poumon gauche.
Gérard, Antoine, Donatien… dis-moi ton prénom petit homme.
« Je suis universel, je suis vivant et je suis mort, je n’existe pour vous que par ma mort, je suis le relief des stèles de la mémoire. »
A pied, à cheval, en voiture, de toutes parts ils arrivent. Un nuage au-dessus de la tête. De leurs jeunes têtes. Aveuglés, mais l’aigle veille, nauséabond. Dans les grands chemins d’une invasion occasionnellement ennemie, la marche se dessine. Tout de chair et d’esprits frais, un soleil froid au fond des yeux, les fils de France naviguent en poudre douce dans le froid alcoolisé.
« Des années en enfer, je proclame avoir passé des années en enfer. La terre coulait entre mes doigts, elle était liquide de sang. Evanoui de pensées libres, que je pensais libres ; elles m’ont enchaîné les mains dans un vent redoublant aux matins gelées. Et l’aube ressemble au jour, le jour au crépuscule, le crépuscule à la nuit. Le temps est mort. Foudroyé. Même les rêves ne sont plus salutaires. On m’a fait croire et j’ai cru, on m’a fait venir et je suis venu.
Tu gagneras ton honneur et ta fierté dans cet enclos sifflant de balles. J’y ai gagné mes peurs, mes sommeils vides, mon adieu à la Terre. J’espère au moins toucher le paradis. »
Au ras de la clairière, les croix sont des fusils.
Le corbeau pleure les générations, crache au monde les surfaces inégales qui peuplent les déserts de l’homme. Ego, maître du monde, se cache des armes et envoie ses enfants dans les bras de l’agonie rieuse.
C’est un futur qui mange la terre, un futur dompté car il fait peur. Les sauvages n’ont pas de limites, donnez-leur du ciel, ils seront grands, contrôlez-le et ils le brûleront en explosant. Supernovas.
Hachés par la grande faux des orgueilleux patriotes, les visages juvéniles et martyrs de la grande horloge s’effacent emportant dans leurs poches les prémices d’une fleur fanée à l’étoile printanière.
« Ma jeunesse fut un train lancé à toute vitesse sur le fil des clairons fissurés. Fil détendu, rompu. Et j’ai regardé mes wagons de rêves tomber, trouant le sol comme une pierre. Vilaine bouche noire, tu portes en toi mes mots usés, mes ambitions qui fouettent les tempes dans une pluie de regrets. Je n’ai pas connu les nuits bleues qui meurent dans un feu de soleil, les mèches ballotées d’est en ouest. Il me manque tout ça. Il me manquera tout ça. La douceur d’un buste mêlée à la surface de l’eau, le ballet des feuilles, ombres chinoises dans la nuit dévorante.
J’aurais aimé. J’en suis sûr. Je lègue aux nouveaux le soin de dorer le chant des sirènes et de le suivre sans peur.
Ceux qui viendront. Ceux qui hurleront dans la lune, qui cracheront sur la stèle de nos ancêtres. Il le faut.
L’étoile filante nommée jeunesse se transformera en une vaste boule éclairant la surface du monde, elle réchauffera les dunes, épuisera les montagnes pour y faire pousser des prairies d’émeraude. Solitaire mais solidaire.
Quel beau jour pour le meurtre des lignes droites ! qui courbent les dos, abrutissent les élans, regroupent les individualités.
Je rêve de voir des éclairs. Des éclairs d’or, cicatrices du ciel. Pour des matins neufs, et des oiseaux de passage. Modernes… »
…au-dessus des champs opaques des lieux de bataille, allons regarder briller les diamants fous et éternels des macchabés adolescents ; marchons le long des plaines recueillir les larmes de lune, l’éternelle mère désenfantée.
Puis un jour nouveau…
Et nous reprendrons, sous la griffe rouge d’un tigre ensanglanté, le compte des tombeaux creusés au cœur même des lycées.
Re: Les jouets animés
Ouah ! Beaucoup d'ampleur poétique. J'ai beaucoup, beaucoup aimé.
Deux petites réserves :
"Solitaire mais solidaire." (jeu sur les sonorités un peu facile dans le grand souffle qui traverse ce texte).
Le choix du mot "individualités", trop technocratique à mon goût, qui détonne.
Mais une sacrée allure !
(On écrit "ballottées" et "macchabées", mais "macchabée" est bien masculin, comme "lycée", justement.)
Deux petites réserves :
"Solitaire mais solidaire." (jeu sur les sonorités un peu facile dans le grand souffle qui traverse ce texte).
Le choix du mot "individualités", trop technocratique à mon goût, qui détonne.
Mais une sacrée allure !
(On écrit "ballottées" et "macchabées", mais "macchabée" est bien masculin, comme "lycée", justement.)
Invité- Invité
Re: Les jouets animés
Quelle densité dans ce texte. Le déchiffrer ce lyrisme prendra probablement des heures. Mais le compliqué me plaît assez. Somme toute. Toujours ces accents volatiles.
Et puis : de belle choses:
Et puis : de belle choses:
Faut bien respirer. Pense à la respiration du lecteur dans ton écriture.Au ras de la clairière, les croix sont des fusils.
Invité- Invité
Re: Les jouets animés
Tout ce que j'ai envie de dire à la suite de ton texte me parait fade, à côté, alors je me tais. Mais admirativement.
Invité- Invité
Re: Les jouets animés
Le manque de respiration n'était pas un but pré-fixé mais je trouve que cela convient bien à l'ambiance du texte. Cependant, merci de vos opinions.
Re: Les jouets animés
Je relisais ça, hier soir et je te disais que la seconde lecture m'a encore plus bousculée que la première.
Vous êtes nombreux comme toi ? Je le souhaite, ça redonne confiance dans un horizon moins couché !
T'en poste d'autres quand, Ole Touroque ?
Vous êtes nombreux comme toi ? Je le souhaite, ça redonne confiance dans un horizon moins couché !
T'en poste d'autres quand, Ole Touroque ?
Invité- Invité
Re: Les jouets animés
C'est plein d'images fortes, de formules qui percutent (au hasard : j’ai regardé mes wagons de rêves tomber; Des éclairs d’or, cicatrices du ciel).Un cri venu des viscères, un constat amer, un état de fait dont la France n'a pas l'apanage. Un fort beau texte. Un texte beau et fort.
Invité- Invité
Re: Les jouets animés
si ça tenait qu'à moi, je dirais drôlement bien !
je l'avais déjà écrit l'autre soir, mais depuis pschitt !
quand on aime on peut le répéter, c'est quand on n'aime pas qu'il vaut mieux pas trop la ramener.
je l'avais déjà écrit l'autre soir, mais depuis pschitt !
quand on aime on peut le répéter, c'est quand on n'aime pas qu'il vaut mieux pas trop la ramener.
claude- Nombre de messages : 142
Age : 63
Localisation : Drôme
Date d'inscription : 06/05/2008
Re: Les jouets animés
Ce cher Richepin :-)
Ô vie heureuse des bourgeois
Qu'avril bourgeonne
Ou que decembre gèle,
Ils sont fiers et contents…
T'aurais pu mettre les oiseaux de passages en italique pour le renvoi.
C'est un peu noir pour moi, mais vrai que ça fonctionne bien.
Ô vie heureuse des bourgeois
Qu'avril bourgeonne
Ou que decembre gèle,
Ils sont fiers et contents…
T'aurais pu mettre les oiseaux de passages en italique pour le renvoi.
C'est un peu noir pour moi, mais vrai que ça fonctionne bien.
Yali- Nombre de messages : 8624
Age : 59
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Les jouets animés
Je crois que j'avais rien dit parmi les messages blancs, simplement parce-que ça me laissait sans voix. J'en ai pas beaucoup plus en relisant aujourd'hui. Juste envie de te dire chapeau!
Re: Les jouets animés
Un peu trop lyrique à mon goût, pour un sujet sévère.
J'ai pas vraiment accroché, mais je dois reconnaître une belle qualité d'écriture ainsi que de très jolies images pleines de poésie.
C'est maîtrisé et bien mené.
J'ai pas vraiment accroché, mais je dois reconnaître une belle qualité d'écriture ainsi que de très jolies images pleines de poésie.
C'est maîtrisé et bien mené.
Re: Les jouets animés
Ça a de la gueule, c'est grave à souhait, c'est noir et bien écrit... que dire de plus? Que je trouve ça tout bon comme texte et que j'ai pris du plaisir à le lire. J'aime les images sombres qui se dégagent et le ton employé, cette densité dans l'écriture qui permet de mieux mesurer le côté dramatique de l'ensemble.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Les jouets animés
Bien écrit probablement... Mais pas mon trip.
Je dois passer à côté de quelque chose à en croire les commentaires.
Je dois passer à côté de quelque chose à en croire les commentaires.
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