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Je n'irai pas en Suisse

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Je n'irai pas en Suisse Empty Je n'irai pas en Suisse

Message  lemon a Mar 6 Jan 2009 - 23:02

Un travail d'esclave. 3 semaines dans une cave suisse, du lundi au samedi inclus, payé 2500 euros cash. Du bon black work saisonnier qui ne se refuse pas, mais un travail d'esclave. Billy me refile le plan parce que des problèmes familiaux l’ont rendu indisponible. Sur le chemin qui nous conduit au cinéma il me parle fersen, une machine pour transporter des palettes, il me parle cuves remplies de raisin, il me parle chaîne de production, il me parle tuyau d'arrosage. C'est un boulot physique, mais d'après Billy, l'aspect le plus désagréable de l'ouvrage est d'un autre ordre, un ordre tout à fait différent, l'aspect le plus désagréable de l'ouvrage consiste à gérer 3 semaines d'apnée au milieu d'une tripotée de débiles mentaux.

Pour ce boulot le vigneron suisse n'engage pas les noirs. Parce que les noirs sont feignants. En Afrique il fait très chaud, alors les noirs ne savent pas travailler. Dans les champs de cannes à sucre ils tombaient comme des mouches, à peine mis à la peine que déjà ils clamsaient. D'ailleurs certain clamsaient avant même d'arriver jusqu'aux champs : ils clamsaient dans les cales des négriers. Heureusement, moi je suis blanc de peau.

Billy m'a inscrit deux numéro de téléphone sur un bout de papier, dont celui de l'employeur, un certain Mr Alfour que je dois contacter pour me faire embaucher. Je suis un cérébral et je n'ai aucune expérience dans ce genre de boulot, mais je ferai croire le contraire à Mr Alfour. 2500 euros net d'impôt pour trois semaines de travail, j'appelle ça une aubaine. Et une aubaine vaut bien quelques entorses à la réalité. Le second numéro de téléphone me porte vers la voiture de Switch. La Suisse est distante de plus de 400 kilomètres de Montpellier. Tous les ans, Switch est du voyage. Et tous les ans, les montpellierains recrutés par monsieur Alfour profitent de la voiture de Switch. Je connais un peu Switch et je l'aime bien. Mais pour Billy, Switch appartient à cette bande de hippies cradingues. Un tas de feignasses ignorant la vérité du monde. Et puis, l'an passé, en Suisse, Switch a accusé Billy de s'être servi dans sa réserve d'herbe personnelle. A force de consommer de l'herbe, Switch est devenu paranoïaque. Car Billy ne fume pas.

Girl nous attend, Billy et moi, devant l'entrée du cinéma. Elle porte un gros parka kaki tombant sur son jean délavé et puis cet éternel air triste qui paraît faire partie d'elle-même. Girl ressemble tout entière à un air de chanson triste. Girl est hôtesse dans un bar américain de Montpellier. Dans la lumière tamisée du cloaque, par devant le pourpre des fauteuils, avec le concours d'une paire de talons hauts et d'une mini-jupe son air triste devient diabolique. L'alcool, la cocaïne et l'imagination bovine des clients achèvent de fixer Girl en objet du désir. Ils commandent du champagne. Girl se serre contre les corps et sussure des obscénités aux creux de l'oreille. Ils éclusent quelques coupes. Ils giclent dans leur pantalon. Et leur semence nourrie le fils de Girl.

La séance de cinéma débute par une série de réclames. Comme à l'accoutumé, l'écran se retrouve envahi par de jeunes éphèbes et par des filles aux courbes attirantes. Ils respirent tous la santé. Ils sont tous remplis d'allégresse. Ils boivent du coca cola. Le soleil est éclatant. La nature est éclatante aussi. Les lumières vives des images ricochent sur tous les angles de la salle. Elles nous percutent les lumières. Elles nous percutent nous, figés, comme des pantins de bois, dans les fauteuils du cinéma. Une musique tonitruante et moderne ajoute à l'entrain des modèles qui se démènent sur la grande toile. Ils rebondissent, ils se redressent, ils se congratulent. La vie peut être belle.

Les ampoules de la salle se rallument. Il faut encore attendre avant la projection du film. Billy fouille au fond de ses poches. Il compte des pièces de monnaie dans la paume de sa main droite. Puis il se lève et les spectateurs de notre rangée de siège se lèvent à leur tour pour le laisser rejoindre la travée d'accès. Je vois un grand chauve accompagné d'une petite femme rondouillarde. Je vois un autre couple, plus âgé, aux cheveux gris et au teint cireux. Je vois un homme seul d'une apparence commune et effacée. Nous sommes tous venus regarder le même film, au même endroit, au même moment. Et nous sommes tous assis sur la même rangée de siège. Mais Girl ne regarde pas les autres spectateurs. Girl me regarde moi. Elle me sourie à moi. D'un sourire triste comme une rangée de sièges.

On entend le bruit d'un sachet froissé. Le bruit d'un emballage que l'on déchire. Des gens qui parlent à voix basse. Je pense au boulot en Suisse. J'imagine la campagne vallonnée, des chalets en bois, une verdure propre et des routes un peu sinueuses. J'imagine que Monsieur Alfour revêt des bottes en caoutchouc blanc lorsqu'il déambule parmi les cuves de son usine. Et j'imagine qu'il part tous les étés, faire un safari dans un pays africain comme le Kenya. Les gens de notre rangée de siège se lèvent à nouveau. Billy regagne sa place. Il ramène une cannette de Coca Cola qu'il est allé chercher au distributeur automatique, au fond du couloir sur la droite, dans le hall d'entrée du cinéma.

C'est par ce hall d'entrée que l'on ressort après le film. On croise les gens qui font la queue pour acheter un ticket et assister à la séance suivante. Certains d'entre eux essaient de lire une réaction sur nos visages, ils scrutent à la recherche d'un commentaire. Je ne crois pas que la projection nous ait beaucoup transformé, Girl, Billy et moi. L'histoire était banale. Au cours de la séance, j'ai observé mes compagnons. Leurs silhouettes se découpaient, mystérieuses, dans l'ombre de la salle. Et je voyais leurs yeux briller comme des bulles de rosée exposées au soleil de l'aube. C'est la magie du cinéma.

Dehors la nuit tombe dans les gris. Billy nous abandonne. Il rentre chez lui. Girl me propose de boire un verre. Elle me donne le bras, on longe la place de la Comedie et on s'installe au bar du Théatre, en face du comptoir. Girl commande un verre de vin blanc et moi une pression. Je commande toujours une pression. C'est devenu une habitude. Je commande une pression sans réfléchir. Sauf le matin ou lorsqu'il s'agit d'un rendez-vous professionnel. Alors, je commande un café. Au moment où le serveur pose nos consommations sur la petite table ronde, Girl cherche ses allumettes pour fumer une cigarette. Moi je pense à la Suisse, l'image d'un grog bouillant, l'image d'un feu de cheminée, l'image de bibelots inutiles et de clochettes dorées. Et puis je vois le gros ventre de monsieur Alfour. Et la grosse moustache de monsieur Alfour. Monsieur Alfour doit également avoir une grosse voix et de grosses mains et de grosses joues cramoisies. Monsieur Alfour doit bien se déguiser en père Noël une fois par an pour faire plaisir à ses petits enfants.

J'aime questionner Girl sur sa vie. J'ai le sentiment qu'elle m'inspire et que je suis fait pour être inspiré. Il ne s'agit pas de Girl elle-même, il s'agit plutôt de son quotidien, de ses activités, de sa façon de voir les choses ou d'envisager l'avenir. J'ignore pourquoi, mais je suis fasciné par les réalités sordides. Parfois je suis persuadé d'être un radar, une saloperie de machine programmée pour témoigner des choses cachées. Girl est une rescapée, un petit bout d'âme fragile qui traverse la vie sans protection, sans arme et sans autre béquille que l'oubli vénéneux de l'alcool, des cachets et des substances prohibées. A l'âge de 4 ans sa mère avait tenté de la noyer dans le fond d'une baignoire. Girl n'a jamais su les raisons de ce geste et je crois bien qu'elle en est restée un peu vidée du monde. Girl porte cet air triste, un air de petite fille assassinée.

Girl me parle de son travail. Elle ne retournera plus au cabaret. Ca lui plaisait beaucoup de gagner de l'argent. Pas mal d'argent et facilement. Mais, hier au soir, elle a refusé de s'isoler avec un client. Parfois les clients investissent dans un magnum de champagne et demandent à une ou deux filles de les suivre vers un box, à l'écarts de la piste de danse et du bar, enfoui dans l'impunité d'un recoin. En théorie, les filles sont libres de refuser si le client ne leur paraît pas convenable. Et c'est bien ce qu'a fait Girl, elle a refusé de suivre un client qui ne lui convenait pas. Mais ce client était un habitué de l'établissement. Un type gras et qui laissait beaucoup d'argent. La patronne a tancé Girl à ce sujet, l'accusant de nuire au bénéfice de la maison. Et puis, à la fin du service, la patronne a calculé différemment la part d'argent qui revenait à Girl. Et le salaire de Girl s'en retrouva réduit très significativement.

En Suisse les filles de maisons closes ont certainement la peau laiteuse, les cheveux blonds et le nez enrhumé. Elles descendent des escaliers de bois verni, fardées d'un maquillage criard et de vêtements transparents. Je me figure des dessous en dentelles, des tabliers à froufrou, des martinets, des trophées de chasse accrochés sur les murs et des messieurs âgés, des banquiers, des propriétaires et des hommes d'affaire aisés comme Monsieur Alfour. Ces images défilent dans ma tête comme les images sur l'écran du cinéma. Dans la lumière du café les yeux de Girl pointent sur le marbre de notre table. Elle absorbe une gorgée de vin blanc, elle déglutit, elle me regarde, elle esquisse un sourire triste. Un sourire triste comme une rangée de sièges.

Non finalement c'est décidé : je n'irai pas en Suisse.
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Message  Lucy Mer 7 Jan 2009 - 0:11

Gênée par : " 3 semaines / payé 2500 euros cash / 3 semaines / 2500 euros / 400 kilomètres " Pourquoi ne pas les écrire en lettres ?

Puis : Mr Alfour. C'est pour Mister, pas pour Monsieur.

Enfin, ce passage :

Pour ce boulot le vigneron suisse n'engage pas les noirs. Parce que les noirs sont feignants. En Afrique il fait très chaud, alors les noirs ne savent pas travailler. Dans les champs de cannes à sucre ils tombaient comme des mouches, à peine mis à la peine que déjà ils clamsaient. D'ailleurs certain clamsaient avant même d'arriver jusqu'aux champs : ils clamsaient dans les cales des négriers. Heureusement, moi je suis blanc de peau.

Sinon, j'ai adoré le " sourire triste comme une rangée de sièges " et la conclusion.
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Message  Invité Mer 7 Jan 2009 - 7:35

Une bonne histoire, bien construite, servie par une écriture sensible, à fleur de peau, un don pour l'observation et les ambiances... J'ai beaucoup aimé, j'ai trouvé le texte désabusé et tendre, pertinent. La fin est parfaite à mon goût.

Bravo pour : "Elle me sourit à moi. D'un sourire triste comme une rangée de sièges.", mais je ne suis pas sûre que ce soit utile de le répéter plus loin.

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Message  Sahkti Mer 7 Jan 2009 - 9:11

Et bien moi je suis passée à côté.
Je ne trouve pas ça super bien écrit, désolée. C'est par moments pesant, maladroit, avec des répétitions et des tournures bancales.
Il y a également collision peu heureuse entre deux histoires, celle d'une Suisse bourrée de clichés (haa, y en a plus d'un qui ont du mal avec la Suisse...) et celle d'une fille paumée qui prend de plus en plus de place.
Si le début permet le mélange des deux, ça finit par se gâter au fil des paragraphes et ça sent trop, à mes yeux, le collage de deux récits ensemble, sans vraiment réussir à les harmoniser.
Pas pour moi cette fois !
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Message  Invité Mer 7 Jan 2009 - 9:20

Rien à redire sur les personnages crédibles, sur la trame du récit bien huilé sauf un petit moment de confusion ici :
Girl nous attend, Billy et moi, devant l'entrée du cinéma.
je voyais le narrateur déjà en route pour la Suisse, je n'avais pas compris qu'il allait au ciné.

Ce que j'apprécie en particulier et que tu sais très bien faire, ce sont ces clins d'oeil, ces traits ironiques qui répondent à un passage ou des lignes antérieurs, comme des flèches décochées qui rebondissent précisément où tu le choisis :
Heureusement, moi je suis blanc de peau.
Il ramène une cannette de Coca Cola qu'il est allé chercher au distributeur automatique
C'est la magie du cinéma.
et puis j'ai aimé la concision ici :
Ils éclusent quelques coupes. Ils giclent dans leur pantalon. Et leur semence nourrie le fils de Girl.
Pour finir, la scène où Girl refuse ses faveurs à un client m'a fait penser à Onze minutes de P. Coelho (pas un écrivain que j'aime, mais ce livre s'est imposé à mon esprit en te lisant, juste ça)

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Message  Mano Mer 7 Jan 2009 - 10:24

J'ai trouvé ça bien mené et bien écrit. Le narrateur a une voix a lui bien dans l'air du temps. C'est d'ailleurs un peu le reproche que je ferais à ce texte, bien dans l'air du temps. Sans trop de risques.
A côté de ça j'aime bien le téléscopage entre les deux histoires par contre le dernier paragraphe ne me semble pas suffisant à justifier le refus d'aller en Suisse. C'est un peu abrupt. J'ai vraiment du mal à comprendre les motivations du narrateur. Je crois surtout qu'il ne veut pas bosser et qu'il est incapable de partir de chez lui. Que l'histoire de girl n'est qu'un prétexte à accentuer sa déprime (à moins que ce ne soit juste l'auteur qui n'ait pas voulu développer plus, ce que je ne peux imaginer...).
Je suis séduit pas le style et le rythme même si j'ai l'impression qu'on en est tous (dans une certaine tranche d'âge) à tourner et retourner la vacuité sans pour autant en saisir l'essence. Je ne suis pas gêné par l'image de la Suisse (après tout le narrateur n'y est jamais allé et il me semble normal qu'il véhicule des clichés). Je pense par contre que les clichés sur le supposé racisme de l'employeur sont plus éloquents sur les clichés que portent en lui le narrateur.
J'aurais aimé un peu plus de décision de la part du narrateur pour que la nouvelle trouve une tension intéressante. Peut-être que le narrateur décide effectivement de ne pas partir mais qu'après sa rencontre avec girl et l'information qu'elle ne va plus bosser et se retrouver dans la dèche (c'est elle la plus courageuse dans l'histoire me semble-t-il...) il prenne la décision de partir tout de même pour gagner de la thune et l'aider (je sais, c'est mon côté chevalier blanc). En tout cas qu'il y ait une prise de risque de sa part, là une fois encore on est pas loins de l'énergie de la tranche de jambon sous vide. Mais n'est-ce pas l'époque ?
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