ÉDIFIANT : Ad libitum
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ÉDIFIANT : Ad libitum
Ad libitum
J’étais dans l’inconfort de mon âme et dans les tréfonds de ladite âme, je trouvais pas ça si déplaisant d’y être. Me restait un peu d’humanité, un peu de joie latente, j’arrivais à en rire.
Disons à en sourire.
De ça.
De moi.
Du reste.
J’étais dans le métro, station Rue du Bac, j’attendais comme tous que le wagon s’arrache de ses rails pour continuer sa course : une station après l’autre, une étape après l’autre, un peu comme dans la vie.
Un peu comme dans la vie.
Normalement là, l’auteur à l’âme inconfortable, comme à son habitude, vous sort une fille qui, à contresens de sa pensée grimpe dans le wagon. Et elle est si jolie, si parfaite dans son physique et dans sa manière d’être, que, très logiquement, elle prend place sur l’un des tabourets du wagon bar et lui décoche un sourire à bouleverser l’univers, mieux, à réviser la théorie du big-bang.
— Il n’y a pas de wagon bar dans le métro, vous êtes sûre ? Tans pis, poussons jusqu’à Saint-Lazare, accordez-moi le temps d’y croire.
Elle lui permet.
Et accepte le verre qu’il lui offre
Elle serre sa jupe autour de ses jambes, jolies les jambes.
Comme le reste, tout le reste.
Lui ne pense à rien, si ce n’est à lui offrir un bouquet de flamands roses. Il n’a même pas le projet de l’allonger quelque part un peu plus loin. L’auteur n’est pas lubrique. En aucun cas. La chair ne l'intéresse pas. Ce qu’il sait des femmes ne tient pas au corps.
Mais, vu qu’un tabouret c’est pas très confortable et puisqu’il n’est pas en manque d’inspiration, le voici qui lui écrit une banquette pour l’y asseoir. Puis tiens, pourquoi pas un autre décor que le métro ? Un wagon c’est pas non plus le must pour faire connaissance, alors voilà qu’il s’y met : en plus de la banquette il fait naître un fauteuil dans lequel il se laisse tomber ; une table basse pour déposer son Moleskine et dedans écrire le reste, tandis que patiente, elle lui sourit gentiment.
Les filles ont cette capacité-là, celle de se taire quelques minutes lorsqu’un homme fait dégringoler ses pensées dans des pages. Pour peu qu’elles trouvent à l’homme un peu de talent, qu’elles apprécient la manière qu’il a de gérer la dégringolade, de l’organiser, les minutes peuvent s’étirer en heures, les heures en jours, quelques fois en années.
Aussi, patiente elle sourit.
Une fois la moquette posée, les toiles accrochées aux murs, voici que se présente la question du lieu. C’est cossu, arrangé avec goût, mais où sont-ils ces deux là ? Dans un récit le lieu a son importance, tout a son importance. Il sait ça.
Cul de stylo plume en bouche, il y réfléchit, hésite.
Pour elle, il créerait un univers décalé, quelque chose de luxueux dans le chiche des jours, mais il y a le lectorat, le sien. Le même qui s’étonnerait de trouver dans ses mots une jolie fille sans y trouver un comptoir. Il arrive au lectorat de se moquer de cette combinaison récurrente, mais dans le fond, l’auteur sait que ses lecteurs aiment cette ambiance.
— Un joli bistrot de quartier, ça vous irait comme lieu pour faire connaissance ? il demande.
Elle regarde alentour, arrête un long moment son regard sur un zinc inopinément poussé-là, et acquiesce d’un discret mouvement de tête. Et ce sourire Madone…
Et voici que les lignes se font autre décor, et voici que l’ambiance se met en place, que quantité de personnages débarquent, s’animent, vivent, s’en vont, et voici que nous sommes au petit matin, que la lumière perce au travers des carreaux, bercée par le tic-tac d’une horloge vantant les vertus revigorantes d’un apéritif au nom désormais enfoui dans les mémoires.
Et le voici recapuchonnant son stylo et la redécouvrant.
Elle s’est endormie. Sa poitrine se soulève au rythme de sa respiration, elle ressemble à toutes ces filles qu’il a déjà mis en récit, sauf qu’elle en est la synthèse ; la perfection.
La perfection.
Doucement il la réveille, doucement lui dit qu’il est temps qu’il aille dormir un peu, doucement la prie de comprendre.
Elle comprend.
— On se reverra ? elle demande.
— Tous les jours.
— Et longtemps ?
— Je dirais pendant deux-cent vingt pages, au minimum.
— Ça fait combien en année ?
— Ça dépend.
Elle se frotte les yeux dans un geste touchant, celui d’une enfant.
Il lui appelle un taxi parce qu’évidemment, elle est loin d’une bouche de métro maintenant.
La regardant monter dedans, il pense qu’il faudra qu’il lui donne un prénom, peut-être aussi une vie et tout ce qui s’en suit.
Puis il pense à ce jour prochain, jour où il aura mal à en crever de la partager, de la laisser partir pour qu’elle se multiplie en autant d’exemplaires et se consume entre autant de mains, en autant de caboches, autant de rayons de bibliothèques, de bacs de librairies.
Il en crèvera.
Deux trois années pour le moins.
Il en crèvera, il sait ça, il connaît ça.
Ce qu’il sait des personnages tient au corps.
Il secoue la tête comme pour en éjecter les idées noires, rengaine son stylo, son Moleskine et se dirige vers le zinc derrière lequel le patron manie le chiffon blanc avec une dextérité peu en adéquation avec son format.
— Tu trouves que sept heures du mat c’est un peu tôt pour un Jurançon ? il demande.
— Pour un Jurançon, c’est jamais trot tôt !
— Alors sers nous, Toine.
Yali- Nombre de messages : 8624
Age : 60
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
J'ai adoré la mise en abyme, le dépaysement, le décalage ! Léger, vague à l'âme, tendre...Super. Pas surper-édifiant, cependant, je dirais, mais gentil, et c'est déjà beaucoup.
Invité- Invité
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
Je me rends comte que "édifiant" et "dégoulinant de bons sentiments" c'est pas du tout pareil.
Ton texte colle au deuxième, moins au premier.
Sinon, du Yali, signé et re-signé.
Un moment très agréable, j'aime beaucoup.
Particulièrement "la mise en abîme, le dépaysement, le décalage (je n'aurais pas su préciser aussi bien que socque)", qui passe magnifiquement, sans heurt, nickel quoi.
Ton texte colle au deuxième, moins au premier.
Sinon, du Yali, signé et re-signé.
Un moment très agréable, j'aime beaucoup.
Particulièrement "la mise en abîme, le dépaysement, le décalage (je n'aurais pas su préciser aussi bien que socque)", qui passe magnifiquement, sans heurt, nickel quoi.
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
Pas mal le narrateur en retrait, la distanciation. Bien même. Habile. Force l'admiration. Alors, pourquoi je n'accroche pas complètement ? Trop technique peut-être...
l’auteur sait que ses lecteurs aiment cette ambiance
Invité- Invité
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
Ah alors ça j'adore ! Il y a là dedans une des choses qui exercent la plus grande fascination sur moi, que j'appelle l'effet vache qui rit et j'ai pas besoin de shit pour planer ( ça coûte moins cher et si les flics vous gaulent avec de l'effet vache qui rit dans le sang, ils ne peuvent rien contre vous !! Je recommande !)
Yali, c'est plein de tendresse, c'est poétique, un poil roublard : tu nous roules dans la farine et on s'en fout, c'est trop bon !
Yali, c'est plein de tendresse, c'est poétique, un poil roublard : tu nous roules dans la farine et on s'en fout, c'est trop bon !
Invité- Invité
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
Je n'ai jamais bien compris ce que c'était qu'une mise en abyme. Est-ce que quelqu'un pourrait m'expliquer avec ce texte comme exemple ?
Sinon, j'ai beaucoup beaucoup aimé ces deux niveaux de lecture, la réalité du narrateur et sa fiction. Ca s'enchaîne tellement bien. C'est rare.
Et puis, j'aime beaucoup ton style.
Et l'humour de la fin.
Sinon, j'ai beaucoup beaucoup aimé ces deux niveaux de lecture, la réalité du narrateur et sa fiction. Ca s'enchaîne tellement bien. C'est rare.
Et puis, j'aime beaucoup ton style.
Et l'humour de la fin.
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
Anne Veillac a écrit:Je n'ai jamais bien compris ce que c'était qu'une mise en abyme.
Une mise en abyme, c'est exactement ce que Coline appelle "l'effet vache-qui-rit". Un miroir qui se mire dans un autre miroir et ainsi de suite. Si c'est bien fait, ça colle le vertige...
Quant à toi, Yali, tu me bluffes une fois de plus. Toujours cette écriture sèche et maîtrisée qui va jusqu'au bout de ses intentions, tout en laissant suinter l'émotion à chaque respiration. C'est sûrement ça qui est édifiant. chapeau.
Pour le fond, tu as raison : il n'est jamais trop tôt pour un petit coup de jurançon (et ce n'est pas le bon roi Roy Henri IV, qui fut baptisé dans ce breuvage, qui me contredira, ventre-saint-gris !)
Gobu- Nombre de messages : 2400
Age : 70
Date d'inscription : 18/06/2007
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
Merci Gobu.
Et puis je voudrais rajouter quelque chose sur le texte car je me rends compte que je ne me suis pas assez bien exprimée. Ce que je trouve étonnant aussi, c'est la rencontre avec cette femme, on sait que c'est le rêve du narrateur et pourtant, elle a l'air vraie. Tout comme elle doit être vraie pour le narrateur au moment où il y pense. C'est vraiment bluffant.
Et puis je voudrais rajouter quelque chose sur le texte car je me rends compte que je ne me suis pas assez bien exprimée. Ce que je trouve étonnant aussi, c'est la rencontre avec cette femme, on sait que c'est le rêve du narrateur et pourtant, elle a l'air vraie. Tout comme elle doit être vraie pour le narrateur au moment où il y pense. C'est vraiment bluffant.
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
En fait, tu nous réinventes Pygmalion, en moins tangible...
J'aime: j'ai des mythes plein mes armoires...
J'aime: j'ai des mythes plein mes armoires...
Invité- Invité
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
C'est bon, c'est bien écrit, tu balades ton lecteur et parce qu'on sait que c'est ce que tu cherches on y goute encore plus. Parce que moi je le vois là le coté édifiant : j'écris pour faire plaisir à celui qui me lit, même que parfois je les garderais bien pour moi, mes personnages!
Alors sympa de partager!
Une petite suggestion : dans la première phrase je ne suis pas persuadée que les quelques entorses à la syntaxe se justifient, l'accroche est vraiment bonne et aurait mérité un style plus "pur".
Alors sympa de partager!
Une petite suggestion : dans la première phrase je ne suis pas persuadée que les quelques entorses à la syntaxe se justifient, l'accroche est vraiment bonne et aurait mérité un style plus "pur".
Roz-gingembre- Nombre de messages : 1044
Age : 62
Date d'inscription : 14/11/2008
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
Un poil dans les dents (...) : l'incipit m'a demandé, gentiment, dd'être elu plusieurs fois.
Cette première phrase...Pas facile.
Pas facile ça reste, le temps de s'habituer à cette façon si particulière de raconter tes histoires.
Et puis ça coule, on comprend, on s'amuse avec toi à repeindre les murs, à balancer les tableaux, à dissoudre le métro.
Pas convaincu par la "fidélisation" des lecteurs, mais bon.
Et pis, re-Toine.
Mouais.
Cette première phrase...Pas facile.
Pas facile ça reste, le temps de s'habituer à cette façon si particulière de raconter tes histoires.
Et puis ça coule, on comprend, on s'amuse avec toi à repeindre les murs, à balancer les tableaux, à dissoudre le métro.
Pas convaincu par la "fidélisation" des lecteurs, mais bon.
Et pis, re-Toine.
Mouais.
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
T'as échangé ton coca contre un truc plus fort ?kazar a écrit:Un poil dans les dents (...) : l'incipit m'a demandé, gentiment, dd'être elu plusieurs fois.
Yali- Nombre de messages : 8624
Age : 60
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
Comment tu nous embarques, toi ! Tours et détours. Comment tu nous engouffres dans les abymes, abîmes et autres abysses !
Une petite merveille de texte.
Une petite merveille de texte.
Kilis- Nombre de messages : 6085
Age : 78
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
Yali a écrit:T'as échangé ton coca contre un truc plus fort ?kazar a écrit:Un poil dans les dents (...) : l'incipit m'a demandé, gentiment, dd'être elu plusieurs fois.
Le Schweppes à jeûn, mec, ça pardonne pas.
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
Bien joli texte. Mise en abyme efficace et pleine de tendresse : pas facile de les jeter en patûre aux lecteurs, ses personnages ( pas tous mais certains plus que d'autres... ^^ ).
Bref, un texte... adorable. Est-ce édifiant ou pas ? ^)^
Bref, un texte... adorable. Est-ce édifiant ou pas ? ^)^
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 47
Date d'inscription : 31/03/2008
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
bien sûr, je souris aux phrases qui font mouche, bien sûr, j'aime ton personnage (on dirait du serge lama :-)), mais je n'ai pas accroché plus que ça parce que:
il est temps de faire le deuil et de t'y remettre, parce que tu me manquesYali a écrit:
Deux trois années pour le moins.
grieg- Nombre de messages : 6156
Localisation : plus très loin
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
« le lectorat, le sien. Le même qui s’étonnerait de trouver dans ses mots une jolie fille sans y trouver un comptoir. Il arrive au lectorat de se moquer de cette combinaison récurrente, mais dans le fond, l’auteur sait que ses lecteurs aiment cette ambiance ». Ca c’est mon fragment préféré, c’est édifiant d’autodérision. ;-) Sympa ce petit bout de chemin dans la tête d’un écrivain, sympa aussi de retrouver Toine sur la fin. Merci Yali.
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
J'ai trouvé la phrase un peu de trop.— Il n’y a pas de wagon bar dans le métro, vous êtes sûre ? Tans pis, poussons jusqu’à Saint-Lazare, accordez-moi le temps d’y croire.
Elle lui permet.
Et accepte le verre qu’il lui offre
Elle m'a fait penser, c'est peut-être un peu idiot, à L'écume des jours de B.Vian.Lui ne pense à rien, si ce n’est à lui offrir un bouquet de flamands roses. Il n’a même pas le projet de l’allonger quelque part un peu plus loin.
Yaäne- Nombre de messages : 614
Age : 34
Date d'inscription : 11/04/2008
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
Y a pas à dire, tout est maîtrisé : la construction, la narration, le reste.
Alors forcément, ça marche, ça plait même, et on se prend au jeu. Le mot "jeu" n'est d'ailleurs pas anodin, parce que c'est ça, tu joues.
Alors je dis bravo pour ce texte, merci pour le bon moment de lecture, mais si on passait aux choses sérieuses ?!
Alors forcément, ça marche, ça plait même, et on se prend au jeu. Le mot "jeu" n'est d'ailleurs pas anodin, parce que c'est ça, tu joues.
Alors je dis bravo pour ce texte, merci pour le bon moment de lecture, mais si on passait aux choses sérieuses ?!
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
BM s'adressant au personnage de Yali :
«Tu es serré, étriqué dans cet univers là. La brièveté des phrases aussi vraies que leurs mots manquent du souffle dont tu as besoin pour t'évader un peu. Une planche, un tremplin, un saut, un plongeon, quelle sera l'envolée belle à formes délicates qui t'arracheras de ce trou là ?
Même la plus belle des filles que tu puisses imaginer n'arrive pas à valoriser ta part de beau en toi ?
Alors, quitte ce métro et remonte à l'envers le courant qu'emprunte le commun des mortels. »
BM à l'auteur :
bravo pour l'écriture de cette création colorée.
«Tu es serré, étriqué dans cet univers là. La brièveté des phrases aussi vraies que leurs mots manquent du souffle dont tu as besoin pour t'évader un peu. Une planche, un tremplin, un saut, un plongeon, quelle sera l'envolée belle à formes délicates qui t'arracheras de ce trou là ?
Même la plus belle des filles que tu puisses imaginer n'arrive pas à valoriser ta part de beau en toi ?
Alors, quitte ce métro et remonte à l'envers le courant qu'emprunte le commun des mortels. »
BM à l'auteur :
bravo pour l'écriture de cette création colorée.
bertrand-môgendre- Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007
Re: ÉDIFIANT : Ad libitum
bien aimé la distanciation par rapport aux récurrences de ton écriture (zinc, moleksine et caboche - tiercé dans l'ordre ;-))
aimé aussi le côté "exploration imaginaire", création progressive d'un univers ...
édifiant, je sais pas, peut être, surement ... Bon là, il est 12h, un petit foie gras pour accompagner ce jurançon ?
aimé aussi le côté "exploration imaginaire", création progressive d'un univers ...
édifiant, je sais pas, peut être, surement ... Bon là, il est 12h, un petit foie gras pour accompagner ce jurançon ?
Charles- Nombre de messages : 6288
Age : 49
Localisation : Hte Savoie - tophiv@hotmail.com
Date d'inscription : 13/12/2005
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