Du mot qui dort au mot d'or

Un lit, pour les plus paumés sûrement, pour moi ce sera le fauteuil.
Le confort du mobilier choisi est proportionnel à l’état symptomatique.
S’il y avait eu un tabouret, je l’aurais probablement choisi.
Mais ce sera le fauteuil, du bout des fesses, être prêt à partir s’il le fallait.
Des mots du bout des lèvres, être prêt à se dire, peut être.
L’espace est mystérieux, comme un sanctuaire, clos, l’ambiance sacrée.
L’accoucheur est ici maître des maux, à moi d’y mettre les mots.
Je respecterais bien le silence de ce lieu. Il y a eu tant de mots avant moi, je sens leur invitation à me taire, le silence est doux, le mot dort.
Mais l’accoucheur ne l’entend pas ainsi.
Il rompt le silence en 1er , juste pour que la pièce soit de nouveau prête à entendre.
Enchaîner avant qu’un autre, trop lourd celui là , s’installe entre nos 2 fauteuils .
L’espace est suffisant pour un silence tendu entre nous 2 , il pourrait, comme un ruban élastique venir se nouer et se serrer autour de ma gorge obturant la sortie des 1ers mots avortés.
Etrange tête à tête où l’accoucheur te regarde descendre en toi même. C’est un voyage intime, lui , a l’œil penché sur ta nudité. Il voit de toi ce que tu ne peux voir, mais n’en dira rien. Il ne peut partager que son silence attentif dans l’attente de tes mots.

L’ambiance est moite, mon corps pleure d’une pluie salée, et mes yeux s’assèchent à perdre la vue.
Je cherche une lettre, elle est trop acide, il me faudrait la vomir pour l’extraire.
Je vais vomir sur le tapis rouge, l’accoucheur fera le tri, des lettres fatiguées, disloquées, des lettres nues jamais lues, des lettres cassées ,titubantes, des lettres bancales, estropiées, des lettres moisies, pourries, celles qui gangrènent l’être, un vomi qui donne vie aux lettres mortes.
Des lettres cachées aux lettres crachées sur le tapis, indécence, perte de sens, sans dessus dessous.
Vomir n’est rien si le mot reste collé au fond du ventre.
Pourquoi ne m’ouvrez vous pas les entrailles?
Mon regard s’accroche au couvre lit. Chercher dans ses broderies une piste, ou dans les formes géométriques du tapis rouge, un chemin . Ces tissus sont devenus mes fidèles compagnons de voyage. Il sont toujours là, avec les mêmes formes, et les mêmes couleurs, pendant que tout mon intérieur change, se déforme sous la puissance des mots .
Faire entrer mon esprit dans cette géométrie rassurante, juste pour ne pas mourir tordue, retrouver une forme carrée où il suffit de tourner 4 fois à droite ou à gauche pour faire le tour de soi .
Son silence est trop long . Il me coûte trop cher.
Je ne reviendrai plus.

Mais l’accoucheur attend, placide.
Il sait lui.
Arracher le mot de ses profondeurs c’est le tuer. Alors il attend, des années parfois.
Un jour, les lettres s’assemblent autour d’un mot, d’un sens. L’accouchée est prête à se déchirer le ventre. Il suffirait d’un mauvais geste de l’accoucheur ou d’une petite maladresse, pour que le mot ne redescende pour une gestation éternelle.
L’ascension est fragile.

Le mot ne vient jamais seul, il se déplace en famille. L’accouchement peut durer.
Durer.

Son silence se rompt avec le mien.
Je peux quitter des yeux les tissus qui on fini par se perdre en moi.
L’accoucheur a prononcé un mot. Comme sous l’effet d’un électrochoc, chacune de ses lettres sa sont diffusées en moi , sans permission . Rencontre violente mais nécessaire, le mot se mêle à mon sang , se percute à mes os, cherche la voie de mon esprit où il doit prendre place.

J’ose lever les yeux vers lui pour voir vivre le mot dans ses yeux, toute seule c’est impossible, accordez moi votre regard pour ne pas sombrer, je ne veux pas suivre le mot et entrer en moi même, il me faut le voir à travers vos yeux.
Son regard sera mon refuge, juste le temps que le mot s’habitue à moi, et que je me fasse à lui.


Si j’accouche de moi j’ignore encore de quoi j’ai l’air.

Simple et fort, convaincant. La dernière phrase est superbe !

Petite remarque sur le " 4 fois à droite " : pourquoi le quatre n'est-il pas en lettres ? Me souviens du Nom de la rose, lorsque je lis ce chiffre. Ce roman ne m'a pas emballée... si ce n'est l'incipit où tout est question de chiffres-lettrés. Un petit bijou, à mon avis. De quoi vous empêcher de mettre des 4 ou des 3 dans un texte. ^^

Pour ce qui est du dit texte, je l'ai apprécié.

" Il y a eu tant de mots avant moi, je sens leur invitation à me taire, le silence est doux, le mot dort. " Rien que pour ceci : ^)^. Bref, pas mal, Karen.

Mention pour le titre qui m'a intrigué.

Exact socque, la dernière phrase est tout simplement magnifique.

Magique ?

Un texte qui m'intrigue.
Redoutable.

Un titre fort peu alléchant pour un texte qui l'est vraiment. A lire et relire.

Merci pour vos réactions, je "m'inquiétais" un peu de ne voir personne laisser de commentaire.
Je préfère susciter la critique négative, que rien...
Et je commençais à penser que ce texte devait ne pas faire écho au point de laisser très indifférent.
Merci.

Je cherche une lettre, elle est trop acide, il me faudrait la vomir pour l’extraire.
Je vais vomir sur le tapis rouge, l’accoucheur fera le tri, des lettres fatiguées, disloquées, des lettres nues jamais lues, des lettres cassées ,titubantes, des lettres bancales, estropiées, des lettres moisies, pourries, celles qui gangrènent l’être, un vomi qui donne vie aux lettres mortes.
Des lettres cachées aux lettres crachées sur le tapis, indécence, perte de sens, sans dessus dessous.
Vomir n’est rien si le mot reste collé au fond du ventre.
Pourquoi ne m’ouvrez vous pas les entrailles?

L'image est fulgurante et belle. Un texte poignant et sans mièvrerie ni apitoiement sur soi-même.

Mon regard s’accroche au couvre lit. Chercher dans ses broderies une piste, ou dans les formes géométriques du tapis rouge, un chemin . Ces tissus sont devenus mes fidèles compagnons de voyage. Il sont toujours là, avec les mêmes formes, et les mêmes couleurs, pendant que tout mon intérieur change, se déforme sous la puissance des mots .
Faire entrer mon esprit dans cette géométrie rassurante, juste pour ne pas mourir tordue, retrouver une forme carrée où il suffit de tourner 4 fois à droite ou à gauche pour faire le tour de soi .

Intriguant texte. Je mijote ton histoire de carré. Texte passionnant dans son contenu.

Mon regard s’accroche au couvre lit. Chercher dans ses broderies une piste, ou dans les formes géométriques du tapis rouge, un chemin . Ces tissus sont devenus mes fidèles compagnons de voyage. Il sont toujours là, avec les mêmes formes, et les mêmes couleurs, pendant que tout mon intérieur change, se déforme sous la puissance des mots .
Faire entrer mon esprit dans cette géométrie rassurante, juste pour ne pas mourir tordue, retrouver une forme carrée où il suffit de tourner 4 fois à droite ou à gauche pour faire le tour de soi .

Intriguant texte. Je mijote ton histoire de carré. Texte passionnant dans son contenu.

Jolie phrase de fin ! Belle ambiance d'ailleurs de manière générale.

Un petit bémol tout de même sur cette répétition du mot accoucheur, pas vraiment un vilain mot, mais il accroche et on le voit un peu trop à mon goût au détriment d'autres idées.
Ceci dit, il y a vraiment de belles et fortes images dans tout cela.