Lettre aux étoiles

lili je suis si loin.
Comment trouver les mots ?

Si un crime est commis dans le coin par un type qui me ressemble, on trouvera facilement des paires d’yeux surmontées de cerveaux doués de mémoire, on enverra des impulsions contraignantes qui agiteront les langues en quête de salive fraîche, on tendra des paires d’oreilles grandes ouvertes aux tympans plus ou moins propres et, parmi les affabulations exagérées, légendes contradictoires et témoignages enchevêtrés on déduira plus ou moins précisément que j’ai posé mon sac à Jacuma, petit village côtier (plage de sable blanc et cocotiers) un peu au nord de Recife dans l’Etat du Pernambuco, Brésil.

Mais quoi qu’on en dise, en vérité je suis avec toi lili. Ici ou là, tout prêt. De toute façon je peux être n’importe où ; car n’importe où que je sois je suis avec toi. Chacun des pores de ma peau isolé déguste sans relâche les rayonnements incandescents émanant des voiles de ton souvenir. Moi, tout entier je t’appartiens pour l’éternité. Tu étais, es et sera l’inamovible résidente de mon jardin secret. Mes faits et gestes, actes de consciences bons ou mauvais, plaisirs et découragement te reviennent indemnes et immanents. Devant toi je suis nu comme un vers, partage mes yeux et t’offre mes sentiments.

Les récits sont des mots et les mots, parfois, donnent de la force. Ma fée je t’aime et vais te raconter. La joie de vivre, l’énergie d’exister. Tant de visages illuminés par des sourires. Rafaelo, sept ou huit ans, gamin des rues parmi des nuées, Fortaleza dans le Ceara ; un beau visage craquant, dort sous les ponts, dans un carton. Par une tumeur sociale est condamné. Il vivra certainement moins longtemps que toi et il se bat pourtant, avec ses armes, la fantaisie, l’espièglerie, l’esprit jovial pour se sauver. Mendie des sous, à boire et à manger, insiste, persiste et va jouer. Et puis ces filles, fraîches, si belles et spontanées. Ici c’est tellement facile pour un étranger. Je les ai vus, vus et revus. Ils ont la peau blanche et les poches pleines d’argent, débarquent du vieux continent pour se payer du bon temps. Je les vois et revois se répandre, leurs mains grasses, les neurones dévoyées, au diable s’abonner. Et puis je vois et revois toutes ces filles fixer, se déhancher, saler, sucrer poivrer : les exciter. Palpées, souillées, serrées, sucer les queues levées. Prendre un peu de pouvoir d’achat, pouvoir manger et s’habiller, pour survivre se prostituer, un de ces pollueur espérer épouser, avant de vieillir assurer leur avenir, tenter. Mais quand bien même le destin le malheur, dans les yeux de ces filles brille de la bonne humeur.

Il n’y a rien à faire à Jacuma tu sais…si ce n’est profiter, s’allonger dans un hamac, siroter une boisson fraîche, de temps en temps se baigner. L’océan est vert et chaud, la plage presque déserte. Je laisse couler le temps. Luxe suprême, ma liberté. Car ici bas la vie ressemble à une course contre la montre et beaucoup d’entre nous ne verrons jamais la ligne d’arrivée. Le monde est tellement injuste lili. Au Brésil les églises tournent à plein régime. Il y en a des tas : l’église de la congrégation de Dieu machin truc, l’église de Jesus le sauveur de quelque chose… Religions syncrétiques, rites et cérémonies exotiques consolent les pauvres, pardonnent aux riches dispensent l’espoir, façonnent l’oubli et la docilité. Tout comme ces multitudes de fêtes. Le carnaval agite le pays tout entier.

Je poste plein de vie, cette force du Brésil, terre des sorts et des magies. Ici tout arrive ma fée, on croit aux fantômes et on craint les sorciers. Je suis là, tout contre toi, tu peux me parler, à chaque instant je pense à toi. Sourire, croire et s’aimer c’est ce tout ce qu’il nous reste lili. Avant de te voler, la maladie t’avait cloué sur un lit d’hôpital. Hideuse tumeur maligne qui te filait mal au crâne et te coupait la parole. Les jambes paralysées, le cerveau dévoré. Tu avais peur de t’endormir lili, fermer tes grands yeux bleus, t’abandonner, si peur de ne jamais te réveiller. Mais jusqu’au moment ultime tu as gardé cette étincelle unique qui fait de moi ton prétendant si dévoué. L’amour de la vie, l’amour de l’amour, l’amour pur, sensible, que rien ni personne ne pourrait entamer. Je pense à toi lili, prend de l’amour et l’expédie, voyage pour toi, transmet ces mots au paradis.

Ce texte aurait pu participer à l'exercice "édifiant" ; j'y retrouve force clichés sur le Brésil, les enfants à la rue etc., mais en l'occurrence cela ne me gêne pas : si c'est la réalité il faut bien la dire !

Non, ce qui me gêne c'est ce moment où, pour décrire une réalité sordide vous avez recours à un syle inutilement alambiqué et plutôt maladroit, à mon avis : depuis "De toute façon" à "bonne humeur".

"car n’importe où que je sois je suis avec toi" me paraît très lourd et la phrase suivante "Chacun des pores de ma peau isolé déguste sans relâche les rayonnements incandescents émanant des voiles de ton souvenir" bêcheuse, je ne peux pas dire autrement : d'une prétention qui veut cacher sa banalité foncière.
Ensuite, à la fin du passage auquel je pense, toutes ces rimes dissimulées dans la prose me donnent une impression de préciosité en décalage total (et malvenu) avec le sujet.
Après en revanche, j'aime bien, le récit est plus simple et plus fort.

Je trouve une belle ampleur dans ton style. J'ai aimé les deux premiers paragraphes, malgré leur caractère cliché.
J'ai également apprécié la peinture que tu donnes du Brésil ; mais ce troisième paragraphe sonne moins bien que le début, me paraît un peu bancal, et c'est peut-être cette recherche stylistique qui, ici, dénature le propos et empêche l'imagination du lecteur de vraiment se former. Peut-être qu'avec plus de simplicité, les images que tu tentes de nous livrer me seraient arrivées plus aisément.
Le deux derniers paragraphes coulent bien.

En somme, j'aime ton écriture qui s'approche parfois de l'emphase ou de la grandiloquence... mais peut-être gagnerais-tu à la canaliser parfois ?

Ah ! que j'ai aimé ce message à lili !! Aimé l'écriture assurée (et un peu fleurie il est vrai, des deux premiers paragraphes). Aimé les mots qui claquent, le rythme haché de la suite. C'est plein de vie, d'amour, de laideur, c'est un texte qui palpite et crépite.

Cette lili aux yeux bleus me fait penser à cette autre lili, lili de la lagune de Le Clézio dans Ourania. Même univers où la laideur et la poésie se côtoient, où la misère et la beauté s'enchevêtrent dans un pays où les gens n'ont que le soleil pour richesse.
J'aime bien ta façon d'en parler même si ton enthousiasme est parfois maladroit.

Il y a la misère, les drames du quotidien, une société qu'on ne dénonce sans doute pas suffisamment et puis il y a tout cet emballage autour qui me laisse un peu perplexe. C'est peut-être volontaire, ce mélange, histoire d'atténuer ou d'accentuer certains traits mais cela donne un côté inégal à l'ensemble (à mes yeux s'entend).
La trame se passerait volontiers, me semble-t-il, de certaines tournures un brin chargées et de détails inutiles. C'est comme si fond et forme n'arrivaient pas à se rencontrer, que la recherche sur le style se faisait au détriment du sujet et vice versa. C'est peut-être un trop plein de passion qui se glisse dans la plume et déborde sur la page, cela expliquerait quelques maladresses dans l'allure générale, qui est cependant loin d'être mauvaise.