La couleur de l'Amazone

Deux kilos sur le pont supérieur. A l’arrière du navire. Deux kilos posés en carré, un petit mur solidement amarré avec des câbles épais, emmitouflé dans une bâche pour parer aux pluies abondantes de l’Amazonie. Et la sono jouait. Un genre de forro electro-typique avec des basses qui avoinaient. Des joueurs de domino attablés. Les tables du logo Skoll imprimées. Une femme entre deux âges installée devant les enceintes empilées, manucurait, pédicurait et vendait des friandises. Les enfants par l’odeur alléchés. Sur l’Amazone le bateau avançait. Une poubelle, un posto de incendio fatigué. Le pont vivait sa vie, certains se trémoussaient, une dame élégante offrait des gâteaux aux autres passagers alors que d’autres encore fixaient le fleuve accoudés au bastingage. L’eau avalait les rayons du soleil. Une bande des quatre jouait au poker. Cartes frappées, insidieusement regardées, palabres comme au palais. Le serveur du bar plongeait dans une glacière. Deux jeunes garçons se mesuraient au billard. La table au scotch raccommodé, baby surface et boules influencées. Le vent, les vagues et le tapis percé. Un vieux noir suçait de la tisane dans un pot à maté. Une belle en t-shirt rose collé, mini short bleu flash et tellement bien roulée. Le moteur du navire ronronnait, des nuages s’amoncelaient dans le ciel. A cet endroit l’Amazone faisait bien un ou deux kilomètres de large. Au loin les rives de la foret. De chaque côté. Deux bandes vertes se découpaient traversées par la grande veine brune et rouillée. Un chien qui aboyait. Avec la luminosité du soleil caché par les nuages, l’Amazone avait pris une teinte plus verte, la végétation respirait. Les coups de vents ébouriffaient les cheveux, la Cerveja coulait.

La matinée commence tôt sur l’Amazone, à 6h30 un sale gamin crapahute parmi les hamacs, à coups de sifflet stridents réveille, annonce le petit déjeuner. La forêt des hamacs multicolores suspendue aux rampes de fer soudées. La couleur de l’Amazone, compacte, épaisse et apaisante. Le bateau perçait la sérénité du fleuve, agitait ses eaux, provoquait de la mousse et des remous. Musique d’éclaboussures comme une composition de pluie sur une tôle de voiture. Le matin sur l’entrepont les discussions sont étouffées par les ronflements du moteur et de l’eau cassée par la coque du bateau. Charivari de sacs ouverts pour chercher des affaires. Le son des fermetures éclairs. Malade dans son hamac TMB ne voyait que des pieds et des mollets. Des serviettes de bains pendaient au-dessus de lui, des buissons de bagages poussaient sur le sol. Certains voyageurs dormaient encore, d’autres rassemblaient leurs affaires de toilette ou déjeunaient. Le matin il ne fait pas trop chaud et puis le vent apporte un peu de frais. Gare aux arrêts. Lorsque le navire est à quai, la chaleur et l’humidité imposent leur chape de plomb sur tous les ponts.

L’Amazone porte la terre. Les particules brunes formaient des nuées mystérieuses, une barrière molle, un mur opaque et éthéré. Le navire flottait sur un monde inconnu, un bouillon sans bulle, large bras liquide avec ses confluents striant la forêt comme une feuille de palmier. Des troncs d’arbres fracturés, des objets végétaux non identifiés dérivaient à la surface de l’eau, détachés de la jungle par quelques phénomènes physiques ou magiques. Peut être seront-ils engloutis par les démons du fleuve. Paysage liquide explosé comme un lendemain de guerre, l’Amazone convoyeur des plaies multiples de la terre. Le fleuve brun clair et du vert en lisière. Les rayons de soleil le parsemait de lueurs, de reflets diamantaires. Mais toujours cette teinte ocre qui dominait. Pensée sauvage de l’énigme. Calme de l’indomptable.

Depuis deux jours TMB chiait la couleur de l’Amazone. Sur le bateau deux chiottes et deux cents cinquante-sept hamacs. Les chiottes étaient encore assez propres mais pas assez aérées. Et la bouffe de la veille, lavée dans l’eau du fleuve, semblait avoir fait de nombreuses victimes. Les diarrhées malignes se succédaient. Assis, pousser, quarante degrés. Dans une odeur de merde et de chaleur d’étuve. Son estomac le lançait et il avait parfois envie de gerber. Au deuxième jour la diarrhée avait pris de l’ampleur. Il arrivait sur Manaus, restait aux chiottes des heures. Son bide parfois lui faisait mal, une sorte de douleur sourde et muette, un nuage noir avant l’orage.
TMB ne prit vraiment conscience de la mauvaise tournure des événements qu’en observant ses avants bras. Les arbres de l’Amazonie entortillés les uns dans les autres, la compétition pour le soleil, la végétation dense et luxuriante, le vol majestueux des oiseaux, les élans incessants. Son corps marquait le coup, mille et une tâches rouges montaient des poignets et dépassaient les coudes. Une invasion purulente, sa peau qui partait en fracas. Un tas de boutons dégueulasses poussaient sous son épiderme et les circonférences touchées s’agrandissaient vitesse grand V. Pour couronner le tout un aphte fleurissait sur le bord de sa langue. Il chiait tout à fait liquide à présent, buvait beaucoup d’eau pour compenser et n’acceptait plus que de manger du riz. L’Amazone, le plus grand fleuve du monde, représente un cinquième des eaux fluviales du globe. L’Amazone coulait dans son estomac et par son cul s’évacuait.

A partir de "L'Amazone" je trouve le texte excellent, notamment le paragraphe qui décrit le fleuve, jusqu'à "l'indomptable". Avant, j'ai eu du mal, surtout avec le premier paragraphe que j'ai trouvé inutilement alambiqué, avec un système de rimes cachées (peut-être involontaire) dommageable, comme dans votre autre texte que j'ai lu à l'instant.

Une remarque : "tâche" avec un accent circonflexe sur le "a" signifie quelque chose à faire ; "tache" sans accent, c'est ce qui tache les vêtements. Vous avez mal orthographié.

J'ai trouvé le texte bien écrit ; des phrases parfois très courtes qui donnent un rythme haché et permettent bien la visualisation.
Je me suis imaginé facilement le bateau voguant sur l'Amazone, ce qui témoigne bien de la réussite de ta description.
Le premier paragraphe, que je trouve bon néanmoins, m'a également quelque peu rebuté : trop de sonorités proches nuisent à la fluidité du texte, je trouve. En l'occurrence, une abondance d'imparfaits et de participes passés ont quelque peu endommagé ma lecture.

Mais j'attends vivement la suite.

Très inégal. Une première partie qui pose bien l'atmosphère lourde, oppressante et humide du climat équatorial. De belles descriptions. Une griffe. Ensuite ça se gâte et pas seulement dans l'estomac de TMB comme si l'écriture n'était devenue qu'une simple jouissance infantile.

Il y a une chouette ambiance et je trouve que ta première partie donne bien la mesure du rythme d'un fleuve qui s'écoule et peut se déchaîner. Tout cela est très vivant, très visuel. De temps en temps des maladresses ou des phrases qui se succèdent à une vitesse trop rapide, mais cela permet de poser le décor.

Arrive ensuite la partie avec l'Amazone, que je trouve très bien ficelée, poétiquement descriptive et efficace.

Mon bémol viendra du lien entre les deux; c'est comme si deux fragments avaient été accolés, avec un fil commun mais des styles différents. Ce manque d'harmonie me gêne un peu mais ne m'empêche pas de profiter du potentiel de ton texte.

C'est un texte que j'ai beaucoup aimé dans son ensemble, pour les descriptions de la vie sur le bateau et des malheurs de TMB, descriptions sans concession, sans romantisme inutile (mais tentant, dans d'autres circonstances). On est vraiment transporté ailleurs avec cette écriture dense - comme souvent te concernant - et efficace.
D'ailleurs je me demandais comment tu allais conclure ce texte et je trouve que tu t'en sors très bien avec la phrase finale lapidaire. La boucle est bouclée.

ha il y a du corps dans ce texte ! du style aussi. Ca me plait beaucoup. De belles et justes descriptions, mais pas trop, une ambiance, et l'envie d'en savoir plus sur ce gars qui se liquéfie. D'où vient-il, où va-t-il, pourquoi, bref, tu as réussi ton coup, et donc tu ne peux pas en rester là ;-)
au taf !

Un voyage sur le fleuve comme si on y était. Beaucoup de couleurs qui sonnent juste, surtout celle, caca de l'Amazone, qu'on épouse avec ce TMB dont on attend la suite des aventures avec impatience.