Lettre à un aveugle

Lettre à un aveugle

Quand tes yeux ne seront que des globes éteints
Abolis des couleurs et des formes obscures
Et quand le monde enfin ne sera que substance,
D'entendre souviens-toi au dernier des matins
le joyeux tintamarre de la chair grouillante.

Ils viendront, tends l'oreille !
Le clown filiforme et son crâne fissuré
De rires d'enfants bleus et de rouges ruisseaux,
Qui chantait à tue-tête suivi du
Vieux soldat délivré qui pleurait sa prison.

Ils riront, sois en sûr !
La fille rousse à la cuisse d'eau pâle,
L'indien tourbillonnant dépouillé de ses ailes,
Le menuisier borgne, son burin de lumière,
Le bedeau bedonnant et la corde à son cou,

Ils danseront, n'oublie pas !
Le fringant capitaine à paisible grimage
Et ces nains encombrés de leurs sexes énormes,
Même un roi costumé, une fourche derrière
Et celui qui t'imite indolent visiteur.

Quand tes yeux ne seront que deux billes de chair
Morte
En ton silence alors,
Souviens toi de ton corps
Et combien tu l'aimais l'espace d'un baiser.

" le burin de lumière " pour sculpter des ombres. J'adopte.
Après, la chair étant ce qu'elle est, et les aveugles n'y voyant que du feu...On ouvrira les yeux sur les frissons de l'âme.

Touchée par ce texte fort bien écrit.
Tu comprendras qu'il reste difficile à commenter

Eddy a écrit:Touchée par ce texte fort bien écrit.
Tu comprendras qu'il reste difficile à commenter

Je crois comprendre ton embarras, Eddy, mais ici la cécité est conçue comme une métaphore de la mort et le poème joue sur cette analogie. abandonne tes scrupules !

Ce tourbillon d'images en mouvement qu'on entend approcher évoque, pour moi, de manière saisissante le flot de souvenirs qui, parait-il, assaille les moribons, aveugles ou non.
Les deux derniers vers sonnent comme une réconciliation avec un corps qui vous aurait trahi mais auquel on pardonne en évoquant le meilleur du passé qu'on lui doit.
Remarquable !

Il y a du Brel là-dedans...
Un bel hommage à la vie je dirais, avec ce rythme endiablé de personnages comme à la parade. Un texte vraiment magnifique.

Coup de coeur pour la dernière strophe et aussi ceci :

Le menuisier borgne, son burin de lumière,
Le bedeau bedonnant et la corde à son cou,

C'est vraiment un beau texte Hellian, empli de personnages étonnants et d'émotions brutes. J'aime beaucoup cette manière de dire les choses, avec une dose mesurée d'emphase, avec une façon d'ouvrir les bras vers le monde qui apporte beaucoup. Merci !

strophes 2 & 3 "grandioses"

le silence pour goûter ces mots
la trahison des corps et nos âmes meurtries mais lucides

Hellian a écrit: Lettre à un aveugle

Quand tes yeux ne seront que des globes éteints
Abolis des couleurs et des formes obscures
Et quand le monde enfin ne sera que substance,
D'entendre souviens-toi au dernier des matins
le joyeux tintamarre de la chair grouillante.

Ils viendront, tends l'oreille !
Le clown filiforme et son crâne fissuré
De rires d'enfants bleus et de rouges ruisseaux,
Qui chantait à tue-tête suivi du
Vieux soldat délivré qui pleurait sa prison.

Ils riront, sois en sûr !
La fille rousse à la cuisse d'eau pâle,
L'indien tourbillonnant dépouillé de ses ailes,
Le menuisier borgne, son burin de lumière,
Le bedeau bedonnant et la corde à son cou,

Ils danseront, n'oublie pas !
Le fringant capitaine à paisible grimage
Et ces nains encombrés de leurs sexes énormes,
Même un roi costumé, une fourche derrière
Et celui qui t'imite indolent visiteur.

Quand tes yeux ne seront que deux billes de chair
Morte
En ton silence alors,
Souviens toi de ton corps
Et combien tu l'aimais l'espace d'un baiser.

Nos premières entraves ne sont-elles pas ce corps qui ne cesse de changer au long de la vie et que nous peinons à apprivoiser. il semble que nous ayons toujours un temps de retard , si ce n'est davantage, sur son acception.

Les impressions des uns et des autres donnent des éclairages intéressants.

Un écrit d'une grande profondeur. Je vais aller consulter mon ophtalmo! (j'ai pas pu m'empêcher!)

beaucoup de belles images qui laisse à mediter

bravo

Votre écriture ne me laisse pas indifférente, des personnage surprenants "ce clown filiforme et son crâne fissuré",étonnant vraiment. J'aime me plonger dans le catalogue lorsqu'un auteur me plaît je ne suis pas déçue, vous avez une plume qui vibre.

Cécité due à la mort, envoûtant texte, qui parle bien de la mort de l'oeil, mais comme mort du corps.

Quel sable mâchez vous?
Lorsqu'on vous dissèquera, trouvera-t-on des perles plus grosses?

J'ai trouvé ce texte si beau tel quel que je me refuse à suggérer toute amélioration.

Bises !

Déjà passée, je pensais pouvoir l'entendre avec You tube, non, où n'ais je pas suffisamment cherché?
A la relecture, je trouve étrange , et un peu "disharmonieux" ce vers :
"""
Qui chantait à tue-tête suivi du


"""
C'est aussi pour ça que j'aurais aimé entendre, tant le poème (pas que celui-ci) prend une autre allure lorsqu'il est lu par son auteur.



Et il m'a fait penser à ce poème de Baudelaire, là c'est vu par le voyant et c'était il y a longtemps....

Charles BAUDELAIRE (1821-1867)

Les aveugles

Contemple-les, mon âme ; ils sont vraiment affreux !
Pareils aux mannequins, vaguement ridicules ;
Terribles, singuliers comme les somnambules,
Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.

Leurs yeux, d'où la divine étincelle est partie,
Comme s'ils regardaient au loin, restent levés
Au ciel ; on ne les voit jamais vers les pavés
Pencher rêveusement leur tête appesantie.

Ils traversent ainsi le noir illimité,
Ce frère du silence éternel. Ô cité !
Pendant qu'autour de nous tu chantes, ris et beugles,

Eprise du plaisir jusqu'à l'atrocité,
Vois, je me traîne aussi ! mais, plus qu'eux hébété,
Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?

"lettre à un aveugle", dernier commentaire "Eclaircie"... ça m'a fait sourire.

Très beau texte, qui finit sur une note d'espoir, comme un autre que j'avais lu sur le même thème il y a peu. Ici, il y a de l'affect sans pathos, ça sonne juste, et la chute est très forte.

Pissque c'est en haut...

Je remercie Éclaircie d'avoir exhumé ce texte des profondeurs funestes où il était enfoui. Je l'en remercie, oui, car, la lecture que j'en fais quelques siècles après l'avoir écrit, me permet de mesurer mon évolution scripturaire et en même temps, d'apprécier une certaine pérennité de l'inspiration. Les derniers vers. s'ils n'étaient de moi, je crois que je les trouverais assez beaux. Puisse m'être pardonné ce trait de vanité !

Éclaircie, pour vous être agréable, j'en ferai ce weekend une lecture enregistrée