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Délire champêtre

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Message  Invité Dim 29 Mar 2009 - 5:34

Délire champêtre

Roland Galibert, la cinquantaine alerte, a fière allure sur son tracteur. Il tisse régulièrement son carré brun de velours milleraies au milieu de la plaine verte et son regard s’attarde avec fierté sur son domaine : une construction basse flanquée d’un hangar, d’une grange, d’un puits sous un figuier, et tout près, un pigeonnier abandonné, aux murs lézardés.

C’est un édifice de caractère qui se tient droit dans le vent, majestueux et grave comme un beau vieillard. Dans les parties décrépies, creusées par les intempéries, poussent quelques herbes folles.

Roland remonte la pente en creusant son dernier sillon. Il pense à sa femme, satisfait de sa présence invisible. Tandis qu’il l’imagine, occupée à fermer le poulailler, suivie de Rita et ses jappements, il aperçoit un homme à quelques pas du puits, debout devant un chevalet. Intrigué, il range vite sa machine sous le hangar, puis rentre chez lui, d’un pas faussement tranquille :
— Mariette, tu as vu ce type, près du puits ?
— Oui. Il est venu me demander l’autorisation de peindre le pigeonnier.
— Quoi ? Cette ruine ?
— Oui. Il a dit : « c’est un beau vertige… » ou vestige, enfin je ne sais plus. En tout cas, il veut en faire un tableau.
— Ah ! Et il est jeune, cet homme ?
— Environ trente-cinq, trente-huit…

En douce, il pose sur elle un regard étonné, fait le tour de ses formes replètes – dues à la pré-ménopause – comme s’il la découvrait, et pense pour la première fois qu’un autre pourrait lui envier son bien. Il se dit : « Elle n’a jamais été aussi belle que Lola, mais c’est ma femme. »
Lola…Il soupire. Au printemps dernier, cette jeune femme, transpirant l’ambition, la liberté, a pris au village la gérance du bar-tabac et transformé les pièces de l’étage en chambres d’hôtes. Roland va souvent « Chez Lola », titillé par le démon de midi. Adossé au zinc, les mains dans les poches pour cacher ses ongles endeuillés, il bavarde avec les buveurs et lance des regards furtifs vers la silhouette convoitée qui évolue avec souplesse entre les tables.

Le lendemain de l’arrivée du peintre, Mariette, d’un pas aérien, met le couvert, dispose les fleurs posées sur le buffet dans un pot en grès. Un léger sourire égaie son visage, elle fredonne, elle qu’on n’a jamais entendu chanter. Alors, fugitive, la silhouette de l’homme au chevalet traverse l’esprit du paysan :
— Il est revenu !
— Qui est revenu ?
— Cet illuminé qui s’est amouraché de mon pigeonnier, de mon puits, de …
Mariette lui coupe la parole :
— Y’a un problème ? C’est quoi le problème ? Bien sûr qu’il est revenu ! Il a peint toute la journée.
— Et les fleurs, là…c’est lui ?
Elle rougit, dit très vite :
–– Non, non, je les ai achetées au village. Demain je vais au cimetière.

Les jours suivants, le jeune homme est là, assidu. Mariette, passe de longs moments à le regarder peindre. Un trouble nouveau l’envahit, lui procurant un plaisir indéfinissable, très puissant. L’après-midi, elle change de tablier, met un peu de rouge sur ses lèvres, attache ses cheveux rebelles et l’invite à prendre un café. Là, pendant qu’elle ouvre fébrilement un paquet de biscuits, c’est lui qui la regarde, d’un air amusé, légèrement moqueur. Une fois, il lui a dit gentiment : « Vous pouvez m’appeler Daniel, si vous voulez. »

Chaque soir, en rentrant du travail, Roland se promet d’aller effacer cet intrus de son paysage, à l’aide de paroles bien senties ou avec ses poings si nécessaire, mais quand il arrive à proximité de ce pigeonnier, qu’il maudit à présent, le courage lui manque. Alors il se contente de demander avec nervosité à sa femme si ce tableau est enfin terminé. Elle lui dit :

— Daniel m’a raconté qu’étant enfant il passait ses vacances chez ses grands-parents. Ils avaient le même pigeonnier, auquel ils tenaient beaucoup. Il y a mis le feu, en jouant. Ses grands-parents ont eu tant de peine, et lui tant de regrets, qu’il en souffre encore aujourd’hui. Ce pigeonnier brûlé était plus lamentable qu’un arbre foudroyé. La mort dans l’âme, ils l’ont fait abattre. Il veut rendre à ses grands-parents, vieux et malades, l’image exacte du pigeonnier auquel ils tenaient tant.

De cette explication, Roland ne retient que le degré d’intimité auquel sont parvenus sa femme et ce fou du pinceau. Il éclate :
— Daniel ? Tu l’appelles Daniel ?
— Eh bien… oui, puisque c’est son nom !
— Et vous faites quoi, tous les deux, toute la journée ?
Une lueur candide traverse les yeux de Mariette :
— Mais… rien, je t’assure, rien.
— Le jardin n’est pas bêché, le tableau n’est pas fini, en effet vous ne faites rien. Tu me prends pour un imbécile ?

Le lendemain, il essaie de calmer sa mauvaise humeur, mais il imagine Mariette minaudant devant ce freluquet d’artiste. Il étouffe de colère. Il pense à Lola qu’il va voir à présent tous les jours, si belle, dans la splendeur inaccessible de sa jeunesse, totalement insensible à ses tentatives de séduction…Trahison d’un côté, rejet de l’autre, c’est intolérable.

Le vent du sud s’est levé ; celui que l’on appelle le vent des fous, qui court de tous côtés, asséchant les prés de son haleine chaude, faisant grincer les volets de la ferme. Au milieu de la nuit, Mariette est réveillée par des aboiements lugubres. Rita hurle à la mort. De la main, elle cherche Roland à ses côtés. Personne. Elle se lève, ouvre les volets. Une âcre fumée s’engouffre dans la chambre. Elle perçoit en même temps les piaillements affolés des poules, les crépitements du feu, les craquements de la charpente. Elle sort vite, en chemise, pieds nus, va à tâtons ouvrir le poulailler, court vers le puits, intention instinctive et dérisoire… tout brûle ! Elle veut crier « Roland » mais ne peut émettre un son, reste bouche ouverte, terrorisée. Les ouvertures de la grange exhalent par bouffées une fumée dense, noire, pailletée d’étincelles. De grandes flammes que le vent bouscule se rabattent en léchant les murs. Se tournant vers le pigeonnier, embrasé lui aussi, elle distingue son mari, figé, son portable à la main. En même temps, au loin, se fait entendre la sirène des pompiers.

Elle se jette alors dans les bras de Roland en sanglotant et l’entend grogner :
— Je ne voulais pas ça, non, je ne voulais pas ça…Seulement le pigeonnier ! C’est à cause du vent…

A l’aube, l’incendie maîtrisé, mais la maison devenue inhabitable, les pompiers proposent de les transporter jusqu’au village où ils trouveront refuge chez Lola :
— C’est une brave fille vous savez…Le temps de « voir venir » comme on dit…
Ils n’ont pas le choix.

Ils arrivent dans le bar, Roland hébété, les cheveux en broussaille, Mariette frissonnante, enveloppée dans la couverture de survie fournie par les pompiers. Lola se précipite, s’apitoie. Elle les installe près d’un radiateur. Avant de monter « chercher des vêtements pour la dame » elle ouvre la porte de la cuisine, derrière le comptoir, et crie :
— Chéri, prépare vite un bon petit déjeuner pour deux personnes.
— Ça roule !

Une minute après − devant leurs yeux stupéfaits – Daniel s’avance, souriant, avec deux cafés fumants et une corbeille remplie de croissants.
Face à la porte d’entrée, sur une toile fraîchement peinte accrochée au mur, leur pigeonnier, éclairé par les premières lueurs du jour, se dresse fièrement comme une provocation.

embellie

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Message  Invité Dim 29 Mar 2009 - 8:08

Jolie histoire, simple et bien écrite ! (La chute un peu trop prévisible, peut-être.)

Une remarque : "Mariette, passe de longs moments à le regarder peindre." La virgule, à mon avis, n'a pas de raison d'être. Pourquoi ici isoler le sujet du verbe, alors qu'aucune apposition ne s'interpose ?

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Message  Roz-gingembre Dim 29 Mar 2009 - 8:57

Beaucoup aimé ce texte dont l'intrigue est bien amenée. Le thème de la jalousie est finement traité, sans excès, contrairement aux conséquences que tu nous décris.
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Message  Invité Dim 29 Mar 2009 - 9:55

Dommage pour le titre qui rend mal compte du récit, agréable à lire même si le trait est un peu appuyé par moments.

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Message  ptipimous Dim 29 Mar 2009 - 11:44

C'est chouette. Je pense que tu peux retarder un peu la fin prévisible en retirant les petits cailloux jetés ça et là, comme "le vent des fous". Le vent se lève, suffit, à mon sens.
Et si je fais ma casse bonbon, les cheveux "rebelles" la barbe !
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Message  lemon a Dim 29 Mar 2009 - 20:49

J'ai bien aimé. L'écriture est au service de l'histoire, simple, claire, précise.

C'est certain que l'ensemble est un peu mignon mais bon... je sais pas, j'ai trouvé ça bien fait, équilibré, juste.
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Message  Sahkti Lun 27 Avr 2009 - 9:30

La transition entre les pensées de Roland puis celle de Mariette n'est peut-être pas assez marquée à mon goût; j'aurais aimé éprouver une sensation plus forte d'évoluer dans deux univers différents, bien marqués tout en étant complémentaires dans la construction du récit.

La fin est succulente et je ne l'attendais pas.

J'ai aimé te lire, même si je pense que ton histoire pourrait être améliorée. Par exemple, tu pourrais approfondir la personnalité de Roland et de Mariette, tout en conservant cette pointe de mystère sur Daniel, indispensable si tu veux conserver la surprise de fin
Sahkti
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