Lune

Ma squaw ma bien aimée nous avons été au bout de notre course nous nous étions promis cela il y avait longtemps avant même le temps des petits papooses avant même que nous ayons appareillé nous parlions déjà de ce jour et c’est vrai que j’étais renfrogné dans ma judéité inquiète que je n’étais pas trop bien sûr de ce que tu savais que la mort est un passage et qu’elle porte en elle la promesse de l’après nous avons tant vécu si ensemble si proches ma squaw ma bien aimée celle qui savait tout de moi la compagne inlassable la beauté et le rire celle qui me donnait des perles à contempler nous avons marché longuement comme au temps de notre jeunesse quand nous parcourions tous deux la Galilée le petit dans ton ventre que les villageois nous aimaient si fragiles nous nous l’étions promis quand nous avons su nous avons commencé notre marche à chaque pas ton sourire irradiait davantage nous avons dormi au hasard des chemins creux dans des granges à l’écart nous avons cheminé tendrement sans presque nous parler tes yeux à chaque pas t’éclairaient davantage nous regardions autour de nous les infinies variations de la lumière les ombres qui dévoraient les bois au loin les troupeaux de nuages qui rentraient au bercail le ciel était immense au dessus de nos têtes nous ne savions plus où nous situer nous avancions vers la mer et sans l’avoir mentionné à quelque instant savions que arriverions au bord de la falaise où gronderait la mer en contrebas que tu serais vibrante comme une corde en résonance que tu boirais le vent les nuages affolés qui galopaient de tous les coins du ciel que tu serais une avec les embruns que le gris de tes yeux se fondrait dans cette aquarelle que tu serais arrivée au terme de ta course paisible et en repos emplissant ton âme par tes yeux de la vie qui bouillonne et se réagence au creux des éléments nous avons attendu heureux intimement proches comme jamais nos âmes se parlaient et s’aimaient nous ne parlions plus nos esprits se dilataient nous sentions nos cœurs qui embrassaient l’horizon le temps s’écoulait sans que nous en ayons conscience les jours succédaient aux jours ta lumière augmentait ton sourire te transfigurait chaque jour davantage je me repaissais de te contempler nous nous sommes allongés sous l’arbre tutélaire le génie des lieux qui gardait la falaise de ses branches torses laissant le filet de la vie s’écouler doucement hors de toi nous étions côte à côte ta main dans la mienne je sentais ta bonté rayonner à mon côté tu étais heureuse et belle tu brillais doucement la lune est arrivée d’abord timide puis s’enhardissant a envahi le ciel ton visage resplendissait de plus en plus nos yeux étaient enlacés quand le tout dernier filet de ton tout dernier souffle a passé ton sourire je suis demeuré à te contempler ton esprit restait à côté de nous dans une grande paix j’ai attendu qu’il soit prêt à s’éloigner doucement tendrement pour creuser au pied de l’arbre je t’ai posé dans un berceau de terre noire j’ai gardé ton visage à découvert jusqu’à ce que je sache qu’il était temps que je parte car tu m’appelais d’où tu étais.

Une présentation courageuse, revêche, qui dissimule farouchement la beauté du texte... J'ai adoré !

Une ou deux pépites :
"tes yeux à chaque pas t’éclairaient davantage "
"quand le tout dernier filet de ton tout dernier souffle a passé ton sourire"

Pas un instant je ne me suis doutée, en commençant cette lecture que j'arriverais ou je suis arrivée. C'est une surprise, toute en fine émotion ; c'est idiot mais j'ai trouvé ce "texte" proprement bouleversant.

Je suis heureux, livrant un peu de moi, de constater que cela trouve un écho chez des lectrices dont j'apprécie la sureté de jugement et l'intransigeance.

Au sommet des mots... et hop !

Normal pour la lune d'ailleurs, de se trouver tout en haut !

Easter(Island) a écrit:Au sommet des mots... et hop !

Rien pigé. Je dois y être.

Un texte qui mérite qu'on s'y attarde, qu'on ne le laisse pas filer vers le bas de page sans y revenir ... Easter a raison : un clic, et hop ! il remonte.

Tout ça pour dire que j'ai aimé malgré la forme qui, à première vue, semble indigeste et rébarbative mais oblige le lecteur à soulever sa flemme pour découvrir sous un voile pudique des mots d'amour rayonnants.

Arielle a écrit: un clic, et hop ! il remonte.

Quel balourd je fais! je n'avais rien pigé

Bonjour silene82,

j'ai beaucoup apprécié votre texte que j'ai lu malgré ce que vous savez...

Il me semble que le rythme (je réitère (conf. dernier commentaire sur le texte d'Hellian) que je ne suis pas un expert en la matière) donné à ce dernier est tellement musical que ce "lipogramme" en disparition de ponctuation reste parfaitement fluide et compréhensible.

Toutefois et pour ne vous paraître trop thuriféraire, j'ai moyennement aimé ce passage (non pas en ce qui concerne les images poétiques mais sur l'abus des nombreux "que qui" à mon humble avis :

les ombres qui dévoraient les bois au loin les troupeaux de nuages qui rentraient au bercail le ciel était immense au dessus de nos têtes nous ne savions plus où nous situer nous avancions vers la mer et sans l’avoir mentionné à quelque instant savions que arriverions au bord de la falaise où gronderait la mer en contrebas que tu serais vibrante comme une corde en résonance que tu boirais le vent les nuages affolés qui galopaient de tous les coins du ciel que tu serais une avec les embruns que le gris de tes yeux se fondrait dans cette aquarelle que tu serais arrivée au terme de ta course paisible et en repos emplissant ton âme par tes yeux de la vie qui bouillonne et se réagence au creux des éléments nous avons attendu heureux intimement proches comme jamais nos âmes se parlaient et s’aimaient nous ne parlions plus nos esprits se dilataient nous sentions nos cœurs qui embrassaient

Peter Pan a écrit:Bonjour silene82,

j'ai beaucoup apprécié votre texte que j'ai lu malgré ce que vous savez...

sur l'abus des nombreux "que qui" à mon humble avis :

Malgré ce que je sais? Mais encore?
Sur les que qui vous avez évidemment raison, car vous lisez vraisemblablement à voix haute, quand j'écris et n'en vois pas la succession, effectivement malencontreuse. Mais je ne suis pas très sûr de vouloir retoucher ce texte, qui est un élan, un mouvement du coeur, écrit d'une traite en quelques instants. Ce n'est pas une stèle de basalte, mais un souffle que le vent emporte.

Malgré ce que je sais? Mais encore?

Que mes petits yeux globuleux meurent à petit feu à force de lire des textes non aérés et qu'étant donné mon âge j'aimerais attendre encore quelques année avant de prendre rendez-vous chez l'oculiste !

Mais ne changez rien à votre texte, vous avez raison, il est très bien ainsi ; quoiqu'il arrive je le relirai, quitte à ce que ce dernier me rende plus aveugle que l'amour...

Peter Pan a écrit:Que mes petits yeux globuleux meurent à petit feu à force de lire des textes non aérés et qu'étant donné mon âge j'aimerais attendre encore quelques année avant de prendre rendez-vous chez l'oculiste !

Je ne sais ce qu'il en est de vous, mais à force de communiquer par commentaires, se développe une frustration de ne pouvoir recouvrir de chair et de sang, et surtout de la pétillance d'un regard, la plume qui en nous faisant telle remarque, a fait mouche. D'où l'intérêt de propositions telles que le festival. Mais c'était une digression. Pour vous rendre la lecture plus confortable, qu'est ce qui vous empêche de copier/coller les textes, puis de les agrandir et de les aérer? En Garamond de 16 ou de 18, à double interligne, ça devrait le faire, non?

silene82 a écrit:ça devrait le faire, non?

quelle sublime expression sous votre plume, très cher
:-))))

moi je craignais que Peter n'eût conservé rancune de votre tutoiement incongru sur l'un de ses textes, familiarité qui fit fuir aussitôt une embellie bien sympathiqe et que j'espère revoir sur VE
;-)

Pour vous rendre la lecture plus confortable, qu'est ce qui vous empêche de copier/coller les textes, puis de les agrandir et de les aérer? En Garamond de 16 ou de 18, à double interligne, ça devrait le faire, non?

C'est très urbain et j'apprécie vos conseils mais je préfère l'idée de la cécité ; étant dans l'incapacité de vous lire, vos bouleversants mots n'en resteront que plus profondément ancrés en mon âme depuis longtemps cédée au diable...

moi je craignais que Peter n'eût conservé rancune de votre tutoiement incongru sur l'un de ses textes

Tu me vexes cher mentor, la rancune est une chose que j'évite.
Excessif je ne peux le nier et surtout pas devant toi (;-)) mais être rancunier c'est perdre son énergie à ressasser au fond de son coeur d'inutiles sentiments acerbes ;-)

Quand bien même silene82 ou une autre personne aurait la dent dure envers un de mes écrits que je ne me gênerais pas pour reconnaître à l'un des siens du talent (même si mon avis vaut ce qu'il vaut (pas de l'or en tout cas ;-)). Les dissensions n'empêchent pas la courtoisie nom d'une pipe en bois !

Sans flagornerie calculatrice de ma part j'ai vraiment et sincèrement aimé votre texte, même avec les "que" et les "qui", un point c'est tout...

Quand bien même silene82 ou une autre personne aurait

Désolé, je me suis pris pour Petit Gibus (et re-désolé d'être intervenu inutilement sur votre texte silene82, j'espère que vous comprendrez)

J'ai toujours aimé ce procédé de la phrase sans fin, de la narration dénuée de toute ponctuation, c'est quelque chose que j'apprécie vraiment beaucoup et l'exercice est ici bien maîtrisé. Pas si simple, car le risque existe de tomber dans une forme de pseudo écriture automatique qui ne voudrait rien dire; il n'en est rien ici. Bravo.

Le fond du texte est également de belle qualité, pertinent et touchant.

Je n'aime pas les textes sans ponctuation.
J'ai lu tout de même celui-ci sans trop de déplaisir, preuve pour moi que le fond, malgré tout, tient la route.
Merci silene82 et je me permets un petit mot pour Mentor qui parle de moi sur ta page : coucou je suis là ! Merci pour le "sympathique", mais je crois que tu n'as pas bien compris.
Ce qui me fait fuir, ce n'est pas la familiarité, mais au contraire l'exigence du vouvoiement.
A +.
Amitiés,
embellie

embellie a écrit: preuve pour moi que le fond, malgré tout, tient la route.

J'en suis bien aise, et te remercie de cet avis. Pour ce qui est de moi, je vais plus loin encore, je hais extrêmement beaucoup ce genre de procédés que je trouve maniérés, agaçants, et pour tout dire, illisibles. Cela est donc tout à fait exceptionnel, je crois que j'ai voulu rendre un monologue à mi-voix, en marchant.
Il est peu probable que j'itère ce genre de fantaisie, donc pas de panique (quoique silène soit dit fils de Pan)

Un monologue intérieur dont la chute me demeure ambiguë. Le personnage qui se parle tout bas à lui-même paraît solide, sa voix est posée quoique inaudible (sic) et, curieusement, malgré ce ton quasi neutre, s'installe en nous, subrepticement, un sentiment d'angoisse; peu à peu nous devinons que nous cheminons dans une sorte de vallée de la mort à une heure où les enfants sont couchés. Bref le climat est celui d'un western nocturne dans lequel un film d'horreur insidieux comme un serpent à sonnette (famille des vipirédés) se glisserait... J'aime et le ton et l'atmosphère. Quant à la ponctuation, inutile de lancer un avis de recherche pour la retrouver; elle n'est jamais très loin, elle revient déjà, la queue basse, honteuse... Mais n'eût-elle pas été comparable à ce chien parmi des quilles, dans un courant de conscience, dans un murmure dont l'interruption ne peut coïncider qu'avec la mort du Poète ?
Cordialement.
Lady Madeline.

Lady Madeline, je crains que votre trop grande familiarité avec miss Shelley ne vous ait fait ressentir un climat d'horreur et d'angoisse où il n'y en avait point. Mais peut-être que des sens que je n'avais pas perçus se dégagent. La ponctuation était implicite, vous avez raison, c'est une respiration.

Un océan me sépare de Mary !
Ne croyez-vous pas que les trois ou quatre dernières lignes de votre texte peuvent déclencher un sentiment d'horreur dans une âme inquiète ?...Que vous le croyiez ou non, le fait est là.

Parce qu'il le vaut bien. Elle aussi.

Oui Easter, il le vaut bien, merci d'avoir fait remonter :-)

J'ai relu sans faire attention aux "que, qui" que j'avais signalé mais qui ne gênent pas du tout la lecture au bout du compte. J'ai pris l'essence de ce poème et j'avoue qu'il n'y a rien à dire... c'est du super !

En langage plus courant, ça veut dire : p....n ouais, c'est vachement bon silene82, pourquoi tu n'écris pas plus souvent de la poésie ? je me dis qu'elle te brise peut-être le cœur et qu'à chaque fois il te faut un temps fou pour recoller les morceaux...

Je suis bouleversée. J'ai lu sans respirer et la fin m'a laissée en apnée.
Silène tu seras responsable de mon décés prématuré.

Trés belle respiration je trouve

que j'avais signalés, désolé...

Me voici tout émouvue en ce matin de pluie...
Vraiment aimé, lu à voix haute et à voix intime. Oui évidemment, certains passages un peu râpeux... mais c'est très beau !

Un texte du mois de juin ! Comme quoi, il faut fouiller !