Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
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Roz-gingembre
Hellian
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Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Chapitre 41 - le doyen du département
La maison de retraite dominait la ville, offrant à ses pensionnaires un superbe point de vue. Ainsi pouvaient-ils au soir de leur vie contempler le lieu où s'était déroulée leur existence . Tel avait été le souci de feu monsieur le maire lorsqu'il avait abordé avec le conseil municipal le projet de la résidence pour personnes âgées : « Il faut que nos anciens conservent un lien visuel avec la ville dont ils ont été les acteurs. » La formule avait plu. Elle avait emporté l'adhésion de tous, même de l'opposition qui n'avait pas osé critiquer l'investissement pourtant fort onéreux. C'est ainsi que sur les hauteurs de Belmont s'était érigée la maison de retraite qui répondait à la dénomination chaleureuse de "V 320". On s’était pourtant bien essayé à lui décerner un nom plus champêtre du genre "La Collinette", mais les habitants de Belmont s'étaient obstinés à la désigner sous son appellation administrative.
Sur la terrasse devant le bâtiment principal, les bancs étaient occupés par quelques vieux qui regardaient en silence du côté du couchant. Ils avaient délaissé le spectacle de la ville pour celui des champs tout proches où les moissonneuses achevaient de dévorer les dernières parcelles de blé, laissant derrière elles à intervalles réguliers des lots de paille sous forme de meules compressées et cubiques. L'arrivée des deux journalistes ne troubla guère leur contemplation.
Dans le hall d'entrée de la résidence flottait une odeur un peu âcre dans laquelle l'on devinait qu'un déodorant s'épuisait à masquer de tenaces relents d'urine. L'architecte avait voulu un intérieur clair aux teintes enjouées qui n'étaient pas sans évoquer le décor des écoles maternelles, estimant probablement que le début et la fin de la vie réclamaient les mêmes harmonies colorées. Les deux hommes se dirigèrent vers l'accueil .
« Nous voulons faire un reportage sur monsieur Lebon, mentit le plus jeune.
— Nous sommes journalistes au Réveil belmontais, précisa l'autre devant le regard peu amène de la surveillante qui donnait l’impression de ne pas apprécier cette intrusion tardive.
— Messieurs, nos pensionnaires sont sur le point de se coucher.
— Nous sommes vraiment désolés, mais nous aurions aimé faire paraître l'article dans le numéro de demain, tenta-t-il . On dit que monsieur Lebon est la mémoire de Belmont. Alors, vous comprenez, durant cette période estivale un peu troublée...
— j'ignore si monsieur Lebon va pouvoir vous recevoir. Vous savez, c'est notre doyen, c’est même celui du département et nous tenons à ce qu'il se repose.
— Nous vous promettons d'être brefs.
— Si vous voulez bien me suivre », consentit la surveillante avant de les entraîner non loin, dans un couloir du rez-de-chaussée. Le statut de doyen de la maison de retraite valait à monsieur Lebon certains égards et notamment celui d'avoir une chambre à proximité du bureau directorial . De l'autre côté de la cloison on percevait les bribes d'un dialogue diffusé par la télévision. Sans autre précaution, la surveillante ouvrit la porte.
« Vous avez de la visite, monsieur Lebon », hurla-t-elle.
Dans un fauteuil qui paraissait immense, un vieillard tout chétif dont les yeux bleu pâle étaient rendus globuleux par une paire d'épaisses lunettes, regardait, fasciné, un film en noir et blanc. La surveillante se tourna vers les journalistes :
« Monsieur Lebon est passionné par Marcel Pagnol. Cela fait au moins trois soirs de suite qu'il regarde La femme du boulanger. »
De fait, le vieil homme semblait totalement absorbé par la télévision. On pouvait voir ses lèvres égrainant à voix basse le dialogue du film. L'arrivée soudaine de la surveillante ne l'avait pas perturbé. C'est à peine s'il avait remarqué sa présence, encore moins celle des deux autres. À l'écran, le boulanger, sous le regard larmoyant de son épouse infidèle, était en train de sermonner sa chatte à qui il reprochait son inconstance. Grossie par le verre de lunette qui faisait loupe, une larme perlait au coin de l’œil du vieil homme .
« Vous avez de la visite », répéta tout aussi fortement la surveillante, sans succès.
La femme se planta devant la télévision. Une expression de panique traversa le regard de Monsieur Lebon. Il avait cette fois pris conscience des présences étrangères. Tout aussi autoritaire, la surveillante ferma la télévision. En forçant à nouveau la voix, elle lui fit observer que le film était enregistré et lui signifia pour la troisième fois qu'il avait de la visite. L'homme se tourna vers les visiteurs :
« Qui c'est ?
— Ces messieurs sont journalistes, répondit-elle. Ils veulent vous interviewer.
— Ce n'est pas la peine de hurler comme ça, je ne suis pas sourd, répondit-il. Puis, prenant les journalistes à témoin : c'est insupportable la manie qu'ils ont dans cet hospice de croire que les vieux sont sourds.
— Oh ! Monsieur Lebon, s’indigna la surveillante, vous n’êtes pas très gentil.
— Je suis gentil si je veux, Madame Dumoche, vous m’entendez, si je veux !
— Pas Dumoche monsieur Lebon, Duchôme, madame Duchôme, je vous l’ai dit mille fois.
— Je vais dire au Directeur que vous me contrariez, madame Dumoche et je vais demander ma mutation, comme ça fini, plus de doyen…
— Monsieur Lebon adore nous taquiner, lança la surveillante à l’adresse des jeunes gens, c’est un signe de bonne santé chez lui.
— Mais foutez-moi la paix avec ma santé ! Si vous croyez qu’on peut encore être en bonne santé à cent quatre ans…» Puis, tournant la tête vers les journalistes :
« Alors, mes petits gars qu’est-ce que vous lui voulez au doyen du département ? »
Les deux hommes parurent un peu gênés. Leur malaise n’échappa pas à leur interlocuteur.
« Madame Dumoche, puis-je encore disposer d’un peu d’intimité, s’il vous plaît ? Voulez-vous me laisser seul avec ces messieurs ? »
En dépit d’une voix fluette, le ton était ferme. On devinait que monsieur Lebon avait conservé sa vigueur intellectuelle et tirait tout le parti qu’il pouvait de son statut de doyen. Il ne dédaignait pas à l’occasion exercer une certaine tyrannie sur le personnel. La surveillante obtempéra et quitta la chambre.
Lorsqu’il fut seul avec ses visiteurs, une étincelle malicieuse crépita derrière ses lunettes.
« Z’auriez pas une cigarette ?
— Euh…oui. »
Le plus jeune, un peu surpris, sortit de sa poche un paquet dont il tira une cigarette qu’il offrit au vieil homme.
« Ces salopards veulent m’empêcher de fumer, vous vous rendez compte… Ils disent que ça pourrait nuire à ma santé. »
Il porta goulûment la cigarette à sa bouche et aspira la première bouffée avec délectation, fermant à demi les yeux.
« Je vous écoute, fit-il en exhalant longuement la fumée.
— Voilà, c’est l'ancien bibliothécaire que vous êtes que nous avons voulu rencontrer .
— Mais également l'historien local, ajouta l’autre, flatteur. Nous avons beaucoup entendu parler de votre érudition. Il se dit même que vous êtes la mémoire de Belmont. »
L’homme parut flatté.
« J’ai même commis quelques petits ouvrages dans ma lointaine jeunesse.
— Lorsque vous étiez en fonction, auriez-vous entendu parler d’un livre un peu particulier qui raconterait une histoire tragique survenue à Belmont il y a quatre ou cinq siècles ? »
Le regard bleu du vieillard jusqu’alors rieur, se glaça. Il sembla aux deux jeunes journalistes qu’une expression de panique gagnait tout son visage.
« Non, je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
— Vraiment ? Belmont n’a-t- elle le pas été jadis le théâtre d’un événement particulier qui aurait défrayé la chronique ?
— Non, sincèrement, messieurs je ne peux rien vous dire.
— Vous seul pouvez nous aider, monsieur Lebon », renchérit le plus jeune.
Le centenaire semblait désormais accuser le poids de l’âge. De plus en plus tassé dans son fauteuil, il avait maintenant renoncé à sa cigarette .
« Je suis fatigué, je veux me reposer. »
La voix se faisait implorante.
« Monsieur Lebon, nous avons de bonnes raisons de penser que la sécurité, voire la vie de l’un de nos amis dépend des informations que vous voudrez bien nous confier. »
Le vieillard les regarda d’un air tellement désolé qu’un frisson les parcourut. Il hésita quelques secondes.
« Votre ami a-t-il lu ce livre ?
— Cela se pourrait bien, oui.
— Alors, priez pour lui, car il est perdu ! »
Chapitre 42 - à l'affût
Telle une statue, assis genoux serrés sur une petite margelle à l'intérieur du local à poubelles, adossé contre la chaudière, Ésope attendait depuis une douzaine d'heures. Au petit matin ses yeux s'étaient fermés, son attention relâchée, jusqu'à ce qu'il soit réveillé par les premiers bruits de la rue toute proche. Alors il était revenu à la conscience ou à ce qui lui en restait . Écarquillant les paupières, il avait fixé droit devant lui le mur glauque et sans plus s'interroger sur les raisons de sa présence en ce lieu, avait continué d'attendre. Il n'avait rien en tête sauf la certitude que toute son énergie était désormais orientée vers un seul geste, éliminer ce médecin dont l'existence était une offense à l'ordre du monde. Finalement tout était simple. Rien n'est plus simple que d'obéir, mais il faut pour cela n'avoir plus de mémoire, être insoucieux de l'avenir. Les meilleurs soldats sont ceux n’ont ni mémoire ni espérance, sauf celle de durer.
Orphelin de son passé, Ésope était un bon soldat. Il ressemblait à la flèche lancée vers sa cible, une flèche immobile dans la pénombre, pointant l’ennemi. Le temps n'avait plus prise. figé, presque minéral, il respirait à peine, comme un fauve à l'affût. Ni la soif ni la faim ne le tourmentaient. Qu'importent les besoins du corps lorsque l'accomplissement est proche. Ésope n'était plus Ésope mais l'instrument du destin, le trait d'union entre deux instants que des siècles séparaient.
Sheppard était soulagé. La journée tirait vers sa fin et il avait le sentiment d'avoir participé à des événements décisifs pour l'enquête. Dulouard, à nouveau, avait brillé de tous ses talents. Et si l'on voulait bien oublier cette tendance un peu pénible à l'ostentation, il s'affirmait décidément comme un maître véritable. Il ne regrettait pas de l'avoir fait venir. Grâce à sa perspicacité et à sa compétence, les autorités judiciaires étaient sur la voie.
Il venait de tourner à l'angle de la rue des antiquaires et passa devant la galerie de La vieille geôle. Il s'y serait bien attardé. La peinture était l'une de ses passions et le propriétaire avait la le nez pour dénicher de jeunes peintres. Il aimait à décorer sa salle d'attente de leurs œuvres prometteuses. Il résista à la tentation. Voilà maintenant deux jours qu'il négligeait son cabinet. Avec cette histoire et sous la pression de Dulouard, il avait dû reporter tous ses rendez-vous, orienter quelques urgences vers ses confrères, au risque de voir ses patients le quitter. À vrai dire, il ne s'en inquiétait pas . cela donnait tout à coup à sa vie un parfum d'aventure, presque une impression de vacances. Il passerait donc rapidement au cabinet prendre son courrier, écouter son répondeur, puis retrouverait Dulouard au Café des sportifs. Il avait volontiers accepté son invitation au restaurant. Belmont semblait avoir retrouvé un peu de quiétude. Juillet était maintenant bien avancé et les habitants s'étaient finalement décidé à partir en vacances. Il appréciait ce moment de l'été où il retrouvait l'intimité de sa ville. Les rues semblaient lui appartenir. Les façades anciennes, toutes dorées du soleil du soir, invitaient à la nonchalance et cette douceur faisait oublier les tracas des jours passés. Devant sa boutique d'antiquités, riche d'un lot de meubles normands parmi lesquels une superbe armoire de mariage, Gertrude, sa voisine et amie, le gratifia d’un large sourire. Décidément, il faudrait lui rendre prochainement visite. Gertrude était une belle femme à la cinquantaine triomphante dont le récent veuvage n'était pas sans lui ouvrir quelques perspectives... Et avec cette façon qu'elle avait depuis quelques semaines de lui décocher de si généreux sourires... Il en parlerait à Dulouard.
Dans la pénombre du réduit, l'homme-fauve, muscles tendus, attend le signal. Il sait maintenant que la proie est proche. Dehors, sur le gravier de la petite allée, il perçoit des pas.
Sans méfiance, avec sur son visage une esquisse de sourire, Sheppard parvient près de sa porte d'entrée, s'arrête. Ésope observe le drôle de geste de celui qui cherche ses clés dans une poche puis dans l’autre. Sa victime est là, à quelques mètres, dos tourné. La scène fatale sera simple : bondir et dans la seconde, l'autre tombera, le crâne explosé. À la main, autour du poignet, il a noué la lanière de son appareil photo pour en faire un fléau. Dans un instant il l'abattra sur la tête du médecin. À pleine volée. Un seul coup suffira. Lentement, il entrouvre la porte. Sur le sol en béton, souple et furtif comme un danseur, il avance. Deux mètres les séparent. Encore un pas, un moulinet du bras, le bruit mat du boîtier métallique sur la peau nue et luisante de l'occiput et ce sera l’effondrement, mortel. Ésope n'est plus Ésope mais une volonté meurtrière tassée dans soixante-quinze kilos de muscles. Maintenant !
Dans le reflet de la vitre, Sheppard a perçu une silhouette. Une onde de peur le traverse. Il se retourne. Une douleur violente lui déchire l'épaule. le hurlement de l'agresseur, plus encore que la souffrance, le cloue sur place. Il s'affale sous le poids du corps qui s'agrippe à lui. Son bras gauche ne lui obéit plus. Autour de son cou deux mains comme un étau. Il sent l'extrémité des pouces qui s'enfoncent juste au-dessous du cartilage pharyngé que l'on nomme pomme d'Adam. Il vomirait si la pression exercée ne comprimait l’œsophage. Déjà, l'air ne pénètre plus. Il veut crier, ouvre la bouche, mais n'émet aucun son. L'autre a placé son genou droit au niveau de son cœur, appuyant de tout son poids. Le médecin sait que ses côtes vont se briser. Il pourrait désigner celles qui vont céder en premier. Il n'a plus qu'à contempler, résigné, ce visage de haine à quelques centimètres du sien. L'étau se resserre. Doit-il s'étonner de n'être pas encore mort sous tant de violence ? Lui, le toubib, n'aurait pas cru qu'un corps, le sien en l'occurrence, puisse résister. Il en a pourtant vu des blessés, rompus de toutes parts, survivre malgré les fractures ou l’éclatement des viscères ; mais il sait aussi la fragilité, l'ordonnancement subtil des organes. Et voici subissant l'assaut d'un barbare. Il pense à tout cela Sheppard, étrangement détaché de l’acte sauvage qu'il subit. Il pense à ces femmes et à ces hommes qu'à force de patience, il a arrachés à la mort. Il se dit que ce n'est pas lui qui succombe, que ce n'est pas sa chair que l'on meurtrit, ni sa gorge que l'on broie. Il pense à cet homme qui tout à l'heure l'effrayait avec son regard de bête furieuse. la pitié le saisit . Il n'a plus peur. Il aurait aimé comprendre ce qui tout à coup s'est détraqué. Sheppard va mourir, il en est certain, mais il emportera un regret, celui de n'avoir pas compris ce qui parfois fait de l'homme un monstre.
La maison de retraite dominait la ville, offrant à ses pensionnaires un superbe point de vue. Ainsi pouvaient-ils au soir de leur vie contempler le lieu où s'était déroulée leur existence . Tel avait été le souci de feu monsieur le maire lorsqu'il avait abordé avec le conseil municipal le projet de la résidence pour personnes âgées : « Il faut que nos anciens conservent un lien visuel avec la ville dont ils ont été les acteurs. » La formule avait plu. Elle avait emporté l'adhésion de tous, même de l'opposition qui n'avait pas osé critiquer l'investissement pourtant fort onéreux. C'est ainsi que sur les hauteurs de Belmont s'était érigée la maison de retraite qui répondait à la dénomination chaleureuse de "V 320". On s’était pourtant bien essayé à lui décerner un nom plus champêtre du genre "La Collinette", mais les habitants de Belmont s'étaient obstinés à la désigner sous son appellation administrative.
Sur la terrasse devant le bâtiment principal, les bancs étaient occupés par quelques vieux qui regardaient en silence du côté du couchant. Ils avaient délaissé le spectacle de la ville pour celui des champs tout proches où les moissonneuses achevaient de dévorer les dernières parcelles de blé, laissant derrière elles à intervalles réguliers des lots de paille sous forme de meules compressées et cubiques. L'arrivée des deux journalistes ne troubla guère leur contemplation.
Dans le hall d'entrée de la résidence flottait une odeur un peu âcre dans laquelle l'on devinait qu'un déodorant s'épuisait à masquer de tenaces relents d'urine. L'architecte avait voulu un intérieur clair aux teintes enjouées qui n'étaient pas sans évoquer le décor des écoles maternelles, estimant probablement que le début et la fin de la vie réclamaient les mêmes harmonies colorées. Les deux hommes se dirigèrent vers l'accueil .
« Nous voulons faire un reportage sur monsieur Lebon, mentit le plus jeune.
— Nous sommes journalistes au Réveil belmontais, précisa l'autre devant le regard peu amène de la surveillante qui donnait l’impression de ne pas apprécier cette intrusion tardive.
— Messieurs, nos pensionnaires sont sur le point de se coucher.
— Nous sommes vraiment désolés, mais nous aurions aimé faire paraître l'article dans le numéro de demain, tenta-t-il . On dit que monsieur Lebon est la mémoire de Belmont. Alors, vous comprenez, durant cette période estivale un peu troublée...
— j'ignore si monsieur Lebon va pouvoir vous recevoir. Vous savez, c'est notre doyen, c’est même celui du département et nous tenons à ce qu'il se repose.
— Nous vous promettons d'être brefs.
— Si vous voulez bien me suivre », consentit la surveillante avant de les entraîner non loin, dans un couloir du rez-de-chaussée. Le statut de doyen de la maison de retraite valait à monsieur Lebon certains égards et notamment celui d'avoir une chambre à proximité du bureau directorial . De l'autre côté de la cloison on percevait les bribes d'un dialogue diffusé par la télévision. Sans autre précaution, la surveillante ouvrit la porte.
« Vous avez de la visite, monsieur Lebon », hurla-t-elle.
Dans un fauteuil qui paraissait immense, un vieillard tout chétif dont les yeux bleu pâle étaient rendus globuleux par une paire d'épaisses lunettes, regardait, fasciné, un film en noir et blanc. La surveillante se tourna vers les journalistes :
« Monsieur Lebon est passionné par Marcel Pagnol. Cela fait au moins trois soirs de suite qu'il regarde La femme du boulanger. »
De fait, le vieil homme semblait totalement absorbé par la télévision. On pouvait voir ses lèvres égrainant à voix basse le dialogue du film. L'arrivée soudaine de la surveillante ne l'avait pas perturbé. C'est à peine s'il avait remarqué sa présence, encore moins celle des deux autres. À l'écran, le boulanger, sous le regard larmoyant de son épouse infidèle, était en train de sermonner sa chatte à qui il reprochait son inconstance. Grossie par le verre de lunette qui faisait loupe, une larme perlait au coin de l’œil du vieil homme .
« Vous avez de la visite », répéta tout aussi fortement la surveillante, sans succès.
La femme se planta devant la télévision. Une expression de panique traversa le regard de Monsieur Lebon. Il avait cette fois pris conscience des présences étrangères. Tout aussi autoritaire, la surveillante ferma la télévision. En forçant à nouveau la voix, elle lui fit observer que le film était enregistré et lui signifia pour la troisième fois qu'il avait de la visite. L'homme se tourna vers les visiteurs :
« Qui c'est ?
— Ces messieurs sont journalistes, répondit-elle. Ils veulent vous interviewer.
— Ce n'est pas la peine de hurler comme ça, je ne suis pas sourd, répondit-il. Puis, prenant les journalistes à témoin : c'est insupportable la manie qu'ils ont dans cet hospice de croire que les vieux sont sourds.
— Oh ! Monsieur Lebon, s’indigna la surveillante, vous n’êtes pas très gentil.
— Je suis gentil si je veux, Madame Dumoche, vous m’entendez, si je veux !
— Pas Dumoche monsieur Lebon, Duchôme, madame Duchôme, je vous l’ai dit mille fois.
— Je vais dire au Directeur que vous me contrariez, madame Dumoche et je vais demander ma mutation, comme ça fini, plus de doyen…
— Monsieur Lebon adore nous taquiner, lança la surveillante à l’adresse des jeunes gens, c’est un signe de bonne santé chez lui.
— Mais foutez-moi la paix avec ma santé ! Si vous croyez qu’on peut encore être en bonne santé à cent quatre ans…» Puis, tournant la tête vers les journalistes :
« Alors, mes petits gars qu’est-ce que vous lui voulez au doyen du département ? »
Les deux hommes parurent un peu gênés. Leur malaise n’échappa pas à leur interlocuteur.
« Madame Dumoche, puis-je encore disposer d’un peu d’intimité, s’il vous plaît ? Voulez-vous me laisser seul avec ces messieurs ? »
En dépit d’une voix fluette, le ton était ferme. On devinait que monsieur Lebon avait conservé sa vigueur intellectuelle et tirait tout le parti qu’il pouvait de son statut de doyen. Il ne dédaignait pas à l’occasion exercer une certaine tyrannie sur le personnel. La surveillante obtempéra et quitta la chambre.
Lorsqu’il fut seul avec ses visiteurs, une étincelle malicieuse crépita derrière ses lunettes.
« Z’auriez pas une cigarette ?
— Euh…oui. »
Le plus jeune, un peu surpris, sortit de sa poche un paquet dont il tira une cigarette qu’il offrit au vieil homme.
« Ces salopards veulent m’empêcher de fumer, vous vous rendez compte… Ils disent que ça pourrait nuire à ma santé. »
Il porta goulûment la cigarette à sa bouche et aspira la première bouffée avec délectation, fermant à demi les yeux.
« Je vous écoute, fit-il en exhalant longuement la fumée.
— Voilà, c’est l'ancien bibliothécaire que vous êtes que nous avons voulu rencontrer .
— Mais également l'historien local, ajouta l’autre, flatteur. Nous avons beaucoup entendu parler de votre érudition. Il se dit même que vous êtes la mémoire de Belmont. »
L’homme parut flatté.
« J’ai même commis quelques petits ouvrages dans ma lointaine jeunesse.
— Lorsque vous étiez en fonction, auriez-vous entendu parler d’un livre un peu particulier qui raconterait une histoire tragique survenue à Belmont il y a quatre ou cinq siècles ? »
Le regard bleu du vieillard jusqu’alors rieur, se glaça. Il sembla aux deux jeunes journalistes qu’une expression de panique gagnait tout son visage.
« Non, je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
— Vraiment ? Belmont n’a-t- elle le pas été jadis le théâtre d’un événement particulier qui aurait défrayé la chronique ?
— Non, sincèrement, messieurs je ne peux rien vous dire.
— Vous seul pouvez nous aider, monsieur Lebon », renchérit le plus jeune.
Le centenaire semblait désormais accuser le poids de l’âge. De plus en plus tassé dans son fauteuil, il avait maintenant renoncé à sa cigarette .
« Je suis fatigué, je veux me reposer. »
La voix se faisait implorante.
« Monsieur Lebon, nous avons de bonnes raisons de penser que la sécurité, voire la vie de l’un de nos amis dépend des informations que vous voudrez bien nous confier. »
Le vieillard les regarda d’un air tellement désolé qu’un frisson les parcourut. Il hésita quelques secondes.
« Votre ami a-t-il lu ce livre ?
— Cela se pourrait bien, oui.
— Alors, priez pour lui, car il est perdu ! »
Chapitre 42 - à l'affût
Telle une statue, assis genoux serrés sur une petite margelle à l'intérieur du local à poubelles, adossé contre la chaudière, Ésope attendait depuis une douzaine d'heures. Au petit matin ses yeux s'étaient fermés, son attention relâchée, jusqu'à ce qu'il soit réveillé par les premiers bruits de la rue toute proche. Alors il était revenu à la conscience ou à ce qui lui en restait . Écarquillant les paupières, il avait fixé droit devant lui le mur glauque et sans plus s'interroger sur les raisons de sa présence en ce lieu, avait continué d'attendre. Il n'avait rien en tête sauf la certitude que toute son énergie était désormais orientée vers un seul geste, éliminer ce médecin dont l'existence était une offense à l'ordre du monde. Finalement tout était simple. Rien n'est plus simple que d'obéir, mais il faut pour cela n'avoir plus de mémoire, être insoucieux de l'avenir. Les meilleurs soldats sont ceux n’ont ni mémoire ni espérance, sauf celle de durer.
Orphelin de son passé, Ésope était un bon soldat. Il ressemblait à la flèche lancée vers sa cible, une flèche immobile dans la pénombre, pointant l’ennemi. Le temps n'avait plus prise. figé, presque minéral, il respirait à peine, comme un fauve à l'affût. Ni la soif ni la faim ne le tourmentaient. Qu'importent les besoins du corps lorsque l'accomplissement est proche. Ésope n'était plus Ésope mais l'instrument du destin, le trait d'union entre deux instants que des siècles séparaient.
Sheppard était soulagé. La journée tirait vers sa fin et il avait le sentiment d'avoir participé à des événements décisifs pour l'enquête. Dulouard, à nouveau, avait brillé de tous ses talents. Et si l'on voulait bien oublier cette tendance un peu pénible à l'ostentation, il s'affirmait décidément comme un maître véritable. Il ne regrettait pas de l'avoir fait venir. Grâce à sa perspicacité et à sa compétence, les autorités judiciaires étaient sur la voie.
Il venait de tourner à l'angle de la rue des antiquaires et passa devant la galerie de La vieille geôle. Il s'y serait bien attardé. La peinture était l'une de ses passions et le propriétaire avait la le nez pour dénicher de jeunes peintres. Il aimait à décorer sa salle d'attente de leurs œuvres prometteuses. Il résista à la tentation. Voilà maintenant deux jours qu'il négligeait son cabinet. Avec cette histoire et sous la pression de Dulouard, il avait dû reporter tous ses rendez-vous, orienter quelques urgences vers ses confrères, au risque de voir ses patients le quitter. À vrai dire, il ne s'en inquiétait pas . cela donnait tout à coup à sa vie un parfum d'aventure, presque une impression de vacances. Il passerait donc rapidement au cabinet prendre son courrier, écouter son répondeur, puis retrouverait Dulouard au Café des sportifs. Il avait volontiers accepté son invitation au restaurant. Belmont semblait avoir retrouvé un peu de quiétude. Juillet était maintenant bien avancé et les habitants s'étaient finalement décidé à partir en vacances. Il appréciait ce moment de l'été où il retrouvait l'intimité de sa ville. Les rues semblaient lui appartenir. Les façades anciennes, toutes dorées du soleil du soir, invitaient à la nonchalance et cette douceur faisait oublier les tracas des jours passés. Devant sa boutique d'antiquités, riche d'un lot de meubles normands parmi lesquels une superbe armoire de mariage, Gertrude, sa voisine et amie, le gratifia d’un large sourire. Décidément, il faudrait lui rendre prochainement visite. Gertrude était une belle femme à la cinquantaine triomphante dont le récent veuvage n'était pas sans lui ouvrir quelques perspectives... Et avec cette façon qu'elle avait depuis quelques semaines de lui décocher de si généreux sourires... Il en parlerait à Dulouard.
Dans la pénombre du réduit, l'homme-fauve, muscles tendus, attend le signal. Il sait maintenant que la proie est proche. Dehors, sur le gravier de la petite allée, il perçoit des pas.
Sans méfiance, avec sur son visage une esquisse de sourire, Sheppard parvient près de sa porte d'entrée, s'arrête. Ésope observe le drôle de geste de celui qui cherche ses clés dans une poche puis dans l’autre. Sa victime est là, à quelques mètres, dos tourné. La scène fatale sera simple : bondir et dans la seconde, l'autre tombera, le crâne explosé. À la main, autour du poignet, il a noué la lanière de son appareil photo pour en faire un fléau. Dans un instant il l'abattra sur la tête du médecin. À pleine volée. Un seul coup suffira. Lentement, il entrouvre la porte. Sur le sol en béton, souple et furtif comme un danseur, il avance. Deux mètres les séparent. Encore un pas, un moulinet du bras, le bruit mat du boîtier métallique sur la peau nue et luisante de l'occiput et ce sera l’effondrement, mortel. Ésope n'est plus Ésope mais une volonté meurtrière tassée dans soixante-quinze kilos de muscles. Maintenant !
Dans le reflet de la vitre, Sheppard a perçu une silhouette. Une onde de peur le traverse. Il se retourne. Une douleur violente lui déchire l'épaule. le hurlement de l'agresseur, plus encore que la souffrance, le cloue sur place. Il s'affale sous le poids du corps qui s'agrippe à lui. Son bras gauche ne lui obéit plus. Autour de son cou deux mains comme un étau. Il sent l'extrémité des pouces qui s'enfoncent juste au-dessous du cartilage pharyngé que l'on nomme pomme d'Adam. Il vomirait si la pression exercée ne comprimait l’œsophage. Déjà, l'air ne pénètre plus. Il veut crier, ouvre la bouche, mais n'émet aucun son. L'autre a placé son genou droit au niveau de son cœur, appuyant de tout son poids. Le médecin sait que ses côtes vont se briser. Il pourrait désigner celles qui vont céder en premier. Il n'a plus qu'à contempler, résigné, ce visage de haine à quelques centimètres du sien. L'étau se resserre. Doit-il s'étonner de n'être pas encore mort sous tant de violence ? Lui, le toubib, n'aurait pas cru qu'un corps, le sien en l'occurrence, puisse résister. Il en a pourtant vu des blessés, rompus de toutes parts, survivre malgré les fractures ou l’éclatement des viscères ; mais il sait aussi la fragilité, l'ordonnancement subtil des organes. Et voici subissant l'assaut d'un barbare. Il pense à tout cela Sheppard, étrangement détaché de l’acte sauvage qu'il subit. Il pense à ces femmes et à ces hommes qu'à force de patience, il a arrachés à la mort. Il se dit que ce n'est pas lui qui succombe, que ce n'est pas sa chair que l'on meurtrit, ni sa gorge que l'on broie. Il pense à cet homme qui tout à l'heure l'effrayait avec son regard de bête furieuse. la pitié le saisit . Il n'a plus peur. Il aurait aimé comprendre ce qui tout à coup s'est détraqué. Sheppard va mourir, il en est certain, mais il emportera un regret, celui de n'avoir pas compris ce qui parfois fait de l'homme un monstre.
Hellian- Nombre de messages : 1858
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Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Chapitre 43 - nouveau fait divers
L'homme avait maintenant perdu son regard vif. D'un geste hésitant, il ôta ses lunettes. Ses yeux apparurent terriblement retirés dans la caverne de ses orbites qu’une touffe de poils blancs surmontait en guise de sourcils. Il n'avait plus rien du vieillard impertinent qui avait congédié la surveillante. Dans son vaste fauteuil, il ressemblait à un enfant flétri. Il répéta comme en lui-même :
« Alors il est perdu. »
Puis s'adressant à ses visiteurs avec colère :
« Perdu ! Vous m'entendez, perdu ! »
Un frisson parcourut les deux hommes. Les mots sonnaient comme un reproche. Une agitation mal contenue avait gagné Monsieur Lebon .
Le plus jeune s'enhardit :
« Que voulez-vous dire, monsieur Lebon ?
— J'aurais dû détruire ce bouquin, le laisser brûler complètement. »
Par l'unique fenêtre de la chambre, on pouvait découvrir la plaine que les moissonneuses avaient rasée de près. Sous le soleil du soir le chaume avait pris des teintes rosées qui s'empourpraient vers le lointain pour sombrer dans le mauve. L'homme avait tourné son regard vers l'extérieur mais ne percevait ni les nuances de la plaine ni les embrasements du crépuscule. Voilà longtemps que les saisons ne l'intéressaient plus. Dans la moiteur de sa chambre, il ignorait désormais les transformations du monde, seulement attentif au dépérissement de son corps. Il y trouvait l'avantage de tromper l'ennui d'exister encore, et prenait un sinistre plaisir à chaque nouvelle défaillance de sa physiologie. S’amusant de l'inquiétude des soignants à endiguer chaque jour sa déliquescence, il menait avec eux une sorte de course secrète ; tandis qu'ils s'acharnaient à le faire durer, lui jubilait intimement de ces avaries récurrentes. Telle était sa façon de s'appartenir encore. Voilà longtemps qu’il n’intéressait plus que par la performance de son âge. Pourtant il avait été ce que l'on appelle un homme cultivé dont la conversation séduisait dans les salons.
Il se remémorait parfois des belles soirées d’antan, lorsqu'il écrivait de fins poèmes dont il régalait ses hôtes. Il avait pratiqué comme personne l'art du compliment et contait, si on l'en priait, des histoires qui faisaient sourire les hommes et se pâmer les femmes. Ah, les femmes ! Les avait-il assez aimées quand elles se donnaient à lui ? rieuses conquêtes que ses mots avaient séduites plus encore que sa fine moustache d'hidalgo. Car il avait été beau avant d'être le doyen du département, monsieur Lebon, beau d'un corps souple et nerveux tout de muscles, beau d'un long visage où flambaient deux grands yeux.
Il se souvenait de sa peau frémissant sous leurs caresses, de la leur alors si douce à ses doigts, et de l'odeur des chevelures quand il y enfouissait sa tête pour poser un baiser à la naissance de leur nuque . C'était hier, et même ce matin, avant que le temps ne lui joue un vilain tour. C’est pourquoi les saisons n'avaient plus d'importance Monsieur Lebon vivait en hiver depuis de longues années car c'est bien en hiver que l'on vit lorsque aucune main jamais ne vient plus prendre la vôtre, sauf pour évaluer le rythme de votre pouls. Dans les yeux du vieil homme, en ce jour finissant, une brume se leva qui devint une larme. Cela faisait exactement quarante-sept ans qu'il n'avait plus dans sa main celle de Lucie. Car s'il avait aimé les femmes, c'est surtout à Lucie qu'il pensait monsieur Lebon, en regardant par le carreau l'improbable horizon. Lorsqu'il se tourna vers eux, les deux journalistes purent contempler le visage d'un vieillard qui pleurait.
« Que se passe-t-il, monsieur Lebon ?
— Nous sommes désolés, ajouta, confus, le second. Si on avait pu savoir...
— Mais vous ne pouvez pas savoir, mes petits gars. Vous ne pouvez pas... Personne ne sait... Personne...
— Peut-être pourriez-vous nous dire, reprit le premier. Parfois cela soulage. »
Monsieur Lebon fit une pause, détourna à nouveau le regard, ravala péniblement sa salive et commença d'une voix tremblante :
« Ce que je vais vous dire, voyez-vous, je ne l'ai dit à personne. C'est mon secret. Mais je ne veux pas m'en aller sans… Alors, puisque vous êtes venus jusqu'à moi avec cette histoire de livre, il faut que je vous raconte. J'ai eu une belle vie, vous savez ! Ah ça oui, je peux dire que j'en ai bien profité. Les femmes, j'en ai connu à Belmont, et ailleurs aussi... Et puis, à quarante-cinq ans, je me suis rangé. c'est quand j'ai rencontré Lucie. Ah, Lucie ! Si vous l'aviez connue, ma Lucie ! Je crois bien que c'est la première et la seule fois où je suis tombé vraiment amoureux. Alors j'ai décidé de me poser. Jusqu'alors j'avais vécu de l'héritage de mes parents. Je n'avais pas vraiment de métier et quand j'ai connu Lucie, il ne me restait plus grand-chose. Comme je ne voulais pas la perdre, j'ai cherché un boulot. C'était juste après la guerre. »
La voix s'était affermie.
« À Belmont, le poste de bibliothécaire était à pourvoir. J'ai posé ma candidature et j'ai eu la place. On s'est installés avec Lucie et on a été heureux... Enfin pendant dix ans, jusqu'à ce que je ramène à la maison ce satané bouquin. Il y avait longtemps que je voulais le lire. Vous comprenez, c'était le plus ancien de la bibliothèque. Il trônait dans la salle des archives sur la troisième étagère à gauche. Je m'en souviens comme si c'était hier. C'était le plus grand de tous, avec une tranche dorée magnifique. On aurait dit qu'il me narguait. Un soir je l'ai pris. C'était l'automne. En novembre, je crois. Il pleuvait. On n'avait pas la télé en ce temps-là. Alors, avec Lucie, qui aimait les livres autant que moi, on lisait. On lisait beaucoup. Autant vous dire que grâce à mon métier, on ne se privait pas. Et vous savez, ce que j'aimais par-dessus tout, c'était la voix de Lucie quand elle me lisait des romans. Ah, bon Dieu, comme elle savait bien lire, comme elle les faisait vivre ! Alors, quand j'ai ramené ce bouquin à la maison, ça a été une vraie fête. Bon sang, si j'avais su... Je nous revois encore. Nous avions dîné tôt pour nous réserver une bonne soirée de lecture. Quand on a eu débarrassé, elle m'a dit « c'est moi qui le lis celui-là » : elle s'est assise près de la petite table du salon. Elle a posé le grand livre et elle a commencé à lire. Moi j'écoutais comme on écoute une chanteuse d'opéra. Dès la première page j'ai été... comment dire... captivé, transporté. C'était une sacrée histoire. Je me le rappelle bien, un vrai roman d'aventures et d'amour. Lucie a lu pendant presque trois heures et on s'est couchés. Comme chaque nuit, j'ai voulu me rapprocher d'elle pour m'endormir avec son petit corps tout contre moi et pour la première fois messieurs, vous m'entendez bien, pour la première fois, elle m'a repoussé, comme si j'avais été un étranger. J'ai eu bien du mal à m'endormir. Au matin, sa mauvaise humeur avait disparu. Le lendemain soir on a recommencé la lecture. Je sentais Lucie de plus en plus nerveuse au fur et à mesure que les pages se tournaient. Je lui ai proposé qu'on se couche ; mais elle a refusé. Elle m'a dit : « Va te coucher si tu veux, moi je le finis ». J'y suis allé. Et quand je me suis réveillé vers les quatre heures du matin, j'ai tâté près de moi. Pas de Lucie ! Je me suis levé, espérant la trouver dans le salon avec son bouquin. Elle n'était pas là. Elle avait quitté la maison. Je l'ai cherchée jusqu'au petit jour dans le froid et la pluie. Ma pauvre petite Lucie, elle n'avait pas pris son imperméable, même pas de parapluie. Je l'ai cherchée pendant des heures dans les rues de Belmont. Sur le coup de huit heures, je suis allé à la police. J'étais désespéré, vous comprenez ! »
L'homme s'arrêta. De nouveau l'émotion l'étreignait. Des larmes encore venaient à ses paupières. Les deux journalistes n'osaient pas le relancer. Il déglutit, se reprit :
« C'est à ce moment-là que ma vie a basculé. Lucie était bien au commissariat. Les policiers l'avaient retrouvée errant dans Belmont avec du sang plein sa robe. Elle ne pouvait plus dire un mot. Elle était comme prostrée. J'ai essayé de la prendre dans mes bras, mais elle m'a rejeté. J'étais effondré. « Lucie, Lucie, qu'est-ce qui s'est passé ? » Elle n'a pas répondu. Elle avait juste une sorte de petit sourire comme si elle avait été satisfaite de quelque chose. Mais c'est après que tout est devenu vraiment épouvantable. Je n'étais pas au commissariat depuis un quart d'heure que la femme de la boulangerie Lepasteur est arrivée en hurlant qu'on avait égorgé son mari pendant la nuit. Quand les policiers se sont rendus sur place, ils ont retrouvé un couteau planté dans le cou du boulanger. Et ce couteau, c'était notre couteau à découper ! Vous entendez, notre couteau, de notre cuisine à nous. Lucie avait tué le boulanger au petit matin ! »
L'homme se mit à sangloter en silence.
« Elle a été jugée ? interrogea l'un des journalistes.
— Non ! Mais dans mon malheur, j'aurais préféré. Il y a eu une instruction et une expertise. Les juges ont dit qu'elle n'avait plus sa tête. Ils l'ont déclarée irresponsable.
— Alors elle a été libérée ?
— Hélas non, enfermée, mon petit gars, enfermée dans un asile, jusqu'à la fin de sa vie deux ans après.
— avait -t-elle retrouvé ses esprits ?
— Jamais vraiment. J'ai obtenu l'autorisation de la voir. Au début j'y allais trois fois par semaine et puis ça me faisait trop de mal. C'est à peine si elle me reconnaissait. Alors j'ai cessé .
— Vous ne pouviez pas parler avec elle ?
— Si on appelle ça parler ! Non, de temps en temps, elle disait des phrases comme : « J'ai accompli ma mission » ou « Tout est en ordre maintenant ». Voyez-vous, ce qui est incompréhensible, c'est que ma Lucie, qui était la douceur faite femme, n'a jamais exprimé le moindre regret.
— Mais, monsieur Lebon, quel rapport avec le livre ?
— J'y viens. La dernière fois que je l'ai vue, elle m'a regardé droit dans les yeux. Cette fois-là, elle avait l'air toute triste. On aurait dit qu'elle allait pleurer. Elle m'a pris la main. Un instant, il m'a semblé la retrouver. Elle m'a pris la main, celle-là, précisa-t-il, en montrant sa main droite toute fripée. Elle a fait comme un gros effort, et elle m'a dit : « Jacques... Jacques, le livre, c'est le livre qui... — Qui quoi, ma chérie ? — C'est le livre qui a fait tout ça... » Et puis, plus rien ; elle n'a plus jamais reparlé avant de mourir, deux mois plus tard. Je suis revenu chez moi, j'ai allumé la cheminée et quand le feu a bien flambé, j'y ai jeté cette saloperie de bouquin. Je l'ai laissé brûler presque une minute, puis, je me suis souvenu que j'étais bibliothécaire et je me suis dit que tout ça n'était que folie. Je l'ai retiré du feu et je l'ai ramené à la bibliothèque. Je l'ai placé tout en haut, sur la dernière étagère, en me disant que personne ne viendrait le dénicher là-haut. Mais maintenant, je sais bien que j'ai eu tort. J'aurais dû le laisser brûler tout entier. »
L'homme avait maintenant perdu son regard vif. D'un geste hésitant, il ôta ses lunettes. Ses yeux apparurent terriblement retirés dans la caverne de ses orbites qu’une touffe de poils blancs surmontait en guise de sourcils. Il n'avait plus rien du vieillard impertinent qui avait congédié la surveillante. Dans son vaste fauteuil, il ressemblait à un enfant flétri. Il répéta comme en lui-même :
« Alors il est perdu. »
Puis s'adressant à ses visiteurs avec colère :
« Perdu ! Vous m'entendez, perdu ! »
Un frisson parcourut les deux hommes. Les mots sonnaient comme un reproche. Une agitation mal contenue avait gagné Monsieur Lebon .
Le plus jeune s'enhardit :
« Que voulez-vous dire, monsieur Lebon ?
— J'aurais dû détruire ce bouquin, le laisser brûler complètement. »
Par l'unique fenêtre de la chambre, on pouvait découvrir la plaine que les moissonneuses avaient rasée de près. Sous le soleil du soir le chaume avait pris des teintes rosées qui s'empourpraient vers le lointain pour sombrer dans le mauve. L'homme avait tourné son regard vers l'extérieur mais ne percevait ni les nuances de la plaine ni les embrasements du crépuscule. Voilà longtemps que les saisons ne l'intéressaient plus. Dans la moiteur de sa chambre, il ignorait désormais les transformations du monde, seulement attentif au dépérissement de son corps. Il y trouvait l'avantage de tromper l'ennui d'exister encore, et prenait un sinistre plaisir à chaque nouvelle défaillance de sa physiologie. S’amusant de l'inquiétude des soignants à endiguer chaque jour sa déliquescence, il menait avec eux une sorte de course secrète ; tandis qu'ils s'acharnaient à le faire durer, lui jubilait intimement de ces avaries récurrentes. Telle était sa façon de s'appartenir encore. Voilà longtemps qu’il n’intéressait plus que par la performance de son âge. Pourtant il avait été ce que l'on appelle un homme cultivé dont la conversation séduisait dans les salons.
Il se remémorait parfois des belles soirées d’antan, lorsqu'il écrivait de fins poèmes dont il régalait ses hôtes. Il avait pratiqué comme personne l'art du compliment et contait, si on l'en priait, des histoires qui faisaient sourire les hommes et se pâmer les femmes. Ah, les femmes ! Les avait-il assez aimées quand elles se donnaient à lui ? rieuses conquêtes que ses mots avaient séduites plus encore que sa fine moustache d'hidalgo. Car il avait été beau avant d'être le doyen du département, monsieur Lebon, beau d'un corps souple et nerveux tout de muscles, beau d'un long visage où flambaient deux grands yeux.
Il se souvenait de sa peau frémissant sous leurs caresses, de la leur alors si douce à ses doigts, et de l'odeur des chevelures quand il y enfouissait sa tête pour poser un baiser à la naissance de leur nuque . C'était hier, et même ce matin, avant que le temps ne lui joue un vilain tour. C’est pourquoi les saisons n'avaient plus d'importance Monsieur Lebon vivait en hiver depuis de longues années car c'est bien en hiver que l'on vit lorsque aucune main jamais ne vient plus prendre la vôtre, sauf pour évaluer le rythme de votre pouls. Dans les yeux du vieil homme, en ce jour finissant, une brume se leva qui devint une larme. Cela faisait exactement quarante-sept ans qu'il n'avait plus dans sa main celle de Lucie. Car s'il avait aimé les femmes, c'est surtout à Lucie qu'il pensait monsieur Lebon, en regardant par le carreau l'improbable horizon. Lorsqu'il se tourna vers eux, les deux journalistes purent contempler le visage d'un vieillard qui pleurait.
« Que se passe-t-il, monsieur Lebon ?
— Nous sommes désolés, ajouta, confus, le second. Si on avait pu savoir...
— Mais vous ne pouvez pas savoir, mes petits gars. Vous ne pouvez pas... Personne ne sait... Personne...
— Peut-être pourriez-vous nous dire, reprit le premier. Parfois cela soulage. »
Monsieur Lebon fit une pause, détourna à nouveau le regard, ravala péniblement sa salive et commença d'une voix tremblante :
« Ce que je vais vous dire, voyez-vous, je ne l'ai dit à personne. C'est mon secret. Mais je ne veux pas m'en aller sans… Alors, puisque vous êtes venus jusqu'à moi avec cette histoire de livre, il faut que je vous raconte. J'ai eu une belle vie, vous savez ! Ah ça oui, je peux dire que j'en ai bien profité. Les femmes, j'en ai connu à Belmont, et ailleurs aussi... Et puis, à quarante-cinq ans, je me suis rangé. c'est quand j'ai rencontré Lucie. Ah, Lucie ! Si vous l'aviez connue, ma Lucie ! Je crois bien que c'est la première et la seule fois où je suis tombé vraiment amoureux. Alors j'ai décidé de me poser. Jusqu'alors j'avais vécu de l'héritage de mes parents. Je n'avais pas vraiment de métier et quand j'ai connu Lucie, il ne me restait plus grand-chose. Comme je ne voulais pas la perdre, j'ai cherché un boulot. C'était juste après la guerre. »
La voix s'était affermie.
« À Belmont, le poste de bibliothécaire était à pourvoir. J'ai posé ma candidature et j'ai eu la place. On s'est installés avec Lucie et on a été heureux... Enfin pendant dix ans, jusqu'à ce que je ramène à la maison ce satané bouquin. Il y avait longtemps que je voulais le lire. Vous comprenez, c'était le plus ancien de la bibliothèque. Il trônait dans la salle des archives sur la troisième étagère à gauche. Je m'en souviens comme si c'était hier. C'était le plus grand de tous, avec une tranche dorée magnifique. On aurait dit qu'il me narguait. Un soir je l'ai pris. C'était l'automne. En novembre, je crois. Il pleuvait. On n'avait pas la télé en ce temps-là. Alors, avec Lucie, qui aimait les livres autant que moi, on lisait. On lisait beaucoup. Autant vous dire que grâce à mon métier, on ne se privait pas. Et vous savez, ce que j'aimais par-dessus tout, c'était la voix de Lucie quand elle me lisait des romans. Ah, bon Dieu, comme elle savait bien lire, comme elle les faisait vivre ! Alors, quand j'ai ramené ce bouquin à la maison, ça a été une vraie fête. Bon sang, si j'avais su... Je nous revois encore. Nous avions dîné tôt pour nous réserver une bonne soirée de lecture. Quand on a eu débarrassé, elle m'a dit « c'est moi qui le lis celui-là » : elle s'est assise près de la petite table du salon. Elle a posé le grand livre et elle a commencé à lire. Moi j'écoutais comme on écoute une chanteuse d'opéra. Dès la première page j'ai été... comment dire... captivé, transporté. C'était une sacrée histoire. Je me le rappelle bien, un vrai roman d'aventures et d'amour. Lucie a lu pendant presque trois heures et on s'est couchés. Comme chaque nuit, j'ai voulu me rapprocher d'elle pour m'endormir avec son petit corps tout contre moi et pour la première fois messieurs, vous m'entendez bien, pour la première fois, elle m'a repoussé, comme si j'avais été un étranger. J'ai eu bien du mal à m'endormir. Au matin, sa mauvaise humeur avait disparu. Le lendemain soir on a recommencé la lecture. Je sentais Lucie de plus en plus nerveuse au fur et à mesure que les pages se tournaient. Je lui ai proposé qu'on se couche ; mais elle a refusé. Elle m'a dit : « Va te coucher si tu veux, moi je le finis ». J'y suis allé. Et quand je me suis réveillé vers les quatre heures du matin, j'ai tâté près de moi. Pas de Lucie ! Je me suis levé, espérant la trouver dans le salon avec son bouquin. Elle n'était pas là. Elle avait quitté la maison. Je l'ai cherchée jusqu'au petit jour dans le froid et la pluie. Ma pauvre petite Lucie, elle n'avait pas pris son imperméable, même pas de parapluie. Je l'ai cherchée pendant des heures dans les rues de Belmont. Sur le coup de huit heures, je suis allé à la police. J'étais désespéré, vous comprenez ! »
L'homme s'arrêta. De nouveau l'émotion l'étreignait. Des larmes encore venaient à ses paupières. Les deux journalistes n'osaient pas le relancer. Il déglutit, se reprit :
« C'est à ce moment-là que ma vie a basculé. Lucie était bien au commissariat. Les policiers l'avaient retrouvée errant dans Belmont avec du sang plein sa robe. Elle ne pouvait plus dire un mot. Elle était comme prostrée. J'ai essayé de la prendre dans mes bras, mais elle m'a rejeté. J'étais effondré. « Lucie, Lucie, qu'est-ce qui s'est passé ? » Elle n'a pas répondu. Elle avait juste une sorte de petit sourire comme si elle avait été satisfaite de quelque chose. Mais c'est après que tout est devenu vraiment épouvantable. Je n'étais pas au commissariat depuis un quart d'heure que la femme de la boulangerie Lepasteur est arrivée en hurlant qu'on avait égorgé son mari pendant la nuit. Quand les policiers se sont rendus sur place, ils ont retrouvé un couteau planté dans le cou du boulanger. Et ce couteau, c'était notre couteau à découper ! Vous entendez, notre couteau, de notre cuisine à nous. Lucie avait tué le boulanger au petit matin ! »
L'homme se mit à sangloter en silence.
« Elle a été jugée ? interrogea l'un des journalistes.
— Non ! Mais dans mon malheur, j'aurais préféré. Il y a eu une instruction et une expertise. Les juges ont dit qu'elle n'avait plus sa tête. Ils l'ont déclarée irresponsable.
— Alors elle a été libérée ?
— Hélas non, enfermée, mon petit gars, enfermée dans un asile, jusqu'à la fin de sa vie deux ans après.
— avait -t-elle retrouvé ses esprits ?
— Jamais vraiment. J'ai obtenu l'autorisation de la voir. Au début j'y allais trois fois par semaine et puis ça me faisait trop de mal. C'est à peine si elle me reconnaissait. Alors j'ai cessé .
— Vous ne pouviez pas parler avec elle ?
— Si on appelle ça parler ! Non, de temps en temps, elle disait des phrases comme : « J'ai accompli ma mission » ou « Tout est en ordre maintenant ». Voyez-vous, ce qui est incompréhensible, c'est que ma Lucie, qui était la douceur faite femme, n'a jamais exprimé le moindre regret.
— Mais, monsieur Lebon, quel rapport avec le livre ?
— J'y viens. La dernière fois que je l'ai vue, elle m'a regardé droit dans les yeux. Cette fois-là, elle avait l'air toute triste. On aurait dit qu'elle allait pleurer. Elle m'a pris la main. Un instant, il m'a semblé la retrouver. Elle m'a pris la main, celle-là, précisa-t-il, en montrant sa main droite toute fripée. Elle a fait comme un gros effort, et elle m'a dit : « Jacques... Jacques, le livre, c'est le livre qui... — Qui quoi, ma chérie ? — C'est le livre qui a fait tout ça... » Et puis, plus rien ; elle n'a plus jamais reparlé avant de mourir, deux mois plus tard. Je suis revenu chez moi, j'ai allumé la cheminée et quand le feu a bien flambé, j'y ai jeté cette saloperie de bouquin. Je l'ai laissé brûler presque une minute, puis, je me suis souvenu que j'étais bibliothécaire et je me suis dit que tout ça n'était que folie. Je l'ai retiré du feu et je l'ai ramené à la bibliothèque. Je l'ai placé tout en haut, sur la dernière étagère, en me disant que personne ne viendrait le dénicher là-haut. Mais maintenant, je sais bien que j'ai eu tort. J'aurais dû le laisser brûler tout entier. »
Hellian- Nombre de messages : 1858
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Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Chapitre 44 - une intuition
Dulouard allongea confortablement ses jambes. Au café des Sportifs, sur la petite table en terrasse, le soleil oblique donnait à son verre de bière des transparences automnales troublées de fines pétillances qu'il s'amusait à suivre des yeux jusqu'à leur éclosion finale en surface. Il était fasciné par ces filigranes verticaux qui lui semblaient à l'image du monde. Le verre avait cette forme légèrement ovale que les astrophysiciens attribuent à l'univers et les bulles étaient comme ces galaxies innombrables, inlassablement répétées, venues de nulle part pour s'évanouir dans l'infini. Puis il songea que les bulles représentaient non plus des galaxies, mais la vie des hommes. Au fond du verre se trouvait l'origine d'où perlait mystérieusement l'énergie de chaque vie, laquelle traversait ensuite dans une course aveugle le liquide ambré de l'existence pour crever l’écran de la mort et s'évaporer dans un ailleurs. Comme ces myriades de bulles, les êtres s'extrayaient du rien avec pour seul destin de restituer à l'immensité la pauvre énergie qui les avait animés. Lui, comme les autres, franchirait un jour cette ligne immatérielle qui sépare le liquide de l’air.
« Décidément, il faudrait que j'écrive une métaphysique de la bière, se dit-il, avant d'avaler en une seule et longue lampée les quelques milliers de galaxies qui grouillaient au fond de son verre. J’appellerais ça La dernière gorgée de bière et autres angoisses majuscules… »
— Professeur Dulouard ?
L'interpellation le tira définitivement de sa méditation. Il ne put identifier les deux hommes qui lui faisaient face, d'une part parce qu'il ne les connaissait pas, d'autre part parce qu'ils étaient à contre-jour.
« Lui-même !
— Professeur, nous aimerions vous parler.
— Je vous en prie messieurs, asseyez- vous !
— Nous sommes journalistes au Réveil belmontais. Je m'appelle Jean Lucas et je vous présente mon jeune confrère, Marcel Petipas.
— Enchanté. Que puis-je pour vous ?
— Monsieur le professeur, nous sommes inquiets.
— Voilà, enchaîna Petipas, notre rédacteur en chef, Ésope Galendon, a disparu et nous avons de bonnes raisons de penser qu'il est en danger.
— ce site quoi pensez-vous que je puisse vous être utile ?
— Eh bien, reprit le même, nous avons cru comprendre que vous participiez à l'enquête sur les meurtres de Belmont. Il se dit même que grâce à vous cette enquête vient de progresser de manière importante.
— C'est possible, mais je ne vois pas le rapport avec la disparition de votre rédacteur en chef...
— Ésope a lu le livre ! »
Jean Lucas avait confessé cela avec une inquiétude mal contenue. Dulouard ne cilla pas, se contentant d'interroger, l'air indifférent :
« Quel livre ?
— Le livre qui était à la médiathèque jusqu'à ce midi et qui en a disparu depuis...
— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
— Monsieur le professeur, nous aussi, nous avons nos informations. Ésope enquêtait sur ces affaires. C’est pour cela qu'il s'est rendu hier à la médiathèque où il a passé une grande partie de l'après-midi à lire ce bouquin que nous ne croyons pas totalement étranger aux événements actuels. »
Dulouard observa les deux hommes. Il y avait dans leur regard une expression qui laissait penser que leur inquiétude n'était pas feinte. Ces deux-là n'étaient pas en train de plaider le faux pour savoir le vrai.
« Que savez-vous à propos de ce livre ? »
Sans détour, ils racontèrent leur visite au doyen de la maison de retraite et l’étrange histoire qu’ils avaient entendue. Quand ils eurent terminé leur récit, Dulouard les observa longuement.
« Messieurs, vous n'avez pas tort d'être inquiets. Je crains en effet que monsieur Galendon ne soit en situation difficile. Mais je crains plus encore pour les personnes de son entourage. »
Puis il retourna à son silence, le regard étrangement braqué sur son verre vide dont la paroi était encore maculée d'un reste de mousse.
« La vie est comme une bulle... » marmonna-t-il.
Les deux journalistes le dévisagèrent, interloqués. Il se redressa soudain, les fixa d'un air grave qui ne lui était pas coutumier.
« Comment avez-vous dit que s'appelait le boulanger assassiné par Mme Lebon ? »
Nouvel étonnement des deux autres.
« Letourneur, je crois, fit Petipas.
— Non, Lepasteur ! rectifia l'autre. Lepasteur ! J'ai bien retenu, c'est le nom de ma mère.
— C'est effectivement ce qu'il m'avait semblé entendre, confirma Dulouard. Lepasteur, c'est cela ! »
D'un bond, il se leva.
« Eh bien, mes amis, je dois vous quitter. J'ai une urgence. »
Il y avait bien longtemps que Dulouard n'avait pas couru, car, s'il aimait le sport, c'était surtout en tant que lecteur de L’Équipe. La course à pied lui paraissait une pratique fatigante et triviale car elle faisait transpirer. Aussi fallait-il qu'une nécessité impérieuse lui commandât de mobiliser tout son grand corps pour s’éclipser dans une galopade qui laissa pantois ses deux interlocuteurs.
L'intuition d'un péril imminent lui fit dévaler la rue des Antiquaires à grandes foulées. Pour la première fois depuis des décennies sans doute, la crainte d'être en retard lui parut insupportable. Au fur et à mesure de sa course, l'intuition devenait certitude. Si nombre d'éléments lui manquaient, une évidence désormais s'imposait : Sheppard était en danger de mort. Il ne lui fallut guère plus de deux minutes pour parvenir au portail orné de la plaque professionnelle. Sans même s'arrêter, il l'ouvrit violemment.
Là, sur la petite allée de gravier, agenouillé, se tenait un homme dont Dulouard ne vit que le dos courbé sous l'effort. L'homme était affairé, très affairé même, à sa besogne qui consistait à en étrangler un autre. La victime n'opposait plus la moindre résistance. Le silence du lieu permettait d'entendre une sorte de ahanement régulier qui émanait de l'étrangleur éloigné d'une bonne dizaine de pas. Il bondit, se rua sur l'individu. Sous l'impact, celui-ci bascula. Dulouard s'apprêtait à profiter de l'avantage de la surprise. Mais son adversaire, déjà sur pied, lui faisait face. Les deux hommes s'observaient, entre eux, le corps inanimé de Sheppard. Il tardait à Dulouard d'en finir. Chaque seconde comptait. Un rapide coup d’œil sur la poitrine de Sheppard lui avait fait prendre la mesure de l'urgence. Elle ne se soulevait plus et s'il y avait des gestes à tenter, c’était tout de suite. L’agresseur paraissait avoir compris. Il ne bougeait pas, se contentant d'adopter la posture du félin prêt à bondir. Pour la première fois depuis longtemps, confronté à ce regard, Dulouard sentit monter en lui un frisson d’effroi. Quelque chose le dépassait, lui qui jusqu'alors n'avait jamais fait usage que des armes du savoir et de la raison. Quelque chose qu'il ne connaissait pas et qui est le propre des bêtes sauvages ou des guerriers, la force brute. Non pas la haine, mais une énergie féroce que rien ne peut contenir. Il se sentit démuni, décelant au fond de lui-même une sensation inconnue, l'angoisse imbécile de la proie.
S'il y avait bien une chose que Dulouard ne supportait pas, c'était de se sentir imbécile. Les rapports de force, il connaissait, mais il les négociait toujours en vainqueur. En l'occurrence, il n'y avait rien à négocier, sauf avec lui-même. Alors, il fit très vite. C’est parfois l'orgueil qui sauve. Non ! Lui, le professeur, qu'on admirait, il n'allait pas baisser pavillon devant une brute. Il sentit monter une sensation totalement étrangère : la rage ; une rage venue des entrailles qui lui fit serrer les dents et les poings. Lui, le scientifique, il sentit percer la fureur du primitif et, puisqu'il lui fallait parler le même langage que l'autre, il trouverait. Le cri ! Ce fut un hurlement viscéral, d'homme farouche. Comme un bélier, il fonça tête baissée. Il n'eut pas à se battre. Tel un chien qui reconnaît son maître, l'homme qui tout à l'heure s'acharnait à étrangler Sheppard, tourna casaque et s'enfuit, poursuivi par un Dulouard rugissant. La scène n'avait duré qu'un instant. Juste le temps d'entendre résonner dans la rue les pas précipités du fuyard, Dulouard sentit ses forces le lâcher. Sa gorge était une plaie vive. À demi vacillant, il revint vers Sheppard toujours inanimé, s'agenouilla et porta l'oreille au niveau de son cœur.
Dulouard allongea confortablement ses jambes. Au café des Sportifs, sur la petite table en terrasse, le soleil oblique donnait à son verre de bière des transparences automnales troublées de fines pétillances qu'il s'amusait à suivre des yeux jusqu'à leur éclosion finale en surface. Il était fasciné par ces filigranes verticaux qui lui semblaient à l'image du monde. Le verre avait cette forme légèrement ovale que les astrophysiciens attribuent à l'univers et les bulles étaient comme ces galaxies innombrables, inlassablement répétées, venues de nulle part pour s'évanouir dans l'infini. Puis il songea que les bulles représentaient non plus des galaxies, mais la vie des hommes. Au fond du verre se trouvait l'origine d'où perlait mystérieusement l'énergie de chaque vie, laquelle traversait ensuite dans une course aveugle le liquide ambré de l'existence pour crever l’écran de la mort et s'évaporer dans un ailleurs. Comme ces myriades de bulles, les êtres s'extrayaient du rien avec pour seul destin de restituer à l'immensité la pauvre énergie qui les avait animés. Lui, comme les autres, franchirait un jour cette ligne immatérielle qui sépare le liquide de l’air.
« Décidément, il faudrait que j'écrive une métaphysique de la bière, se dit-il, avant d'avaler en une seule et longue lampée les quelques milliers de galaxies qui grouillaient au fond de son verre. J’appellerais ça La dernière gorgée de bière et autres angoisses majuscules… »
— Professeur Dulouard ?
L'interpellation le tira définitivement de sa méditation. Il ne put identifier les deux hommes qui lui faisaient face, d'une part parce qu'il ne les connaissait pas, d'autre part parce qu'ils étaient à contre-jour.
« Lui-même !
— Professeur, nous aimerions vous parler.
— Je vous en prie messieurs, asseyez- vous !
— Nous sommes journalistes au Réveil belmontais. Je m'appelle Jean Lucas et je vous présente mon jeune confrère, Marcel Petipas.
— Enchanté. Que puis-je pour vous ?
— Monsieur le professeur, nous sommes inquiets.
— Voilà, enchaîna Petipas, notre rédacteur en chef, Ésope Galendon, a disparu et nous avons de bonnes raisons de penser qu'il est en danger.
— ce site quoi pensez-vous que je puisse vous être utile ?
— Eh bien, reprit le même, nous avons cru comprendre que vous participiez à l'enquête sur les meurtres de Belmont. Il se dit même que grâce à vous cette enquête vient de progresser de manière importante.
— C'est possible, mais je ne vois pas le rapport avec la disparition de votre rédacteur en chef...
— Ésope a lu le livre ! »
Jean Lucas avait confessé cela avec une inquiétude mal contenue. Dulouard ne cilla pas, se contentant d'interroger, l'air indifférent :
« Quel livre ?
— Le livre qui était à la médiathèque jusqu'à ce midi et qui en a disparu depuis...
— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
— Monsieur le professeur, nous aussi, nous avons nos informations. Ésope enquêtait sur ces affaires. C’est pour cela qu'il s'est rendu hier à la médiathèque où il a passé une grande partie de l'après-midi à lire ce bouquin que nous ne croyons pas totalement étranger aux événements actuels. »
Dulouard observa les deux hommes. Il y avait dans leur regard une expression qui laissait penser que leur inquiétude n'était pas feinte. Ces deux-là n'étaient pas en train de plaider le faux pour savoir le vrai.
« Que savez-vous à propos de ce livre ? »
Sans détour, ils racontèrent leur visite au doyen de la maison de retraite et l’étrange histoire qu’ils avaient entendue. Quand ils eurent terminé leur récit, Dulouard les observa longuement.
« Messieurs, vous n'avez pas tort d'être inquiets. Je crains en effet que monsieur Galendon ne soit en situation difficile. Mais je crains plus encore pour les personnes de son entourage. »
Puis il retourna à son silence, le regard étrangement braqué sur son verre vide dont la paroi était encore maculée d'un reste de mousse.
« La vie est comme une bulle... » marmonna-t-il.
Les deux journalistes le dévisagèrent, interloqués. Il se redressa soudain, les fixa d'un air grave qui ne lui était pas coutumier.
« Comment avez-vous dit que s'appelait le boulanger assassiné par Mme Lebon ? »
Nouvel étonnement des deux autres.
« Letourneur, je crois, fit Petipas.
— Non, Lepasteur ! rectifia l'autre. Lepasteur ! J'ai bien retenu, c'est le nom de ma mère.
— C'est effectivement ce qu'il m'avait semblé entendre, confirma Dulouard. Lepasteur, c'est cela ! »
D'un bond, il se leva.
« Eh bien, mes amis, je dois vous quitter. J'ai une urgence. »
Il y avait bien longtemps que Dulouard n'avait pas couru, car, s'il aimait le sport, c'était surtout en tant que lecteur de L’Équipe. La course à pied lui paraissait une pratique fatigante et triviale car elle faisait transpirer. Aussi fallait-il qu'une nécessité impérieuse lui commandât de mobiliser tout son grand corps pour s’éclipser dans une galopade qui laissa pantois ses deux interlocuteurs.
L'intuition d'un péril imminent lui fit dévaler la rue des Antiquaires à grandes foulées. Pour la première fois depuis des décennies sans doute, la crainte d'être en retard lui parut insupportable. Au fur et à mesure de sa course, l'intuition devenait certitude. Si nombre d'éléments lui manquaient, une évidence désormais s'imposait : Sheppard était en danger de mort. Il ne lui fallut guère plus de deux minutes pour parvenir au portail orné de la plaque professionnelle. Sans même s'arrêter, il l'ouvrit violemment.
Là, sur la petite allée de gravier, agenouillé, se tenait un homme dont Dulouard ne vit que le dos courbé sous l'effort. L'homme était affairé, très affairé même, à sa besogne qui consistait à en étrangler un autre. La victime n'opposait plus la moindre résistance. Le silence du lieu permettait d'entendre une sorte de ahanement régulier qui émanait de l'étrangleur éloigné d'une bonne dizaine de pas. Il bondit, se rua sur l'individu. Sous l'impact, celui-ci bascula. Dulouard s'apprêtait à profiter de l'avantage de la surprise. Mais son adversaire, déjà sur pied, lui faisait face. Les deux hommes s'observaient, entre eux, le corps inanimé de Sheppard. Il tardait à Dulouard d'en finir. Chaque seconde comptait. Un rapide coup d’œil sur la poitrine de Sheppard lui avait fait prendre la mesure de l'urgence. Elle ne se soulevait plus et s'il y avait des gestes à tenter, c’était tout de suite. L’agresseur paraissait avoir compris. Il ne bougeait pas, se contentant d'adopter la posture du félin prêt à bondir. Pour la première fois depuis longtemps, confronté à ce regard, Dulouard sentit monter en lui un frisson d’effroi. Quelque chose le dépassait, lui qui jusqu'alors n'avait jamais fait usage que des armes du savoir et de la raison. Quelque chose qu'il ne connaissait pas et qui est le propre des bêtes sauvages ou des guerriers, la force brute. Non pas la haine, mais une énergie féroce que rien ne peut contenir. Il se sentit démuni, décelant au fond de lui-même une sensation inconnue, l'angoisse imbécile de la proie.
S'il y avait bien une chose que Dulouard ne supportait pas, c'était de se sentir imbécile. Les rapports de force, il connaissait, mais il les négociait toujours en vainqueur. En l'occurrence, il n'y avait rien à négocier, sauf avec lui-même. Alors, il fit très vite. C’est parfois l'orgueil qui sauve. Non ! Lui, le professeur, qu'on admirait, il n'allait pas baisser pavillon devant une brute. Il sentit monter une sensation totalement étrangère : la rage ; une rage venue des entrailles qui lui fit serrer les dents et les poings. Lui, le scientifique, il sentit percer la fureur du primitif et, puisqu'il lui fallait parler le même langage que l'autre, il trouverait. Le cri ! Ce fut un hurlement viscéral, d'homme farouche. Comme un bélier, il fonça tête baissée. Il n'eut pas à se battre. Tel un chien qui reconnaît son maître, l'homme qui tout à l'heure s'acharnait à étrangler Sheppard, tourna casaque et s'enfuit, poursuivi par un Dulouard rugissant. La scène n'avait duré qu'un instant. Juste le temps d'entendre résonner dans la rue les pas précipités du fuyard, Dulouard sentit ses forces le lâcher. Sa gorge était une plaie vive. À demi vacillant, il revint vers Sheppard toujours inanimé, s'agenouilla et porta l'oreille au niveau de son cœur.
Hellian- Nombre de messages : 1858
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Date d'inscription : 14/02/2009
Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Chapitre 45 - décryptage
Éloi Gutenberg avait trois passions : sa femme, l'informatique et son métier de policier. Depuis quelques mois, il ne parvenait plus à les faire cohabiter. La première avait pris en aversion les deux autres lesquelles, estimait-elle, occupaient trop de place dans la vie de son mari.
Après trois ans de conjugalité heureuse, Sylvia avait perdu cette patience qui, outre la grâce de son jeune corps, avait incité Éloi à la demander en mariage. Cela avait commencé par quelques petits accès d'humeur lorsqu'il rentrait tard de ses missions, des bouderies qu'il réussissait à endiguer par des câlineries très persuasives, avant de s'installer devant son ordinateur pour une bonne partie de la nuit. Puis on était passé des bouderies aux reproches et depuis ces derniers mois, aux menaces de divorce.
Aussi est-ce un homme tourmenté qui franchit la porte du laboratoire de technologies avancées des services du SRPJ. Durant le trajet, il avait téléphoné quatre fois chez lui pour prévenir qu'il rentrerait plus tard que prévu, expliquer qu'il avait un travail de la plus haute importance. La sonnerie avait retenti jusqu'au déclenchement du répondeur. La voix suave de Sylvia l'avait invité à laisser un message : « Nous ne sommes pas là pour le moment... » Ce n'était guère son style de s'absenter le soir sans le tenir au courant.
Éloi aurait volontiers succombé à la tentation de se rendre chez lui pour vérifier... Mais il se persuada de l'inutilité du détour. Sylvia n'était pas à la maison, elle n'y serait pas plus s'il s'y rendait. Après tout, elle avait le droit d'avoir ses soirées. D'ailleurs elle était certainement chez sa mère. C'est là qu'elle allait lorsqu'elle avait le blues. Pourtant, en général elle le prévenait. sans doute aurait-elle voulu marquer le coup. Susciter l'inquiétude dans les relations de couple était de bonne guerre, pensa-t-il. Enfin, si c'était de bonne guerre, c'était quand même la guerre et la guerre il n'aimait pas, surtout avec Sylvia.
Bon Dieu ! Il fallait qu'il se débarrasse de cette pensée qui commençait à l'obséder. Elle était chez sa mère, voilà tout. Elle devait y dormir. Quand cette affaire serait finie, il poserait quinze jours et il l’emmènerait en Italie. Là-bas, ils feraient l'amour et ils visiteraient des musées où ils verraient des tableaux avec des femmes nues qui ressembleraient à Sylvia. Il devait penser au boulot et le boulot c'était ce foutu bouquin.
À cette heure de la nuit la salle d'informatique était vide. Sans les voix qui habituellement couvraient le bruit des ordinateurs, on percevait le bourdonnement des appareils comme un essaim géant. Éloi se dirigea vers son poste de travail. Il était parvenu à se faire attribuer un ordinateur qu'aucun de ses collègues ne lui disputait jamais. Éloi avait acquis auprès d'eux une réputation d'expert, ce qui lui valait une admiration mêlée de jalousie, d'autant que ses compétences reconnues en haut lieu lui avaient valu d'être associé par le ministère à un projet de recherche sur l'informatisation des enquêtes criminelles. Pour certains, les moins jeunes, Éloi Gutenberg contribuait à gâcher un métier où les vieilles recettes, composées d'une bonne dose de flair et d'un zeste d'indics, avaient toujours produit la meilleure cuisine. Pour d'autres, il était à l'avant-garde de la police scientifique qui se devait de préférer la précision à l'approximation. Lui se situait entre les deux, s'efforçant de convaincre qui voulait l'entendre que, quel que soit le domaine, le progrès reposait sur une association subtile de l'intuition et de la science. C'est pourquoi il avait voulu demeurer, malgré les propositions de chercheur à plein temps dans un laboratoire national, un policier de terrain. En l'occurrence, il avait bien l'intention de démontrer la pertinence de sa théorie.
Tout de suite il avait saisi l'intuition de Dulouard. Ce livre recelait quelque chose qu'il se refusait à qualifier de magique. Rien n'était jamais magique. Le mystère n'est rien qu'une organisation cachée de la matière. En fait, songeait-il, le monde n'est probablement qu'un immense programme informatique. Une fois que l'on a compris cela, le reste n'est qu'une question de patience. Même ses relations avec sa femme relevaient d’un tel système. Il évoqua le visage de Sylvia, son corps qu'il aimait serrer contre le sien. De nouveau l'inquiétude. Il se ressaisit, brancha le scanner et, avec précaution, sortit le livre de sa serviette. Cette histoire de contamination lui traversa une nouvelle fois l'esprit. Et si c'était un virus qui, en imprégnant les pages, se transmettait au lecteur en lui gangrenant l'esprit. Il posa l'ouvrage sur son bureau, s'essuya machinalement les mains sur son pantalon et réalisa qu'il était seul. Il sentait au bout de ses doigts comme un picotement qui gagnait ses paumes, remontait dans ses avant-bras. Sur son front des gouttes perlaient. Son cœur s'accéléra. Était-ce le bouquin ou son angoisse à propos de Sylvia? Il lui fallut rassembler toute son énergie pour se contraindre à ouvrir le livre et le poser bien à plat sur le scanner. Il lança la lecture. L'appareil émit un léger gargouillis suivi d'un crissement qui indiquait que l'opération était en cours. Avec répugnance il reprit le livre, tourna la page. Nouveau gargouillis, nouveau crissement, et ainsi de suite jusqu'à la dernière Au début, il avait tourné chaque page d’un geste automatique, mais progressivement, s'était découvert un vrai plaisir à torturer l'ouvrage qu'il forçait à s'aplatir sur la vitre du scanner comme on terrasse un adversaire. Quand tout fut terminé, il s'empressa de le remettre dans sa serviette qu'il boucla soigneusement. La disparition de l'objet le soulagea.
Il devait désormais entamer la deuxième phase. Sur l'écran apparaissait un texte qu'il s'était jusqu'alors efforcé de ne pas regarder. Maintenant que l'ordinateur avait ingurgité le contenu sans la moindre réticence, venait à l'écran une suite de caractères ordonnés qui constituaient des mots, des phrases, une histoire. Surtout ne pas lire. Il se souvenait du geste violent de Dulouard qui avait arraché le livre des mains de son collègue. « C'est le contenu qui est dangereux... » Éloi n'était pas grand lecteur, mais il connaissait assez les livres pour les craindre. Il en avait lu certains qui avaient provoqué en lui d'intenses réactions, attisé des feux secrets, éveillé des nostalgies ou des jubilations extrêmes.
Les yeux rivés sur le clavier, il chargea le logiciel de décryptage et le lança à l'attaque du texte qu'il venait d'enregistrer. Dans les entrailles de la machine une armée silencieuse de pulsions électriques se mit à dépecer le texte. Chaque séquence, chaque phrase étaient triturées, analysées selon une multitude de clés destinées à découvrir au sein du récit une autre cohérence, comme on cherche le plan d’une ville antique enfouie sous les sédiments millénaires. Des myriades de fourmis virtuelles dévoraient la mathématique des signes qu’elles régurgitaient sous la forme de suites autrement ordonnées. Puis, comme les cristaux d’un miel laborieusement extrait, scintillèrent un à un des mots autrement disposés.
À intervalles réguliers, des phrases apparurent en surbrillance que le logiciel faisait surgir, telles des pépites arrachées au minerai noirâtre du texte d’origine. Et, tandis qu’au delà des larges baies la nuit pâlissait sous les assauts de l'aube, Éloi Gutenberg regarda, fasciné, se reconstituer inlassablement les mêmes paragraphes que le logiciel extirpait de chacun des vingt-cinq chapitres que contenait le livre. Éloi Gutenberg tenait ce qu'il lui fallait. L'imprimante avait docilement craché les feuilles et le secret avait été traqué, débusqué. Combien de victimes avait-il fait depuis qu'on l'avait enfoui dans ce grimoire au sinistre récit ? Celui qui l’avait ainsi celé entre les lignes possédait une connaissance élaborée du langage pour que seule la science informatique vienne à bout de ses effrayants projets. Ce qu'il avait découvert lui avait à ce point envahi l'esprit qu'il en avait oublié Sylvia depuis plus d'une heure. Mais alors qu'il regagnait Belmont sous les lueurs de l'aube, l'inquiétude lui revint avec la fatigue. Et si elle l’avait quitté pour de bon ? Il chassa cette pensée. Non, aujourd'hui était un grand jour. Il revenait en vainqueur, porteur d'une information qui ferait de lui une référence dans le milieu de la police. C'était une démonstration sans faille du pouvoir de l'expertise dont il était le champion. Et ça, Sylvia le comprendrait. Mieux, elle l’admirerait. Il voulut s'en persuader mais ne put endiguer l'angoisse qui mordait sa poitrine. Quelque chose lui disait que la vie sentimentale ne fonctionnait peut-être pas selon les lois infaillibles de l'informatique.
Éloi Gutenberg avait trois passions : sa femme, l'informatique et son métier de policier. Depuis quelques mois, il ne parvenait plus à les faire cohabiter. La première avait pris en aversion les deux autres lesquelles, estimait-elle, occupaient trop de place dans la vie de son mari.
Après trois ans de conjugalité heureuse, Sylvia avait perdu cette patience qui, outre la grâce de son jeune corps, avait incité Éloi à la demander en mariage. Cela avait commencé par quelques petits accès d'humeur lorsqu'il rentrait tard de ses missions, des bouderies qu'il réussissait à endiguer par des câlineries très persuasives, avant de s'installer devant son ordinateur pour une bonne partie de la nuit. Puis on était passé des bouderies aux reproches et depuis ces derniers mois, aux menaces de divorce.
Aussi est-ce un homme tourmenté qui franchit la porte du laboratoire de technologies avancées des services du SRPJ. Durant le trajet, il avait téléphoné quatre fois chez lui pour prévenir qu'il rentrerait plus tard que prévu, expliquer qu'il avait un travail de la plus haute importance. La sonnerie avait retenti jusqu'au déclenchement du répondeur. La voix suave de Sylvia l'avait invité à laisser un message : « Nous ne sommes pas là pour le moment... » Ce n'était guère son style de s'absenter le soir sans le tenir au courant.
Éloi aurait volontiers succombé à la tentation de se rendre chez lui pour vérifier... Mais il se persuada de l'inutilité du détour. Sylvia n'était pas à la maison, elle n'y serait pas plus s'il s'y rendait. Après tout, elle avait le droit d'avoir ses soirées. D'ailleurs elle était certainement chez sa mère. C'est là qu'elle allait lorsqu'elle avait le blues. Pourtant, en général elle le prévenait. sans doute aurait-elle voulu marquer le coup. Susciter l'inquiétude dans les relations de couple était de bonne guerre, pensa-t-il. Enfin, si c'était de bonne guerre, c'était quand même la guerre et la guerre il n'aimait pas, surtout avec Sylvia.
Bon Dieu ! Il fallait qu'il se débarrasse de cette pensée qui commençait à l'obséder. Elle était chez sa mère, voilà tout. Elle devait y dormir. Quand cette affaire serait finie, il poserait quinze jours et il l’emmènerait en Italie. Là-bas, ils feraient l'amour et ils visiteraient des musées où ils verraient des tableaux avec des femmes nues qui ressembleraient à Sylvia. Il devait penser au boulot et le boulot c'était ce foutu bouquin.
À cette heure de la nuit la salle d'informatique était vide. Sans les voix qui habituellement couvraient le bruit des ordinateurs, on percevait le bourdonnement des appareils comme un essaim géant. Éloi se dirigea vers son poste de travail. Il était parvenu à se faire attribuer un ordinateur qu'aucun de ses collègues ne lui disputait jamais. Éloi avait acquis auprès d'eux une réputation d'expert, ce qui lui valait une admiration mêlée de jalousie, d'autant que ses compétences reconnues en haut lieu lui avaient valu d'être associé par le ministère à un projet de recherche sur l'informatisation des enquêtes criminelles. Pour certains, les moins jeunes, Éloi Gutenberg contribuait à gâcher un métier où les vieilles recettes, composées d'une bonne dose de flair et d'un zeste d'indics, avaient toujours produit la meilleure cuisine. Pour d'autres, il était à l'avant-garde de la police scientifique qui se devait de préférer la précision à l'approximation. Lui se situait entre les deux, s'efforçant de convaincre qui voulait l'entendre que, quel que soit le domaine, le progrès reposait sur une association subtile de l'intuition et de la science. C'est pourquoi il avait voulu demeurer, malgré les propositions de chercheur à plein temps dans un laboratoire national, un policier de terrain. En l'occurrence, il avait bien l'intention de démontrer la pertinence de sa théorie.
Tout de suite il avait saisi l'intuition de Dulouard. Ce livre recelait quelque chose qu'il se refusait à qualifier de magique. Rien n'était jamais magique. Le mystère n'est rien qu'une organisation cachée de la matière. En fait, songeait-il, le monde n'est probablement qu'un immense programme informatique. Une fois que l'on a compris cela, le reste n'est qu'une question de patience. Même ses relations avec sa femme relevaient d’un tel système. Il évoqua le visage de Sylvia, son corps qu'il aimait serrer contre le sien. De nouveau l'inquiétude. Il se ressaisit, brancha le scanner et, avec précaution, sortit le livre de sa serviette. Cette histoire de contamination lui traversa une nouvelle fois l'esprit. Et si c'était un virus qui, en imprégnant les pages, se transmettait au lecteur en lui gangrenant l'esprit. Il posa l'ouvrage sur son bureau, s'essuya machinalement les mains sur son pantalon et réalisa qu'il était seul. Il sentait au bout de ses doigts comme un picotement qui gagnait ses paumes, remontait dans ses avant-bras. Sur son front des gouttes perlaient. Son cœur s'accéléra. Était-ce le bouquin ou son angoisse à propos de Sylvia? Il lui fallut rassembler toute son énergie pour se contraindre à ouvrir le livre et le poser bien à plat sur le scanner. Il lança la lecture. L'appareil émit un léger gargouillis suivi d'un crissement qui indiquait que l'opération était en cours. Avec répugnance il reprit le livre, tourna la page. Nouveau gargouillis, nouveau crissement, et ainsi de suite jusqu'à la dernière Au début, il avait tourné chaque page d’un geste automatique, mais progressivement, s'était découvert un vrai plaisir à torturer l'ouvrage qu'il forçait à s'aplatir sur la vitre du scanner comme on terrasse un adversaire. Quand tout fut terminé, il s'empressa de le remettre dans sa serviette qu'il boucla soigneusement. La disparition de l'objet le soulagea.
Il devait désormais entamer la deuxième phase. Sur l'écran apparaissait un texte qu'il s'était jusqu'alors efforcé de ne pas regarder. Maintenant que l'ordinateur avait ingurgité le contenu sans la moindre réticence, venait à l'écran une suite de caractères ordonnés qui constituaient des mots, des phrases, une histoire. Surtout ne pas lire. Il se souvenait du geste violent de Dulouard qui avait arraché le livre des mains de son collègue. « C'est le contenu qui est dangereux... » Éloi n'était pas grand lecteur, mais il connaissait assez les livres pour les craindre. Il en avait lu certains qui avaient provoqué en lui d'intenses réactions, attisé des feux secrets, éveillé des nostalgies ou des jubilations extrêmes.
Les yeux rivés sur le clavier, il chargea le logiciel de décryptage et le lança à l'attaque du texte qu'il venait d'enregistrer. Dans les entrailles de la machine une armée silencieuse de pulsions électriques se mit à dépecer le texte. Chaque séquence, chaque phrase étaient triturées, analysées selon une multitude de clés destinées à découvrir au sein du récit une autre cohérence, comme on cherche le plan d’une ville antique enfouie sous les sédiments millénaires. Des myriades de fourmis virtuelles dévoraient la mathématique des signes qu’elles régurgitaient sous la forme de suites autrement ordonnées. Puis, comme les cristaux d’un miel laborieusement extrait, scintillèrent un à un des mots autrement disposés.
À intervalles réguliers, des phrases apparurent en surbrillance que le logiciel faisait surgir, telles des pépites arrachées au minerai noirâtre du texte d’origine. Et, tandis qu’au delà des larges baies la nuit pâlissait sous les assauts de l'aube, Éloi Gutenberg regarda, fasciné, se reconstituer inlassablement les mêmes paragraphes que le logiciel extirpait de chacun des vingt-cinq chapitres que contenait le livre. Éloi Gutenberg tenait ce qu'il lui fallait. L'imprimante avait docilement craché les feuilles et le secret avait été traqué, débusqué. Combien de victimes avait-il fait depuis qu'on l'avait enfoui dans ce grimoire au sinistre récit ? Celui qui l’avait ainsi celé entre les lignes possédait une connaissance élaborée du langage pour que seule la science informatique vienne à bout de ses effrayants projets. Ce qu'il avait découvert lui avait à ce point envahi l'esprit qu'il en avait oublié Sylvia depuis plus d'une heure. Mais alors qu'il regagnait Belmont sous les lueurs de l'aube, l'inquiétude lui revint avec la fatigue. Et si elle l’avait quitté pour de bon ? Il chassa cette pensée. Non, aujourd'hui était un grand jour. Il revenait en vainqueur, porteur d'une information qui ferait de lui une référence dans le milieu de la police. C'était une démonstration sans faille du pouvoir de l'expertise dont il était le champion. Et ça, Sylvia le comprendrait. Mieux, elle l’admirerait. Il voulut s'en persuader mais ne put endiguer l'angoisse qui mordait sa poitrine. Quelque chose lui disait que la vie sentimentale ne fonctionnait peut-être pas selon les lois infaillibles de l'informatique.
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Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Chapitre 46- question de vocabulaire
Il a fui quand l'autre a poussé son rugissement. Un instant, il a songé à lutter, mais quelque chose lui a soufflé que ce n'était pas nécessaire. Cela ne relève pas de sa mission. Il a mieux à faire. La mission, il l'a accomplie, au moins pour partie. L'assemblage d'os et de chairs qui avait pour nom Sheppard est désormais inerte. Dans la rue déserte, Ésope comprend et voit tout. Au-delà du sombre asphalte, sous ses pieds, il perçoit l'incessant tourbillon des atomes prisonniers de la matière, englués dans le goudron encore chaud de l’été. Le granit des trottoirs comme les pierres des maisons ne sont qu'un grouillement de molécules, un brasier sans flamme. Voilà bientôt deux jours qu'il n'a rien mangé. Mais l'idée même de nourriture lui est étrangère. Son énergie, il la puise au cœur vous vous ce brasier. Une volonté implacable guide ses pas. Il ne faiblira plus et lorsque le second objectif sera atteint, il pourra à son tour libérer ses propres constituants, leur permettre de rejoindre la sarabande des éléments premiers.
Il n'y avait plus à hésiter. Place à l'action. Le procureur Sylvain détestait l'impuissance dans à laquelle il était réduit depuis plusieurs jours. En écoutant Dulouard, il sentait revenir son dynamisme. On savait. Dulouard savait, donc il saurait. Et celui qui sait tient entre ses mains le moteur de l'action. L'expression était de lui. Il allait agir et vite.
« Monsieur le professeur, nous vous devons beaucoup. Sans vous, cette ville allait devenir un charnier... »
Dulouard trouva le propos excessif. Il acquiesça mollement. Sa sérénité habituelle était chancelante. Il pensait à son ami luttant contre la mort. Certes, le centre hospitalier de Belmont ne devait pas manquer de confrères expérimentés ; mais ce qui l'inquiétait, c'était l'asphyxie cérébrale. Combien de temps son cerveau avait-il été privé d’afflux sanguin ?
« Permettez-moi une question, cher professeur... »
Le cher professeur ne manqua pas de relever dans la formule une aménité inhabituelle.
« Comment avez-vous identifié le péril qui planait sur le Dr Sheppard ?
— Très simple ! Pour ne pas dire évident.
— Mais encore ? ajouta le Procureur, insatisfait de la réponse.
— Allons, cher ami, vous n’allez pas me laisser croire que vous n'avez pas fait le rapport ? insista Dulouard un peu perfide.
— Quel rapport ? »
Le ton avait changé. Le magistrat détestait les énigmes, en particulier celles dont l'évidence lui échappait. Elles constituaient une atteinte à son autorité
« Eh bien, si je vous dis « Schaefer, Patoureau, Sheppard, Lepasteur », cela ne vous éclaire pas plus ? »
On sentait le procureur au seuil de la colère, tant contre lui-même que contre la malice de l'autre. Non, manifestement il n'était pas plus éclairé.
« À part qu'il s'agit du nom des victimes, je ne vois pas. »
Dulouard insista.
« Allons, monsieur le procureur, vous n'allez pas me dire qu'un homme de votre culture n'établit pas de relation entre tous ces noms ?
— Schaefer, Patoureau, Sheppard, Lepasteur... Non, vraiment je ne vois pas, confirma monsieur Sylvain qui tout à coup se sentit redevenir l'étudiant inquiet qu'un professeur interroge.
— Voyons, Schaefer, au-delà du nom propre, cela nous vous évoque rien ?
— C'est de l'allemand.
— Bravo ! »
Décidément, ce bravo était de trop. Il voulut en faire la remarque. Trop tard. Il était bien redevenu, sous le regard amusé de Dulouard, le gamin paniqué de jadis. Il devait trouver. De l'allemand, oui, mais encore ?
« Et ça veut dire ? interrogea Dulouard de plus en plus professoral.
— Euh... Le berger ou la bergère, osa le procureur qui tentait de renouer avec ses souvenirs de lycée.
— Encore bravo !
— Et alors, ça nous avance à quoi que " Schaefer " signifie " berger " ?
— Mon cher c’est un grand pas. »
La condescendance de Dulouard devenait insupportable. Il lui fallait reprendre l’avantage.
« Et si vous cessiez, monsieur le professeur, de jouer avec mes nerfs. Vous semblez oublier que le meurtrier court encore. Si vous avez un élément déterminant, je vous somme de me le révéler. Je suis las de ce petit jeu. J'ai des décisions à prendre, moi ! »
Ce rétablissement d’une autorité vacillante aurait pu surprendre Dulouard s'il n’y avait décelé l'aveu d'une faiblesse.
« Vous avez raison, monsieur le procureur, aussi vais-je vous donner un autre indice. »
Ce n'était pas un indice que voulait monsieur Sylvain, c'était une information. Cependant, il n'était pas, comme à son habitude, en situation d'exiger. Il lui fallait se résigner à laisser Dulouard mener jusqu'au bout son manège. C'était le prix à payer pour savoir.
« Si je vous dis « Sheppard », cela vous évoque quoi ? »
Cette fois l'autre n'hésita pas. Ses lumières en anglais étaient plus vives.
« Pasteur, répondit-il comme un élève fier de son savoir, pasteur !
— Ou berger », corrigea Dulouard.
Monsieur Sylvain marqua un moment de surprise. Dulouard en profita pour enfoncer le clou :
« Alors, maintenant, cela vous parle, si vous voulez bien vous souvenir que " Patoureau " n'est autre que la déformation de " pastoureau " qui en vieux français signifie également " berger ". Quant à " Lepasteur ", pas besoin de traduire.
— Donc, les noms...
— Oui, les noms ont tous un point commun, un point commun avec la nature champêtre de votre charmante région. 7 c'est pourquoi, lorsque les deux jeunes journalistes m’ont révélé le nom de l'ancienne victime de madame Lebon, je n'ai pu m’empêcher de faire le rapport. J'ai tout de suite réalisé moi n'en ont que le Dr Sheppard était en danger... de mort. J'ai voulu immédiatement l’en aviser. Je ne croyais pas tomber si juste.
— Mais alors, se risqua le procureur, cela signifierait qu'il existe un lien entre toutes nos victimes.
— Probablement, mon cher, probablement.
— Mais lequel ?
— Le lien, c'est le livre. Qui a lu le livre est un meurtrier en puissance.
— Mais pourquoi ? C'est impossible !
— Rien n'est impossible en ce monde observa, sentencieux, le professeur. Il suffit de comprendre, voyez-vous. »
Monsieur Sylvain perçut la remarque comme un reproche.
« Qui d'autre a eu le livre ? interrogea-t-il.
— Comment voulez-vous que je le sache ? rétorqua Dulouard. Vous feriez mieux de vous interroger sur qui porte un nom en rapport avec berger. Cela vous permettrait peut-être d'arriver à temps. »
Il a fui quand l'autre a poussé son rugissement. Un instant, il a songé à lutter, mais quelque chose lui a soufflé que ce n'était pas nécessaire. Cela ne relève pas de sa mission. Il a mieux à faire. La mission, il l'a accomplie, au moins pour partie. L'assemblage d'os et de chairs qui avait pour nom Sheppard est désormais inerte. Dans la rue déserte, Ésope comprend et voit tout. Au-delà du sombre asphalte, sous ses pieds, il perçoit l'incessant tourbillon des atomes prisonniers de la matière, englués dans le goudron encore chaud de l’été. Le granit des trottoirs comme les pierres des maisons ne sont qu'un grouillement de molécules, un brasier sans flamme. Voilà bientôt deux jours qu'il n'a rien mangé. Mais l'idée même de nourriture lui est étrangère. Son énergie, il la puise au cœur vous vous ce brasier. Une volonté implacable guide ses pas. Il ne faiblira plus et lorsque le second objectif sera atteint, il pourra à son tour libérer ses propres constituants, leur permettre de rejoindre la sarabande des éléments premiers.
Il n'y avait plus à hésiter. Place à l'action. Le procureur Sylvain détestait l'impuissance dans à laquelle il était réduit depuis plusieurs jours. En écoutant Dulouard, il sentait revenir son dynamisme. On savait. Dulouard savait, donc il saurait. Et celui qui sait tient entre ses mains le moteur de l'action. L'expression était de lui. Il allait agir et vite.
« Monsieur le professeur, nous vous devons beaucoup. Sans vous, cette ville allait devenir un charnier... »
Dulouard trouva le propos excessif. Il acquiesça mollement. Sa sérénité habituelle était chancelante. Il pensait à son ami luttant contre la mort. Certes, le centre hospitalier de Belmont ne devait pas manquer de confrères expérimentés ; mais ce qui l'inquiétait, c'était l'asphyxie cérébrale. Combien de temps son cerveau avait-il été privé d’afflux sanguin ?
« Permettez-moi une question, cher professeur... »
Le cher professeur ne manqua pas de relever dans la formule une aménité inhabituelle.
« Comment avez-vous identifié le péril qui planait sur le Dr Sheppard ?
— Très simple ! Pour ne pas dire évident.
— Mais encore ? ajouta le Procureur, insatisfait de la réponse.
— Allons, cher ami, vous n’allez pas me laisser croire que vous n'avez pas fait le rapport ? insista Dulouard un peu perfide.
— Quel rapport ? »
Le ton avait changé. Le magistrat détestait les énigmes, en particulier celles dont l'évidence lui échappait. Elles constituaient une atteinte à son autorité
« Eh bien, si je vous dis « Schaefer, Patoureau, Sheppard, Lepasteur », cela ne vous éclaire pas plus ? »
On sentait le procureur au seuil de la colère, tant contre lui-même que contre la malice de l'autre. Non, manifestement il n'était pas plus éclairé.
« À part qu'il s'agit du nom des victimes, je ne vois pas. »
Dulouard insista.
« Allons, monsieur le procureur, vous n'allez pas me dire qu'un homme de votre culture n'établit pas de relation entre tous ces noms ?
— Schaefer, Patoureau, Sheppard, Lepasteur... Non, vraiment je ne vois pas, confirma monsieur Sylvain qui tout à coup se sentit redevenir l'étudiant inquiet qu'un professeur interroge.
— Voyons, Schaefer, au-delà du nom propre, cela nous vous évoque rien ?
— C'est de l'allemand.
— Bravo ! »
Décidément, ce bravo était de trop. Il voulut en faire la remarque. Trop tard. Il était bien redevenu, sous le regard amusé de Dulouard, le gamin paniqué de jadis. Il devait trouver. De l'allemand, oui, mais encore ?
« Et ça veut dire ? interrogea Dulouard de plus en plus professoral.
— Euh... Le berger ou la bergère, osa le procureur qui tentait de renouer avec ses souvenirs de lycée.
— Encore bravo !
— Et alors, ça nous avance à quoi que " Schaefer " signifie " berger " ?
— Mon cher c’est un grand pas. »
La condescendance de Dulouard devenait insupportable. Il lui fallait reprendre l’avantage.
« Et si vous cessiez, monsieur le professeur, de jouer avec mes nerfs. Vous semblez oublier que le meurtrier court encore. Si vous avez un élément déterminant, je vous somme de me le révéler. Je suis las de ce petit jeu. J'ai des décisions à prendre, moi ! »
Ce rétablissement d’une autorité vacillante aurait pu surprendre Dulouard s'il n’y avait décelé l'aveu d'une faiblesse.
« Vous avez raison, monsieur le procureur, aussi vais-je vous donner un autre indice. »
Ce n'était pas un indice que voulait monsieur Sylvain, c'était une information. Cependant, il n'était pas, comme à son habitude, en situation d'exiger. Il lui fallait se résigner à laisser Dulouard mener jusqu'au bout son manège. C'était le prix à payer pour savoir.
« Si je vous dis « Sheppard », cela vous évoque quoi ? »
Cette fois l'autre n'hésita pas. Ses lumières en anglais étaient plus vives.
« Pasteur, répondit-il comme un élève fier de son savoir, pasteur !
— Ou berger », corrigea Dulouard.
Monsieur Sylvain marqua un moment de surprise. Dulouard en profita pour enfoncer le clou :
« Alors, maintenant, cela vous parle, si vous voulez bien vous souvenir que " Patoureau " n'est autre que la déformation de " pastoureau " qui en vieux français signifie également " berger ". Quant à " Lepasteur ", pas besoin de traduire.
— Donc, les noms...
— Oui, les noms ont tous un point commun, un point commun avec la nature champêtre de votre charmante région. 7 c'est pourquoi, lorsque les deux jeunes journalistes m’ont révélé le nom de l'ancienne victime de madame Lebon, je n'ai pu m’empêcher de faire le rapport. J'ai tout de suite réalisé moi n'en ont que le Dr Sheppard était en danger... de mort. J'ai voulu immédiatement l’en aviser. Je ne croyais pas tomber si juste.
— Mais alors, se risqua le procureur, cela signifierait qu'il existe un lien entre toutes nos victimes.
— Probablement, mon cher, probablement.
— Mais lequel ?
— Le lien, c'est le livre. Qui a lu le livre est un meurtrier en puissance.
— Mais pourquoi ? C'est impossible !
— Rien n'est impossible en ce monde observa, sentencieux, le professeur. Il suffit de comprendre, voyez-vous. »
Monsieur Sylvain perçut la remarque comme un reproche.
« Qui d'autre a eu le livre ? interrogea-t-il.
— Comment voulez-vous que je le sache ? rétorqua Dulouard. Vous feriez mieux de vous interroger sur qui porte un nom en rapport avec berger. Cela vous permettrait peut-être d'arriver à temps. »
Hellian- Nombre de messages : 1858
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Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Excellent ! J'ai adoré notamment la scène à la maison de retraite.
"On pouvait voir ses lèvres égrenant à voix basse "
"On pouvait voir ses lèvres égrenant à voix basse "
Invité- Invité
Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Je partage l'avis de Socque. C'est du très bon.
je te signale deux petits trucs
chapitre 44
un mot en moins, en trop?
Chapitre 46
Il y a un 7 qui se balade ici :
A quand les chapitres suivants?
je te signale deux petits trucs
chapitre 44
un mot en moins, en trop?
ce site quoi pensez-vous que je puisse vous être utile ?
Chapitre 46
Il y a un 7 qui se balade ici :
[quote]Oui, les noms ont tous un point commun, un point commun avec la nature champêtre de votre charmante région. 7 c'est pourquoi, lorsque les deux jeunes journalistes m’ont révélé le nom de l'ancienne victime de madame Lebon, je n'ai pu m’empêcher de faire le rapport.
A quand les chapitres suivants?
Roz-gingembre- Nombre de messages : 1044
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Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
je suis évidemment très flatté de vos commentaires. je le dis sans fausse modestie: j'ai toujours des doutes (probablement comme la plupart d'entre nous, ici) sur la qualité de ce que j'écris . Aussi, compte tenu des avis plutôt élogieux qui me sont décernés jusqu'alors et qui émanent de lectrices et de lecteurs avisés, je finis par me dire que ça tient à peu près debout, mon truc.
Allez, encore un peu de patience et vous allez bientôt connaître « le terrible et fantastique dénouement »... une dizaine de chapitres et je vais finir par mon grand numéro de trapéziste avec triple saut périlleux sans filet. une fin... ! Je ne vous dis que ça...
Allez, encore un peu de patience et vous allez bientôt connaître « le terrible et fantastique dénouement »... une dizaine de chapitres et je vais finir par mon grand numéro de trapéziste avec triple saut périlleux sans filet. une fin... ! Je ne vous dis que ça...
Hellian- Nombre de messages : 1858
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Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Hellian a écrit:
Allez, encore un peu de patience et vous allez bientôt connaître « le terrible et fantastique dénouement »... une dizaine de chapitres et je vais finir par mon grand numéro de trapéziste avec triple saut périlleux sans filet. une fin... ! Je ne vous dis que ça...
ça tombe bien parce qu'on en redemande !!!
m'a l'air bien futé ce petit policier, malgré (?) ses peines de coeur...
Invité- Invité
Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
41/ je ne comprends pas que Sheppard, dans un contexte plutôt...létal depuis un certain moment, se balade en toute insouciance, sans protection ou sans arme. Mais laissons à la fiction ses droits.
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Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
41/ Le statut de doyen de la maison de retraite dedede.
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Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
41: de mémoire, j'ai souvent lu cette expression au pluriel, je ne peux pas étayer la certitude : à vérifier.
Sans autre(s) précaution(s), la surveillante ouvrit la porte.
Sans autre(s) précaution(s), la surveillante ouvrit la porte.
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Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
43/ j'aurais souhaité que Lebon s'exprime en "vous" et pas en "on".
même sous l'émotion. Cela collerait plus à sa personnalité, mais surtout à son expérience .
même sous l'émotion. Cela collerait plus à sa personnalité, mais surtout à son expérience .
Invité- Invité
Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
pandaworks a écrit:41/ je ne comprends pas que Sheppard, dans un contexte plutôt...létal depuis un certain moment, se balade en toute insouciance, sans protection ou sans arme. Mais laissons à la fiction ses droits.
Eh bien, si vous réfléchissez à la situation de Sheppard, il n'y a pas trop de raisons pour qu'il bénéficie d'une protection particulière. En fait, avec Dulouard, ils interviennent comme des « consultants de justice », sans que grand monde, hormis les autorités judiciaires,le sache.
Et puis,nous sommes à Belmont, 10 -15 000 habitants à tout casser. Ce n'est pas Bagdad.
s'il s'avère que Sheppard a besoin d'une protection, c'est pour une raison plus ... Subtile que révèle le chapitre 46...
Hellian- Nombre de messages : 1858
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Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
pandaworks a écrit:43/ j'aurais souhaité que Lebon s'exprime en "vous" et pas en "on".
même sous l'émotion. Cela collerait plus à sa personnalité, mais surtout à son expérience .
je pense que vous avez voulu écrire : s'exprime en « nous »?
Hellian- Nombre de messages : 1858
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Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
oui, bien sur. (je boite du cervelet).Hellian a écrit:je pense que vous avez voulu écrire : s'exprime en « nous »?pandaworks a écrit:43/ j'aurais souhaité que Lebon s'exprime en "vous" et pas en "on".
même sous l'émotion. Cela collerait plus à sa personnalité, mais surtout à son expérience .
Invité- Invité
Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Je ne comptais sur personne que lui pour se soucier de sa sécurité, indépendamment de la considération des autres.Hellian a écrit:Eh bien, si vous réfléchissez à la situation de Sheppard, il n'y a pas trop de raisons pour qu'il bénéficie d'une protection particulière. En fait, avec Dulouard, ils interviennent comme des « consultants de justice », sans que grand monde, hormis les autorités judiciaires,le sache.pandaworks a écrit:41/ je ne comprends pas que Sheppard, dans un contexte plutôt...létal depuis un certain moment, se balade en toute insouciance, sans protection ou sans arme. Mais laissons à la fiction ses droits.
Et puis,nous sommes à Belmont, 10 -15 000 habitants à tout casser. Ce n'est pas Bagdad.
s'il s'avère que Sheppard a besoin d'une protection, c'est pour une raison plus ... Subtile que révèle le chapitre 46...
Invité- Invité
Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
[quote="pandaworks"][quote="Hellian"]
Ah oui ! En réalité, je crois que Sheppard est un médecin de campagne délibérément naïf qui ne songe pas un instant que l'on puisse lui en vouloir. C'est une espèce de candide, finalement un peu idéaliste en dépit de ses airs moroses. Vous constaterez d'ailleurs dans le chapitre qui relate son agression, qu'il croit à peine à ce qui lui arrive.
pandaworks a écrit:41/ [b]
Je ne comptais sur personne que lui pour se soucier de sa sécurité, indépendamment de la considération des autres.
Ah oui ! En réalité, je crois que Sheppard est un médecin de campagne délibérément naïf qui ne songe pas un instant que l'on puisse lui en vouloir. C'est une espèce de candide, finalement un peu idéaliste en dépit de ses airs moroses. Vous constaterez d'ailleurs dans le chapitre qui relate son agression, qu'il croit à peine à ce qui lui arrive.
Hellian- Nombre de messages : 1858
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Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Chapitre 41
Narration descriptive pour entamer ce chapitre, c'est pas mal, ça modifie le rythme et donne une aération au texte.
Ce personnage de Monsieur Lebon est sympathique et tu l'exploites avec justesse, sans en faire trop ni trop peu. Tu n'insistes pas non plus inutilement pour en savoir plus sur le livre et parvient à faire renaître la tension avec la panique du vieillard.
Une fois de plus, tu maîtrises impeccablement le fil !
Narration descriptive pour entamer ce chapitre, c'est pas mal, ça modifie le rythme et donne une aération au texte.
Ce personnage de Monsieur Lebon est sympathique et tu l'exploites avec justesse, sans en faire trop ni trop peu. Tu n'insistes pas non plus inutilement pour en savoir plus sur le livre et parvient à faire renaître la tension avec la panique du vieillard.
Une fois de plus, tu maîtrises impeccablement le fil !
Sahkti- Nombre de messages : 31659
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Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Chapitre 42
Ha ben zut alors, pas Sheppard !! Voilà Esope transformé en fou furieux. Pfff :-)
Tu décris plutôt bien cette scène d'attaque; là non plus, tu n'en fais pas trop. Et tu relances vivement l'intérêt du lecteur!
Ha ben zut alors, pas Sheppard !! Voilà Esope transformé en fou furieux. Pfff :-)
Tu décris plutôt bien cette scène d'attaque; là non plus, tu n'en fais pas trop. Et tu relances vivement l'intérêt du lecteur!
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
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Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Chapitre 43
Ha, revoilà Lebon! Finalement, tu ne l'avais pas laissé tranquille :-) Tant mieux quelque part, ça permet de savoir.
J'ai apprécié cette alternance entre digressions narratives (même si ça tire un tout petit peu en longueur à un moment donné) et les dialogues; ça donne un rythme agréable à l'ensemble.
Perplexité et en même temps compréhension face à ce sauvetage du livre par une bibliothécaire dont la passion passe avant la volonté de punir ou de vengeance pour ce qui est arrivé à sa femme. Mais heureusement, sans quoi, pas d'histoire ! :-)
Ha, revoilà Lebon! Finalement, tu ne l'avais pas laissé tranquille :-) Tant mieux quelque part, ça permet de savoir.
J'ai apprécié cette alternance entre digressions narratives (même si ça tire un tout petit peu en longueur à un moment donné) et les dialogues; ça donne un rythme agréable à l'ensemble.
Perplexité et en même temps compréhension face à ce sauvetage du livre par une bibliothécaire dont la passion passe avant la volonté de punir ou de vengeance pour ce qui est arrivé à sa femme. Mais heureusement, sans quoi, pas d'histoire ! :-)
Sahkti- Nombre de messages : 31659
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Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Chapitre 44
« Décidément, il faudrait que j'écrive une métaphysique de la bière, se dit-il, avant d'avaler en une seule et longue lampée les quelques milliers de galaxies qui grouillaient au fond de son verre. J’appellerais ça La dernière gorgée de bière et autres angoisses majuscules… »
Hé hé hé ! :-))
Sheppard, Lepasteur... un lien se tisserait-il?
Dulouard en héros, ça change du personnage, mais pourquoi pas, ça lui donne de la stature.
Tu poursuis l'histoire révélant de ci de là quelques pistes sans trop en dire, c'est bien vu.
« Décidément, il faudrait que j'écrive une métaphysique de la bière, se dit-il, avant d'avaler en une seule et longue lampée les quelques milliers de galaxies qui grouillaient au fond de son verre. J’appellerais ça La dernière gorgée de bière et autres angoisses majuscules… »
Hé hé hé ! :-))
Sheppard, Lepasteur... un lien se tisserait-il?
Dulouard en héros, ça change du personnage, mais pourquoi pas, ça lui donne de la stature.
Tu poursuis l'histoire révélant de ci de là quelques pistes sans trop en dire, c'est bien vu.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
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Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Chapitre 45
Et hop, un nouveau personnage! Avec une histoire qui lui est propre, celle du doute et de la jalousie. Pas mal pour pimenter le récit et créer des ouvertures vers des ailleurs qui détournent l'attention du maudit bouquin.
J'apprécie qu'Eloi soit davantage obsédé par Sylvia que par le bouquin, c'est humain et aussi touchant, en quelque sorte.
Et hop, un nouveau personnage! Avec une histoire qui lui est propre, celle du doute et de la jalousie. Pas mal pour pimenter le récit et créer des ouvertures vers des ailleurs qui détournent l'attention du maudit bouquin.
J'apprécie qu'Eloi soit davantage obsédé par Sylvia que par le bouquin, c'est humain et aussi touchant, en quelque sorte.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
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Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Chapitre 46
On avance, on avance...
La suite ! :-))
On avance, on avance...
La suite ! :-))
Sahkti- Nombre de messages : 31659
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Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Sahkti a écrit:Chapitre 43
Ha, revoilà Lebon! Finalement, tu ne l'avais pas laissé tranquille :-) Tant mieux quelque part, ça permet de savoir.
J'ai apprécié cette alternance entre digressions narratives (même si ça tire un tout petit peu en longueur à un moment donné) et les dialogues; ça donne un rythme agréable à l'ensemble.
Perplexité et en même temps compréhension face à ce sauvetage du livre par une bibliothécaire dont la passion passe avant la volonté de punir ou de vengeance pour ce qui est arrivé à sa femme. Mais heureusement, sans quoi, pas d'histoire ! :-)
Sahkti, je suis pas à pas ta lecture et je dois dire que tu me fais bien plaisir. Puisssent tous mes lecteurs potentiels manifester la même ferveur que toi ! et le Da vinci code devient du pipi de chat à côté de mes gentils bergers !
Hellian- Nombre de messages : 1858
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Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Je suis très curieuse de savoir comment , des déductions de l'expert en informatique en sortira l'axiome: "Le monde n'est qu'un immense programme informatique.
Le poète Héllian se reconnaît dans sa prose d'où je ressors quelques images:
"C'est bien en hiver que l'on vit lorsqu'aucune main, jamais ne vient plus prendre la vôtre"
Ou encore:
"Une brume se leva qui devint une larme"...C'est sublime!
Le poète Héllian se reconnaît dans sa prose d'où je ressors quelques images:
"C'est bien en hiver que l'on vit lorsqu'aucune main, jamais ne vient plus prendre la vôtre"
Ou encore:
"Une brume se leva qui devint une larme"...C'est sublime!
Soliflore- Nombre de messages : 380
Age : 71
Date d'inscription : 17/02/2009
Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Ah oui, finalement. je ne m'étais pas trop rendu compte, mais sorti comme ça, c'est pas mal.Soliflore a écrit:Le poète Héllian se reconnaît dans sa prose d'où je ressors quelques images:
"C'est bien en hiver que l'on vit lorsqu'aucune main, jamais ne vient plus prendre la vôtre"
Ou encore:
"Une brume se leva qui devint une larme"...C'est sublime!
Merci Soliflore
Hellian- Nombre de messages : 1858
Age : 74
Localisation : Normandie
Date d'inscription : 14/02/2009
Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Hésitation... ça fait déjà un long moment que Le murmure des bergers me tente beaucoup... mais j'imagine le travail d'imprimante!
La solution: trouver un éditeur, faire un joli p'tit livre, et j'achète avec un immense plaisir. Ok? ^^
D'autant plus que les quelques extraits que j'ai lu m'ont vraiment mis l'eau à la bouche... brrr!!!!
La solution: trouver un éditeur, faire un joli p'tit livre, et j'achète avec un immense plaisir. Ok? ^^
D'autant plus que les quelques extraits que j'ai lu m'ont vraiment mis l'eau à la bouche... brrr!!!!
Chako Noir- Nombre de messages : 5442
Age : 34
Localisation : Neverland
Date d'inscription : 08/04/2008
Re: Le murmure des bergers (XII) - Chap 41, 42, 43, 44, 45, 46
Chapitre 42 :
« La peinture était l'une de ses passions et le propriétaire avait la le nez pour dénicher de jeunes peintres. » (p. 233)
« Juillet était maintenant bien avancé et les habitants s'étaient finalement décidé à partir en vacances. » : décidés (p. 233)
« Et voici subissant l'assaut d'un barbare. » : Il semble manquer quelque chose (« Et le voici ? ») (p. 235)
Chapitre 43 :
« Il se souvenait de sa peau frémissant sous leurs caresses, de la leur alors si douce à ses doigts, et de l'odeur des chevelures quand il y enfouissait sa tête pour poser un baiser à la naissance de leur nuque. » : la tête (p. 238)
« Les policiers l'avaient retrouvée errant dans Belmont avec du sang plein sa robe. » : la robe (p. 241)
Chapitre 44 :
« — ce site quoi pensez-vous que je puisse vous être utile ? » : deux phrases qui se sont télescopées ? (p. 244)
Chapitre 45 :
« Des myriades de fourmis virtuelles dévoraient la mathématique des signes qu’elles régurgitaient sous la forme de suites autrement ordonnées. Puis, comme les cristaux d’un miel laborieusement extrait, scintillèrent un à un des mots autrement disposés. » : redondance, mais elle est peut-être voulue ? (p. 253)
Chapitre 46 :
« Son énergie, il la puise au cœur vous vous ce brasier. » (p. 255)
« Le procureur Sylvain détestait l'impuissance dans à laquelle il était réduit depuis plusieurs jours. » (p. 256)
« 7 c'est pourquoi, lorsque les deux jeunes journalistes m’ont révélé le nom de l'ancienne victime de madame Lebon, je n'ai pu m’empêcher de faire le rapport. J'ai tout de suite réalisé moi n'en ont que le Dr Sheppard était en danger... » (p. 258)
« La peinture était l'une de ses passions et le propriétaire avait la le nez pour dénicher de jeunes peintres. » (p. 233)
« Juillet était maintenant bien avancé et les habitants s'étaient finalement décidé à partir en vacances. » : décidés (p. 233)
« Et voici subissant l'assaut d'un barbare. » : Il semble manquer quelque chose (« Et le voici ? ») (p. 235)
Chapitre 43 :
« Il se souvenait de sa peau frémissant sous leurs caresses, de la leur alors si douce à ses doigts, et de l'odeur des chevelures quand il y enfouissait sa tête pour poser un baiser à la naissance de leur nuque. » : la tête (p. 238)
« Les policiers l'avaient retrouvée errant dans Belmont avec du sang plein sa robe. » : la robe (p. 241)
Chapitre 44 :
« — ce site quoi pensez-vous que je puisse vous être utile ? » : deux phrases qui se sont télescopées ? (p. 244)
Chapitre 45 :
« Des myriades de fourmis virtuelles dévoraient la mathématique des signes qu’elles régurgitaient sous la forme de suites autrement ordonnées. Puis, comme les cristaux d’un miel laborieusement extrait, scintillèrent un à un des mots autrement disposés. » : redondance, mais elle est peut-être voulue ? (p. 253)
Chapitre 46 :
« Son énergie, il la puise au cœur vous vous ce brasier. » (p. 255)
« Le procureur Sylvain détestait l'impuissance dans à laquelle il était réduit depuis plusieurs jours. » (p. 256)
« 7 c'est pourquoi, lorsque les deux jeunes journalistes m’ont révélé le nom de l'ancienne victime de madame Lebon, je n'ai pu m’empêcher de faire le rapport. J'ai tout de suite réalisé moi n'en ont que le Dr Sheppard était en danger... » (p. 258)
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