FIGURES DE STYLE : Il avait Trooper pour bouger

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....Qu’il me traite de tout ce qu’il voudra, d’abruti de chat, de con de truc à poils, de sac à merde, même, je m’en balance. C’est trop bon. Et puis c’est de sa faute aussi ! Le deal est clair depuis que je sais miauler : tu laisses traîner, j’avale. Point. On a le fauve qu’on mérite, j’ai envie de dire.
...Oh, c’est trop bon. Faut que je me dépêche. Etre sous le meuble quand il rentre — pour qu’il mette plus de temps à me trouver ; avec un peu de chance il m’aura oublié.
...Encore, encore. Sur le côté, là. Oui, encore un peu. Si seulement mes croquettes avaient ce goût-là, j’en mangerais pas autant.
...Voilà, c’est tout propre. J’ai rien fait tomber. Peut-être qu’il ne remarquera rien. C’est pas qu’il ait l’œil fin, le moustachu, mais on n’est jamais trop prudent. Un coup de savate évité, c’est pas de refus.
...Tiens, il devrait déjà être rentré : le soleil est derrière le haut des arbres. Et la voisine a déjà allumé la télé, elle.
...Bon. C’est pas tout mais j’ai des choses à faire. ...Enfin je crois.
...Ouais, c’est pas mal, ça. J’aime bien ce canapé.
...Et après ?
...Réfléchir. Fermer les yeux parce que ça aide. ...Respirer calmement.




...Chazi Goura détestait les serrures. Mais vraiment, il les détestait. Surtout quand il avait envie de faire pipi.
...Là d’où il venait — le Lirak, comme disait la fille de la voisine du deuxième —, les gens n’avaient plus besoin de serrures : ils n’avaient plus de portes et les voleurs, ne trouvant rien à se mettre sous la dent, ne se donnaient même plus la peine de visiter les salons qui résonnaient. Les Lirakiens ne fermaient pas leurs maisons et étaient, malgré tout ce qu’on pouvait entendre, des gens heureux, il répétait à qui voulait bien l’écouter — mais personne ici ne le croyait, les infos disaient la vérité.
...Chazi, donc, n’aimait pas les serrures. Elles n’étaient à ses yeux que des saloperies inutiles, de ces saloperies qui coûtent cher et qui ne rapportent rien, des inventions grossières pour gens grossiers. En réalité, ses mains pataudes — des pavés — étaient pour beaucoup dans cette haine. Réfléchir, il savait. Les bidouilles minutieuses, ça, c’était un autre combat. Et puis ses lunettes, épaisses comme des murs, n’arrangeaient rien à l’affaire.
...— Faloperie ! il pesta en trifouillant la clé, comme si ça pouvait apaiser en quoi que ce fût sa détresse métallique.
...Il savait bien que l’énervement n’arrangeait rien à son zozotement — en plus de lui tartiner le visage de rouge brillant — mais il ne pouvait s’empêcher de se mettre dans des colères noires lorsqu’il était contrarié — et il était contrarié d’un rien. Son ancien assistant au laboratoire, le dernier en date, cette grande tige de Mossoul qui parlait avec un accent de Syrien enrhumé, en avait fait les frais et devait avoir gardé une belle facture en forme de nez tordu. Chazi avait beau être petit, il tapait fort. Et par surprise.
...Quand il entra enfin chez lui, dans son studio où même la lumière n’avait pas de place pour respirer, il laissa tomber tout son fatras et glissa vers le coin qui lui servait de cuisinette. Après une nuit pareille, il lui fallait quelque chose de fort en goût qui lui collerait les paupières au front. Mais il n’y avait plus de café et le chat avait bouffé le dernier morceau de gâteau, un truc industriel trop gras et trop sucré qu’il s’était offert à lui-même, la veille, pour son anniversaire — un truc important, donc.
...— F’est MON gâteau, falopard !
...Il aurait bien mis la main sur ledit salopard pour en faire du pâté mais le matou restait introuvable.
...— F’est pas poffible ! il gronda. T’es où ?
...Vingt ans de physique fondamentale et tous ces honneurs pour finir maboule, à croire qu’un chat pouvait peut-être, pourquoi pas, disparaître dans dix-huit mètres carrés : Goura pestait encore et encore en faisait trembler ses moustaches. Il se surprit même à ouvrir les livres qui traînaient pour vérifier que Trooper ne s’y terrait pas.
...— Viens, minou-minou, il changea brusquement de tactique. Viens voir papa, il minauda, doutant tout de même fortement du rendement de l’opération. Viens voir papa, il répéta, le sang dans les poings.
...Le chat n’était même pas sous le canapé.
...Il perdit très vite son calme apparent : un homme comme lui, incompris et pourchassé, un savant de sa trempe, un cerveau de sa taille, un prince, un Roi, un homme plus grand que Louis Quatorze peut-être, n’avait rien à faire à quatre pattes dans un taudis comme celui-ci. N’avait rien à foutre d’un chat énorme qui passait sa vie à bouffer des restes et des croquettes qui puent. Était à des années-lumière de tous les abrutis de cet immeuble qui ne trouvaient jamais rien de mieux à faire que les courses ou un petit pull à grosses mailles. Maudissait les bureaucrates hautains — et pressés de rentrer dans leur appartement qui donne sur le Parc de la Tête d’Or — de la société d’assurances où ses nuits se résumaient à trois tours de garde et deux films hébétés. Emmerdait Marek, son collègue de travail alcoolique, illettré et malodorant, et son propre travail avec. Pissait à la raie de Sécurimax, cette boîte malhonnête qui le sous-payait parce que ses diplômes étaient « inutiles ici », et aux cratères d’acné de son patron stupide.
...Il hurla.
...Il méprisait les gens qui lui parlaient , qui l’entouraient, qui le regardaient, qui l’ignoraient, qui faisaient même, pour la plupart, semblant de ne pas le connaître.
...Hé, il était celui qui avait publié l’article intitulé « Les liens électromagnétiques appliqués aux transferts de temps comme confirmation du principe d’équivalence », non ? Si. Alors. Pas comme tous ces dégénérés qui s’applaudissent d’avoir obtenu le baccalauréat et qui vont fumer de la drogue en pelotant les filles — pas mieux, les coquines. Pas comme le voisin du cinquième qui finit sa première année de prépâââ et qui rêve de devenir écrivain « pour dire comme le monde est beau », avec sa mèche savamment jetée sur le côté d’un coup de tête électrifié.
...— Zénération de retardés d’artiftes, il postillonna.
...Il avait faim. Et donc, la bouche pâteuse.




...Il ne m’a pas trouvé. Heureusement pour moi. Il a fait un peu plus de bruit que d’habitude. Il a cassé quelque chose. Je crois la télé. Et une photo en verre. J’attends encore un peu avant de descendre. On n’est jamais trop prudent. Mes pattes me font mal.
...Résister. Encore un peu. Ne pas bouger. C’est haut, ici.




...Chazi Goura n’alla pas bien loin.
Les passants avaient appelé la police — en fait, cette passante, là-bas, celle qui a le sac à mains rouge —, dérangés en pleine flânerie par ce petit bonhomme moustachu et énervé. Ce qu’ils avaient d’abord pris pour un chapeau ou un gilet roulé en boule s’était transformé, agité dans les airs par l’énergumène, en chat mort. Le type criait des choses incompréhensibles, avec un fort accent et des postillons hostiles.
...— Ze suis Louis Quatorve, il disait, ze suis Sazi le Roi et ze vous piffe au cul !
...Les gens s’étaient écartés sur son passage, de peur d’être touchés par la charogne. À vrai dire, Chazi ne faisait peur à personne. Il voyait à peine plus loin que le bout de ses sandales — les carreaux qu’il se tapait, fichtre !— et, hormis ses grosses mains qui ressemblaient à des sabots, tout semblait fragile chez lui. Un alcoolique de plus, en somme.
...— On ne peut plus être tranquilles chez nous, avait pesté une petite vieille.
...Goura avait déambulé, un peu, était surtout resté planté là, les bras dans le vent et les veines au front. Avait beuglé des histoires de chat, de gâteau, de baigneuses et, d’après Roger, le patron du magasin de chaussures au coin de la rue, d’assurance, d’alcool et de boutons.
...On n’y avait compris que dalle.
...Lorsque les hommes en bleu arrivèrent, ils essuyèrent un tir de félin crevé et une haleine pâteuse de petit nerveux. Le forcené les insulta, quelque chose avec leurs baigneuses encore, et le Rhône où ils pouvaient aller les tremper. C’est à ce moment précis que Sandrine, la buraliste, comprit qu’il voulait parler de leurs roubignoles — leurs valseuses, pas leurs baigneuses.
...— Ah le con, elle pouffa.
...Juste après quoi, on glissa l’agité de la moustache dans le panier.
...Il disparut aussi vite qu’il était venu.
...On l’oublia dans la vie du matin — courses, régés et livraisons.
...Le principe d’équivalence ? On s’en tapait sec.
...En tout cas, avec les potes, on s’en est tapé un autre à sa santé, à Quatorve.




...Ca y est, je l’entends sortir en bas.
...J’attends juste de le voir dans la cour. Quand il sera complètement parti, je pourrai descendre. C’est pas large, ici.
...Il crie encore. Il en a, des forces. Et de la colère bleue.
...NON ! NON ! IL M’A VU !
...IL REMONTE !
...Je fais quoi ?
...Oh miiiince...
...Ça fait haut....
...Tant pis.
...Je saute.

[un retard d'à peine une semaine, c'est honorable !]

J'ai adoré ! J'ai raté la paronomase, mais toute l'histoire m'a bien plu. Un registre plus âpre que d'habitude chez toi me semble-t-il, de la dérision aussi, un cocktail bien dosé. Je confirme : ça valait le coup d'attendre.

Ben mon Kazar, on tue maintenant ? des chats d'accord, mais quand même ! c pô janti ça ! Surtout que je le trouvais sympa ce greffier !
drôle et efficace, mais moi qui ne cherche pas à voir les consignes, j'en ai trouvé de saillantes ...

Un Chasi Goura à contrepied, comme on ne l'attendait pas (enfin, pas moi).
Un très bon texte Kazar, qui vit, qui rit, qui pleure.

Maudissait les bureaucrates hautains — et pressés de rentrer dans leur appartement qui donne sur le Parc de la Tête d’Or

oui :-)

Hé, me suis renseigné, hein ;-)
Ca c'est du boulot consciencieux !
(et j'espérais effectivement un mouvement de ta part ^^)
(désolé pour le UP, je le ferai plus)

Kazar pro !

là c'est moi qui UP, sans scrupules :-)

Lirak !
Le côté chasse à l'homme vécu par un chat est une réussite. J'avais l'impression d'avoir déjà lu une histoire similaire, en moins bien écrite (cher Kazar).

Les contraintes visibles le sont, les autres plus subtiles aussi.
La prépâââ chante bien.

Beaucoup aimé, kazar.
Comme dit socque, ça valait le coup d'attendre.

Pauvre Monsieur Matouvu : que les gens sont cruels avec les chats. Snif ! M'enfin, ça valait le coup de jouer les matadors des matous si c'était pour nous faire rire, nous lecteurs ! ^^

Bonsoir kazar,


je ne vais pas faire dans l'original ni le constructif mais j'ai passé un très agréable moment à te lire...

Pas mal du tout se pétage de plomb caméra au poing.

Le texte m'a remis en mémoire l'anecdote de ce footballeur parisien
(Fabrice Loko, je crois) qui avait dijoncté à sa sortie du Queen en racontant aux flics, à poil, qu'il était le personnage le plus important de france et qu'il attendait son hélicoptère.

Finement joué donc, sauf le coup des baigneuses, mais c'était pas trop facile à placer.

ça m'ennuie kazar de devoir encore faire le gronchon
mais bon !
peut mieux faire !

c'est pas perso, hein?
enfin si en fait c'est perso
c'est que je t'aime trop tu vois
je sais bien qu'avec ton sourire d'angelot, ta fraîcheur (avant le tennis) et ton enthousiasme, tu pourrais vendre n'importe quelle camelote à n'importe qui, mais voila, tu mérites mieux et nous aussi

sinon, sympa le texte :-)

Hé hé Kazar ! Pas mal de vie et de rythme dans ton texte. Peut-être une insistance un poil trop présente à mon goût sur le zozotement, mais c'est la contrainte qui veut ça, pas simple à caser avec légèreté.

Idem pour ce monologue un brin laborieux sur un savant de sa trempe qui maudit les bureaucrates hautains, un tout petit peu trop figé pour moi, question de goûts.

Si le récit du chat est bien mené au début, je trouve que ça se gâte dans la dernière partie, en particulier les lignes de fin qui n'apportent pas grand-chose à mes yeux, si ce n'est le risque d'ajouter un peu de confusion.

Bref, partagée au final. Tu écris bien, c'est agréable de te lire, mais la structure du récit ne me paraît pas totalement aboutie.

J'aime beaucoup quand on se trouve dans les pensées du chat; ça donne un dimension surréaliste à ce conte de la folie ordinaire...
Par contre le pétage de plomb de Chasi n'est pas amené de façon suffisamment explicite, c'est peut être ton ellipse remarque .
Je ne sais pas l'expliquer mais j'ai un sentiment d'inachèvement. Je ne suis pas sure d'avoir vu, de façon claire, tout le déroulement du film.
Certains assemblages de mots m'ont bien plu , donnant la note d'humour.

J'ai bien aimé le monde vu du chat, moins celui vu de Chasi. Le monologue hargneux me semble un peu long.
J'ai bien ri au début, moins à la fin.
J'ai pensé : "l'enc.. il a buté le chat", j'ai jamais tué de chat et j'aime pas qu'on tue les chats. Mais non, contrairement à Sahkti, je trouve la reprise de la fin tout à fait nécessaire : le greffier il est tombé tout seul...
Quelques très belles phrases, dont : "dans son studio où même la lumière n’avait pas de place pour respirer".

Bien failli le louper celui-là

T'étais pas un poil en boule quand tu as écrit ça?
Tu sais te mettre en colère toi?

Bon, pas mal trouvé cette zozottante chasse au chat,
quant aux baigneuses qui se transforment en valseuses, alors là, mOnsieur Kazar je ne doute pas que tu te sois un peu marré.
Finalement t'étais peut-être pas de si mauvais poil que ça.