Le tribunal des parents
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Rebecca
pierrot
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Le tribunal des parents
Le tribunal des parents. (A la Prévert.)
1er acte
Lieu: Un tribunal
Le président: Prévenu, il vous est reproché d'avoir trop aimé votre fils et - fait aggravant - de l'avoir élevé bourgeoisement. Reconnaissez vous les faits ?
L'accusé : Monsieur le Président, sans vouloir vous offenser, puis-je faire remarquer que la caractéristique de la cuisine bourgeoise est d'être simple et bonne ? Mais pour le reste, oui - bien sûr - j'ai beaucoup aimé, et j'aime d'ailleurs toujours, mon fils. Je ne savais pas qu'il ne fallait pas !
Le président : Allons vous savez bien que nul n'est censé ignorer la loi et pour ce qui nous concerne que les parents sont toujours responsables.
L'accusé (timidement): C'était mon premier enfant, Monsieur le Président.
Le président (avec un geste d'humeur) : Mais raison de plus pour être prudent ! On n'aime pas comme cela, naïvement !
L'accusé (qui visiblement ne comprend rien): Mais l'amour paternel n'est-il pas aussi naturel et instinctif que l'amour maternel ?
Le président (montant un peu le ton) : Attention, je dois vous prévenir qu'en reconnaissant vous être laissé guider par vos sentiments vous aggravez votre cas et votre dossier est déjà bien assez lourd !
L'accusé reste silencieux, la tête basse.
Le président (faisant semblant de parcourir des notes) : Il est clair que non seulement coupable de l'avoir étouffé d'affection, vous l'avez élevé en lui donnant toutes les chances possibles.
L'accusé (complètement ébahi) : ah! Il ne fallait pas non plus ?
Le président (avec un sourire condescendant): Mais enfin réfléchissez ! A se savoir tant de chances, votre fils était trop tenté de n'en saisir aucune. Si vous préférez, vous êtes responsable de son irresponsabilité.
L'accusé (qui commence à se tasser sur lui-même): Je voulais seulement son bien.
Le président : C'est justement ce qui lui a fait tant de mal ! (Puis il ajoute, visiblement désireux d'en finir) Avez-vous quelque chose à ajouter pour votre défense ?
L'accusé (croyant pouvoir saisir la balle au bond) : ah oui. Tout de même il est majeur !
Le président (dans un abîme d'ennui) : Mais la « majorité » est une invention électorale sans rapport avec la responsabilité parentale qui est à vie et qui sera d'ailleurs bientôt étendue au-delà. Bon, il faut en finir; J'ai du monde à dîner ce soir. Vous êtes reconnu coupable d'avoir trop aimé votre fils et vous êtes donc condamné à le "désaimer" en vertu de l'article 32bis du code parental.
L'accusé (plus inquiet qu'abattu) : Mais, monsieur le Président, je ne saurais pas le faire !
Le président: Et bien faites au moins semblant, par exemple en prenant vos distances.
L'accusé : Cacher mes sentiments n'est pas dans ma nature.
Le président (par trop agacé et regardant sa montre) : Les hommes comme vous sont trop dangereux, on devrait les enfermer.
L'accusé (fermant les yeux) : Oh! Oui. Oui ce serait mieux. Et ainsi je me reposerais !
Le président: C'est hélas impossible puisque vous avez d'autres enfants.
L'accusé : Justement, dois-je aussi "désaimer" les autres ?
Le président : Mais je ne sais pas, moi. Je suis là pour juger, pas pour donner des conseils. Vous avez voulu des enfants, eh! Bien débrouillez-vous en maintenant !
L'accusé : C'est vrai, je les ai voulus. Je les ai voulus très fort. Je suppose comme tous les pères, n'est ce pas ?
Le président: Les miens, si l'on peut dire, ont été voulus par ma femme. Je ne m'en suis jamais occupé et je n'en suis pas responsable.
L'accusé: Et ils vont bien ?
Le président: Je vous dis que je ne suis pas responsable.
Allez, au suivant !
2ème acte. (Même décor.)
Le président: Mais je vous reconnais ! Qu'avez vous fait cette fois ?
L'accusé : Et bien sincèrement, Monsieur le Président, je ne sais pas.
Le président: Allons, nier les faits n'est peut-être pas la meilleure défense.
L'accusé: Mais je ne cherche même plus à me défendre. Choisissez vous-même le motif d'accusation. Ma fille me reproche de ne pas m'être assez préoccupé d'elle, et mon épouse me dit au contraire que j'en ai trop fait.
Le président (haussant les épaules): Et bien c'est que vous avez deux fois tort !
L'accusé : Oui, je veux bien; Je ne suis plus à un reproche près, mais c'est tout de même contradictoire.
Le président: Mais enfin, vous n'avez pas encore compris qu'être parent c'est être responsable et donc fautif de tout, y compris d'une chose et de son contraire ?
L'accusé (humblement): Vous avez raison. Déjà avec l'aîné...
Le président: Oui Je me souviens même très bien de votre affaire. Et maintenant avec le troisième que comptez-vous faire ?
L'accusé: Là, monsieur le président, je sais. C'est très simple : Je vais faire comme je le sens et pas autrement puisque ce que je fais ne change rien !
(Se penchant vers le président, sur un ton plus bas de confidence) Et vous, Monsieur le Président, que devient votre fils ?
Le président (même jeu de scène) : Ne m'en parlez pas !
J'ai bien pris soin de ne pas me mêler de sa vie et voilà que maintenant il me le reproche. C'est un comble !
Bon, en ce qui vous concerne, je vous place sous surveillance administrative.
L'accusé : Ce qui veut dire que je vais être aidé ?
Le président (amusé): Bien sur que non! Cela ne veut en fait rien dire. Personne n'est capable de vous aider.
Pierrot
1er acte
Lieu: Un tribunal
Le président: Prévenu, il vous est reproché d'avoir trop aimé votre fils et - fait aggravant - de l'avoir élevé bourgeoisement. Reconnaissez vous les faits ?
L'accusé : Monsieur le Président, sans vouloir vous offenser, puis-je faire remarquer que la caractéristique de la cuisine bourgeoise est d'être simple et bonne ? Mais pour le reste, oui - bien sûr - j'ai beaucoup aimé, et j'aime d'ailleurs toujours, mon fils. Je ne savais pas qu'il ne fallait pas !
Le président : Allons vous savez bien que nul n'est censé ignorer la loi et pour ce qui nous concerne que les parents sont toujours responsables.
L'accusé (timidement): C'était mon premier enfant, Monsieur le Président.
Le président (avec un geste d'humeur) : Mais raison de plus pour être prudent ! On n'aime pas comme cela, naïvement !
L'accusé (qui visiblement ne comprend rien): Mais l'amour paternel n'est-il pas aussi naturel et instinctif que l'amour maternel ?
Le président (montant un peu le ton) : Attention, je dois vous prévenir qu'en reconnaissant vous être laissé guider par vos sentiments vous aggravez votre cas et votre dossier est déjà bien assez lourd !
L'accusé reste silencieux, la tête basse.
Le président (faisant semblant de parcourir des notes) : Il est clair que non seulement coupable de l'avoir étouffé d'affection, vous l'avez élevé en lui donnant toutes les chances possibles.
L'accusé (complètement ébahi) : ah! Il ne fallait pas non plus ?
Le président (avec un sourire condescendant): Mais enfin réfléchissez ! A se savoir tant de chances, votre fils était trop tenté de n'en saisir aucune. Si vous préférez, vous êtes responsable de son irresponsabilité.
L'accusé (qui commence à se tasser sur lui-même): Je voulais seulement son bien.
Le président : C'est justement ce qui lui a fait tant de mal ! (Puis il ajoute, visiblement désireux d'en finir) Avez-vous quelque chose à ajouter pour votre défense ?
L'accusé (croyant pouvoir saisir la balle au bond) : ah oui. Tout de même il est majeur !
Le président (dans un abîme d'ennui) : Mais la « majorité » est une invention électorale sans rapport avec la responsabilité parentale qui est à vie et qui sera d'ailleurs bientôt étendue au-delà. Bon, il faut en finir; J'ai du monde à dîner ce soir. Vous êtes reconnu coupable d'avoir trop aimé votre fils et vous êtes donc condamné à le "désaimer" en vertu de l'article 32bis du code parental.
L'accusé (plus inquiet qu'abattu) : Mais, monsieur le Président, je ne saurais pas le faire !
Le président: Et bien faites au moins semblant, par exemple en prenant vos distances.
L'accusé : Cacher mes sentiments n'est pas dans ma nature.
Le président (par trop agacé et regardant sa montre) : Les hommes comme vous sont trop dangereux, on devrait les enfermer.
L'accusé (fermant les yeux) : Oh! Oui. Oui ce serait mieux. Et ainsi je me reposerais !
Le président: C'est hélas impossible puisque vous avez d'autres enfants.
L'accusé : Justement, dois-je aussi "désaimer" les autres ?
Le président : Mais je ne sais pas, moi. Je suis là pour juger, pas pour donner des conseils. Vous avez voulu des enfants, eh! Bien débrouillez-vous en maintenant !
L'accusé : C'est vrai, je les ai voulus. Je les ai voulus très fort. Je suppose comme tous les pères, n'est ce pas ?
Le président: Les miens, si l'on peut dire, ont été voulus par ma femme. Je ne m'en suis jamais occupé et je n'en suis pas responsable.
L'accusé: Et ils vont bien ?
Le président: Je vous dis que je ne suis pas responsable.
Allez, au suivant !
2ème acte. (Même décor.)
Le président: Mais je vous reconnais ! Qu'avez vous fait cette fois ?
L'accusé : Et bien sincèrement, Monsieur le Président, je ne sais pas.
Le président: Allons, nier les faits n'est peut-être pas la meilleure défense.
L'accusé: Mais je ne cherche même plus à me défendre. Choisissez vous-même le motif d'accusation. Ma fille me reproche de ne pas m'être assez préoccupé d'elle, et mon épouse me dit au contraire que j'en ai trop fait.
Le président (haussant les épaules): Et bien c'est que vous avez deux fois tort !
L'accusé : Oui, je veux bien; Je ne suis plus à un reproche près, mais c'est tout de même contradictoire.
Le président: Mais enfin, vous n'avez pas encore compris qu'être parent c'est être responsable et donc fautif de tout, y compris d'une chose et de son contraire ?
L'accusé (humblement): Vous avez raison. Déjà avec l'aîné...
Le président: Oui Je me souviens même très bien de votre affaire. Et maintenant avec le troisième que comptez-vous faire ?
L'accusé: Là, monsieur le président, je sais. C'est très simple : Je vais faire comme je le sens et pas autrement puisque ce que je fais ne change rien !
(Se penchant vers le président, sur un ton plus bas de confidence) Et vous, Monsieur le Président, que devient votre fils ?
Le président (même jeu de scène) : Ne m'en parlez pas !
J'ai bien pris soin de ne pas me mêler de sa vie et voilà que maintenant il me le reproche. C'est un comble !
Bon, en ce qui vous concerne, je vous place sous surveillance administrative.
L'accusé : Ce qui veut dire que je vais être aidé ?
Le président (amusé): Bien sur que non! Cela ne veut en fait rien dire. Personne n'est capable de vous aider.
Pierrot
Re: Le tribunal des parents
Bien vu, je trouve. Une mention à "Mais enfin, vous n'avez pas encore compris qu'être parent c'est être responsable et donc fautif de tout, y compris d'une chose et de son contraire ?"
Invité- Invité
Re: Le tribunal des parents
Bien analysé. On s'y retrouve, sans doute aucun.
Et la forme est bien choisie pour renforcer le côté absurde (si parfaitement réel) de la situation.
Et la forme est bien choisie pour renforcer le côté absurde (si parfaitement réel) de la situation.
Invité- Invité
Re: Le tribunal des parents
Parent saigné, pas renseigné, parent sonné et rançonné, c'est pas rentable comme boulot, pas renversant comme situation, la parent'alité c'est pas de tout repos, même si on est pas rancunier.
Les enfants s'emparant en justice des pas renfloués , c'est un t'aime à la mode aussi.
Votre texte m'a bien amusée.
Les enfants s'emparant en justice des pas renfloués , c'est un t'aime à la mode aussi.
Votre texte m'a bien amusée.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Le tribunal des parents
C'est un texte bien agréable à lire. Amusant et sérieux à la fois. Comment parler avec légèreté de choses graves...
Plotine- Nombre de messages : 1962
Age : 82
Date d'inscription : 01/08/2009
Re: Le tribunal des parents
Merci de ces fleurs. Je n'irai donc pas en "cour d'appel" ?
Ce texte est dans un tiroir depuis longtemps. Il est de ceux que j'appelle psychiatriques et je voulais,grace à vous, savoir s'il avait une autre valeur que thérapeutique !
C'est en relisant "paroles" de Prévert que j'ai eu l'envie d'écrire ce ressenti d'un moment sous cette forme.
Ce texte est dans un tiroir depuis longtemps. Il est de ceux que j'appelle psychiatriques et je voulais,grace à vous, savoir s'il avait une autre valeur que thérapeutique !
C'est en relisant "paroles" de Prévert que j'ai eu l'envie d'écrire ce ressenti d'un moment sous cette forme.
Bravo Rebecca de ce parfait résumé !Rebecca a écrit:Parent saigné, pas renseigné, parent sonné et rançonné, c'est pas rentable comme boulot, pas renversant comme situation, la parent'alité c'est pas de tout repos, même si on est pas rancunier
Re: Le tribunal des parents
A la fois synthétique et plein d'humour, quel bon petit texte! Toutes mes félicitations, j'aurais bien aimé l'avoir écrit.
silene82- Nombre de messages : 3553
Age : 67
Localisation : par là
Date d'inscription : 30/05/2009
Re: Le tribunal des parents
"j'aurais bien aimé l'avoir écrit." Tu peux toujours imaginer le "tribunal des enfants".:-) (Les miens se sont ainsi ligués pour me répondre sous cette forme , avec une certaine drôlerie d'ailleurs mais hélas dans une forme pas assez travaillée. Travailler...ce verbe existe t'il encore ?
Re: Le tribunal des parents
Ah ben ça, zut alors ! Que se passe-t-il ? Je pense à haute voix ? Pierrot m'a mis sur écoute ? Incroyable.
Sur le texte en lui même, rien à dire sinon que sa forme théâtralisée permet de visualiser plus facilement la scène. As-tu d'autres écrits ?
Sur le texte en lui même, rien à dire sinon que sa forme théâtralisée permet de visualiser plus facilement la scène. As-tu d'autres écrits ?
bertrand-môgendre- Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007
Re: Le tribunal des parents
Le plus grand service qu'on puisse rendre à ses enfants, c'est de leur montrer qu'on a une vie en dehors d'eux...ce qui les autorisera à nous rendre la pareille. En dehors de ça, tous les reproches sont permis !
Quelle idée aussi de faire des m^omes quand il y a tant d'autres choses intéressantes à faire...des textes sur les parents, par exemple !
Quelle idée aussi de faire des m^omes quand il y a tant d'autres choses intéressantes à faire...des textes sur les parents, par exemple !
Invité- Invité
Re: Le tribunal des parents
Désolé de répondre si tardivement, mais j'étais en déplacement tous ces jours derniers.bertrand-môgendre a écrit:Sur le texte en lui même, rien à dire sinon que sa forme théâtralisée permet de visualiser plus facilement la scène. As-tu d'autres écrits ?
Oui j'ai publié ici plusieurs textes avant l'été mais les énumérer sur ce forum ferait assez prétentieux, isn'it ? ...Mais je ne résiste pas à en citer 1 : "Le cap des tempêtes" devenu mon préféré depuis qu'il a été primé:-) Voilà pour mon ego.
< Merci de répondre aux commentaires ici :
https://vosecrits.1fr1.net/forum-vos-ecrits-prose-f1/reponses-aux-commentaires-prose-t4933-920.htm ce qui évitera de faire remonter vous-même votre propre texte en haut de page au détriment de ceux des autres.
La Modération >
.
Re: Le tribunal des parents
Et bien moi je le remonte :-)
L'option théâtrale met en valeur le propos et en renforce le côté absurde; Cela permet également d'éviter la confusion dans les dialogues et la narration si une autre voie avait été choisie. Réussi sur ce point.
Réussi également sur le fond, le propos est pertinent et chacun y trouvera certainement un écho de son expérience personnelle.
L'option théâtrale met en valeur le propos et en renforce le côté absurde; Cela permet également d'éviter la confusion dans les dialogues et la narration si une autre voie avait été choisie. Réussi sur ce point.
Réussi également sur le fond, le propos est pertinent et chacun y trouvera certainement un écho de son expérience personnelle.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
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