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Le saut

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Message  Louis Dim 29 Nov 2009 - 16:45

Sur un long chemin de terre, tout au long des brumes, des silhouettes d'enfants courbées en avant vers la terre brune, trois enfants, silhouettes d'antan, courbées vers le sol creusé de leurs mains, sol de terre brune, chemin des brumes, sol mémoire creusé des lunes, enfants en mémoire, terre brune, fosse sombre et noire,

Victor, ses mains noires, enfant des lunes, Victor, tous ses efforts à creuser des trous, partout, toujours, encore, des trous, sur les tables de son école, dans les champs, dans les jardins, partout et sur le chemin, les trous, son obsession, sa déraison, des trous, des petits, des grands, partout, et sur le chemin du bord des brumes, des trous des pièges, Victor, des trous-pièges, à prendre toute vie, à prendre pour toujours, à ne jamais rendre, Victor, son idée fixe, des trous, depuis que son père pris à la vie, pris dans un trou de la mort, pris, jamais rendu, jamais revenu, Victor seul, son père sous la terre et lui seul sur la terre, alors les trous, les fosses, les gueules d'ombre, les profondeurs, toute la vie au fond, fond d'heures, les morts sans vie, et les temps morts, son père, à Victor, parti, piégé, et sur le chemin, l'idée, là, l'idée du trou de la mort, et du saut, l'idée, par-dessus la mort, avec le vélo, par dessus la fosse piège, trou, au fond la mort,

Victor et Vincent, Vincent, si enfant encore, Vincent, son enthousiasme, ses yeux innocents, son regard clair, Vincent, tout le jour, avec ses mains, ou les bouts de bois du chemin et des bouts de vie, à retourner la terre, à creuser profond, toujours plus profond, Vincent, ses cris d'enfant, son audace, son enthousiasme, sa volonté farouche à braver le danger, à braver la mort, le trou son décor, Vincent, sa témérité, sa vitalité, son énergie démesurée, Vincent plein de vie, à l'âge de tous les courages, à faire reculer toutes les limites, tous les possibles, les impossibles, de son corps en âge d'enfant, de son corps pressé d'être grand, de son corps pressé d'être géant, pour terrasser la mort, et tous les obstacles sur les chemins, tous les outrages, pour enjamber, pas de géants, bottes de mille cieux, les fosses de la mort et les faces de néant, à vaincre l'armée noire enfouie sous la terre, l'armée des démons tapis sous les pieds, sous le sol, sous la terre, à ne jamais se laisser avaler par la gueule noire grand ouverte du démon de pierres, écailles de roches, museau de fer, oeil d'enfer, puanteur du noir, odeur de ténèbres, Vincent plein de coeur, Vincent copain de Victor, Vincent et Victor,

et Marc, enfant timide, Marc, suiveur, entraîné dans l'ardeur à creuser la tombe de la peur, sur le chemin, chemin des brumes, chemin nommé Sentier Maillard, sentier des jeux, sentier de tous les retards à la maison le soir, terrain pour les jeux, de terre, de ciel, marelle où gagner le ciel en partant de la terre, un deux trois Soleil, où sauter par-dessus les traits tracés, frontières d'univers, Marc, son regard détourné de l'oeuvre noire à creuser les entrailles de la mort, ses yeux tristes posés sur Alice,
Alice, sur le chemin, sur le sentier, Alice, ses sauts à la corde, son jeu à sauter, à s'élever au-dessus du sol, à glisser une corde entre elle et la terre, à créer une sphère, une bulle, un univers, un univers avec sa corde, son mouvement rapide autour d'elle l'enveloppant, Alice et son chant, gai, son chant d'une bulle d'enfant, s'élevant juste un peu, à peine mais suffisamment, un peu au-dessus de tout,

Marc, ses yeux, presque envieux, sur Alice, si frêle, si agile, si gracile, ses sauts dans les espaces riants produits de ses chants, sauts d'Alice, et lui préparant, avec Victor, avec Vincent, sans corde ni filet, le saut de la mort, comme hurlé par Victor, le nom du défi, le saut de la mort, Marc, sur le sentier Maillard, à jouer, colin-maillard, à cache-cache avec la mort, Marc, ses yeux fuyant vers les arbres se dessinant au bord du chemin, sur le fond des brumes, au bord du chemin les arbres compagnons témoins, témoins de tous les temps d'avant et de maintenant, les arbres aux noms inconnus, des peupliers dans l'imagination de Marc, des peupliers comme un peuple, le peuple du bord des routes, le peuple compagnon des passants sur le chemin s'en allant, peuple très grand, peuple plié sur les rêves de voyages vers les lointains, peuple rassurant, plié sur les peines et les chagrins, montrant toujours le long chemin,

Victor, sur le tremplin de planches en bois dressées au bord du cratère de la mort, son bond, un saut bien haut, très haut sur son vélo, son saut réussi, son vélo posé sur le chemin en équilibre, par-dessus la mort son saut réussi, Victor pas pris, papa, pas pris, pa, deux pa, pas interdits, pas pris, réussi, sans trépas, Victor pas mort, victoire, mais, papa pas là, pas rejoint papa, mais tout proche, papa, à deux pas, Victor, jamais froid au corps, aux yeux, jamais froid comme la mort, jamais la frousse, la vie aux trousses, à détrousser toujours juste un peu d'amour,

Vincent, son élan, long, rapide, ses yeux fixés sur la bouche de terre grand ouverte, pas un tremblement, son saut, son élan, l'immense bond en avant, saut vers la vie en grand, son saut majestueux au-dessus de la fosse à néant, mais la roue arrière de son vélo, des sommets descendant, mordue par la bouche du monstre, chute de l'enfant, Vincent, sa jambe en sang, Vincent, vite debout sur son vélo, non, pas avalé par la gueule du serpent de terre, sentier Maillard, ses genoux en sang, les dents de pierre plantées dans ses jambes en sang dégoulinant, pas un cri de douleur, Vincent, trop fier, Vincent, destiné à vaincre toujours, à vaincre, Vincent, pas avalé tout cru dans le ventre de la terre à digérer les gens, à les rejeter, excréments, anus d'enfer, puanteur de noir, odeurs de ténèbres, sombre à rien, ombre à néant, Vincent en sang, debout, fier, vingt coeurs au ventre, sans peur, ignorant ses blessures, les dents de pierre dans ses jambes d'enfant, revenant, reprenant son saut, réussissant parfaitement son saut au-dessus du trou de néant, se posant en équilibre très en avant dans le temps, son regard farouche, en avant sur le chemin, Sentier Maillard, sur la vie, avançant fermement,

et Marc, tremblant, hésitant, Marc paralysé, immobile sur son vélo, pied incapable d'appuyer sur la pédale donnant mouvement en avant, vers le gouffre béant, Marc paralysé, ses yeux fixés sur la corde d'Alice, ses yeux rivés à la sphère créée par le mouvement tournant, par la corde d'Alice, enfant bondissant, sauts légers, cheveux au vent, sourire sur son visage insouciant, Marc paralysé, son corps désobéissant, ses membres tremblants, ses yeux sur Alice sautant, et les huées, les mots blessants des deux autres, Victor et Vincent, trouillard, froussard, mauviette, Marc, en arrêt deux pas en avant du trou de la mort, deux pas avant, deux pas, en avant de tout, et le chant d'Alice, sa voix, ses mots chantants, et les hurlements, trouillard, froussard, mauviette, et le peuple plié, en rang, public du long des chemins, témoin de son sang glacé, Marc, statue figée, yeux rivés sur les horizons inachevés,

Marc, longtemps, à perpétuer la faiblesse d'un moment, toujours figé, à deux pas, tout juste avant le temps, jamais passé de l'autre côté du sol crevassé, Marc pétrifié, figé dans la peur, terreur de la fosse à la mort, du trou béant emportant son courage, sa bravoure, la vie, le jour, Marc, un jour, bien des années après l'arrêt du temps, de nouveau le sol se dérobant, fosse se creusant dans le sable mouvant de sa vie, son amour, ses enfants, éloignés laissant, devant lui un trou béant, dans sa mémoire Victor et Vincent, Alice sa corde, son chant, le peuple des chemins, chemin Maillard, Marc sauta.

Louis

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Message  Invité Dim 29 Nov 2009 - 16:58

Je dirais que le texte est plus qu'à moitié réussi. Je reconnais avoir été réticente au procédé d'écriture que je trouvais trop visible, trop violent, mais il m'a happée sur la fin et j'ai été prise par l'histoire. Le dernier paragraphe, de ce point de vue, est parfait. Je me demande s'il ne serait pas intéressant, pour l'économie générale du texte, de venir peu à peu à ce mode d'écriture, de piéger plus sournoisement le lecteur qui se retrouverait peu à peu englouti par la narration... Au passage, j'ai trouvé (surtout au début) que le texte patinait un peu trop, tournait de manière trop obsessionnelle autour des idées exprimées. Mais ce degré est sans doute voulu.

Quelques remarques (cela me paraît dommage, dans un texte aussi soigné et à la narration ambitieuse, de négliger la charmante ligature !) :
« œil d'enfer »
« Vincent plein de cœur »
« son regard détourné de l'œuvre noire »
« vingt cœurs au ventre »

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Message  Invité Dim 29 Nov 2009 - 22:37

Une seule phrase. Tant de virgules et pas un seul point, sauf le point final. Et ces répétitions, sans cesse... c'est l'écriture d'un bègue ! C'est essoufflant.
J'en ai avalé 1/4 à grand peine, je n'ai pas pu continuer. Texte imbuvable pour moi. Désolée.

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Message  wald Lun 30 Nov 2009 - 11:30

Je ne sais pas si c'est par lassitude mais j'ai préféré le début et eu du mal à arriver à la fin. Le procédé (je ne sais jamais si je dois voir un procédé ou un style quand je suis confronté aux répétitions) ne m'a pas en soi dérangé, et j'ai même cru sentir des accents péguystes dans le second paragraphe. Au final j'ai aimé même si j'ai abandonné, voir si c'est votre faute ou la mienne.
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Message  Invité Lun 30 Nov 2009 - 11:46

J'éprouve un très grand respect pour ce parti pris de l'écriture hachée, haletante ; pas en général, mais ici, parce que je sens bien que chaque mot est pesé, pensé, pour évoquer un moment clé, pourtant anodin d'apparence, et ainsi provoquer une réaction chez le lecteur. Pour moi, ça marche, et même plus que ça, les évènements ainsi déclinés, la fin telle qu'on nous la donne à comprendre, le tout m'émeut ; j'ai trouvé le texte réussi : fort, courageux et beau.

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Message  Invité Lun 30 Nov 2009 - 12:38

Moi qui n'aime généralement pas les textes qui entortillent leurs phrases, j'ai été complètement prise à contre-pied par celui-ci et je le trouve très très fort, en particulier à cause des nombreuses allitérations qui donnent du " coulant" et permettent à cet enchevêtrement de ne pas " bouchonner", à cause également de la façon très subtile de ne dire que ce qui est autour. Cela crée une image en creux , qui fait comme un appel d'air pour nos imaginations.
Une belle réussite ,Louis, je salue plume au sol !

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Message  Rebecca Lun 30 Nov 2009 - 18:49

J'adore cette écriture à spirales et à sublimes envolées le tout conçu autour d'un trou, qu'il faut franchir vaille que vaille, quelle trouvaille!

C'est l'écriture de quelqu'un qui fait défiler un fil , un film, pellicule sepia avec du grain, décor unique, trois personnages, avec travellings avant, latéral, gros plan, plan moyen, flash back, saut dans le futur et puis la bande son comme une mélopée insidieuse et efficace.
Silence, on saute, vélo, action.
Rebecca
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Message  Sahkti Ven 16 Avr 2010 - 15:17

Evidemment, si on mêle les longues phrases, les jeux sur les sonorités, les retours en arrière en forme d'échos, les images qui se donnent avant de mieux repartir... je ne peux qu'être conquise.
Cette manière de faire, poétique et sylée, permet d'amener la trame du récit sans difficulté, captant l'attention du lecteur sans pour autant le griser par des effets stériles. Non, rien de cela, la forme ne nuit pas au fond, elle le complète au contraire, entraînant les uns et les autres dans un tourbillon de mots qui correspondent à autant d'émotions. C'est vraiment superben merci Louis !
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Message  Ba Ven 16 Avr 2010 - 16:14

Pas d'autres mots que " essoufflements " de la course au vide.Un Godard brisé.
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