Considération esthétique en cabinet de curiosités
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Plotine
Ba
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Considération esthétique en cabinet de curiosités
- Veuillez vous donner la peine d’entrer, madame.
- Merci docteur
- Alors ?
- Alors.
- Je vois bien que vous avez du mal à trouver les mots
- En effet docteur, en effet , « du mal » est bien le terme approprié.
- Voulez-vous que nous procédions à l’oscultation d’usage ?
- Je ne trouve rien à redire.
- Bon, commençons donc par le…
- Le commencement (sourire coincé sur des gencives noires)...Comme vous l’avez remarqué le problème naît avec le sourire.
- Ce ne sont pas quelques gencives noires qui vont gâter l’expression de votre moi ?
- Si, docteur, si. Imaginez-moi deux minutes dans une réunion au sommet : j’ai terminé ma prise de parole, le public applaudit, se lève, salue ma prestation. J’incline la tête comme ceci (chute de pellicules sur le col roulé anthracite) et souris (à nouveau un grand trait sur le visage haché)
- (reculant) Effectivement.
- Vous-même
- Moi-même, je l’avoue, prisonnier de la pensée platonique sur la beauté. Ah, pardonnez ce mouvement !
- Et je suis encore vierge docteur…encore…
- (à part) Quoi de surprenant…
- Vous dites ?
- Il faut faire quelque chose, madame, quelque chose de très important.
- Par exemple ?
- (hésitant) Permettez que je fouille dans mes archives. (Il se lève, et d’un pas mécanique se dirige vers un secrétaire à tiroirs multiples et secrets) Voilà, j’ai trouvé ! L’ennui c’est que vous allez devoir venir chercher le document car je ne puis me rasseoir avant deux heures.
- ?
- Mes jambes en carbone sont limitées d’usage. Deux fois par jour je puis rester debout. Et c’était la deuxième fois.
- Vous m’en voyez navrée docteur.
- Pas autant que moi, madame.
- (elle se lève à son tour, prend le dossier que lui tend le médecin) « Cas n°26325, X modelage facial suite à morsures d’un amant jaloux.
- Quel rapport avec mes gencives, mes cheveux, ma mâchoire inférieure et mes oreilles décollées ?
- C’est une piste, madame, c’est une piste. Il faudra changer également la couleur de vos yeux grenouille et la peau de vos mains.
- Mes « yeux grenouille » ?
- « Grenouille », madame, « grenouille » la plus immonde qui soit. Ce n’est pas tant la coloration que le reflet glauque de votre regard, une sorte de vase touillée.
- Permettez docteur, vous y allez un peu fort !
- Un peu fort ? Mais vous vous êtes vue ?
- (piquée au vif) Tous les jours !
- Il faut croire madame, que les miroirs « mentent » plus sournoisement qu’il est dit dans les manuels !
- Je ne vous permets pas !
- Ah, et depuis quand le client est-il roi ? Je me permets madame, je me permets de vous livrer le fond de ma pensée au nom de l’esthétique ! Croyez-moi, il faut tout refaire. Tout ! (il titube, on entend le craquement du genou gauche) Merde. Appelez ma secrétaire.
- N’y comptez pas, monsieur. Si vous croyez que la « grenouille » va se déplacer pour vous, vous vous fourrez le doigt…
- Les mots ont dépassé ma pensée (nouveau grincement)
- Et de loin, monsieur, de loin, à tel point qu’ils ont pris un virage en épingle à chevaux
- Cheveux
- Si vous voulez, sachez que vous m’avez blessée
- Je m’en excuse, mais je vous en prie allez chercher ma…( grincement plus sinistre que le précédent) si je reste trop longtemps debout le carbone s’émiette.
- Vous êtes le mieux placé pour les ramasser !
- Qui ?
- Les miettes ! (elle sort)
A partir de cet instant crucial tout va s’accélérer. Comme nous sommes omniscients, nous allons pouvoir entrer dans les différents lieux : dans le cabinet, à terre le docteur et ses jambes en poudre ; à l’extérieur la cliente souriant, de toutes ses dents et ses oreilles battant pavillon noir, à la secrétaire plongée derrière son écran plat qui ne verra rien bien sûr. Va-t-elle payer sa consultation ? Non, elle profitera de l’entrée du facteur pour se glisser sur le palier.
La seule question que pourrait se poser un lecteur intéressé par ce cas serait : « va-t-elle ou non rester vierge ? »
Terrible question.
Terrible.
- Merci docteur
- Alors ?
- Alors.
- Je vois bien que vous avez du mal à trouver les mots
- En effet docteur, en effet , « du mal » est bien le terme approprié.
- Voulez-vous que nous procédions à l’oscultation d’usage ?
- Je ne trouve rien à redire.
- Bon, commençons donc par le…
- Le commencement (sourire coincé sur des gencives noires)...Comme vous l’avez remarqué le problème naît avec le sourire.
- Ce ne sont pas quelques gencives noires qui vont gâter l’expression de votre moi ?
- Si, docteur, si. Imaginez-moi deux minutes dans une réunion au sommet : j’ai terminé ma prise de parole, le public applaudit, se lève, salue ma prestation. J’incline la tête comme ceci (chute de pellicules sur le col roulé anthracite) et souris (à nouveau un grand trait sur le visage haché)
- (reculant) Effectivement.
- Vous-même
- Moi-même, je l’avoue, prisonnier de la pensée platonique sur la beauté. Ah, pardonnez ce mouvement !
- Et je suis encore vierge docteur…encore…
- (à part) Quoi de surprenant…
- Vous dites ?
- Il faut faire quelque chose, madame, quelque chose de très important.
- Par exemple ?
- (hésitant) Permettez que je fouille dans mes archives. (Il se lève, et d’un pas mécanique se dirige vers un secrétaire à tiroirs multiples et secrets) Voilà, j’ai trouvé ! L’ennui c’est que vous allez devoir venir chercher le document car je ne puis me rasseoir avant deux heures.
- ?
- Mes jambes en carbone sont limitées d’usage. Deux fois par jour je puis rester debout. Et c’était la deuxième fois.
- Vous m’en voyez navrée docteur.
- Pas autant que moi, madame.
- (elle se lève à son tour, prend le dossier que lui tend le médecin) « Cas n°26325, X modelage facial suite à morsures d’un amant jaloux.
- Quel rapport avec mes gencives, mes cheveux, ma mâchoire inférieure et mes oreilles décollées ?
- C’est une piste, madame, c’est une piste. Il faudra changer également la couleur de vos yeux grenouille et la peau de vos mains.
- Mes « yeux grenouille » ?
- « Grenouille », madame, « grenouille » la plus immonde qui soit. Ce n’est pas tant la coloration que le reflet glauque de votre regard, une sorte de vase touillée.
- Permettez docteur, vous y allez un peu fort !
- Un peu fort ? Mais vous vous êtes vue ?
- (piquée au vif) Tous les jours !
- Il faut croire madame, que les miroirs « mentent » plus sournoisement qu’il est dit dans les manuels !
- Je ne vous permets pas !
- Ah, et depuis quand le client est-il roi ? Je me permets madame, je me permets de vous livrer le fond de ma pensée au nom de l’esthétique ! Croyez-moi, il faut tout refaire. Tout ! (il titube, on entend le craquement du genou gauche) Merde. Appelez ma secrétaire.
- N’y comptez pas, monsieur. Si vous croyez que la « grenouille » va se déplacer pour vous, vous vous fourrez le doigt…
- Les mots ont dépassé ma pensée (nouveau grincement)
- Et de loin, monsieur, de loin, à tel point qu’ils ont pris un virage en épingle à chevaux
- Cheveux
- Si vous voulez, sachez que vous m’avez blessée
- Je m’en excuse, mais je vous en prie allez chercher ma…( grincement plus sinistre que le précédent) si je reste trop longtemps debout le carbone s’émiette.
- Vous êtes le mieux placé pour les ramasser !
- Qui ?
- Les miettes ! (elle sort)
A partir de cet instant crucial tout va s’accélérer. Comme nous sommes omniscients, nous allons pouvoir entrer dans les différents lieux : dans le cabinet, à terre le docteur et ses jambes en poudre ; à l’extérieur la cliente souriant, de toutes ses dents et ses oreilles battant pavillon noir, à la secrétaire plongée derrière son écran plat qui ne verra rien bien sûr. Va-t-elle payer sa consultation ? Non, elle profitera de l’entrée du facteur pour se glisser sur le palier.
La seule question que pourrait se poser un lecteur intéressé par ce cas serait : « va-t-elle ou non rester vierge ? »
Terrible question.
Terrible.
Ba- Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009
Re: Considération esthétique en cabinet de curiosités
Autre terrible question : quand va-t-elle se décider à écrire une pièce de théâtre complètement déjantée qui fera courir le tout Paris, notre Ionesco à nous ?
Plotine- Nombre de messages : 1962
Age : 82
Date d'inscription : 01/08/2009
Re: Considération esthétique en cabinet de curiosités
Ba, j'en lirais des heures des comme ça
c'est jouissif
c'est jouissif
Re: Considération esthétique en cabinet de curiosités
Tu aurais même pû écrire osculptation !
Mais bien vu : " Ionesco", Plotine !
Mais bien vu : " Ionesco", Plotine !
Invité- Invité
Re: Considération esthétique en cabinet de curiosités
Beaucoup aimé également
(ça m'a rappelé un peu Jonjon dans ses scènettes ? même si très différent)
(ça m'a rappelé un peu Jonjon dans ses scènettes ? même si très différent)
Re: Considération esthétique en cabinet de curiosités
Un texte en noir et blanc !
La dame, elle, a le sourire aussi noir que l’humour du texte.
Le noir est la teinte dominante : gris-noir anthracite du col roulé de la dame ; pavillon noir de ses oreilles ; noir carbone des jambes du docteur).
Mais il y a le blanc que l’on ne voit pas immédiatement : la dame est vierge ! Immaculée !
Le paradoxe est que le noir est cause de la blanche virginité de la dame !
Rien n’est ici en couleur. Pas même les yeux de la dame aux reflets vase touillée.
La dame vaseuse voudrait se refaire, se donner une apparence nouvelle, une contenance. Il faudrait la changer en entier, c’est l’homme en miettes, le médecin, qui le dit !
C’est une histoire qui ne tient pas debout, qui ne marche pas, comme le médecin, comme souvent les situations vécues.
Je suppose que le mot « oscultation » est écrit volontairement dans cette orthographe. Le médecin voue un culte aux os ! Lui dont les os des jambes sont brisés, pulvérisés !
Terrible question finale, en effet ! Va-t-elle perdre le seul côté blanc qui est en elle ? Et la noirceur qui lui est liée ? Va-t-elle trouver oui, ou non, les couleurs du sexe ?
Surprenant et agréable dialogue, Ba.
La dame, elle, a le sourire aussi noir que l’humour du texte.
Le noir est la teinte dominante : gris-noir anthracite du col roulé de la dame ; pavillon noir de ses oreilles ; noir carbone des jambes du docteur).
Mais il y a le blanc que l’on ne voit pas immédiatement : la dame est vierge ! Immaculée !
Le paradoxe est que le noir est cause de la blanche virginité de la dame !
Rien n’est ici en couleur. Pas même les yeux de la dame aux reflets vase touillée.
La dame vaseuse voudrait se refaire, se donner une apparence nouvelle, une contenance. Il faudrait la changer en entier, c’est l’homme en miettes, le médecin, qui le dit !
C’est une histoire qui ne tient pas debout, qui ne marche pas, comme le médecin, comme souvent les situations vécues.
Je suppose que le mot « oscultation » est écrit volontairement dans cette orthographe. Le médecin voue un culte aux os ! Lui dont les os des jambes sont brisés, pulvérisés !
Terrible question finale, en effet ! Va-t-elle perdre le seul côté blanc qui est en elle ? Et la noirceur qui lui est liée ? Va-t-elle trouver oui, ou non, les couleurs du sexe ?
Surprenant et agréable dialogue, Ba.
Louis- Nombre de messages : 458
Age : 69
Date d'inscription : 28/10/2009
Re: Considération esthétique en cabinet de curiosités
J'adore la progression du burlesque, la montée en puissance de l'absurde.
Je verrais bien une sorte de prince charmant sur le palier, au cou duquel elle saute, profitant d'une panne de la minuterie ... C'est très à la mode les baisers échangés avec des grenouilles
http://www.closermag.fr/actualite/view/152613/Histoires-Vecues/Dernieres-News/Si-vous-recherchez-le-prince-charmant-n-embrassez-pas-les-grenouilles
Pourquoi ne pas inverser les rôles ?
Je verrais bien une sorte de prince charmant sur le palier, au cou duquel elle saute, profitant d'une panne de la minuterie ... C'est très à la mode les baisers échangés avec des grenouilles
http://www.closermag.fr/actualite/view/152613/Histoires-Vecues/Dernieres-News/Si-vous-recherchez-le-prince-charmant-n-embrassez-pas-les-grenouilles
Pourquoi ne pas inverser les rôles ?
Re: Considération esthétique en cabinet de curiosités
Délicieusement ionescque. Le dialogue du tout début m'a fait peur le temps de le lire, je me doutais bien que Ba à l'imagination débridée mais maîtrisée n'allait pas en rester là.
Invité- Invité
Re: Considération esthétique en cabinet de curiosités
Mon grand sourire du jour !
Ba, quel talent, je le répète à chaque texte de toi mais de bleu que c'est vrai !
Entre rire et gravité, tu donnes naissance à des personnages et à des scènes absolument ahurissants et ça n'est pas donné à tout le monde de maintenir le rythme aussi enjoué du début à la fin, sans créer de confusion ni de lourdeur. bravo donc !
Ba, quel talent, je le répète à chaque texte de toi mais de bleu que c'est vrai !
Entre rire et gravité, tu donnes naissance à des personnages et à des scènes absolument ahurissants et ça n'est pas donné à tout le monde de maintenir le rythme aussi enjoué du début à la fin, sans créer de confusion ni de lourdeur. bravo donc !
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
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