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Ténèbres

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Message  ubikmagic Lun 25 Jan 2010 - 22:40

... Le ciel avait viré au gris foncé. L’orage menaçait. Les feuilles d’arbres tournoyaient, agitées par un coup de vent brusque. Dans la rue, les gens se pressaient, rabattaient le col de leurs manteaux. Je frissonnai à nouveau.
Les personnes que nous croisions marchaient d’un pas vif, happées par mille et une préoccupations, pressées sans doute de rentrer chez elles, au chaud. Ernst nous faisait presque courir. Il voulait absolument arriver à temps, ne pas rentrer bredouille.
Ce retour dans le monde réel, normal, me dégrisa. Je suivais le peintre, haletant sous l’effort, la tête parcourue d’élancements migraineux. J’en gémissais presque de douleur. Mais il n’était pas question de se laisser distancer. Je forçai l’allure. Ernst, excité, marchait devant, les pans de son imperméable douteux soulevés par les bourrasques. Il me parlait, cependant je ne comprenais pas tout ce qu’il disait, à cause du bruit de la circulation, mais aussi de son débit saccadé, hystérique.
Enfin, nous arrivâmes devant une petite échoppe, située dans un renfoncement. Pour y accéder, il fallait descendre trois marches. La grille était déjà baissée d’un bon tiers, la lumière éteinte. Ernst tambourina à la porte, insistant jusqu’à ce qu’on vint lui ouvrir.
C’était un vieil homme, une kippa sur le crâne, longue barbe grise, qui se présenta en robe de chambre. Apparemment, il s’apprêtait à dîner. Il avait déjà noué une serviette autour de son cou, qu’il entreprit de défaire lentement. Dans le fond, une sorte de recoin était faiblement éclairé. Par la porte entrebâillée, on devinait une petite table, une assiette de soupe, un quignon de pain. Un gramophone tournait, répandant une mélopée triste, à moitié assourdie, entrecoupée de crachotements, de parasites. L’homme vint nous ouvrir en traînant les savates ; il faisait une mine contrariée, visiblement mécontent d’être ainsi importuné. Toutefois, quand il reconnu Ernst, il lui adressa un sourire cordial :
- Ah, c’est vous. Comment va ? Et ce tableau, ça avance ?
- Oui, justement. Vous avez encore du jaune de Naples et du bleu de Prusse ?
- Je pense que oui. Suivez-moi. Nous allons voir si on peut vous arranger.
Dans la pénombre qui grandissait, il mit à fouiller ses tiroirs. Un comptoir aux innombrables taches fut en quelques instants recouvert de tubes, parmi lesquels les doigts graciles du vieil homme pianotaient, tandis que sa voix fluette vantait les mérites de tel ou tel pigment, de composés chimiques dont j’entendais le nom pour la première fois : cadmium, zinc, titane, cobalt… Indifférent à ce bavardage, Ernst fourrageait nerveusement parmi les teintes, comme pris d’une fièvre désordonnée, manifestement désireux de retourner chez lui, pour retrouver sa transe créatrice. Le vieux commerçant faisait comme si de rien n’était et continuait son exposé. Il caquetait incessamment et m’exaspérait, j’avais si mal au crâne... Je jetai un coup d’œil aux alentours :
Les rayonnages en bois étaient pour la plupart encombrés de bocaux poussiéreux, parmi lesquels se faufilaient les souris, profitant de l’obscurité. Je les entendais trottiner, pousser de petits cris. La salle était basse de plafond, une vilaine ampoule pendait au milieu, que pour l’instant personne n’allumait, alors qu’on n’y voyait goutte. Comment pouvaient-ils palabrer ainsi, à propos de couleurs, dans cette nébulosité crasseuse, disserter sur l’éclat, le scintillement, la tenue ou la transparence des coloris ? La conversation devenait absurde, complètement abstraite, presque ésotérique. Je commençais à en avoir marre et j’avais envie de partir. Je me demandai ce que Franz aurait pensé de tout ça. Comme je le connaissais, il en aurait probablement déduit que le vieux Juif faisait exprès de ne pas utiliser la lumière, comptant sur la précipitation d’Ernst pour liquider des produits de qualité moyenne, que personne n’aurait jamais achetés en plein jour. Je m’avançai vers l’interrupteur, mais les ténèbres ne refluèrent pas ; le commerçant m’expliqua qu’hélas, le courant ne marchait plus, depuis la veille. Il reprit sa conversation avec Ernst ; il en était maintenant à lui parler d’un noir aux reflets argentés, qui conviendrait peut-être pour la calandre et le pare-choc de sa voiture. Ernst hésitait : l’appliquer, cela voulait dire recommencer toute une partie de la composition, qui était presque achevée. Et puis, cette grosse plage foncée, même si elle s’accompagnait de chatoiements métalliques, n’allait-elle pas assombrir, alourdir l’ensemble, le rendre moins attractif ?
Le tube coûtait deux Marks. C’était cher, d’autant qu’il était plus petit que les autres. C’était un produit nouveau, un peu révolutionnaire, qu’on expérimentait à peine. Ernst tournait, virait, j’avais envie de lui dire de se décider, d’en finir. J’étais à deux doigts de demander au vendeur s’il n’aurait pas un peu d’aspirine, mais je n’osais pas. A la fin, le peintre, qui semblait proche de l’apoplexie, se résolut sur un mouvement d’humeur. Il s’empara convulsivement de l’objet, fourra quelques pièces dans la main du vieil homme. En un instant l’affaire fut conclue. Nous gagnâmes la sortie. Le commerçant ferma la porte à clé et, à l’aide d’une manivelle, il fit descendre le restant de grille, pressé de rejoindre le fond de la boutique pour finir son souper.

Dehors à nouveau. Cette fois-ci, il faisait presque nuit. L’esprit ailleurs, déjà en train d’appliquer ses coups de brosse, Ernst reprit la route de son domicile, ses précieuses fournitures à la main, serrées dans ses paumes, comme s’il avait capturé un moineau et voulait l’empêcher de s’échapper. Constatant qu’il avait oublié jusqu’à mon existence, je décidai d’en faire autant, de regagner mes pénates, le 8 Bertastrasse, où on m’attendait sans doute.


Bien évidemment, devant mon absence, Mutti s’était inquiétée. Elle me gronda mais je n’en avais cure. Je lui répondis avec lassitude ; une immense fatigue s’étant emparée de moi. Etait-ce, là encore, un effet du vin ? Je n’aspirais plus qu’à me coucher, me laisser emporter par un sommeil cotonneux, plonger dans mon lit.
Parfois, il m’arrivait d’imaginer que le matelas ne constituait pas tant une masse élastique qu’un point de passage vers un autre monde. Non pas un drap, mais la surface d’un liquide spécial, chargé en oxygène, où on ne pouvait se noyer ; je rêvais m’y enfoncer, en une stase bienheureuse. Toute pesanteur abolie, j’aurais flotté la tête en bas, au chaud, nageant dans les profondeurs de cet univers inconnu, dans un état fœtal, harmonieux, que rien ne serait venu troubler. C’était un jeu que j’affectionnais particulièrement, qui m’aidait à me calmer, à me détendre.
Ce soir-là, je souhaitais me perdre de cette façon, oublier non seulement Ernst et ses peintures malades, mais aussi Franz, mes parents, tout le monde. Je me réfugiai dans ma chambre mais même là, le repos tardait à venir. J’étais comme à vif. Il me semblait que les ressorts du sommier traversaient la toile pour tenter de me griffer. J’entendais le vent agiter les feuilles. Les branchages frottaient contre le toit. Mille et une peccadilles venaient me tourmenter, mettant mon esprit à la torture, qu’en temps normal je n’aurais pas remarquées. Ida prenait le bain, elle chantonnait dans la baignoire sabot, et j’avais envie d’aller lui faire manger le savon, lui enfoncer la tête sous l’eau, la réduire au silence.
Je pressai les mains de toutes mes forces contre mes oreilles. Je gémissais, et un filet de bave se formait au coin de mes lèvres. J’avais l’impression que toute la chambre, l’univers entier tournait. Par la fenêtre, une vague lueur venait éclairer les meubles et je les voyais à la fois se déplacer, et rester immobiles. Ils tressautaient, faisaient du sur place, rongeant leur frein. On aurait dit qu’ils me défiaient, se moquaient de moi. Malgré leur air faussement tranquille, dès que je fermerais l’œil, ils entreprendraient une sarabande endiablée, sautant sur leurs pieds camus, claquant de leurs portes, de leurs tiroirs, répandant vêtements et chaussures. Je me sentais barbouillé ; le vin me remontait, acide, brûlant mon œsophage. Je restais ainsi, comme un papillon punaisé au fond d’une boite, à regarder stupidement le plafond. La grande étendue lisse me rassurait. Même si elle était agitée de remous, comme il n’y avait pas de détails pour accrocher la vue, c’était moindre mal.

C’est ainsi que je finis par m’endormir, après une interminable attente.
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Message  demi-lune Lun 25 Jan 2010 - 23:02

petits détails d'oublis orthographiques :
Toutefois, quand il reconnut Ernst, il lui adressa un sourire cordial :
Dans la pénombre qui grandissait, il se mit à fouiller ses tiroirs.
Sur la forme :
La conversation devenait absurde, complètement abstraite, presque ésotérique. Je commençais à en avoir marre et j’avais envie de partir
Tu vas me dire que c'est voulu mais moi ça me fait drôle de voir "ésotérique" voisiner avec "en avoir marre" dans la bouche de ce garçon...
le rendre moins attractif ?
attractif : un anglicisme dont je ne suis pas fana...

A part ça, toujours très plaisant, les sensations éprouvées par l'enfant dans son lit sentent le vécu, je me trompe ?
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Message  Invité Lun 25 Jan 2010 - 23:18

Excellent ! Les sensations du narrateur sonnent très vraies.

Mes remarques :
« insistant jusqu’à ce qu’on vînt (ou « vienne », en tout cas il faut un subjonctif) lui ouvrir »
« Toutefois, quand il reconnut Ernst »
« il (se ?) mit à fouiller ses tiroirs »
« je rêvais (de ?) m’y enfoncer »
« un papillon punaisé au fond d’une boîte »

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Message  Invité Lun 25 Jan 2010 - 23:18

"très vrai", pardon.

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Message  ubikmagic Lun 25 Jan 2010 - 23:33

( Ce texte remplace le précédent, si le modérateur veut bien opérer le tour de passe-passe nécessaire... merci ).


... Le ciel avait viré au gris foncé. L’orage menaçait. Les feuilles d’arbres tournoyaient, agitées par un coup de vent brusque. Dans la rue, les gens se pressaient, rabattaient le col de leurs manteaux. Je frissonnai à nouveau.
Les personnes que nous croisions marchaient d’un pas vif, happées par mille et une préoccupations, pressées sans doute de rentrer chez elles, au chaud. Ernst nous faisait presque courir. Il voulait absolument arriver à temps, ne pas rentrer bredouille.
Ce retour dans le monde réel, normal, me dégrisa. Je suivais le peintre, haletant sous l’effort, la tête parcourue d’élancements migraineux. J’en gémissais presque de douleur. Mais il n’était pas question de se laisser distancer. Je forçai l’allure. Ernst, excité, marchait devant, les pans de son imperméable douteux soulevés par les bourrasques. Il me parlait, cependant je ne comprenais pas tout ce qu’il disait, à cause du bruit de la circulation, mais aussi de son débit saccadé, hystérique.
Enfin, nous arrivâmes devant une petite échoppe, située dans un renfoncement. Pour y accéder, il fallait descendre trois marches. La grille était déjà baissée d’un bon tiers, la lumière éteinte. Ernst tambourina à la porte, insista tant et plus. A la fin, une ombre se glissa derrière la vitre sale.
C’était un vieil homme, une kippa sur le crâne, longue barbe grise, qui se présenta en robe de chambre. Apparemment, il s’apprêtait à dîner. Il avait déjà noué une serviette autour de son cou, qu’il entreprit de défaire lentement. Dans le fond, une sorte de recoin était faiblement éclairé par une modeste bougie. Par la porte entrebâillée, on devinait une petite table, une assiette de soupe, un quignon de pain. Un gramophone tournait, répandant une mélopée triste, à moitié assourdie, entrecoupée de crachotements, de parasites. L’homme vint nous ouvrir en traînant les savates ; il faisait une mine contrariée, visiblement mécontent d’être ainsi importuné. Toutefois, quand il reconnut Ernst, il lui adressa un sourire cordial :
- Ah, c’est vous. Comment va ? Et ce tableau, ça avance ?
- Oui, justement. Vous avez encore du jaune de Naples et du bleu de Prusse ?
- Je pense que oui. Suivez-moi. Nous allons voir si on peut vous arranger.
Dans la pénombre qui grandissait, il se mit à fouiller ses tiroirs. Un comptoir aux innombrables taches fut en quelques instants recouvert de tubes, parmi lesquels les doigts graciles du vieil homme pianotaient, tandis que sa voix fluette vantait les mérites de tel ou tel pigment, de composés chimiques dont j’entendais le nom pour la première fois : cadmium, zinc, titane, cobalt… Indifférent à ce bavardage, Ernst fourrageait nerveusement parmi les teintes, comme pris d’une fièvre désordonnée, manifestement désireux de retourner chez lui, pour retrouver sa transe créatrice. Le vieux commerçant faisait comme si de rien n’était et continuait son exposé. Il caquetait incessamment et m’exaspérait, j’avais si mal au crâne... Je jetai un coup d’œil aux alentours :
Les rayonnages en bois étaient pour la plupart encombrés de bocaux poussiéreux, parmi lesquels se faufilaient les souris, profitant de l’obscurité. Je les entendais trottiner, pousser de petits cris. La salle était basse de plafond, une vilaine ampoule pendait au milieu, que pour l’instant personne n’allumait, alors qu’on n’y voyait goutte. Comment pouvaient-ils palabrer ainsi, à propos de couleurs, dans cette nébulosité crasseuse, disserter sur l’éclat, le scintillement, la tenue ou la transparence des coloris ? La conversation devenait absurde, complètement abstraite, presque ésotérique. Je commençais à en avoir assez et j’avais envie de partir. Je me demandai ce que Franz aurait pensé de tout ça. Comme je le connaissais, il en aurait probablement déduit que le vieux Juif faisait exprès de ne pas utiliser la lumière, comptant sur la précipitation d’Ernst pour liquider des produits de qualité moyenne, que personne n’aurait jamais achetés en plein jour. Je m’avançai vers l’interrupteur, mais les ténèbres ne refluèrent pas ; le commerçant m’expliqua qu’hélas, le courant ne marchait plus, depuis la veille. Il reprit sa conversation avec Ernst ; il en était maintenant à lui parler d’un noir aux reflets argentés, qui conviendrait peut-être pour la calandre et le pare-choc de sa voiture. Ernst hésitait : l’appliquer, cela voulait dire recommencer toute une partie de la composition, qui était presque achevée. Et puis, cette grosse plage foncée, même si elle s’accompagnait de chatoiements métalliques, n’allait-elle pas assombrir, alourdir l’ensemble, le rendre moins attirant ?
Le tube coûtait deux Marks. C’était cher, d’autant qu’il était plus petit que les autres. C’était un produit nouveau, un peu révolutionnaire, qu’on expérimentait à peine. Ernst tournait, virait, j’avais envie de lui dire de se décider, d’en finir. J’étais à deux doigts de demander au vendeur s’il n’aurait pas un peu d’aspirine, mais je n’osais pas. A la fin, le peintre, qui semblait proche de l’apoplexie, se résolut sur un mouvement d’humeur. Il s’empara convulsivement de l’objet, fourra quelques pièces dans la main du vieil homme. En un instant l’affaire fut conclue. Nous gagnâmes la sortie. Le commerçant ferma la porte à clé ; à l’aide d’une manivelle, il fit prestement descendre le restant de grille, et se dépêcha de retourner à son souper, qui refroidissait.

Dehors à nouveau. Cette fois-ci, il faisait presque nuit. L’esprit ailleurs, déjà en train d’appliquer ses coups de brosse, Ernst reprit la route de son domicile, ses précieuses fournitures à la main, serrées dans ses paumes, comme s’il avait capturé un moineau et voulait l’empêcher de s’échapper. Constatant qu’il avait oublié jusqu’à mon existence, je décidai d’en faire autant, de regagner mes pénates, le 8 Bertastrasse, où on m’attendait sans doute.


Bien évidemment, devant mon absence, Mutti s’était inquiétée. Elle me gronda mais je n’en avais cure. Je lui répondis avec lassitude ; une immense fatigue s’étant emparée de moi. Etait-ce, là encore, un effet du vin ? Je n’aspirais plus qu’à me coucher, me laisser emporter par un sommeil cotonneux, plonger dans mon lit.
Parfois, il m’arrivait d’imaginer que le matelas ne constituait pas tant une masse élastique qu’un point de passage vers un autre monde. Non pas un drap, mais la surface d’un liquide spécial, d’une belle clarté turquoise, chargé en oxygène, où on ne pouvait se noyer ; je rêvais de m’y enfoncer, en une stase bienheureuse. Toute pesanteur abolie, j’aurais flotté la tête en bas, au chaud, nageant dans les profondeurs de cet univers inconnu, dans un état fœtal, harmonieux, que rien ne serait venu troubler. C’était un jeu que j’affectionnais particulièrement, qui m’aidait à me calmer, à me détendre.
Ce soir-là, je souhaitais me perdre de cette façon, oublier non seulement Ernst et ses peintures malades, mais aussi Franz, mes parents, tout le monde. Je me réfugiai dans ma chambre mais même là, le repos tardait à venir. J’étais comme à vif. Il me semblait que les ressorts du sommier traversaient la toile pour tenter de me griffer. J’entendais le vent agiter les feuilles. Les branchages frottaient contre le toit. Mille et une peccadilles venaient me tourmenter, mettant mon esprit à la torture, qu’en temps normal je n’aurais pas remarquées. Ida prenait le bain, elle chantonnait dans la baignoire sabot, et j’avais envie d’aller lui faire manger le savon, lui enfoncer la tête sous l’eau, la réduire au silence.
Je pressai les mains de toutes mes forces contre mes oreilles. Je gémissais, et un filet de bave se formait au coin de mes lèvres. J’avais l’impression que toute la chambre, l’univers entier tournait. Par la fenêtre, une vague lueur venait éclairer les meubles et je les voyais à la fois se déplacer, et rester immobiles. Ils tressautaient, faisaient du sur place, rongeant leur frein. On aurait dit qu’ils me défiaient, se moquaient de moi. Malgré leur air faussement tranquille, dès que je fermerais l’œil, ils entreprendraient une sarabande endiablée, sautant sur leurs pieds camus, claquant de leurs portes, de leurs tiroirs, répandant vêtements et chaussures. Je me sentais barbouillé ; le vin me remontait, acide, brûlant mon œsophage. Je restais ainsi, comme un papillon punaisé au fond d’une boite, à regarder stupidement le plafond. La grande étendue lisse me rassurait. Même si elle était agitée de remous, comme il n’y avait pas de détails pour accrocher la vue, c’était moindre mal.

C’est ainsi que je finis par m’endormir, après une interminable attente.


Mieux vaut laisser tout en l'état. Cela ne gênera personne. Et ainsi on voit l'évolution du travail, une des raisons d'être du site.
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Message  outretemps Jeu 28 Jan 2010 - 13:22

Comment pouvaient-ils palabrer ainsi, à propos de couleurs, dans cette nébulosité crasseuse, disserter sur l’éclat, le scintillement, la tenue ou la transparence des coloris ? La conversation devenait absurde, complètement abstraite, presque ésotérique. Je commençais à en avoir assez et j’avais envie de partir.
Au plein milieu d'une sordide description, de deux phrases, tu coupes pour mieux reprendre.
C'est là ta finesse.
Comme je le connaissais, il en aurait probablement déduit que le vieux Juif faisait exprès de ne pas utiliser la lumière, comptant sur la précipitation d’Ernst pour liquider des produits de qualité moyenne, que personne n’aurait jamais achetés en plein jour. Je m’avançai vers l’interrupteur, mais les ténèbres ne refluèrent pas ; le commerçant m’expliqua qu’hélas, le courant ne marchait plus, depuis la veille. Il reprit sa conversation avec Ernst ; il en était maintenant à lui parler d’un noir aux reflets argentés, qui conviendrait peut-être pour la calandre et le pare-choc de sa voiture. Ernst hésitait : l’appliquer, cela voulait dire recommencer toute une partie de la composition, qui était presque achevée. Et puis, cette grosse plage foncée, même si elle s’accompagnait de chatoiements métalliques, n’allait-elle pas assombrir, alourdir l’ensemble, le rendre moins attirant ? Le tube coûtait deux Marks. C’était cher, d’autant qu’il était plus petit que les autres. C’était un produit nouveau, un peu révolutionnaire, qu’on expérimentait à peine.
Si ça c'est pas de la Littérature!

J'ai bien peur que tu ne doives qu'à ton manque de courage dépressif de n'être pas édité. Crois en moi, c'est du caviar !
Connu, on se jeterait dessus, on t'arracherait.
Si en plus t'as des pavés d'avance, comme tu dis! ... T'es assis sur la fortune et tu sais même pas !
Et je dis et répète, j'aime pas lire et ne "brosse à reluire" que très peu!
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Message  outretemps Jeu 28 Jan 2010 - 13:33

Mon commentaire se réfère au premier texte. Le deuxième je ne lirai pas. Suffisamment bien de loin, le premier suffit. Si tu complètes, changes , améliores d'1 ou2 poil la chose, personne pour autant ne sera tenté de relire. Mauvaise pratique. Garde pour toi l'amélioré. Dans un pavé par contre, à la distance ça peut grandement servir.
Tu devrais te méfier plus que cela de ton grand besoin d'amour. Comment te complimenterions nous plus ? Passe à la suite !-:))
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