Ubik...uité (à partir des créations infographiques dudit)
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Ubik...uité (à partir des créations infographiques dudit)
Le texte part de l'ambiance générale de ces créations et non d'une particulièrement. Je remets le lien pour mémoire... Ce n'est en rien un commentaire, juste librement inspiré. Merci à Ubik.
http://vulcania-submarine.deviantart.com/gallery
Elle s’effondra sur la banquette, exténuée. Ça y était : la chose était enfin sortie d’elle. Elle espérait qu’ainsi arrachée, elle ne la ferait plus souffrir, comme un organe malade et douloureux qu’on enlève, qu’on peut ensuite contempler dans un bocal : «Voilà, madame, votre rein, votre morceau d’intestin est là, il ne vous fera plus souffrir », fragment que l’on observe avec dégoût, avec horreur en songeant que c’est un morceau de soi qui flotte entre deux eaux. C’était chaque fois la même chose.
L’apparentement lui paraissait d’autant plus juste qu’à bien y regarder, ce qu’elle avait finalement fixé sur la toile était, comme en son propre corps, privé de lumière naturelle. Les conduites tenaient du réseau veineux, respiratoire ou digestif. Elles avaient de l’organique, la sinuosité : nul angle ne les marquait. Les voûtes mêmes prenaient des reflets de chair rosâtre qu’elle ne pouvait affronter sans frémir. Mais partout dans cette architecture soignée et complexe s’insinuaient des passages qui plongeaient leurs profondeurs dans une ombre abyssale.
Failles, lézardes, fissures avaient entamé les murs et promettaient des ruines de palais glacés, déserts et sans vie, noyées de silence.
Elle craignait par-dessus tout que fût demeuré en elle ce qui était tapi là, dans la nuit froide et souterraine où fuyaient les conduites ou, peut-être, ce qui circulait dans ces tuyauteries corrodées : rejets, ordures, souvenirs malodorants, tout ce qu’elle avait tenté d’y enfermer afin que cela disparût loin, bien loin.
Elle se redressa à demi, ferma les paupières et chercha en elle l’espace libéré par ce qu’elle venait d’extraire. Mais tout restait aussi empli et complexe, vide et nu qu’auparavant. En écho à celle qu’elle avait fixé sur la toile, elle crut discerner comme une lanterne, à peine un signal lumineux à quoi se raccrocher au milieu du grouillement viscéral qui l’obsédait. Elle rouvrit les yeux et fixa la porte close, marquée d’un signe qu’elle avait elle-même, d’un pinceau appliqué, tracé sur la muraille centenaire. Elle avait toujours su que cette issue n’attendait qu’elle mais que l’accès en serait difficile et périlleux. La clé était bien sûr en elle-même, elle savait cela depuis longtemps et pourtant, nulle encyclopédie, nul ouvrage parmi les plus érudits n’avaient pu l’éclairer sur la signification des dessins gravés sur la pierre, répétés sans relâche, de toile en toile. Comment avait-elle pu inscrire ces signes sans en connaître le sens profond ? Sur ce point, l’hypnose elle-même avait échoué : le mystère restait entier. De la pointe d’un crayon, elle recopia pour la centième fois chaque signe sur un carnet. Le dessin en était facile, comme celui d’une lettre de l’alphabet mille fois écrite et pourtant indéchiffrable.
Elle se leva et déposa à terre, contre le mur, la toile achevée. Une autre, vierge, vint la remplacer sur le chevalet. Il n’y avait pas d’issue, pas encore. Il faudrait chaque fois recommencer : arracher de soi ces viscères de douleur, de pierre et de métal rongé par le temps ou par on ne savait trop quoi, extirper les attaches tressées de beauté secrète et de laideur, creuser les fissures, creuser les blessures, à en arracher la toile s’il le fallait, jusqu’à cette chose qu’elle ignorait : un voile d’ombre qui se lève, un éclat de lumière du jour qui s’insinue dans cette nuit d’entrailles, une porte qui enfin, tombe.
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http://vulcania-submarine.deviantart.com/gallery
Elle s’effondra sur la banquette, exténuée. Ça y était : la chose était enfin sortie d’elle. Elle espérait qu’ainsi arrachée, elle ne la ferait plus souffrir, comme un organe malade et douloureux qu’on enlève, qu’on peut ensuite contempler dans un bocal : «Voilà, madame, votre rein, votre morceau d’intestin est là, il ne vous fera plus souffrir », fragment que l’on observe avec dégoût, avec horreur en songeant que c’est un morceau de soi qui flotte entre deux eaux. C’était chaque fois la même chose.
L’apparentement lui paraissait d’autant plus juste qu’à bien y regarder, ce qu’elle avait finalement fixé sur la toile était, comme en son propre corps, privé de lumière naturelle. Les conduites tenaient du réseau veineux, respiratoire ou digestif. Elles avaient de l’organique, la sinuosité : nul angle ne les marquait. Les voûtes mêmes prenaient des reflets de chair rosâtre qu’elle ne pouvait affronter sans frémir. Mais partout dans cette architecture soignée et complexe s’insinuaient des passages qui plongeaient leurs profondeurs dans une ombre abyssale.
Failles, lézardes, fissures avaient entamé les murs et promettaient des ruines de palais glacés, déserts et sans vie, noyées de silence.
Elle craignait par-dessus tout que fût demeuré en elle ce qui était tapi là, dans la nuit froide et souterraine où fuyaient les conduites ou, peut-être, ce qui circulait dans ces tuyauteries corrodées : rejets, ordures, souvenirs malodorants, tout ce qu’elle avait tenté d’y enfermer afin que cela disparût loin, bien loin.
Elle se redressa à demi, ferma les paupières et chercha en elle l’espace libéré par ce qu’elle venait d’extraire. Mais tout restait aussi empli et complexe, vide et nu qu’auparavant. En écho à celle qu’elle avait fixé sur la toile, elle crut discerner comme une lanterne, à peine un signal lumineux à quoi se raccrocher au milieu du grouillement viscéral qui l’obsédait. Elle rouvrit les yeux et fixa la porte close, marquée d’un signe qu’elle avait elle-même, d’un pinceau appliqué, tracé sur la muraille centenaire. Elle avait toujours su que cette issue n’attendait qu’elle mais que l’accès en serait difficile et périlleux. La clé était bien sûr en elle-même, elle savait cela depuis longtemps et pourtant, nulle encyclopédie, nul ouvrage parmi les plus érudits n’avaient pu l’éclairer sur la signification des dessins gravés sur la pierre, répétés sans relâche, de toile en toile. Comment avait-elle pu inscrire ces signes sans en connaître le sens profond ? Sur ce point, l’hypnose elle-même avait échoué : le mystère restait entier. De la pointe d’un crayon, elle recopia pour la centième fois chaque signe sur un carnet. Le dessin en était facile, comme celui d’une lettre de l’alphabet mille fois écrite et pourtant indéchiffrable.
Elle se leva et déposa à terre, contre le mur, la toile achevée. Une autre, vierge, vint la remplacer sur le chevalet. Il n’y avait pas d’issue, pas encore. Il faudrait chaque fois recommencer : arracher de soi ces viscères de douleur, de pierre et de métal rongé par le temps ou par on ne savait trop quoi, extirper les attaches tressées de beauté secrète et de laideur, creuser les fissures, creuser les blessures, à en arracher la toile s’il le fallait, jusqu’à cette chose qu’elle ignorait : un voile d’ombre qui se lève, un éclat de lumière du jour qui s’insinue dans cette nuit d’entrailles, une porte qui enfin, tombe.
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demi-lune- Nombre de messages : 795
Age : 64
Localisation : Tarn
Date d'inscription : 07/11/2009
Re: Ubik...uité (à partir des créations infographiques dudit)
Superbe texte, Demi lune et qui colle si bien aux fascinantses peintures d'Ubik !
Invité- Invité
Re: Ubik...uité (à partir des créations infographiques dudit)
l'angoisse que je ressens en observant les oeuvres d'Ubik sont je trouve tres bien exprimé dans le texte de Demi-Lune.
un recommencement sans fin tant que le mystère du symbole ne sera éclaicit, je trouve ca bien pensé.
un recommencement sans fin tant que le mystère du symbole ne sera éclaicit, je trouve ca bien pensé.
Iryane- Nombre de messages : 314
Age : 44
Localisation : là où je dois être ...enfin, sans certitude.
Date d'inscription : 26/01/2010
Re: Ubik...uité (à partir des créations infographiques dudit)
Une très belle réussite ! Un beau texte. J'ai aimé l'atmosphère qui illustre bien la peinture.
Invité- Invité
Re: Ubik...uité (à partir des créations infographiques dudit)
Magnifique description de ce qu'on appelle en psychanalyse la sublimation ! Cette dualité entre soulagement et addiction, la création comme alternative à l'implosion, vraiment, tout cela est très bien retranscrit ici. Je dis bravo =)
Bribes, moignons et tumescences.
Hello,
Très flatté de l'honneur que tu me fais... Vraiment.
Un très beau texte, où la peintre devient parturiente et enfante dans la douleur. Curieusement, me fait penser à deux choses :
1 ) Le film "Freud, passions secrètes", avec Montgommery Clift, qui joue avec l'inconscient et tente de mettre en scène la psychanalyse. Ou alors, la scène créée par Dali pour "La maison du docteur Edwards", d'Alfred Hitchcock.
2 ) Et aussi, un passage du roman de Serge Brussolo, "Le murmure des loups", que j'adore. Je ne suis pas chez moi, je ne l'ai pas ici, je tâcherai de le retrouver et de le recopier, s'il n'est pas trop long. Tu verras, il y a vraiment des voies de communication.
Tu vois, ce que tu fais est la preuve qu'on peut écrire quelque chose sur mes images tout en sortant du cadre de ce que j'attends. En fait, il y a des phrases magnifiques que je mets en citation ici, et en même temps, ce que j'attends n'est pas, à proprement ( ou en l'occurrence, salement, car tout ça n'est pas très ragoûtant ) parler une histoire, au sens classique du terme.
Je développerai par la suite, quand je serai plus au clair avec ça, là j'ai des obligations qui me sollicitent, je ne peux rester plus malgré le plaisir évident que j'ai à échanger avec vous tous ici.
Restent ces embryons, ces bourgeons, ces repousses, ces tumescences, ces moignons éclatants et irréprochables :
... pour tout cela, je te tire mon virtuel chapeau. Bravo.
Ubik.
Très flatté de l'honneur que tu me fais... Vraiment.
Un très beau texte, où la peintre devient parturiente et enfante dans la douleur. Curieusement, me fait penser à deux choses :
1 ) Le film "Freud, passions secrètes", avec Montgommery Clift, qui joue avec l'inconscient et tente de mettre en scène la psychanalyse. Ou alors, la scène créée par Dali pour "La maison du docteur Edwards", d'Alfred Hitchcock.
2 ) Et aussi, un passage du roman de Serge Brussolo, "Le murmure des loups", que j'adore. Je ne suis pas chez moi, je ne l'ai pas ici, je tâcherai de le retrouver et de le recopier, s'il n'est pas trop long. Tu verras, il y a vraiment des voies de communication.
Tu vois, ce que tu fais est la preuve qu'on peut écrire quelque chose sur mes images tout en sortant du cadre de ce que j'attends. En fait, il y a des phrases magnifiques que je mets en citation ici, et en même temps, ce que j'attends n'est pas, à proprement ( ou en l'occurrence, salement, car tout ça n'est pas très ragoûtant ) parler une histoire, au sens classique du terme.
Je développerai par la suite, quand je serai plus au clair avec ça, là j'ai des obligations qui me sollicitent, je ne peux rester plus malgré le plaisir évident que j'ai à échanger avec vous tous ici.
Restent ces embryons, ces bourgeons, ces repousses, ces tumescences, ces moignons éclatants et irréprochables :
demi-lune a écrit:
Les voûtes mêmes prenaient des reflets de chair rosâtre qu’elle ne pouvait affronter sans frémir.
Failles, lézardes, fissures avaient entamé les murs et promettaient des ruines de palais glacés, déserts et sans vie, noyées de silence.
... rejets, ordures, souvenirs malodorants, tout ce qu’elle avait tenté d’y enfermer afin que cela disparût loin, bien loin.
... arracher de soi ces viscères de douleur, de pierre et de métal rongé par le temps
... pour tout cela, je te tire mon virtuel chapeau. Bravo.
Ubik.
Re: Ubik...uité (à partir des créations infographiques dudit)
Du bel ouvrage ! J'en parlerai plus après relecture, l'heure tardive n'aidant pas à la concentration.
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 47
Date d'inscription : 31/03/2008
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