Un amour de lapin

Rien de plus frustrant, pour un enfant, que de ne pas obtenir ce qu'il souhaite le plus au monde et dont ses parents le privent. Celui à qui sa mère aura refusé obstinément la planche à roulettes de ses rêves (appelée également «skateboard», mais pensons à nos lecteurs puristes), courra en acheter une dès qu'il aura trois sous, oubliant au passage, et à ses dépens, qu'il est plus aisé d'apprendre à en faire dès l'enfance plutôt qu'à l'âge adulte. Que de rêves brisés, pour cette raison, d'ailleurs... mais passons.
Cette brève introduction pour vous dire que Clara avait été privée, durant toute son enfance, de la joie de posséder un animal de compagnie.
Or Clara adorait les animaux, même au-delà du raisonnable, entourée qu'elle était, depuis sa naissance, de peluches toutes plus mignonnes les unes que les autres représentant des mammifères pourtant on ne peut plus féroces dans la nature : lions, tigres, ours, ou autres crocodiles.
Plus grande, elle fut bercée par de merveilleuses histoires de braves petits bêtes innocentes le plus souvent victimes d'humains cruels. Et quel cœur de petite fille aurait pu résister au ravissant spectacle d'adorables souris cousant la robe de bal de Cendrillon ?
L'anthropomorphisme le plus écœurant allant bon train dans la société, il ne se trouvait tout simplement plus personne pour oser prétendre que, dans la vraie vie, Mowgli se serait fait bouffer tout cru par la panthère Bagheera. On trouvait même des excuses au loup pédophile du «Petit Chaperon rouge».
Ses parents avaient d'ailleurs pris le prétexte de ne pas vouloir faire souffrir un animal et expliqué à leur fille qu'un chien ou un chat aurait été très malheureux dans leur appartement. Dans un sens ils n'avaient pas tort même si sa mère défaillait à l'idée de devoir vider ce qu'on appelle joliment une caisse à chat et qui s'apparente plutôt à une caisse à déjections félines nauséabondes.
Clara en avait souvent pleuré et il lui arrivait de tellement leur en vouloir qu'elle rêvait de les voir écrabouillés tous les deux par un autobus. Mais ça c'était juste quand elle était en colère.
Enfin vint le jour où elle devint indépendante, ou presque, puisqu'elle accéda au statut d'étudiante, ce qui nécessitait qu'elle quittât ses parents pour la grande ville voisine où elle pourrait enfin préparer la profession de ses rêves, que vous avez bien sûr devinée : vétérinaire.
A peine installée, Clara se précipita dans la première animalerie venue afin d'acquérir son «pet» (animal de compagnie pour les puristes, auxquels, dans le cas présent, je ne donne pas tort).
Tout bien réfléchi, elle savait que prendre un chien ne serait pas raisonnable. Elle serait souvent absente de sa chambre exigüe et il s'ennuierait à coup sûr. Elle s'était donc rabattue sur un chat mais le coût de ceux de la boutique, de magnifiques siamois ou persans, n'entraient pas dans son budget.
Un peu désappointée, elle fit le tour du magasin et là, son cœur se mit à battre la chamade lorsqu'elle découvrit l'animal de ses rêves : un lapin nain.
Il était évidemment craquant, blanc comme un flocon de neige, plus doux que la plus douce des peluches mais lui, en plus, présentait l'avantage de bouger et de dégager une douce chaleur. Si je vous précise qu'il était également pourvu d'une mignonne petite queue, d'un museau rose et de deux oreilles bien dressées, vous comprendrez pourquoi elle n'hésita pas une seconde à l'emporter chez elle.
La première nuit se passa sans encombre mais, le matin, Clara trouva que «lapinou» - c'est comme ça qu'elle avait décidé de l'appeler, faisant montre d'une grande originalité - était quelque peu prostré. Il n'avait ni bu, ni mangé et avait le poil tout hérissé. Inquiète, elle partit cependant en cours mais ne cessa de penser à son animal de compagnie si bien que, déconcentrée, elle ne prit aucune note de la journée.
Le soir, elle se précipita sur la cage et dut se rendre à l'évidence : «lapinou» était malade.
Clara s'affola. Elle ne connaissait aucun vétérinaire dans cette ville et c'est paniquée et en pleurs qu'elle se présenta chez le pharmacien le plus proche qui lui indiqua l'adresse d'un spécialiste.
Le temps d'y parvenir, il était déjà tard, si bien que la note fut salée puisque combinant «urgence» et «tarif de nuit». Mais, comme chacun sait : quand on aime, on ne compte pas.
«Lapinou» se rétablit rapidement, si rapidement même qu'il prit de l'embonpoint. Clara dut en convenir : son lapin n'était pas nain. Elle s'était fait escroquer, ce qui augurait mal de ses talents de future vétérinaire. Évidemment, il n'était pas question de se séparer de sa bestiole adorée pour autant et elle se retrouva bientôt l'heureuse propriétaire d'un lapin mâle de sept kilos, lequel, comme tous les mâles, pissait partout.
Il ne faisait d'ailleurs pas que pisser, vous vous en doutez bien. Ceacotrophe de nature, il avait heureusement la bonne idée de ré-ingurgiter ses premières crottes, dites molles, pour les restituer sous forme de jolies petites billes noires et bien dures, faciles à ramasser, sauf quand il les faisait dans un escarpin de sa douce propriétaire et qu'elle ne s'en apercevait qu'au dernier moment, c'est-à-dire quand elle avait le pied dedans. Elle avait espéré un moment qu'il prendrait l'habitude de faire dans une caisse, comme un brave chat mais, que nenni, l'animal l'avait superbement ignorée préférant faire ses petites crottes là où ses pérégrinations le conduisaient, autant dire n'importe où.
Mais l'amour de Clara pour «Lapinou» était sans limite et elle était prête à tout accepter. Cela dit, sa présence posait quand même des problèmes. L'un des plus aigus était le fait qu'elle ne pouvait pas aller rendre visite à ses parents le «week-end» (congé de fin de semaine pour les puristes). Il était évidemment impossible qu'elle l'emmène avec elle, sa mère ne l'aurait pas supporté et elle ne pouvait non plus se résoudre à le laisser seul pendant quarante-huit heures. Il lui fallait donc, à chaque fois, trouver une bonne excuse pour expliquer ses absences et ça devenait de plus en plus compliqué. Clara y pensait dès le lundi et ce problème sollicitait son cerveau à temps complet ne lui laissant aucune possibilité de réfléchir à quoi que ce soit d'autre. A la fin du trimestre, elle dut se rendre à l'évidence : ses résultats étaient catastrophiques.
Dans un sens ce n'était pas une mauvaise chose puisque cela lui permit d'inventer une sombre histoire de cours de rattrapage pour ne pas aller chez ses parents pour les vacances de Noël.
Cet échec la rendit cependant morose et elle se confia à un jeune homme qui s'intéressait à elle et l'invitait à prendre un café, de temps en temps. Celui-ci lui offrit gentiment de l'aider à rattraper son retard et se rendit le soir même chez Clara afin d'y passer une soirée studieuse et pourquoi pas la nuit, si affinités.
La présence du lapin ne le surprit pas, Clara lui en avait déjà parlé et futur vétérinaire lui-même il en était même ravi. Tout se passa comme il l'avait prédit sous l'œil attentif de l'animal qui ne trouva rien d'anormal d'autant que le comportement sexuel de l'amoureux de Clara était en tout point semblable à celui de la gent cunicole. Il y eut pourtant un incident à déplorer le lendemain matin lorsque le jeune homme, sans doute pour plaire à sa Dulcinée, se pencha pour caresser «Lapinou», lequel le prit mal et se jeta sur son avant-bras qu'il mordit à pleines dents sans aucun intention de le lâcher alors même que le garçon secouait son membre dans tous les sens non sans hurler et débiter des grossièretés ce qui choqua beaucoup Clara. Finalement ce furent les chairs qui cédèrent sous le poids du lapin et le jeune homme, enfin délivré, put s'enfuir se faire recoudre à l'hôpital le plus proche.
Clara se consola en se disant que cette histoire serait sans doute une expérience bénéfique pour sa carrière de vétérinaire sans savoir évidemment qu'il avait dû, le lendemain, retourner à l'hôpital en urgence suite à un œdème de Quincke consécutif à une allergie au poil de lapin. Elle n'eut cependant pas à être confrontée au terrible dilemme d'avoir à choisir entre son animal de compagnie et son amant, ce dernier s'ingéniant à l'éviter soigneusement par la suite.
Ce nouveau coup du sort affecta durement Clara. Sa confiance en elle diminuait à vue d'œil. Les vacances terminées, elle se rendit compte qu'elle ne pouvait croiser son ex-amoureux sans éclater en sanglots et décida de ne plus aller en cours. Quand ses parents lui téléphonaient, elle ne répondait pas.
Cependant, autre chose la chagrinait. Elle avait beau pleurer, lire à son compagnon à quatre pattes les poèmes qu'elle lui consacrait, lui confier ses peines les plus intimes, celui-ci affichait une totale indifférence, uniquement préoccupé qu'il était à manger et à semer ses crottes aux quatre coins de la chambrette. Cette attitude la décevait plus que tout. Dans les histoires qu'elle avait lues étant enfant, les animaux venaient toujours au secours des humains qui étaient bons avec eux mais son lapin semblait l'ignorer.
A plusieurs reprises, elle songea à se jeter dans le vide du haut de son septième étage avec «Lapinou» mais l'idée que la petite bête puisse souffrir lui était insupportable.
Elle en était là de ses réflexions lorsque, un soir qu'elle était occupée à ramasser des crottes, elle entendit un couinement épouvantable, suivi immédiatement d'une panne de courant.
Mue par un horrible pressentiment elle se mit à la recherche de son lapin qu'elle trouva propulsé sous son lit après qu'il eut commencé à ronger le fil électrique de sa lampe de chevet qu'elle avait laissé allumée.
Pour des raisons de pudeur évidentes je ne vous décrirai pas la peine qui fut la sienne.
Toujours est-il que les voisins, alertés par les hurlements de désespoir de la malheureuse, firent prévenir ses parents qui la ramenèrent dans leur foyer. Malgré leur répugnance, ils acceptèrent d'emporter également le lapin qui fut enterré dignement dans le jardin de la grand-mère.
Depuis, Clara vit paisiblement, dans sa chambre de petite fille, au milieu de ses peluches. Elle a trouvé un emploi de caissière au supermarché voisin et va beaucoup mieux : elle n'éclate plus en sanglots lorsqu'une cliente lui présente une barquette de lapin, mais se contente d'essuyer furtivement une larme.
Moralité : la vraie place d'un lapin est dans une cocotte.

Ouf pour le " membre " que je confondis avec un autre...Tiens, cela me rappelle une histoire de chat...
Pour la " cocotte" je ne suis pas sûre d'être d'accord, sinon la chute est plus terrible pour elle que pour son " lapinou".

Même hésitation sur le membre qu'on secoue, mais bon, passons.

Plotine, je relève une légère incohérence dans ce texte distrayant. Il me semble que si Clara a entrepris des études vétérinaires, elle devrait n'avoir aucun mal, même au début, à trouver la personne idoine pour soigner son lapinou.

Sympathiques, ces clins d'oeil aux puristes. Une histoire bien menée et bien drôle. Même remarque que précédemment mentionnée concernant le "membre", mais sans doute est-ce voulu... La morale m'a bien fait rire.

Plotine cette fois , je dis : bof.
Cette histoire de lapinou (oserai-je ajouter : la pine, où? Non, je m'en garderai bien) ) ne m'a pas renversée.
Quand on connait le niveau QIesque exigé pour entrer en école vétérinaire, ta Clara n'est pas crédible.
Oui d'accord , on peut se dire, soyons fous et éloignons nous des rivages réalistes pour plonger dans l'insensé .
Mais là c'est trop ou pas assez.

Mowgli se serait fait bouffer tout cru par la panthère Bagheera. On trouvait même des excuses au loup pédophile du «Petit Chaperon rouge».
Rho dis donc, on vire dans le trash là !

ca fait bizarre ce cynisme à cet endroit.

Ceacotrophe de nature, il avait heureusement la bonne idée de ré-ingurgiter ses premières crottes, dites molles, pour les restituer sous forme de jolies petites billes noires et bien dures

= je savais pas ca !!

lequel le prit mal et se jeta sur son avant-bras qu'il mordit à pleines dents

= je me rend compte que je ne connais rien en matiere de lapin ... c'est que c'est vorace en plus !

Moralité : la vraie place d'un lapin est dans une cocotte.

Une vrai plaie ce lapin,
enfin non, c'est plutot Clara qui ne tourne pas rond !

J'ai bien aimé ce texte, même si certaines phrases m'ont parue longues et ont un peu coupé ma lecture.
exemple :

Or Clara adorait les animaux, même au-delà du raisonnable, entourée qu'elle était, depuis sa naissance, de peluches toutes plus mignonnes les unes que les autres représentant des mammifères pourtant on ne peut plus féroces dans la nature : lions, tigres, ours, ou autres crocodiles.

A plusieurs reprises, elle songea à se jeter dans le vide du haut de son septième étage avec «Lapinou» mais l'idée que la petite bête puisse souffrir lui était insupportable.

Là, Plotine, je ne sais pas si c'est de l'humour, mais c'est un peu fort de café ! Quand aux querelles de spécialistes… c'est la maladie du forum ça (des forums littéraires en général). On se demande où tous ces "spécialistes" vont chercher leur légitimité ?
Moi, tant qu'à "secouer un membre", j'aurai choisit une poule et je l'aurai également mise à la cocotte.
Je trouve que ton texte est "le cul entre deux chaise" : ni drôle, ni triste…
Sinon je trouve ça bien écrit. C'est le fond qui me semble faible.

Moralité : la vraie place d'un lapin est dans une cocotte.

Je suis pour, à cent pour cent avec toi, Plotine !
A la cocotte, le Lapino ! En civet ou mieux, à la moutarde ... ici, accommodé de cette manière, je le trouve bien fadasse.

Pas du tout intéressée par cette histoire de lapin... Je les aime pourtant, dans mon assiette et m^me en liberté.

Ce qui est dommage, chère Plotine, c'est qu'avec des histoires tout à fait exploitables, tu ne cherches pas davantage à régaler tes lecteurs, alors que tu en as les ressources. Je ne sais que penser, as-tu l'impression de voler du temps à autre chose ? Un petit peu plus resserré, sans certaines digressions qui alourdissent, avec un peu plus de punch et d'humour grinçant, ce serait excellent. Hélas ! Car tu es sourde...