Une vie sans histoires
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Une vie sans histoires
Léontine est parfaite.
Douce, polie, réservée, aimable, dévouée, silencieuse.
Elle a toujours choisi d'avoir des amis beaucoup plus âgés qu'elle. Raisonnablement, une terrible maladie les a emportés les uns après les autres. Tout est consigné dans son petit carnet noir. Naissances, anniversaires, décès ; tout cela entre des notions météorologiques de la plus haute importance.
Toujours la première arrivée à l'usine et la dernière partie. Même les jours de grève, elle avance, grave et déterminée, la pointe en fer de son parapluie tenue horizontalement et les grévistes s'écartent tétanisés par sa détermination. En trente années de présence, pas une journée d'arrêt maladie, aucun échange verbal avec ses collègues, en dehors des ordres inhérents à sa fonction de responsable du site, toujours formulés avec une exquise politesse.
Elle a pris sa retraite pour se consacrer totalement à sa mère qui s'est réfugiée dans une sénilité précoce, pour permettre à Léontine d'exercer sa bonté et son dévouement nuit et jour avec abnégation. Intuitivement, sa mère a compris qu'il y allait de sa survie.
Les voisines admirent mais se méfient.
Rien de rationnel ... mais quand même !
Son mari est un mort-vivant. Il traîne des arrosoirs pleins, en toutes saisons, personne n'a jamais su s'ils contenaient de l'engrais, de l'eau pure ou du poison.
Aucun animal ne traverse leur jardin ; même l'herbe hésite à y pousser.
Pas de fleurs. Les légumes grandissent plus vite qu'ailleurs pour échapper à l'ennui ; ils préfèrent connaître le trépas en cuisine que l'agonie sur le terrain.
Mariée vierge à vint-cinq ans, leur union n'a pas donné de fruit.
Léontine a toujours une beauté classique et sans charme et elle vieillit en se desséchant comme les vieux raisins.
La momie vivante est au centre de ce funérarium privé qu'est devenu leur maison. Les volets sont clos ou en « tuile », les meubles sont recouverts de toiles à matelas pour éviter d'être atteints par la faible lumière qui pourrait éventuellement les approcher et ternir le brillant de l'encaustiquage hebdomadaire.
Le lundi c'est ravaudage. Le mardi repassage. Le mercredi les courses au supermarché. Le jeudi c'est « grand ménage ». Le vendredi, marché le matin, courrier l'après-midi. Le samedi « petit ménage ». Le dimanche – comme au temps de l'usine – c'est lavage du linge, presque tout à la main, la machine à laver usant précocement les fibres des tissus.
Une seule coquetterie.....un petit tablier à volants le dimanche pour remplacer la blouse de la semaine.
Elle mange pour se nourrir. Aucune fantaisie gastronomique. Aucun restaurant. Aucune invitation familiale. Trop de tracas et peu d'intérêt pour si peu de temps à passer en compagnie non souhaitée.
Pas de livres, pas de magazines, les publicités et autres gazettes locales sont broyées dés qu'elles sortent de la boîte aux lettres.
Jamais de vacances....impossible « à cause de sa mère » qu'elle ne peut laisser entre des mains étrangères.
Léontine est une sainte laïque.
Tous les 1er Novembre elle rend visite à sa dernière demeure qu'elle a choisie avec soin dans le coin le moins ensoleillé du cimetière.
Hormis quelques voyageurs de commerce imprudents car ils se font rembarrer de verte manière, personne ne pousse jamais la grille du jardin, ni ne frappe à leur porte.
Un soir, un des conseillers municipaux de la ville leur rend visite pour une requête. Il leur propose le rachat d'une partie de leur jardin. Celle la plus éloignée de la maison et qui intéresse la mairie pour créer une nouvelle rue. La somme proposée est fort coquette mais ne soulève aucun enthousiasme chez Léontine ni chez son mari.
Ils raccompagnent fort civilement le conseiller municipal à la grille et reviennent terminer leur frugal repas.
Le lendemain matin Léontine ne prépare pas le petit déjeuner.
Léontine s'est pendue à la plus grosse branche du figuier au fond du jardin.
Une de ses chaussures est tombée dans le trou qu'elle a creusé et dans lequel on peut voir trois petites caisses en bois blanc...
Douce, polie, réservée, aimable, dévouée, silencieuse.
Elle a toujours choisi d'avoir des amis beaucoup plus âgés qu'elle. Raisonnablement, une terrible maladie les a emportés les uns après les autres. Tout est consigné dans son petit carnet noir. Naissances, anniversaires, décès ; tout cela entre des notions météorologiques de la plus haute importance.
Toujours la première arrivée à l'usine et la dernière partie. Même les jours de grève, elle avance, grave et déterminée, la pointe en fer de son parapluie tenue horizontalement et les grévistes s'écartent tétanisés par sa détermination. En trente années de présence, pas une journée d'arrêt maladie, aucun échange verbal avec ses collègues, en dehors des ordres inhérents à sa fonction de responsable du site, toujours formulés avec une exquise politesse.
Elle a pris sa retraite pour se consacrer totalement à sa mère qui s'est réfugiée dans une sénilité précoce, pour permettre à Léontine d'exercer sa bonté et son dévouement nuit et jour avec abnégation. Intuitivement, sa mère a compris qu'il y allait de sa survie.
Les voisines admirent mais se méfient.
Rien de rationnel ... mais quand même !
Son mari est un mort-vivant. Il traîne des arrosoirs pleins, en toutes saisons, personne n'a jamais su s'ils contenaient de l'engrais, de l'eau pure ou du poison.
Aucun animal ne traverse leur jardin ; même l'herbe hésite à y pousser.
Pas de fleurs. Les légumes grandissent plus vite qu'ailleurs pour échapper à l'ennui ; ils préfèrent connaître le trépas en cuisine que l'agonie sur le terrain.
Mariée vierge à vint-cinq ans, leur union n'a pas donné de fruit.
Léontine a toujours une beauté classique et sans charme et elle vieillit en se desséchant comme les vieux raisins.
La momie vivante est au centre de ce funérarium privé qu'est devenu leur maison. Les volets sont clos ou en « tuile », les meubles sont recouverts de toiles à matelas pour éviter d'être atteints par la faible lumière qui pourrait éventuellement les approcher et ternir le brillant de l'encaustiquage hebdomadaire.
Le lundi c'est ravaudage. Le mardi repassage. Le mercredi les courses au supermarché. Le jeudi c'est « grand ménage ». Le vendredi, marché le matin, courrier l'après-midi. Le samedi « petit ménage ». Le dimanche – comme au temps de l'usine – c'est lavage du linge, presque tout à la main, la machine à laver usant précocement les fibres des tissus.
Une seule coquetterie.....un petit tablier à volants le dimanche pour remplacer la blouse de la semaine.
Elle mange pour se nourrir. Aucune fantaisie gastronomique. Aucun restaurant. Aucune invitation familiale. Trop de tracas et peu d'intérêt pour si peu de temps à passer en compagnie non souhaitée.
Pas de livres, pas de magazines, les publicités et autres gazettes locales sont broyées dés qu'elles sortent de la boîte aux lettres.
Jamais de vacances....impossible « à cause de sa mère » qu'elle ne peut laisser entre des mains étrangères.
Léontine est une sainte laïque.
Tous les 1er Novembre elle rend visite à sa dernière demeure qu'elle a choisie avec soin dans le coin le moins ensoleillé du cimetière.
Hormis quelques voyageurs de commerce imprudents car ils se font rembarrer de verte manière, personne ne pousse jamais la grille du jardin, ni ne frappe à leur porte.
Un soir, un des conseillers municipaux de la ville leur rend visite pour une requête. Il leur propose le rachat d'une partie de leur jardin. Celle la plus éloignée de la maison et qui intéresse la mairie pour créer une nouvelle rue. La somme proposée est fort coquette mais ne soulève aucun enthousiasme chez Léontine ni chez son mari.
Ils raccompagnent fort civilement le conseiller municipal à la grille et reviennent terminer leur frugal repas.
Le lendemain matin Léontine ne prépare pas le petit déjeuner.
Léontine s'est pendue à la plus grosse branche du figuier au fond du jardin.
Une de ses chaussures est tombée dans le trou qu'elle a creusé et dans lequel on peut voir trois petites caisses en bois blanc...
Vertiges.
Salut,
J'ignore si c'est un début ou tel quel, si ça mène et où, mais en tous cas, c'est restitué avec économie, discrétion et j'ai pensé à quelques personnes que je connais, en lisant cette description détaillée de la vie version étriquée. Qui plus est, j'ai noté au passage deux ou trois jolies phrases mais suis à nouveau malade, pas eu la force de les noter. Cependant, elles ont marqué, je tiens à le dire, et j'ai trouvé l'ensemble joliment tourné.
Un ton détaché, clinique, légèrement compatissant et ironique, mais ça file le vertige de se dire que des gens comme ça existent, toute leur vie durant. Remarque, le vertige, au point où on en est...
Le suicide, c'est lié à l'histoire du VRP ? C'est un déclencheur, un catalyseur ? Ou quelque chose d'autre couvait dans sa vie ? Ou couve dans le récit ?
Je suis un vilain curieux. Même HS, j'éprouve le besoin de savoir.
A suivre,
Ubik.
J'ignore si c'est un début ou tel quel, si ça mène et où, mais en tous cas, c'est restitué avec économie, discrétion et j'ai pensé à quelques personnes que je connais, en lisant cette description détaillée de la vie version étriquée. Qui plus est, j'ai noté au passage deux ou trois jolies phrases mais suis à nouveau malade, pas eu la force de les noter. Cependant, elles ont marqué, je tiens à le dire, et j'ai trouvé l'ensemble joliment tourné.
Un ton détaché, clinique, légèrement compatissant et ironique, mais ça file le vertige de se dire que des gens comme ça existent, toute leur vie durant. Remarque, le vertige, au point où on en est...
Le suicide, c'est lié à l'histoire du VRP ? C'est un déclencheur, un catalyseur ? Ou quelque chose d'autre couvait dans sa vie ? Ou couve dans le récit ?
Je suis un vilain curieux. Même HS, j'éprouve le besoin de savoir.
A suivre,
Ubik.
Re: Une vie sans histoires
brrr... Trois petites caisses en bois blanc... cette dernière phrase me renvoie à une actualité douloureuse. A moins que je me trompe ?
Je ne sais pas, au-delà de ce qui est dit, j'ai la perception d'une sorte de mise en relief du "combien on sait peu de choses" des gens que l'on côtoie. De ce qu'une existence tranquille, bien réglée, même si morne, peut cacher de détresse, de folie, de mal-vivre.
Peut-être que le côté "stérile" de ces existences est un tantinet trop appuyé, à la limite de l'imaginable. Mais sans plus.
Un texte dérangeant quelque part. Mais seulement par ce qu'il m'évoque.
Je ne sais pas, au-delà de ce qui est dit, j'ai la perception d'une sorte de mise en relief du "combien on sait peu de choses" des gens que l'on côtoie. De ce qu'une existence tranquille, bien réglée, même si morne, peut cacher de détresse, de folie, de mal-vivre.
Peut-être que le côté "stérile" de ces existences est un tantinet trop appuyé, à la limite de l'imaginable. Mais sans plus.
Un texte dérangeant quelque part. Mais seulement par ce qu'il m'évoque.
Reginelle- Nombre de messages : 1753
Age : 74
Localisation : au fil de l'eau
Date d'inscription : 07/03/2008
Re: Une vie sans histoires
Oh la la, glacial CROISIC, absolument glacial. Quelle chute !
Un style épuré qui te va comme un gant.
Un style épuré qui te va comme un gant.
Invité- Invité
Re: Une vie sans histoires
Un texte qui fait froid dans le dos.
Et les derniers mots de la dernière phrase laissent toute la place à l'imagination.
La narration au présent est un plus.
Et les derniers mots de la dernière phrase laissent toute la place à l'imagination.
La narration au présent est un plus.
Re: Une vie sans histoires
Ravaudage et supermarché ne font pas bon ménage. Enfin, à mon avis.
Il y a souvent un détail anachronique dans tes textes.
Il y a souvent un détail anachronique dans tes textes.
Plotine- Nombre de messages : 1962
Age : 82
Date d'inscription : 01/08/2009
Re: Une vie sans histoires
la vacuité d'une vie si joliment décrite
Ce qui fait froid dans le dos, c'est que nous côtoyons certaines personnes à l'existence semblable tous les jours et que souvent, elles sont même bien plus jeunes...
Ce qui fait froid dans le dos, c'est que nous côtoyons certaines personnes à l'existence semblable tous les jours et que souvent, elles sont même bien plus jeunes...
Yellow_Submarine- Nombre de messages : 278
Age : 53
Localisation : Fougères
Date d'inscription : 08/01/2010
Re: Une vie sans histoires
Ouf ! Il y a quand-même le petit tablier blanc du dimanche ... Je trouve ce portrait presque trop austère, inhumain. Trop de détails, à mon goût, qui vont dans le même sens. J'aurais aimé un petit dérapage, quelque chose qui fasse moins archétype.
Je veux bien que la proposition d'achat du terrain ait déclenché une sorte de panique chez Léontine et entraîné son geste irrémédiable mais pourquoi le trou a-t-il été rouvert ? Sa conscience de fille dévouée et irréprochable ne l'a-t-elle pas retenue d'abandonner sa mère ?
J'ai un peu de mal à me laisser emporter par l'histoire, Croisic, cette fois ...
Je veux bien que la proposition d'achat du terrain ait déclenché une sorte de panique chez Léontine et entraîné son geste irrémédiable mais pourquoi le trou a-t-il été rouvert ? Sa conscience de fille dévouée et irréprochable ne l'a-t-elle pas retenue d'abandonner sa mère ?
J'ai un peu de mal à me laisser emporter par l'histoire, Croisic, cette fois ...
Re: Une vie sans histoires
Voila qui décoiffe proprement! Du très grand! Sur combien de pareils obscurs où rien ne dépasse, mais où on sent me suis-je interrogé?
Rien de plus terrifiant que ces créatures rampantes ordinaires.
Petit détail, peut-être, rapport au contenu de l'arrosoir, une note drôle dans le glauque: au lieu de poison, poissons rouges? cela marquerait, mieux encore le champs des possibles, l'ignorance dans laquelle on est d'autrui!
ce qu'est tragique vraiment c'est que des boites planquées, on en a tous. Rarement présentable, seul le contenu change.
un texte des plus remarquables, parfaitement bien vu, à l'écriture impeccable
A ubik:
on peut penser que la rue prévue risque de déterrer les petits cadavres ?
on en a tous dans les placards! Tiens, toi, jette-y un oeil. je ne voudrais pour rien au monde regarder en ceux de Silène. Quant à moi, chaque fois qu'un type en tente l'approche, ça m'en fait un de plus à planquer!
Rien de plus terrifiant que ces créatures rampantes ordinaires.
Petit détail, peut-être, rapport au contenu de l'arrosoir, une note drôle dans le glauque: au lieu de poison, poissons rouges? cela marquerait, mieux encore le champs des possibles, l'ignorance dans laquelle on est d'autrui!
ce qu'est tragique vraiment c'est que des boites planquées, on en a tous. Rarement présentable, seul le contenu change.
un texte des plus remarquables, parfaitement bien vu, à l'écriture impeccable
A ubik:
on peut penser que la rue prévue risque de déterrer les petits cadavres ?
on en a tous dans les placards! Tiens, toi, jette-y un oeil. je ne voudrais pour rien au monde regarder en ceux de Silène. Quant à moi, chaque fois qu'un type en tente l'approche, ça m'en fait un de plus à planquer!
outretemps- Nombre de messages : 615
Age : 77
Date d'inscription : 19/01/2008
Re: Une vie sans histoires
Arielle a écrit:Ouf ! Il y a quand-même le petit tablier blanc du dimanche ... Je trouve ce portrait presque trop austère, inhumain. Trop de détails, à mon goût, qui vont dans le même sens. J'aurais aimé un petit dérapage, quelque chose qui fasse moins archétype.
Je suis de l'avis d'Arielle. Une vie un peu moins sinistre, "moins archétype" aurait davantage étonné. La fin choque, mais c'est d'actualité.
Un peu trop d'adjectifs dans la première phrase...
Sinon, j'ai aimé ton texte. J'en ai aimé le regard froid qui constate. C'est bon !
Invité- Invité
Re: Une vie sans histoires
Pour ne pas paraphraser les autres com' je cite Réginelle :
dont j'approuve la remarque. Vrai aussi qu'on aurait peut-être aimé un peu de nuance dans ce portrait tout en noirceur, histoire de laisser un peu d'ombre, un peu de place au questionnement. Mais l'ensemble est très bien ficelé et bien écrit, donc avis positif !Je ne sais pas, au-delà de ce qui est dit, j'ai la perception d'une sorte de mise en relief du "combien on sait peu de choses" des gens que l'on côtoie. De ce qu'une existence tranquille, bien réglée, même si morne, peut cacher de détresse, de folie, de mal-vivre.
demi-lune- Nombre de messages : 795
Age : 64
Localisation : Tarn
Date d'inscription : 07/11/2009
Re: Une vie sans histoires
On reçoit la vie mais pas toujours avec le mode d'emploi. Ou alors en langue étrangère...le temps qu'on le décrypte , qu'on apprenne les bases , il ne reste parfois plus le temps d'expérimenter, de mettre à l'épreuve.
La vie nous a déjà formaté et calciné pour l'éternité ! Il ne suffit pas d'être en vie pour être vivant, donc.
La vie nous a déjà formaté et calciné pour l'éternité ! Il ne suffit pas d'être en vie pour être vivant, donc.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Une vie sans histoires
Une vie sans histoires...Oui. Plutôt un vie pleine de non-dits, d'histoires tragiques, cachées, qu'on "n'entr-imagine" quà la fin du texte.
Texte si bien mené que la chute produit parfaitement son effet.
Encore une page superbe. Merci Croisic.
Texte si bien mené que la chute produit parfaitement son effet.
Encore une page superbe. Merci Croisic.
Invité- Invité
Re: Une vie sans histoires
Histoire d’une vie sans histoires.
Histoire de dire.
Qu’il n’y a d’autre histoire que celle qui se finit toujours par la tragédie.
Qu’il n’y a pas d’histoires après la mort. Juste une mort lente. Et qu’il faut parfois à certains toute une vie pour mourir.
Léontine est une mort-vivante, comme son mari, la mort qui la hante est contagieuse. Son histoire est derrière elle. Dans le non dit. Cette histoire qui l’a menée à sa désintégration intérieure. Le texte prend le parti de raconter l’irracontable et de laisser dans le non-dit le récit de cette mort.
Léontine est parfaite, parfaitement morte, de l’intérieur. Un trou noir s’est creusé en elle. La pulsion de mort depuis longtemps l’a vaincue. Elle ne vit que de temps morts, elle est poussée par Thanatos à s’approcher toujours du néant noir. Ses seules amies sont les personnes les plus âgées, celles qui sont les plus proches de l’abîme qui déjà l’a absorbée.
Nulle lumière n’entre dans sa maison sombre aux volets clos, dans cette tombe où elle réside. Nulle spontanéité, nul élan vital dans son quotidien. La vie est niée radicalement. La crainte que l’on mette à jour un peu de sa nuit la précipite sur le gouffre obscur, suspendue à une branche d’arbre, au-dessus du jardin où elle a semé la mort, ce jardin où les ténèbres stériles, depuis longtemps déjà, ont poussé et proliféré ; suspendue au-dessus du désert.
La force de ce texte tient à son style. D’autres en ont fait l’éloge mérité. Mais il tient aussi à ce parti pris de raconter ce qui ne peut l’être, parce que sans histoires, et de laisser sous silence l’histoire qui a tué de l’intérieur le personnage. C’est l’histoire tragique d’une absence d’histoires ; c’est l’histoire de la mort extérieure d’une mort intérieure. La mort n’est pas seulement à la fin de la tragédie, mais au début. Elle s’est propagée sur son passage, dans sa négation effrayante, destructrice de vie.
Bravo Croisic.
Histoire de dire.
Qu’il n’y a d’autre histoire que celle qui se finit toujours par la tragédie.
Qu’il n’y a pas d’histoires après la mort. Juste une mort lente. Et qu’il faut parfois à certains toute une vie pour mourir.
Léontine est une mort-vivante, comme son mari, la mort qui la hante est contagieuse. Son histoire est derrière elle. Dans le non dit. Cette histoire qui l’a menée à sa désintégration intérieure. Le texte prend le parti de raconter l’irracontable et de laisser dans le non-dit le récit de cette mort.
Léontine est parfaite, parfaitement morte, de l’intérieur. Un trou noir s’est creusé en elle. La pulsion de mort depuis longtemps l’a vaincue. Elle ne vit que de temps morts, elle est poussée par Thanatos à s’approcher toujours du néant noir. Ses seules amies sont les personnes les plus âgées, celles qui sont les plus proches de l’abîme qui déjà l’a absorbée.
Nulle lumière n’entre dans sa maison sombre aux volets clos, dans cette tombe où elle réside. Nulle spontanéité, nul élan vital dans son quotidien. La vie est niée radicalement. La crainte que l’on mette à jour un peu de sa nuit la précipite sur le gouffre obscur, suspendue à une branche d’arbre, au-dessus du jardin où elle a semé la mort, ce jardin où les ténèbres stériles, depuis longtemps déjà, ont poussé et proliféré ; suspendue au-dessus du désert.
La force de ce texte tient à son style. D’autres en ont fait l’éloge mérité. Mais il tient aussi à ce parti pris de raconter ce qui ne peut l’être, parce que sans histoires, et de laisser sous silence l’histoire qui a tué de l’intérieur le personnage. C’est l’histoire tragique d’une absence d’histoires ; c’est l’histoire de la mort extérieure d’une mort intérieure. La mort n’est pas seulement à la fin de la tragédie, mais au début. Elle s’est propagée sur son passage, dans sa négation effrayante, destructrice de vie.
Bravo Croisic.
Louis- Nombre de messages : 458
Age : 69
Date d'inscription : 28/10/2009
Re: Une vie sans histoires
La plume s'affûte et s'affine, comme prévu. L'œil perce les secrets des maisons, et des cœurs. Le texte, par cette litanie de breloques attachées à la dame, égare très astucieusement jusqu'à la chute. Efficace et bien mené.
Alors évidemment, on comprend mal le coup de la momie, laissée en déshérence des divers soins qui fondaient l'existence de Léontine. Curieux syndrome tout de même, qui dans une existence si bien réglée qu'elle ne laisse au soleil que l'entrebâillement d'une persienne, n'a pas anticipé l'éventuelle mise à jour, qu'il serait cependant si aisé de circonscrire, hachoir à pâté, celui à grosse grille, mitonnage gourmand, crémation, la première cuisinière venue faisant l'affaire, ce n'est pas Landru qui me contredira, réduction des corps, transfert...Même pas mal, quoi.
On ne nous dit pas tout.
Alors évidemment, on comprend mal le coup de la momie, laissée en déshérence des divers soins qui fondaient l'existence de Léontine. Curieux syndrome tout de même, qui dans une existence si bien réglée qu'elle ne laisse au soleil que l'entrebâillement d'une persienne, n'a pas anticipé l'éventuelle mise à jour, qu'il serait cependant si aisé de circonscrire, hachoir à pâté, celui à grosse grille, mitonnage gourmand, crémation, la première cuisinière venue faisant l'affaire, ce n'est pas Landru qui me contredira, réduction des corps, transfert...Même pas mal, quoi.
On ne nous dit pas tout.
silene82- Nombre de messages : 3553
Age : 67
Localisation : par là
Date d'inscription : 30/05/2009
Re: Une vie sans histoires
Ha dis donc Croisic, quel texte ! Il fait froid dans le dos et en même temps, ce personnage de Léontine, plutôt glacial, et bien je le trouve très attachant car très fragile et la fin l'illustre bien.
J'aime ta sobriété, cette économie de mots et surtout cette manière que tu as d'évoquer la misère humaine avec une froideur clinique qui rend les situations si proches de nous parce qu'un déclic se produit, l'imaginaire se met en marche... ha oui, j'aime te lire !
J'aime ta sobriété, cette économie de mots et surtout cette manière que tu as d'évoquer la misère humaine avec une froideur clinique qui rend les situations si proches de nous parce qu'un déclic se produit, l'imaginaire se met en marche... ha oui, j'aime te lire !
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
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