Rahan : Boa sans soif, ou comment Rahan… (6sur7)

Rahan : Boa sans soif, ou comment Rahan inventa les pompes funèbres. (6 sur 7)

……Rahan, en ce jour -2967 avant J.C. ouvre un œil, secoue ses puces, de fait : pense un instant inventer une machine équipée d’un écran, d’un clavier, un truc merveilleux qui permettrait aux membres de la tribu de communiquer, un truc estampillé d’une petite pomme croquée, mais Rahan se ravise illico : la pomme lui rappelle… , oui, c’est ça, elle se nomme Eve.
……« Mouise ! »
……Le sorcier avait dit « Pas de jolie fille ! » et « Pas de bistro ! » et… bien obligé de l’admettre, Rahan avait fauté.
……Et pas plus tard qu’hier encore.
……Il admet.
……À deux jours de la levée de punition, c’est con.
……Puis ça fait mal.
……« Mouise » répète Rahan en se palpant là où, précisément, devait y avoir des remords et où y’en avait pas : le cœur.
……Rahan invente donc à son corps défendant : l’anatomie. Mais de l’anatomie Rahan s’en tape comme de sa première chemise, et du métier à tisser allant avec : itou. D’ailleurs, il en remet l’invention à plus tard, se lève et file soulager sa vessie sur le tronc d’un pommier qui, pour les besoins de l’histoire et les siens, pousse tranquillement là.
……« Eve » murmure Rahan en urinant sur son pommier.
……« Eve » répète Rahan.
……Puis, pour une raison qui lui échappe tout à fait, Rahan murmure aussi : « Pisse and love »
……— Nul comme jeu de mot !
……— Pardon ?
……— Ton jeu de mot, il est nul Mowgli!
……— Heu… moi c’est Rahan.
……— T’es sûr ?
……— Ben ouais : Rahan fils des âges farouches, de Crao et tout ça… Inventeur hors pair, et maître du coutelas s’il en est. Et toi t’es qui ?
……— Ben jusqu’à y’a pas cinq minutes, j’étais Kaa : champion de l’hypnose, mais sûrement que mon agent c’est encore planté de casting.
……— De quoi ?
……— Laisse tomber… t’as pas un portable ?
……— Non, je l’invente qu’après-demain.
……— Pas grave, ça va sûrement me revenir.
……— Quoi donc ?
……— Ben ma réplique pardi…
……— …
……— Ça y’est : « Dieu a-t-il réellement dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? » C’est pas ça ?
……— M’étonnerait, j’ai pas encore inventé Dieu non plus.
……— Merde !
……— Et puis y’a pas de jardin !
……— Oui, c’est juste. Dommage parce que cette scène, je la connais sur le bout des doigts.
……— …
……— Là, normalement tu rigoles.
……— Ah bon ?
……— « Sur le bout des doigts », pour un serpent…
……— …
……— T’es vraiment blonde toi !
……— …
……— Laisse tomber. N’empêche c’est con parce que c’est vraiment une jolie scène avec effets spéciaux et tout le toutim.
……— Quel genre ?
……— Ben, tu caftes comme un malpropre. Tu dis : « La femme que tu as mise auprès de moi m'a donné de l'arbre, et j'en ai mangé. » Ensuite ladite femme avoue et au passage m’accuse : « Le serpent m'a séduite, et j'en ai mangé. » et là : roulement de tambour, le ciel s’ouvre, tonne comme pour une apocalypse, et une voix sortit d’on ne sait où gueule : « Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tout le bétail et entre tous les animaux des champs, tu marcheras sur ton ventre, et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. » et paf, je descend du pommier.
……— Et ensuite ?
……— Ben on va s’en jeter un au troquet du coin.
……— J’ai pas le droit d’aller au troquet.
……— T’as pas le droit de boire un coup ?
……— Non !
……— Merde, je me suis aussi gouré de religion ? Bien cru que tu parlais d’Eve pourtant.
……— C’est le prénom de la serveuse, elle travaille à l’Eden.
……— Ben, je croyais que t’avais pas le droit d’aller au troquet.
……— Chuuut… On pourrait t’entendre. Je… je crois que j’ai déconné, et doublement encore, vu que j’ai pas droit aux jolies filles non plus !
……— Et ?
……— Je me souviens plus bien, mais il me semble que Eve et moi… enfin tu vois… Je vais pas te faire un dessin.
……— Inutile, j’aime pas les dessins : la dernière fois que j’ai posé pour un artiste, il a fallu que j’avale un éléphant et, au final, je ressemblais à un chapeau.
……— Un abstrait ?
……— Non, un saint* !
……— Je ne savais pas les reptiles si versés en hénothéisme.
……— Pas d’avantage qu’en alpinisme. Attends, je descends de ce foutu pommier, la hauteur, ça n’a jamais été mon truc. Suis pas très branché comme tu peux le constater.
……— Je dois rire là ?
……— … Laisse tomber, où en étions-nous ?
……— Toi je sais pas, mais moi je vais aller me recueillir histoire de préparer une bonne excuse pour le sorcier.
……— Et si tu lui offrais un cadeau, à lui ou à sa femme…
……— Le soudoyer ?
……— Ouaip’s, c’est pratique courante dans le milieu du showbiz, et ça fonctionne pas si mal. Tu lui offre un truc genre super luxe, et lui t’offre le beau rôle, oublie tout et te passe le reste.
……— Ça marche à tous les coups tu dis ?
……— Quasi !
……— Un présent pour sa femme ?
……— C’est mieux !
……Rahan, du bout de son coutelas se gratte les côtes un long moment, réfléchit à diverses inventions capables de le sortir de la panade. Des trucs tels qu’un aspirateur. Un mixeur multifonctions. Un frigidaire, un joli scooter, un atomiseur et du Dunlopillo, Une cuisinière avec un four en fonte, des tableaux sous verre et des pelles à gâteau. Une tourniquette pour faire la vinaigrette. 
Un bel aérateur pour bouffer les odeurs
. Des draps qui chauffent,
 un pistolet à gaufres. 
Un avion pour deux... et encore quantité d’objets utiles, d’autres inutiles, mais aucun d’eux ne le satisfait. Aucun d’eux ne semble assez beau pour effacer l’incartade, pour apaiser la colère à venir du sorcier. Sans parler qu’il se sent soudainement des Vian.
……— « C’est pas gagné ! » se dit Rahan en remballant son intimité sous sa peau de bête. « Pas gagné du tout ! »
……— Faut trouver un truc vraiment original !
……— …
……— Voire novateur !
……— Je cherche. Je fais que ça !
……— Ouais, ben sans vouloir te vexer, t’as pas l’air si doué que ça comme inventeur…
……— Qu’est-ce que t’y connais-toi ?
……— Ah, mais pardon, j’en connais un rayon. J’ai tourné avec quantité d’acteurs ayant endossé ce genre de rôle, une pléiade… j’ai même tourné avec une serpente qu’inventait des trucs pas possible, des trucs inimaginables, des trucs et des positions… « Le b à ba du Caducée » ça s’appelait. Tu l’as vu ?
……— Jamais entendu parlé. Puis j’ai pas encore inventé le cinéma non plus.
……— Ben qu’est-ce que je fous là alors ?
……— C’est précisément la question que je me pose.
……— Doit bien y avoir une raison.
……— Sans aucun doute.
……— Et le théâtre, t’as pas inventé le théâtre non plus ?
……— Le théâtre ?
……— Oui, le théâtre, le truc avec des planches et sur lesdites planches, des comédiens qui se filent la réplique devant un public qui baille. Genre « Les fourberies de Scapin », tout ça…
……— D’escarpins ?
……— De Sca-pin, t’es bouché toi !
……— Des escarpins, c’est pas bête ça.
……— De Scapin…Oh et puis merde, prononce comme tu veux.
……— Si on allait boire un coup ?
……— Ben je croyais que…
……— T’inquiète pas pour ça.
……— Ok. Puis j’ai soif à force de causer. Il s’appelle comment ton troquet ?
……— … Chez Tanneur.
……— Un pub anglais, chouette. Tu m’offres une bière alors.
……— Une Mort subite !



* Saint Exupery : voir les illustrations du petit prince

Ben ça!! Un nouveau Rahan!! Ce sont les bouquinistes lillois qui t'ont inspiré?? ;-) En tout cas, j'ai bien souri! Merci pour ce succulent décalage. :-)

Beaucoup d'humour, un bel esprit de répartie et de dérision, mais un brin trop confus et trop dense et une chute qui me laisse sur ma faim.

Sahkti a écrit:Beaucoup d'humour, un bel esprit de répartie et de dérision, mais un brin trop confus et trop dense et une chute qui me laisse sur ma faim.

"sur ta soif" on va dire ! :-))
Moi aussi j'ai bien aimé cet humour à l'arraché. Peut-être un peu trop d'allusion, de private jokes que tout le monde ne pourra pas forcément capter, sinon ça tient la route.
Le sentiment d'un truc un peu vite écrit, mais bon ! ;-)

mentor a écrit:
Le sentiment d'un truc un peu vite écrit, mais bon ! ;-)

En fait c'est pile le contraire, en trois étapes avec des espaces d’un mois d'intervalle entre chacun :-) Mais c’est aussi, dans un sens, allez un peu à la va-vite dans le genre "un peu par dessus la jambe". Comme quoi, z’êtes, y'a pas à dire, bons juges. Bon, suis dans l'embarras maintenant, parce que ma petite Endive va se ramener disant "Ah, je te l'avais bien dit que ton Rahan il valait pas tripette" et elle rajoutera, en se tapant le front de l'index et fermant les paupières sur ses yeux azuréens : "Y’en a la dedans" et moi, je me sentirai quelque chose honteux (enfin presque) et je serai obligé de me coller la vaisselle tous les midis et tous les soirs que Dieu fait parce qu'elle aura eu raison, et à la fin j'aurai même plus de doigts pour taper sur le clavier tant ils seront laminés par le détergeant dudit liquide : aux pins des landes s’il vous plaît. Ce qui fait que comme BHL je serai obligé d’écrire avec les pieds, mais contrairement à lui je me la laverai seul, ma chemise blanche que jamais je porte, et au lavoir communal encore… D’ailleurs, et à ce propos, j’attire votre attention sur le fait, que contrairement à BHL, je n’ai point adopté la coupe genre cheveux longs, pour plein de raisons, dont une en principale : la désertion capillaire précoce de mon cuir chevelu, et si ça se trouve c’est simplement dû au fait que contrairement au « philosophe » susnommé, je suis pas né dans le confort des beaux quartiers moi, pas à Neuilly. Ce qui fait que m’envoyer au lavoir sans protection filicale et sans doigts, équivaut à : d’une part ; cautionner la bourgeoisie bien pensante — encore que « bien pensante » dans le cas de BHL ne soit peut-être pas le qualificatif approprié — et : d’autre part — considérant que je n’ai plus de doigts depuis tout à l’heure — : me livrer à une mort certaine, vu que je serai dans l’incapacité de tendre la main pour demander l’aumône. Bref, c’est pas joli joli de pas aimer les pauvres, chauves de surcroît, qui s’échinent à fréquenter les lavoirs communal dans un froid typiquement rural pour aider les endives — qui changent de chemise comme de philosophe — à s’épanouir dans la clarté de leur bureau watté, attendant le soir où, elles s’effeuilleront pour un type qui même plus peut s’en laver les mains d’être manchot !

Et si j'allais dormir un peu moi :-)

Vais dormir, sans faute, ça me changera

No comment :-)

de bleu, personne m'a encore appelé "ma petite Endive"! Je trouve ça mimi ;-)))

Savoureux. J'adore chez Rahan ce mélange de naïveté et d'intelligence.