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LOISEAU : "Le château de mes maires"

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Krystelle
Zou
Savoie-Gwada
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LOISEAU : "Le château de mes maires" Empty LOISEAU : "Le château de mes maires"

Message  Savoie-Gwada Mer 1 Nov 2006 - 15:53

I

Je voulais l’océan, l’Atlantique, l’odeur d’algues et des cris de goélands, les plages désertes et le vent frais. Depuis quelques jours, je ne pensais qu’à partir. Houle violente à Belle île, équinoxe sur Ouessant, peu m’importait la destination pourvu qu’elle me permette de fuir la capitale, ses pots d’échappement et ses histoires habituelles d’adultères, de vols de voitures ou autres disparitions.

- Allô Wanda ?
- Coucou Loiseau !
- Laisse tout tomber, tu pars en vacances !
- Qu’est ce que tu m’inventes encore !
- Fais ta valise, je t’emmène voir l’océan !
- Pacifique ? Indien ? l’île Maurice, ça a l’air sympa !
- Hé là, doucement, j’ai pas encore écrit mon Da Vinci Code ! Faudra te contenter des côtes françaises et de l’Atlantique !
- Biarritz ? Lacanau ?
- Euh, je pensais plutôt à Plogoff, pas loin de Brest !
- Brr, ça doit cailler là bas et puis, y a pas de marée noire en ce moment ?
- Oh la la, si t’es négative comme ça, tant pis, j’irai seul !
- Ouais, bon, ok, je viens. Et ton chat ?
- Ben, on va voyager avec ta caravane, on le laissera à l’intérieur !
- Tu rigoles ou quoi, tu veux pas que je conduise aussi ?
- Allez pour une fois, laisse-moi décider ! Et puis, on verra sur place si on passe quelques nuits à l’hôtel.
- Tu parles ! Ça sent le baratin, tout ça.
- T’es vraiment jamais contente, alors !
- Bon, mais t’as intérêt à nous trouver un petit nid ! Je dois voir une cliente ce soir et faut que je range, alors pas de départ avant demain matin !

Parfait, ça me laisse le temps d’aller louer une voiture, de faire ma valise et de capturer mon félin féroce. Avant de sortir, je place donc son panier à l’envers, un stylo pour maintenir le piège en l’air, quelques croquettes en dessous, et hop, quand il passe becqueter, il fauche le stylo, et reste prisonnier sous le couvercle. J’ai vu ça dans un film l’autre jour, ou un dessin animé peut-être, me rappelle plus trop mais me semble que ça avait pas mal marché ! Voilà pour le piège ! Je m’avance ensuite discrètement vers la porte de l’appartement et j’ouvre d’un geste vif. Perfide a à peine le temps de sauter du canapé et de se précipiter dans le couloir toutes griffes dehors vers son unique espoir de sortie que j’ai déjà refermé. Bang ! Légère secousse dans la poignée ! Encore raté mon gros ! Il n’est pas facile à gérer quand arrive le printemps… !

***


J’aurais bien emprunté la caisse d’Hassan mais la dernière fois il n’était pas trop content des 1000 kms pour Paris-Strasbourg. Il a du mal à comprendre que j’aime faire des petits détours. Donc me voilà parti pour la plus proche agence de location. Ce sera donc « Ecoloc – qui loue pas du toc ! ».

- B’jour, m’aurait fallu une voiture plutôt jolie ! Enfin qui plaise à une jeune femme !
- Toutes nos voitures plaisent aux dames ! Audi TT, A3, A4 cabriolet, Porsche Cayenne, Aston Martin… ? 4x4, cabriolet… ?
- Euh ! Vous avez une rouge ?
- Bien sûr, pour quel usage ? Ville ? Autoroute ? Combien de personnes ?…
- Deux personnes, des vacances !
- Dans ce cas, que diriez-vous d’une Mercedes SLK cabriolet rouge comme celle-ci ?
- Pas mal du tout ! Ca devrait bien lui plaire !
- Par jour, ça vous fait 310 euros pour 250 kms.
- Euh oui… En fait, je suis pas trop sûr parce qu’elle a beaucoup de bagages souvent et le coffre me semble petit !… et puis… Non, peut-être celle-ci là ?
- Une 206 cabriolet ! Je vois… Là, évidemment, on tombe à 200 euros la semaine.
- Voilà, c’est parfait ! Disons pour dix jours à partir de demain !
- Manuelle ou automatique ?
- Hein ?
- La boite de vitesse ! Manuelle ou automatique ?
- Euh ! non, normale, une boite normale !
- Manuelle donc !
- Euh, oui, c’est ça, manuelle !… Dites, ça irait pour tirer une caravane ?
- Pardon ! Une caravane ! Vous n’y pensez pas…
- Ah non non, je blague, je blague ! Rassurez-vous !

Tant pis, ça fera l’affaire ! On prendra les routes de campagne et on ira doucement.

***


Retour à l’appart. Le panier est bien tombé mais ni chat ni croquette en dessous ! Et pas moyen de mettre la main dessus ! Enfin, disons pas moyen de le trouver parce que lui mettre la main dessus, ça tient plutôt du suicide ! Tant pis, plan B habituel : l’attraper pendant son sommeil avec mes gants de ski !

**********




II

- Dis-moi Loiseau, ta voiture, elle est pas un peu petite pour tirer ma caravane ?
- Mais non, pas du tout ! Pourquoi tu me poses cette question ?
- Etant donné qu’on est à 60km/h en pleine ligne droite et que la route est déserte…
- Baah ! C’est volontaire ! T’es pressée ? Et puis avec toutes ces pompes à fric qu’ils ont collées au bord de la route, j’ai pas envie d’être pris en photo !
- Sûr que là, ça risque rien ! Entre 60 et 90, y a comme une marge…
- On n’est jamais trop prudents avec ces trucs informatiques !
- Ouais ouais, si tu veux ! Enfin, on est pas près d’arriver à Kougloff !
- Plogoff !! Kougloff, c’est un gâteau !
- Ouais, en tous cas, j’espère que ça ressemble pas à Porquenic parce que si c’est pour voir des cinglés, j’en avais plein sous la main à Nanterre. (*)

Encore quelques heures et on sera en pleine carte postale ! On va se poser sur le parking de la baie des Trépassés et ensuite, on pourra se promener tout le long de la côte bretonne en contemplant la mer d’Iroise ! Et qui sait peut-être qu’au détour d’un sentier isolé, Wanda deviendra câline. À cette période de l’année, ce doit être désert et on serait tranquille pendant tout le temps nécessaire et…

- Eh ! Qu’est-ce tu fous, bordel ! Tu vois pas que tous les voyants rouges clignotent !!!
- Hein !
- Arrête-toi !
- Quoi !
- Arrête-toi, putain !
- Ah euh oui ! Oh là là, qu’est-ce qui se passe !

Je m’arrête donc en catastrophe sur le bas-côté. La voiture a dû chauffer un peu trop ! Effectivement, on ne peut pas dire qu’elle soit vraiment adaptée pour tirer une caravane !

- Ah, l’enfoiré de vendeur ! Non seulement, il m’avait promis qu’il me trouverait une Mercedes cabriolet mais en plus, à la place, il m’a refourgué un tas de ferraille ! M’en vais lui téléphoner ! Tiens, je m’éloigne, j’ai pas de réseau.
- Te casse pas Fred, on va attendre un peu…
- Je l’appelle !… Allo, Ecoloc… euh pardon, non, LuxoLoc ! Loiseau à l’appareil ! Vous croyez pas que je vais payer pour une bagnole qui clignote pire qu’un sapin de Noël ! Non mais !…

Et me voilà parti pour une bonne dizaine de minutes à engueuler l’horloge parlante, l’imbécile ne trouvant pas d’autre réponse que « Au 4ème top, il sera exactement… ». Et si je n’arrive pas à sauver la face vis à vis de Wanda, ça permettra au moins au moteur de refroidir !

(*) Episode 2 – Killgrieg – Le sale air de l’acteur


**********





III

La baie est telle que je l’avais imaginée. Finalement, c’était une bonne chose d’être arrivés si tard, hier soir ! En arrivant de nuit, l’Atlantique s’offre à nous avec les premiers rayons du soleil ! Il va faire beau, c’est certain ! L’océan commence à se retirer, et la plage s’allonge indéfiniment. La marée semble vouloir rejoindre l’île de Sein que j‘aperçois en face. Quel joli nom ! D’ailleurs, j’ai bien envie de réveiller Wanda. Dire qu’elle m’a obligé à dormir sur la minuscule banquette pendant qu’elle occupait seule le lit double de la caravane ! Je m’approche doucement, soulève le drap et dépose un léger baiser sur ses lèvres tout en lui caressant le cou, espérant que la suite me permette de descendre un peu.

- Non mais ça va pas ! Pourquoi tu me réveilles !

Décidément, elle est vraiment charmante !

- Ben, il fait beau ! Je pensais qu’on pourrait en profiter pour aller se promener !
- Quoi, si tôt ?
- Il est déjà presque 9h !
- Et alors, t’es jamais debout avant 11h à Paris !
- Là, c’est différent, c’est les vacances.
- Putain, t’es cinglé !
- Je pensais qu’après déjeuner on pourrait d’abord remonter à pied sur Plogoff où on achèterait du pain, des bières, enfin de quoi pique-niquer, et puis on partirait à pied en direction de la pointe du Raz !
- On pourrait pas plutôt aller manger au restaurant juste à côté !
- Oh ben non, il fait beau et il paraît que c’est pas souvent en Bretagne !
- D’accord, d’accord …

***


Sauf que le village de Plogoff, je le voyais pas si loin, moi ! Et comme Wanda a mis une éternité pour sortir du lit, déjeuner, se préparer… Nous voici après quarante minutes de marche devant deux minuscules magasins fermés jusqu’à 15h !

- Tu fais chier Loiseau ! C’est toujours foireux avec toi ! Tu rêves, t’imagines et tu fantasmes mais t’es pas foutu d’organiser quoi que ce soit ! J’ai faim et pas question de redescendre à la caravane sans avoir becqueté un minimum !
- T’énerve pas comme ça, regarde, le bistrot du coin a l’air ouvert !
- Quoi, ça là-bas ? La Caverne aux Poivrots ?
- Mais non, tout de suite, t’extrapoles ! La Taverne aux Poireaux, ça sonne poétique, ça sent la crêpe à la saint Jacques et aux poireaux, ça parle de tables de chêne dressées, de bolées de cidre devant un feu de cheminée, un jour de tempête…
- C’est bon, c’est bon, arrête ta prose, on y va !


Petite brume nicotineuse, odeur de café et de gros rouge renversé, décoration murale années soixante d’un joli bordeaux tirant sur l’anthracite crasseux, quatre habitués accoudés au zinc, une table de vieux joueurs de cartes, une patronne à l’œil droit figé en position latérale et hop, c’est fichu pour les câlins aujourd’hui.

Les discussions reprennent après la commande passée : pression pour moi, Perrier menthe pour la demoiselle et deux jambon-beurre ! La vraie cuisine française en somme ! Wanda choisit la table adjacente aux joueurs juste au moment où le ton commence à monter.

- Je te dis que c’est de la foutaise tes histoires ! Si tu y crois vraiment, t’as qu’à écrire à Julien Courbet, il enverra deux ou trois branleurs vérifier, il fera une émission spéciale, t’auras vingt fois plus de touristes dès le mois suivant, tu seras content et on n’en parle plus !
- Putain, vous êtes vraiment butés ! Puisque je vous dis qu’on était trois quand on l’a vu !

Mon verre sent le vieux torchon humide et la poussière et mon beurre est rance, un vrai délice !

- Mademoiselle, dites-lui à ce crétin que ça n’existe pas les fantômes !

Et voilà, toujours la même histoire, jamais plus de cinq minutes dans un bar avec Wanda sans qu’un abruti se mette à parler au petit chaperon rouge qui s’est aventuré dans la tanière du loup.

- Monsieur voit des choses à son château ! Hé oui, Meeeeeuuuussieur est châtelain ! et maire de sa ville également ! Attention, y a du beau monde ici ! Deux maires et deux adjoints s’il vous plaît. Le maire de Plogoff, moi-même, le maire de Trécesson, mon cousin Morbihannais et fabulateur…
- Fabulateur, fabulateur, t’as beau jeu de parler comme ça ! Quand tu croiseras l’Ankou (*), tu y croiras aux fantômes mais pas bien longtemps parce qu’après, hop un coup de faux et…
- Oh ! Attention, l’Ankou, c’est pas pareil. La mort, ça existe, mais tes histoires de jeunes mariées enterrées, c’est du biniou !…

Après de longues minutes d’explications des maires déchaînés, la patronne m’apporte ma pression et je manque de m’étouffer dès la première gorgée quand j’entends Wanda, usant de multiples clignements des yeux et autre jeté charmeur de chevelure, leur répondre enfin :

- Alors ça, ça tombe bien ! Monsieur Loiseau, ici présent, est détective ! Ce n’est pas une affaire « habituelle » mais je suis sûre qu’il serait ravi d’éclaircir ce mystère. Vous seriez ainsi fixés une bonne fois pour toutes et ce, pour un prix dérisoire qui…
- Euh ! Excusez-moi messieurs ! Wanda, on peut se voir deux secondes dehors !
- Pas de problème… Inspecteur !

Je l’empoigne par le bras et nous sortons discuter sur le trottoir. Quelques gouttes de pluie commencent à tomber alors qu’un vent d’ouest tente de nous coller au mur.

- Qu’est-ce qui te prend, on est vacances ! Et puis, ces histoires à dormir debout, c’est impossible à résoudre !
- Vacances, tu parles de vacances ! On se tape des sandwichs dans des bars miteux, on dort dans ma caravane et en plus, il commence déjà à pleuvoir ! Non, moi, je te le dis Loiseau, tu vas me prendre cette affaire, on va aller crécher quelques jours au château du maire, tu fais semblant de chercher à droite à gauche, on lui colle une photo-montage du fantôme et hop, on termine les vacances à l’hôtel avec le fric qu’il nous file.
- Putain, Wanda, t’es encore plus malhonnête que moi !
- On n’a rien sans rien mon bichon ! Et ça vaut aussi pour tout ce que tu peux espérer de moi…
- Ok ! Compris, on y retourne et on leur fait le grand jeu.


(*) Personnage revenant souvent dans la tradition orale et les contes bretons, l'Ankou est la personnification de la mort en Basse-Bretagne. Il ne représente pas la Mort en elle-même, mais son serviteur : son rôle est de collecter dans sa charrette grinçante les âmes des défunts récents. Lorsqu'un vivant entend le bruit de la charrette, c'est qu'il ne va pas tarder à passer de vie à trépas. On dit aussi que celui qui aperçoit l'Ankou meurt dans l'année.
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Savoie-Gwada

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Message  Savoie-Gwada Mer 1 Nov 2006 - 15:54

IV

Au moins avec Wanda, on ne s’ennuie pas ! Je partais pour dix jours au bord de l’océan, me voici de retour deux cents kilomètres à l’est, à l’orée de la mythique forêt de Brocéliande. Mais elle a raison la garce, son initiative va nous payer nos vacances à bon compte !
À notre retour au bar les élus nous avaient saoulés d’histoires de chevaliers, de jeunes mariées enterrées vives, de dames blanches, puis enfin avaient daigné nous écouter vendre notre soupe. Même que les copains du maire de Trécesson lui avaient refilé une bonne idée pour financer l’opération : se cotiser en puisant dans leurs caisses noires municipales respectives... Il y a toujours un trésor de guerre dans une mairie, surtout ces petites communes sans histoires où tout fonctionne parce que tout le monde connaît tout le monde. Une ponction d’un millier d’euros ne mettrait personne en difficulté. Et l’enquête ne pourrait en définitive que renforcer certains dans leurs convictions superstitieuses. Ou à défaut rapporter une petite notoriété à Trécesson. Au pire… mais le pire n’est jamais sûr !

Le maire du lieu nous avait indiqué avec force détails le meilleur itinéraire pour parvenir à son château et nous avions l’adresse de la personne chez qui prendre la clé. Wanda avait lourdement insisté pour que nous puissions même y loger, le temps de l’enquête.

La route a été un peu longue mais somme toute agréable. A propos de somme, Wanda m’a gratifié tout au long du trajet de la palette complète de ses ronflements mélodieux. La radio poussée au maximum n’est jamais parvenue à les couvrir et j’ai carrément raté toutes les infos. Mes deux timides tentatives pour caresser la cuisse gauche de la dormeuse ne m’ont rapporté que deux balafres sur l’avant-bras. Perfide veillait sur la banquette arrière...
Cette traversée d’une forêt dense, avec la lumière du jour qui baissait rapidement, un brouillard envahissant les sous-bois et faisant briller la route dans la lumière des phares, tout cela me laissait une impression de malaise indéfinissable. Même la radio ne captait plus rien et grésillait inutilement. J’imaginais des farfadets ricanants cachés derrière chaque tronc. De macabres légendes me revenaient à la mémoire. La Dame Blanche allait-elle apparaître, évanescente, telle une volute de fumée claire au fond de la forêt ?

Qu’est-ce qui m’arrive ? Voilà que je gamberge sur ces vieilles histoires de bonnes femmes. Loiseau, il s’agit de garder la tête froide à défaut d’un sang chaud difficile à tempérer. Un brutal coup de volant sur la droite pour remettre la voiture en ligne, ouf ! J’ai dû commencer à somnoler, pas bon ça. Le brusque roulis a réveillé Wanda qui frotte ses jolis yeux en maugréant.

- Qu’est-ce que c’est encore ? Tu sais plus conduire ? Y a personne pourtant !
- Ben je m’endormais je crois, il est temps qu’on arrive. Il doit rester deux ou trois kilomètres. Tiens, qu’est-ce que je disais, on va traverser Campénéac, c’est là qu’on va prendre les clés. Le château n’est pas très loin de là.
- Brrr, fait humide, on se croirait pas en été ! Y a pas un chat dans ce bled. Pardon Perfide ! Là ! Arrête Loiseau, le troquet est encore ouvert sur la place.

Je pile, me gare n’importe comment et on descend en vitesse en prenant garde que Perfide ne nous suive pas.
J’hallucine : on croirait revivre la scène de Plogoff ! le bar avec la patronne à l’œil torve qui frotte ses verres à l’envi et une table occupée par quatre vieux qui jouent aux cartes en s’engueulant dans la fumée des gitanes-maïs et une odeur de vinasse et de café brûlé. C’est surréaliste. Du coin de l’œil je vois que Wanda accuse le coup elle aussi.
Pas le temps de se présenter, la tenancière nous apostrophe :

- C’est vous les touristes de Plogoff ? J’vous attendais. Vous avez pas roulé vite, dites donc ! Tenez, v’là l’trousseau. M’sieur l’maire vous fait confiance pour rien casser ! Vous savez-t’y où il est l’château au moins ? Pouvez pas vous tromper : vous quittez la 724 d’ici 800 mètres sur vot’ gauche et deux kilomètres après vous verrez une petite pancarte « Château de Trécesson », sur la droite. Laissez la voiture au bord de l’eau, vous pourrez pas la rentrer, y a un pont-levis. Bien l’bonsoir !

Je jurerais qu’elle a tout débité sans respirer ! Ouf ! Même pas demandé si on voulait un truc chaud à boire. Les quatre vieux ont suspendu leur jeu, comme statufiés par l’apparition de deux martiens dans leur bled paumé. On n’a plus qu’à repartir.

- Ben dis donc, ça promet, fait Wanda en remontant dans la 206.
- Comme tu dis !

Une nuit sans lune en plus. Je roule pleins phares. La pancarte est bien là, et cinq minutes plus tard le plan d’eau qui ceinture le château brille sous les faisceaux. La bâtisse est quasi invisible, seule une énorme masse sombre forme une sorte d’île de hauteur indéterminée. Quelques anciennes dépendances se trouvent sur la gauche, portes béantes et vitres cassées aux fenêtres. Pas âme qui vive.
Je roule encore quelques mètres et trouve enfin l’étroit chemin d’accès au pont-levis qui enjambe une eau noire.
Nous sommes tous deux saisis d’un même sentiment indéfinissable. Ça ressemble bougrement à de la peur. J’éteins le moteur en laissant les feux allumés pour éclairer l’entrée monumentale flanquée de deux tourelles aux toitures pointues coiffées d’ardoises.
Pas un bruit hormis quelques coassements lugubres venus du fond des douves.
Comme envoûtés par cette ambiance glauque, Wanda et moi descendons de voiture sans prêter attention à Perfide qui bondit à l’extérieur en poussant un hurlement déchirant et disparaît dans la nuit.

- Putain ! Loiseau ! Je t’avais dit…
- Eh, ça va ! Il est sorti de ton côté, c’est ta faute ! T’en fais pas, il t’aime trop, il nous retrouvera.
- J’espère pour toi ! Quelle histoire, tu crois pas qu’il vaudrait mieux laisser tomber et se tirer avec le fric ?
- Wanda ! Tu me fais honte. On y est, faut assumer. Attends, je vais ouvrir.

Il n’y a que deux clés. La première est énorme et tourne difficilement dans la serrure de la première grille qui grince bien fort, comme il se doit. La deuxième ouvre une lourde porte de bois qui donne accès à une deuxième grille non verrouillée. Tu parles d’un blockhaus !

- Bon, là il nous faut de la lumière ! On n’a pas pensé à en parler, j’espère qu’EdF arrive jusqu’ici ! Tu vois un interrupteur Wanda ?

Sans réponse je me retourne : plus de Wanda ! Juste les phares de la 206 qui m’éblouissent et rendent l’environnement encore plus sombre. Mon sang se glace. Je ne me vois pas mais je suis sûr que j’ai pâli. Ma gorge se serre, mes lèvres ne parviennent qu’à émettre un très timide : « - Wanda ? » qui reste un peu coincé.
Les quelques mètres qui me séparent de la bagnole sont vite franchis et je me remets au volant, démarre le moteur et fais quelques mètres en avant puis en arrière tout en virant pour que le faisceau lumineux balaye les alentours. Je donne quelques brefs coups de klaxon tout en criant le nom de mon amie par la fenêtre ouverte. Rien n’y fait !
C’est alors qu’une lumière vive apparaît de l’autre côté des grilles ouvertes, éclairant ce que je peux apercevoir de la cour pavée du château.
Ouf ! Wanda a dû trouver un bouton. Il ne me reste plus qu’à la rejoindre, rassuré.
Du coup je gare la voiture le long des dépendances abandonnées, coupe le contact et verrouille les portières, non sans avoir attrapé au passage notre sac de voyage.

- Wanda ! Montre-toi ! je hurle en pénétrant dans la grande cour vide du château aux murs sombres. Alors, on s’installe où ?

Tu parles ! Elle se fout de moi ou quoi ? Toujours pas de réponse si ce n’est les crapauds infatigables et une sarabande de chauves-souris dérangées par la lumière soudaine.

Retentit alors un hurlement à glacer les os, long, très long, terrifiant, provenant des profondeurs des murs, un cri presque inhumain, d’une seule note, sans modulation, strident et interminable.
Je ne saurais dire si c’est la voix de Wanda, ni même si c’est un cri de femme. Se superposant à ce son insupportable je crois distinguer un grincement. Pas celui des grilles, non, c’est quelque chose qui tourne, comme des essieux de charrette mal huilés. Et ce son là se rapproche ! Et s’amplifie. J’entends maintenant comme un bruit de sabots sur les pavés. Pour couronner le tout, la lumière s’éteint soudain. C’est trop : je m’effondre au sol, me recroqueville, assis la tête entre les genoux, les mains sur les oreilles pour étouffer cette cacophonie de film d’horreur.

Jamais je n’ai eu si peur de ma vie. Peur pour moi mais aussi pour ma petite Wanda. Où est-elle ? Y a-t-il un rapport entre sa disparition et ces bruits épouvantables ?

Et voilà qu’au moment où le roulement grinçant et les martèlements de sabots atteignent leur paroxysme, le cri inhumain cesse et que je me sens frôlé par un souffle chaud, une caresse démoniaque. Un contact hideux avec une « chose », un élément doté d’une toison terriblement douce, qui passe et repasse autour de mes chevilles. Tandis que l’attelage fantomatique semble s’éloigner enfin. Le tintamarre décline. La nuit est toujours aussi dense. Les coassements lointains reprennent un peu de vigueur. Le frôlement si horriblement doux cesse pour se terminer par une griffure profonde au tibia qui me fait hurler de douleur. Perfide ! Ca ne peut être que lui ! Venu chercher une protection momentanée, mais dont le naturel reprend le dessus dès que le danger s’éloigne ! Sale bête !
Et moi qui n’ai ni allumettes ni briquet sur moi. Que faire dans cette noirceur totale ? La lampe de poche est dans la voiture. Vraiment pas le moment de bouger d’ici !

Qu’est-ce que tout ce cirque peut bien signifier ? L’Ankou et son char ne sont-il pas qu’un légende sans fondement ? Ai-je ressenti l’approche de la mort ou bien suis-je manipulé ?

À peine le temps de me poser toutes ces questions qu’un rayon de lumière apparaît à une vingtaine de mètres devant moi. Un faisceau mobile coupé par intermittence par les colonnes de la coursive de gauche, preuve que le porteur de la lampe marche vers l’entrée principale.
M’a-t-on vu ? Dois-je me manifester ? Je ne suis pas sûr d’avoir ma voix, encore moins de pouvoir tenir sur mes jambes.
Pas téméraire, je décide d’observer.
L’homme – car malgré sa « robe » je vois bien à son crâne dégarni que c’est un homme – se glisse plus qu’il ne marche vers une porte basse dont le renfoncement se dessine en ombres mouvantes.
Sûr de n’avoir pas été remarqué je prends mon courage à pleines mains et je saute sur mes pieds. Ca tient, allons-y ! Je cours sans bruit sur les pavés de la cour immense et me rapproche de la silhouette en soutane juste pour la voir disparaître par la porte dérobée. Avant que celle-ci ne se referme d’elle-même, je la retiens, passant la tête dans l’entrebâillement. Un escalier en colimaçon plonge dans les profondeurs.
Si Wanda est en danger je dois tout faire pour l’en sortir. Et ce type, c’est tout ce à quoi je peux me raccrocher.
Il faut que je retourne à la bagnole récupérer ma torche !

Et puis, non, allez, je m’engouffre à sa suite. La porte se referme derrière moi et me laisse dans une obscurité quasi totale qui n’est pas là pour me rassurer. L’homme est déjà trop loin pour que je puisse profiter d’une quelconque lueur. Je pose mes deux mains contre le mur de droite, humide, froid. Mon pied gauche cherche les marches suivantes et j’entame la descente. Peut-être aurais-je dû rester dans la cour, c’est idiot, Wanda n’est pas par là. Et voilà qu’il me semble m’être coupé à la main droite en sentant un affleurement au milieu de cette mousse répugnante. Je l’imagine aisément verdâtre et remplie de vers dégueulasses. Ma main doit saigner contre cette immondice. Mes oreilles bourdonnent et mon pied gauche ne trouve pas la marche suivante, je cherche, je cherche et je bascule, m’étale, dévale une dizaine, une centaine, une infinité de marches, pour finir par m’encastrer l’épaule dans une paroi de pierre en un fracas qui ne cesse de résonner. La douleur me cisaille le bras gauche et la peur entreprend de figer tous mes membres. Je la sens qui remonte le long de mes jambes, parcourant mes bras et mon dos de frissons moqueurs. C’est trop pour moi. Dans un élan de panique irrépressible, je me précipite vers le haut des escaliers, je monte sur les mains, les jambes, les genoux, rencontre enfin une poignée de fer, retrouve l’air libre de la cour. Quelques foulées et une fermeture centralisée plus tard, je ressens enfin un léger soulagement de sécurité.

Putain de cambrousse de culs terreux ! On aurait dû rester en ville. Ces bleds de merde, c’est des repères de tarés. Personne n’en part jamais, jamais de nouveaux, ça finit par des saletés de trucs consanguins et ces putains d’arbres me foutent la trouille. Et là, tout à coup, j’ai envie de me barrer. Sûr que Wanda, elle est bien jolie, je l’aime bien mais finalement… Sans compter qu’elle l’a bien cherché… Et puis, ça me débarrasse de la sale bête. Oh merde, et maintenant, un coq qui s’égosille en pleine nuit et en pleine forêt. C’est le plateau de tournage d’Evil Dead ou autre Amityville ici ! Allez Loiseau, tant pis, c’est l’heure de migrer, mieux vaut un salaud vivant qu’un pigeon mort, ne serait ce que de trouille. J’enclenche le contact en m’attendant à des hoquets essoufflés, moteur noyé. On est bien dans un film d’horreur, non ? Contre-pied : la Peugeot ronronne comme au premier jour. Marche arrière enclenchée et Wanda surgit de nulle part, le visage collée à ma vitre, trempée jusqu’aux os. Elle n’a pas l’air bien contente et commence à crier :

- Où tu vas Loiseau ?

Vite, se calmer, réfléchir un peu. Sais plus trop de quoi j’ai peur, peut-être de Wanda finalement, sûr qu’elle ne va pas me rater, là ! J’hésite encore un peu à lui ouvrir. Ce ne serait pas la première fois qu’un gars se fait berner par l’apparition de quelqu’un qu’il croit connaître.

- Ouvre-moi abruti !!

Pas de doute, c’est elle !

- Ah ! Quand même ! Tu croyais aller où comme ça !
- Et toi, bordel, t’es passée où ! Tu te prends pour David Copperfield ou quoi ! Et pourquoi t’as gueulé comme ça !
- Ah d ‘accord, j’essaie de rattraper tes conneries en courant après ton chaton chéri et même pas un merci ! Un, tu ne viens pas me secourir après que j’ai glissé dans ces douves noirâtres. Deux, j’ai comme l’impression que t’étais sur le point de mettre les voiles et trois, faudrait en plus que je me casse la gueule sans faire de bruit.
- Quoi, tu vas pas me dire que t’avais disparu pour ce chat !
- Et quoi d’autre ? T’aurais préféré qu’un fantôme viennent m’enlever ! Tu serais pas un peu impressionnable Loiseau ?
- Et le moine, hein ! T’en fais quoi du moine ?
- Quel moine ? Sean Connery, ou le bossu ? Bon, là, tu m’excuses mais c’est trop, je vais me changer et dormir dans la caravane et je te conseille de bien t’installer dans ta Mercedes parce que quelque chose me dit que tu vas y passer quelques nuits sympas !

Bon ! Allez, légère inclinaison de la banquette, le blouson remonté jusqu’au nez, première carte postale de vacances : le détective s’endort dans une clairière paradisiaque, toujours seul, durablement seul, mais rassuré, un peu.


**********

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Savoie-Gwada

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LOISEAU : "Le château de mes maires" Empty Re: LOISEAU : "Le château de mes maires"

Message  Savoie-Gwada Mer 1 Nov 2006 - 15:56

V


Évidemment, de jour, le château est beaucoup moins impressionnant. Les imposantes douves ne sont plus que des petites mares étouffées par la verdure et les habitants diurnes de la forêt me semblent bien plus sympathiques. Bref, ça fait déjà une heure que Wanda est levée et elle ne m’a pas décroché un mot.

- Hé, Wanda ! Désolé pour hier soir.

Pas un regard. Je n’ose pas trop insister.

- Le pendu ! Quatre fois le pendu !
- Quoi ?
- Hier soir, j’ai tiré les cartes. Le pendu sort à chaque fois.
- Et alors, ça veut dire quoi ?
- Ben, c’est clair non ? La mort, la folie… Enfin, c’est pas bon, c’est sûr !
- Ah !
- Quoi « Ah » ! C’est tout ce que tu trouves à dire !
- Bah, tu sais bien que je ne crois pas à tes trucs, c’est pas rationnel. Je suis un scientifique, moi !
- C’est pas l’impression que j’ai eue hier soir.
- Je t’assure, j’ai vu un gars en soutane ! D’ailleurs, prends la lampe torche, on va partir sur ses traces !

Et tu passeras devant, ma belle ! Et avec un peu de chance, on devrait pouvoir trouver deux ou trois trucs intéressants.

Les grilles sont restées ouvertes toute la nuit. Le soleil encore bas ne passe pas encore par dessus les grands murs d’enceinte. Wanda ne fait aucun problème pour entrer la première par la petite porte. Aucune mousse au mur, des marches larges. Je sens que je commence à m’énerver, je m’en veux d’avoir été si ridicule. Le pouvoir de l’imagination sans doute. Toujours est-il qu’après quelques minutes de descente en colimaçon, nous voici devant une porte de bois à l’inscription charmante : « le Chevalier 0’Mard va tous vous tués » . Peu m’importe, je prends les devants et nous entrons dans une sorte de cave aux murs gris.

- Y a un interrupteur, là !
- Bordel !
- Tu l’as dit !

Des catacombes : des crânes, des tibias, des fémurs, des cubitus, des humérus, bref, des vieux os partout. Et au beau milieu de la pièce, un petit tas d’ossements un peu plus blancs.

- Dis-moi, ton moine, y serait pas en train d’essayer de construire une extension ?
- Suis pas super calé en anatomie, mais par contre question bouffe… Et ça, c’est des os de poulet ?… De coq peut-être !
- Ouais, enfin, ça nous dit pas où est passé ton nécrophage. Et si on remontait ?

Elle le voulait, on est remontés. J’avoue avoir retrouvé lumière du jour et air frais avec plaisir ! Mon costume sale et mes ecchymoses sont bien réels, j’ai encore des courbatures partout et les idées floues. Qu’est-ce qui s’est passé cette nuit ? Où était la limite entre hallucination et réalité ? Pour couronner tout ça j’ai une faim d’ogre. Je boufferais bien Wanda, en commençant par… ouais, en hors-d’œuvre, principal ou dessert, je suis en manque et ça me tape sur le système…

- Tu viens ? On va prendre un café-croissant au village.
- C’est ta première bonne idée depuis trois jours ! Go !

Je ferme la grille du château, décroche la caravane et on démarre dans l’étroit chemin qui nous a menés ici. Une centaine de mètres à peine et je dois piler : un tronc est couché en travers ! Pas entendu de tempête pourtant cette nuit ! Du vacarme, mais pas de vent…

- Wanda ?
- …
- Je le sens pas ce coup là, ferme ta sûreté…

Même pas le temps de finir ma phrase, nos deux portières sont ouvertes avec fracas et je prends, pile sur la tempe gauche, un coup violent qui me plonge aussitôt dans un cirage noir.

Impossible de dire combien de temps j’y suis resté, dans le coltard. Toujours est-il que le réveil est douloureux. Et froid. Et humide. Et sombre. Il fait nuit, bien noire.
J’allume le plafonnier, ma montre me dit qu’il est 8 heures. La date est la bonne. Donc j’ai gâché huit heures de ma vie. Et celle de Wanda ? Parce que ma copine n’est plus sur le siège d’à côté !
Mon estomac fait un bruit épouvantable.
Tout me revient en dix secondes : le départ en vacances, le bistrot avec les quatre élus à moitié torchés, la route jusqu’au château, Wanda disparue, la charrette de l’Ankou, le moine, le souterrain, la chute, Wanda qui sort des douves, les ossements, notre tentative de fuite… Trop de choses à gérer là. Je flippe grave. Ma copine s’est encore fait la belle et cette fois je crois que c’est plus grave qu’une trempette avec les grenouilles.
Faut réagir Loiseau, nom d’un chat !
Dans le rétro je vois une longue traînée de sang séché qui part de ma tempe et macule ma joue et mon cou, le col de ma veste, l’épaule gauche. Ils ont dû me laisser pour mort si ça se trouve. Avec l’intention de faire disparaître mon corps et la bagnole plus tard. Ça m’arrange, et drôlement !
J’ouvre la boîte à gants : chance, mon P38 y est encore !
Je sors avec précaution, j’évite de claquer la portière. De temps à autres une vague clarté traverse l’épaisseur des nuages. Ce qui me permet de ne pas allumer ma torche. Retourner au château, c’est ce qu’il y a de mieux à faire. C’est là que se trouve la clé de ce merdier.

Je fais tellement gaffe que je peux entendre le silence. C’est pourquoi mon oreille aiguisée me fait percevoir un drôle de bruit sur la droite, là bas, derrière une bonne épaisseur de futaies. On dirait un chant assourdi, un chœur de voix graves, comme retenues. Le sol est humide, je ne m’entends pas marcher, je peux donc avancer en toute discrétion vers un vague halo lumineux où des ombres se dévoilent au gré des nuages. Une odeur inattendue de bougie me prend aux narines.
Maintenant je suis bien habitué à l’obscurité et me trouve à dix mètres d’une scène fantasmagorique : quatre personnages en costumes de théâtre, style XVIIIème, couvre-chefs souples, manches larges, fuseaux collants et chaussures à pointes forment un cercle et chantonnent, bras tendus, mains se rejoignant. Dans cette clairière perdue de la forêt de Brocéliande, sous ce ciel chargé et cette lumière incertaine, le spectacle est saisissant.
Je n’avais pas vu le chandelier derrière l’un des quatre hommes. Le cercle se rompt quand le chant est fini. L’un des guignols se baisse pour saisir les chandelles et le petit groupe se met en marche en file vers le château, à travers les arbres.
Hésitant, mais peu de temps, entre les mettre entre joue en les menaçant de mon arme ou les suivre en silence, j’opte pour le plus raisonnable…

Leur laissant une cinquantaine de pas d’avance je me risque dans la clairière, fixant les lueurs des bougies qui tremblent sous les branches basses. Le sol, ferme jusque là, devient tout à coup meuble et je m’enfonce même jusqu’à la cheville en parvenant à l’endroit où les types chantaient.
Surpris je décide d’allumer ma torche sur le réglage le plus faible et mon regard s’arrête sur un triangle d’étoffe blanche, sortant du sol, d’une propreté immaculée !…
Délaissant ma poursuite, je me baisse, gratouille autour du tissu et découvre un bague, autour d’un doigt, au bout d’une main !! Fébrile, je creuse, creuse, creuse, craignant le pire.
Un bras est dégagé, une épaule, une tête… Mais quelle tête ! Terreuse, les yeux clos, de l’herbe au coin des lèvres, c’est ma Wanda, ma petite Wanda !

- Wanda !

Je n’ai pu m’empêcher de crier, mais les autres sont trop loin, ils n’ont pas pu m’entendre.
Mes mouvements maintenant ressemblent à ceux d’un chien fou qui chercherait son os préféré égaré par inadvertance. Tout le buste est dégagé. J’ouvre violemment le corsage de ma cartomancienne préférée, lui rejette la tête en arrière, lui pince le nez et amorce un bouche à bouche comme mes rêves les plus fous n’en avaient jamais imaginé. C’est une question de minutes, de secondes peut-être. S’il lui reste une once de vie je la rattraperai, dussé-je y perdre mon propre souffle.
Je n’ai pas le temps d’insuffler trois fois que je me ramasse une baffe magistrale comme seule ma Wanda chérie sait en offrir lorsqu’on insiste un peu trop alors qu’elle a dit non…

- Profiteur, gredin ! On peut pas te faire confiance !… Reuuuhh ! Reuh, argh !…

Wanda tousse, crache une touffe d’herbe verte, inspire à fond, recrache.
Elle est sauvée à n’en pas douter. La carne. Quelle vitalité !
Enterrée par une bande de cinglés ré-éditant le forfait des chevaliers qui avaient enfouie leur sœur vivante en 1750 pour de spécieuses raisons familiales ! Et ils font ça souvent ces malades ?

- Ma Wanda à moi, je croyais vraiment que… que…
- Que quoi ? Que j’étais morte ? Ou agonisante ?! Mais au fait, qu’est-ce que je fous dans ce trou ? Dis, dis-moi ! On m’a enterrée ??? Loiseau, je crois que je me sens mal. Loiseau, viens plus près…

Et là, sans que j’aie eu à demander quoi que ce soit, Wanda m’attire à elle et me roule la pelle de ma vie. À me demander si c’est pas elle qui essaye de m’étouffer…
Me vient vaguement une vision de dessins animés : un petit Loiseau sur mon épaule gauche avec des ailes d’ange me souffle que le danger n’est pas loin. Juste avant de voir se poser à droite un Loiseau tout rouge avec deux petites cornes, et qui me regarde d’un œil lubrique. L’a l’air bien plus sympa celui-là !
J’ai été récompensé au delà de toutes mes espérances, puisque notre étreinte va durer jusqu’au petit jour… Les culs-terreux c’est nous !


**********




VI

- Merde, je vous l’avais dit ! Fallait le finir en premier !
- Et en plus, il a défloré la jeune vierge !
- Sacrilège !

Wanda, jeune vierge ! Décidément, ces trublions sont complètement tarés. Me voilà donc à moitié à poil, devant quatre élus en costumes de fous du roi, au-dessus d’une voyante comblée, dans une tombe, au beau milieu de la forêt de Brocéliande ou autre repaire à cintrés. Heureusement, Excalibur a juste eu le temps d’en terminer et il me reste mon bâton à poudre de Merlin-Pinpin pour calmer mes chevaliers de la table ronde.

Monsieur le maire de Plogoff en personne m’attrape pas le col en m’enjoignant de me rhabiller, sale connard ! Avec plaisir ! Les deux adjoints se contentent de piaffer et de hocher la tête ! Il leur manque juste les grelots ! Jusqu’ici, je me sens plutôt d’humeur joueuse. Faut dire que là, je suis bien détendu.

- Legoff, Prigent, vous vous chargez du loustic ! Foutez-le moi dans une oubliette ! Nous, on va changer nos plans pour la jeune mariée, elle m’a l’air bien disposée… Bouge pas salope.

Et il joint le geste à la parole en décochant un coup de pied dans la mâchoire de Wanda qui la laisse, au mieux, assommée. Ah, là, t’as tout raté mon gros ! J’étais bien disposé mais là, tout à coup, je me sens des envies de meurtre. Je me jette sur lui et le matraque de coups. Les autres, tétanisés, mettent bien une trentaine de secondes à réagir, ce qui me laisse largement le temps de lui mettre le visage en charpie. D’autant plus que Perfide qui rôdait par là s’est pour une fois rangé de mon côté et lacère l’oreille droite du maire. Les trois travestis réussissent finalement à me faire lâcher prise et me balançant quelques mètres plus loin. J’en profite alors pour sortir mon 38, tout en me demandant tout à coup s’il est chargé ! Il m’accompagne partout mais je ne me souviens pas de la dernière fois où il a servi ! Peu importe, ils n’ont pas l’air d’avoir l’habitude des armes ou de ces situations.

- Allez Legoff, Prigent, relevez-moi le roi Arthur et obéissez, montrez-nous où se trouvent les oubliettes.

Je m’approche de Wanda. Tout va bien, elle est juste évanouie. Tiens, c’est bizarre, ça ne me calme pas !

- Fais pas l’idiot, le moineau ou tu vas roucouler derrière les barreaux !
- Vous ne savez pas à qui vous avez à faire !
- Ta gueule le Breton !
- Il a raison monsieur, ne prenez pas de décision sous le coup de la colère.
- FERMEZ-LA ! À chaque fois que je viens en Bretagne, ça se termine par un carton et là, je sens qu’on approche de la fin. Ça approche, ça monte, ça monte et… fermez la !

Le chandelier dans une main, le 38 dans l’autre, je suis les quatre abrutis qui m’amènent tout droit à travers couloirs et colimaçons vers les cachots du château. Bifurcation, un couloir sombre et abandonné où une porte semble relativement neuve.

- À gauche !
- Mais les cachots sont derrière cette porte monsieur !
- Me semble t’avoir dit de la boucler ! Tu prends à gauche !
- Mais il n’y a rien par là ! Personne n’y est allé depuis des années !
- Justement !

C’est bien ce que je pensais, nous débouchons devant une sorte de puits dont on ne voit pas le fond.

- Ah, voilà, ça, c’est une oubliette !
- Voyons, mais non, c’est juste un puits !
- Tais-toi ! J’ai le 38 et je dis : c’est une oubliette !
- C’est une oubliette.
- Bien ! Comme tu m’as l’air le plus malin, c’est toi qui sautes le premier !


**********




VII

- Wanda, Wanda ! Me laisse pas tomber, on part en vacances !
- Hello Loiseau !
- Wanda ….
- On est déjà en vacances !
- Je t’emmène voir l’océan !
- Pacifique ? Indien ? Île Maurice ?
- Disons qu’avec l’argent qu’on a récolté, on pourrait choisir les Caraïbes ! La Guadeloupe, peut-être ? je connais deux ou trois gars là-bas qui nous auront une BMW (*).
- Waouhh ! T’es amoureux ou quoi ?


(*) Episode 3 – Mentor – Loiseau des îles


FIN

.
.
[b]

Savoie-Gwada

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Message  Zou Mer 1 Nov 2006 - 17:12

Houlà ! Du consistant ;-)
En tout cas, l'intrigue fonctionne bien malgré quelques longueurs notamment dans le château (lors de la 1ère disparition de Wanda).
J'ai particulièrement aimé la scène dans le bistro que l'on retouve quasi à l'identique lorsqu'ils vont chercher les clés. Cette superposition ajoute au mystère et à l'ambiance qui devient glauque.
En ce qui concerne les rapports Loiseau-Wanda, je les trouve parfois inégaux en verbe, en force, en ton. Peut -être est ce là une des limites d'un 4M lorsqu'il s'agit de cerner au plus près les personnages.
Je regrette la fin un peu baclée peut être par rapport à l'ensemble qui se tenait très bien.
En tout cas très belle prouesse les gars, dans la durée, la tenue, le détail.
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Message  Krystelle Mer 1 Nov 2006 - 18:09

Hé bé, quel boulot ! Pas évident d’écrire un quatre mains qui tienne sur la longueur, assis sur un scénario structuré. Ça fonctionne dans le sens où l’attention est captée, le suspens plutôt bien géré.
Néanmoins, il me semble que la trame de l’histoire reste stéréotypée, vous jouez sur des ficelles standards : le château, l’obscurité, l’explication « sectaire » du dénouement etc… certes ça fonctionne, l’atmosphère est haletante dans l’ensemble mais par moment les ficelles sont tellement grosses qu’elles cessent d’être efficaces et je regrette que vous ne vous soyez pas lancés dans un scénario moins archétypal.
D’autre part, la dimension narrative, chronologique, ordonnée du récit donne un aspect plutôt lisse au texte, nuisent au dynamisme du ton général.
Heureusement, l’humour et la pertinence de certaines scènes plutôt bien vues contrebalancent les stéréotypes et l’aspect monocorde que je regrettais plus haut.
Enfin, concernant la relation Loiseau-Wanda, elle semble forcée par moment, manque de nuance, de subtilité dans l’approche qui en est faite mais c’est sans doute lié aux dialogues qui, pour la plupart, manquent à mes yeux de naturel et fluidité.

Je me relis et me dis que j’y vais fort… D’autant que j’ai bien conscience que la difficulté est accrue du fait que ceci résulte d’un quatre mains. Et puis surtout, j’ai pris du plaisir à le lire. Et donc merci.

Juste une question concernant l’intrigue et cette phrase en particulier : « Enterrée par une bande de cinglés ré-éditant le forfait des chevaliers qui avaient enfouie leur sœur vivante en 1750 pour de spécieuses raisons familiales ! ». Y aurait-il une allusion précédente que j’aurais loupé ? Certainement parce que sinon, je ne vois pas comment Loiseau sort cette heureuse explication de son chapeau. Vais relire…

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Message  Charles Jeu 2 Nov 2006 - 7:15

Ah, dès que ça cause bistrot, ça plait tout de suite plus sur VE :-))

À notre retour au bar les élus nous avaient saoulés d’histoires de chevaliers, de jeunes mariées enterrées vives, de dames blanches, puis enfin avaient daigné nous écouter vendre notre soupe.
Au début, on avait ajouté une petite allusion, peut être insuffisante ?
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Message  Krystelle Jeu 2 Nov 2006 - 7:47

Charles a écrit:Ah, dès que ça cause bistrot, ça plait tout de suite plus sur VE :-))

À notre retour au bar les élus nous avaient saoulés d’histoires de chevaliers, de jeunes mariées enterrées vives, de dames blanches, puis enfin avaient daigné nous écouter vendre notre soupe.
Au début, on avait ajouté une petite allusion, peut être insuffisante ?
Ah ben oui, je pense, parce que là, je me suis vraiment demandée comment Loiseau avait pu trouver l'origine du rite des 4 tarés. L'explication arrive sans qu'on sache d'où elle vient.
Je me souviens quand j'avais soumis la première version de mon Loiseau à Killgrieg, il m'avait reproché d'avoir fait boire une bière à mon personnage alors que je n'avais pas mentionné qu'il l'avait commandée.
Ben là c'est un peu pareil !

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Message  mentor Jeu 2 Nov 2006 - 10:44

Krystelle a écrit:...Killgrieg, il m'avait reproché d'avoir fait boire une bière à mon personnage alors que je n'avais pas mentionné qu'il l'avait commandée.
Ben là c'est un peu pareil !
Ben je vais te confier un secret, nous aussi, on avait commandé une bière et on a failli boire un whiski dans l'histoire ! Comme quoi faut se lire et se relire ! :-)))

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Message  Giny Jeu 2 Nov 2006 - 14:41

je le trouve ni bon ni mauvais cet épisode, plutôt mou.
Je m'explique: les dialogues sont sympas, mais l'histoire en elle-même est un peu faiblarde et l'humour aurait pu être plus incisif. Je n'ai pas été scotchée au texte, pas vraiment envie de le finir . C'est dommage.
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Message  Kilis Jeu 2 Nov 2006 - 18:28

D’abord : Bravo.
J’ai lu cet épisode avec beaucoup de plaisir. Cest vrai que le décors et l’atmoshère sont assez convenus. Cependant je trouve le rythme du récit assez bien mené et l’écriture est fluide. Sachant qu’il n’est pas simple d’écrire à deux, je redis : bravo. D’autant plus que je n’ai pas constaté de grosses différences de ton.
Une déception cependant : je trouve que ce récit n’est pas vraiment bouclé. Vous vous en tirez avec une pirouette et que le lecteur se débrouille.
Faut lui trouver une fin à ct’histoire, bordel !
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Message  mentor Jeu 2 Nov 2006 - 18:35

kilis a écrit:Faut lui trouver une fin à ct’histoire, bordel !
on se doutait bien qu'on allait en prendre plein la tronche, gentiment, sur cette "fin", mais je suis - nous sommes preneurs d'idées pour boucler un peu mieux cet épisode de façon à le rendre digne de figurer au recueil qui sera publié... ;-)
En attendant : grand merci Kilis, et aussi aux autres bien sûr, venus ou à venir (y compris Giny ;-))

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