TEXTES 1500 : Saison 2 - Première journée dehors

   Elle me regarde d’un drôle d’air, un peu comme si je venais de faire une grosse connerie. Sauf que je ne la connais ni d’Ève ni d’Adam, ni d’aucune façon ni autrement. Devant nous la mer s’étale tout en pétole, plate comme une limande qu’on viendrait de repasser au fer blanc. La mer se pare de bleu à vous bouffer les yeux.
   Derrière mes lunettes de soleil, j’attends.
   Elle insiste, me dévisage. Je m’assure qu’il est bien question de moi, coup d’œil à droite, à gauche, je suis seul sur la grève : il est bien question de moi.
   Elle est étalée sur serviette de plage et, entre ses mains, tandis qu’elle me toise, elle joue avec le bouquin d’un auteur américain qui collectionnait les voitures, vidait des bouteilles et pensait que la vie se cramait plutôt qu’elle ne se vivait. Un type qui écrivait : « On n’était pas vraiment en vie ; on s’en approchait, mais on n’y arrivait jamais. » Phrase en apparence d’une simplicité enfantine, mais faire simple est si compliqué. Et faire mouche est si rare.
   Et je parle d’expérience, des bouquins en cellule, je m’en suis coltiné. Des phrases, j’en ai lu en sept ans de tôle.
   Bon, qu’est-ce qu’elle me veut l’adolescente de la plage ?
   Une main se pose sur mon épaule. Derrière cette main, mon ex :
   — Tu trouves pas qu’elle a changé ?
   — Qui ?
   — Ben ta fille.
   Je recadre le tableau. Évidemment, ça fait un choc.
   — Les enfants, ça grandit, elle dit.
   Ce qu’elle m’a toujours fait chier, ma femme, avec ses répliques de roman de gare. Peut-être pour ça que j’avais tenté de la supprimer…

socque a écrit:Excellente chute ! Dans l'ensemble, j'ai aimé, un bon flash pour moi.

Remarques :
« la mer s’étale tout en pétole » : en pétrole ?
« faire simple est si compliqué. Et faire mouche est si rare. » : là, pour moi, c’est raté justement, dans le genre simple