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Cérémonies

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Message  ubikmagic Dim 9 Mai 2010 - 21:40

Je n’ai jamais aimé l’église. On y prétendait certes qu’une créature bienveillante nous avait conçus à son image, afin que nous fussions heureux. Mais on ne disait pas grand-chose de ce bonheur et comment l’atteindre. Par contre, on ne tarissait pas de descriptions concernant le péché, la honte, la culpabilité que nous étions sensés éprouver, suite à je ne sais quelle faute originelle. Au final, il était question de se racheter de toute urgence, pour acquérir le droit d’aller dans un paradis plus que brumeux, dépeint sur un mode inconsistant et qui n’avait en fait rien de si attrayant.
Au départ Protestante, Mutti avait dû, pour épouser mon père, se convertir au Catholicisme. C’est pour cette raison que nous ne connaissions pas ses parents, qui l’avaient reniée depuis. De toutes façons, ils étaient tellement loin, quelque part en Pologne... Mutti devait en souffrir, je suppose. Cependant, elle n’en parlait jamais et il nous était défendu d’évoquer cette branche de la famille. Quand à l’office du dimanche… Je ne sais pas ce qu’elle en pensait, mais elle s’y rendait tout de même assez régulièrement.
Les premiers temps, nous y allions tous ensemble. Mais avec ses nouvelles fonctions, mon père se dispensait maintenant de nous accompagner. Il restait enfermé, à rédiger des articles ou à téléphoner.
Assis sur les bancs en bois, durs et inconfortables, je m’absorbais dans la contemplation des fresques peintes sur le mur de l’autel. Peu à peu, les paroles psalmodiées autour de moi se muaient en un bourdonnement indistinct qui me berçait, m’engourdissait l’esprit. L’imagerie fanée du Christ sur sa croix me renvoyait aux temps antiques. Je m’imaginais dans le personnage d’un légionnaire, passant au ralenti sur son chariot, contrôlant le travail d’esclaves en train de creuser un aqueduc, tandis qu’au loin, là-bas, le Christ agonisait, exposé aux morsures du soleil.
Toutefois, ce jour-là, les rêveries bibliques ne durèrent pas ; mes divagations m’entraînèrent, je ne sais trop comment, jusqu’à Inge et je me rendis compte que je devais en être amoureux. Etait-il souhaitable qu’elle s’en rendît compte ? Et si je devais exprimer mon sentiment, comment m’y prendre ? Le mieux aurait été de la voir en dehors du cours de violon. Mais pour ça, il aurait fallu un prétexte ; seulement voilà, lequel ? Je tournais ces questions dans ma tête, mais aucune ne trouvait de réponse.
Pendant ce temps, son missel ouvert devant elle, ma mère répétait des mots de Latin qui dégringolaient de sa bouche comme des galets lisses, polis par l’eau d’un fleuve, mais parfaitement interchangeables et vides de sens. Ils s’amoncelaient en tas devant ses genoux meurtris par la station prolongée sur le prie-Dieu. Froids et morts, ils constituaient les témoins immobiles d’un discours qui me laissait de marbre.
J’étais reparti de là avec un mal de tête sournois. Dehors, enfin ! L’air frais embaumait les fleurs, tandis que nous traversions le parc.
Lorsque j’étais arrivé à la maison, mon père m’avait prié de le rejoindre dans son cabinet de travail.

Chaque fois que je me rendais dans cette pièce, c’était sur un mode tendu, plein de respect, d’appréhension. Elle n’était pas bien grande mais il y régnait une atmosphère de sérieux, de dignité. Sans doute était-ce dû au portrait d’Opa, raide, obséquieux, engoncé dans sa tenue de général ; aux rayonnages couverts de livres et, au centre, sur le tapis, le bureau de style massif, en bois sombre, derrière lequel mon père se tenait, solennel :
- Wolfgang, je suis fier de toi, et de ton engagement dans le Jungvolk. Sais-tu ce que représente la date du 20 mai ?
- Non, père.
- C’est l’anniversaire de notre Führer. A cette occasion, les jeunes qui comme toi ont choisi la voie de l’honneur doivent prêter serment. Tu le feras, toi aussi.
- Oui, père.
- Parfait. Nous pourrions organiser cela au camp, avec tes camarades. Mais un petit nombre d’éléments méritants a le privilège, chaque année, de se rendre à la forteresse de Marienbourg, en Poméranie. Je me suis arrangé pour que tu fasses partie de cette élite. Cela te fait-il plaisir ?
- Et Franz ? Pourrait-il venir avec nous ?
- Bien sûr. Cela ne pose aucun problème.
- Alors je serai très content d’y aller.
- Fais-moi honneur, mon garçon. N’oublie pas que tu es un Ström, fils et petit-fils d’officier !
- Je ne te décevrai pas.
- Puisque ce jeune homme t’accompagne, appuie-toi sur lui, inspire-toi de son exemple. C’est un garçon courageux et fort. Tu es chanceux de l’avoir pour ami.
- Je sais.
Il m’avait donné l’accolade et je m’étais retiré dans ma chambre, fier de l’intérêt et l’estime que me portait mon père.
Dans le couloir, j’avais croisé Ida, et feint de ne pas seulement la voir.


Je m’empressai d’aller consulter le dictionnaire. Marienbourg était un château médiéval édifié au treizième siècle par les chevaliers Teutoniques, pendant leurs croisades pour évangéliser les Prussiens. Durant des décennies, l’ordre s’était battu, essentiellement contre les Polonais, et le château s’était étendu, gagnant peu à peu en surface sur la campagne environnante.
L’article ne comportait pas de photographie. Alors je laissai aller mon imagination. Dans mon esprit passaient des visions d’imposante demeure, bardée de hourds, de pont-levis, de donjons…
Je sentais l’excitation monter en moi. J’avais envie d’y être déjà.

< Ce texte sera libre aux commentaires à compter de ce lundi 10 mai et vaudra pour toute la semaine.
Merci de votre compréhension.
La Modération >

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Message  midnightrambler Dim 9 Mai 2010 - 23:21

Bonsoir,

Le mythe - c'est le seul qualificatif qui me vient à l'esprit à cette heure avancée de la nuit - du péché originel ne faisait effectivement pas bon ménage avec le sentiment d'appartenir à une race de seigneurs. Bon nombre de ceux qui ont élu Adolf Hitler au poste de chancelier d'une manière tout à fait régulière n'ont pourtant pas renié leur appartenance au christianisme, protestantisme ou catholicisme. Cela leur a permis, à l'instar de Pie XII, de fermer les yeux sur le sort réservé au peuple juif.

Précision : Adolf Hitler est né le 20 Avril 1889

Amicalement,
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Message  Invité Lun 10 Mai 2010 - 5:29

Un petit regret : je crois qu'il aurait été intéressant d'avoir un développement sur les attitudes religieuses dans la maisonnée, ainsi la mère se retrouve la plus engagée dans une religion qui au départ n'est pas la sienne, tandis que le père se retranche... cela dit, je reconnais que c'est délicat, vu par les yeux de l'enfant qui n'a pas de raison d'analyser la chose.

Quelques remarques :
« la culpabilité que nous étions censés éprouver »
« Au départ protestante (je pense, je ne crois pas qu’on mette de majuscule aux identifiants religieux) »
« se convertir au catholicisme (idem) » : c’est un peu bizarre, je trouve, cette mère polonaise protestante qui doit se convertir au catholicisme pour épouser son mari, il me semblait que les Polonais étaient en grande majorité catholiques
« Quant à l’office du dimanche »
« J’étais reparti de là avec un mal de tête sournois » : je ne suis pas sûre de l’intérêt du plus-que-parfait ici, au lieu d’un passé simple
« Lorsque j’étais arrivé à la maison, mon père m’avait prié » : idem, on sait qu’il s’agit d’une journée particulière, cela a été dit plus haut, avec accompagnement du passé simple
« Sans doute était-ce dû au portrait d’Opa, raide, obséquieux, engoncé dans sa tenue de général ; aux rayonnages couverts de livres et, au centre, sur le tapis, le (« au », non ? c’était dû au bureau) bureau de style massif »
« Il m’avait donné l’accolade et je m’étais retiré dans ma chambre, fier de l’intérêt et l’estime que me portait mon père.
Dans le couloir, j’avais croisé Ida, et feint » : même remarque sur le temps ; je trouve assez lourd ce plus-que-parfait, alors que vous avez épinglé cette journée, plus haut, par un passé simple, « ce jour-là, les rêveries bibliques ne durèrent pas »

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Message  silene82 Lun 10 Mai 2010 - 6:23

Si l'on prend en considération que la protestation massive contre la persécution des handicapés et déficients avait obligé le nazisme a l'interrompre, on ne peut que se perdre en conjectures sur l'attitude que les Bavarois, majoritairement catholiques et fer de lance du Parti, auraient adoptée en cas de condamnation claire tant du régime que des exactions contre les Juifs par le pape.
Il n'en est que plus piquant qu'il soit question de le béatifier : une décoration nazie à titre posthume aurait plus de sens.
Distinction insigne pour Wolfgang, qui pour une fois n'est pas à la remorque de Franz, mais devient au contraire son passeport pour une cérémonie tout à fait symbolique et privée, à laquelle ne peuvent participer que des élus triés sur le volet.
Autre point intéressant en filigrane, alors que le discours nazi revendique la distinction due au courage et à la valeur militaire - et politique -, la réalité contredit catégoriquement cette assertion, et les passe-droits et privilèges fonctionnent exactement comme dans n'importe quel régime, indépendamment de la valeur intrinsèque des recrues. Il est plus important d'être dans le peloton de ceux qui sont proches du pouvoir que "vertueux", si l'on peut s'exprimer ainsi en parlant des nazis.
On voit un cas de figure comparable dans les Bienveillantes, où le narrateur est introduit dans les sphères d'un certain pouvoir par la rencontre avec l'individu ad hoc.
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Message  Louis Mer 12 Mai 2010 - 23:53

Cet extrait nous montre la sortie de Wolfgang hors d’une église. Cette sortie, c’est aussi celle du jeune Ström hors de la religion catholique dans laquelle ses parents, son père, sa mère protestante convertie, l’ont élevé. Il ne s’agit pas pourtant de rupture avec la religiosité. On a plutôt l’impression que Wolfgang quitte un lieu sacré, l’église, pour d’autres lieux, plus sacrés à ses yeux : le bureau de son père, ou la forteresse de Marienburg dans laquelle il va être introduit.
« Chaque fois que je me rendais dans cette pièce, c’était sur un mode tendu, plein de respect, d’appréhension. Elle n’était pas bien grande mais il y régnait une atmosphère de sérieux, de dignité. » Le cabinet de travail présente, en effet, les principales caractéristiques du sacré et de ce qu’il suscite : respect, appréhension, sérieux, dignité. Le lieu ressemble fort à une chapelle. On y trouve même une image sainte, le portrait d’Opa ; un bureau y trône comme un autel ; le père y règne, solennel.
Wolfgang ne trouve plus de sens dans la religion catholique, mais, dans le Jungvolk et dans le parti, il entre dans une autre forme religieuse, qui comporte aussi ses cérémonies, son culte, ses rituels, son guide , sa parole et ses lieux sacrés, ses élus.
La catholicisme n’est pas nié et rejeté, mais désaffecté comme vidé de sens. Le père de Wolfgang reste catholique, mais donne la priorité aux activités du parti et ne fréquente plus l’église, forme vide qui subsiste comme marque d’une identité collective enracinée dans le passé.
Seule, la mère, une fois de plus, se démarque et reste une « fidèle » à cette religion à laquelle pourtant elle s’est convertie, afin de pouvoir épouser l’homme qui désormais prêche et officie dans le parti nazi.
Ton texte évoque bien, Ubik, le transfert de religiosité qui s’effectue dans la famille Ström, père et fils. Un extrait d’aussi bonne qualité que ceux que tu nous as déjà donnés à lire.

Louis

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Message  Invité Jeu 13 Mai 2010 - 10:48

Lu avec plaisir. Bien le parallèle sur les "cérémonies". J'aurais aimé que tu consacres un petit peu plus de temps, à la première partie. On sent qu'elle n'est là que pour appuyer, servir de tremplin à ce qui va suivre.

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Message  Invité Ven 14 Mai 2010 - 8:40

Plaisant, dans la mesure ou se mêle romance , intrigue amoureuse, dans un fond plus soucieux et sombre. C'est de belle facture, un bon mélange,

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Message  Rebecca Ven 14 Mai 2010 - 13:35

Encore un morceau de qualité qui se laisse lire avec plaisir.
Rebecca
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