Analyse automate

Tous les mardi depuis sept ans c’est rituel.
Léa débauche à 16h pile, se gare devant la petite pharmacie de quartier qui fait l’angle, emprunte l’allée sous les porches d’immeubles en tirant d’énormes bouffées d’une cigarette qu’elle n’aura pas le temps de finir, compose le code d’accès du bâtiment, se dirige vers l’ascenseur impair et monte au cinquième.
Sa main connaît sur le bout des doigts le chemin vers l’interrupteur : à gauche, à hauteur du sein et à demi pliure de coude, le couloir silencieux s’éclaire et lui indique la dernière porte.
Ignorant l’écriteau "sonnez avant d’entrer" , elle tourne la poignée et referme assez fort pour qu’il l’entende mais pas trop pour ne pas le déranger.
Il lui reste le couloir de l’appartement à longer pour entrer dans la salle d’attente, le sas de décompression.
L’immense Yuka qui part de l’angle de la fenêtre vient ombrager les meubles, table ronde en vieux bois, presque entièrement recouverte de magazines en vrac, fauteuils en aluminium et cuir, plus modernes, dont le beige ne rappelle pas l’ébène de la table, vieux bureau d’écolier d’un bloc avec le banc attaché au pupitre.
Elle sort son stylo, son chéquier et en rempli un par avance pour ne pas perdre une minute du temps passé ensuite. Puis elle pose la tête sur le mur, adossée au siège, ferme les yeux et laisse les pensées l’envahir, comme un chargeur de munitions.

Léa l’entend sortir du bureau, raccompagner le précédent à la sortie pour lui ouvrir et lui serrer la main avec un au revoir tête penchée mais regard droit dans les yeux. Elle le visualise, c’est une scène d’adieux qu’elle connaît bien.
La porte de l’appartement se referme, celle du bureau aussi. Elle patiente, il viendra la chercher. La porte s’ouvre à nouveau, elle récupère sac et manteau le temps qu’il se détache dans l’encadrement et lui dise un bonjour à peine audible, de peur de réveiller les fantômes convoqués par centaines, elle le suit jusqu’à ce bureau. A l’entrée, il marque un temps d’arrêt, lui serre la main pendant que ses lèvres formulent un autre salut inaudible.
A gauche, encore à gauche pour aller dans le petit boudoir sombre, s’installer sur le canapé en cuir et bois, se tortiller jusqu’à trouver la position idéale et lui laisser le temps de prendre la petite chemise bleue qui renferme sa vie et le stylo plume à encrier qui la rédige.
Elle attend et le regarde.
Il est prêt, relève la tête, elle détourne les yeux et commence à faire jaillir les émotions contenues, les douleurs présentes, les humiliations et mauvais traitements passés, au rythme de la plume grattant le papier.
Parfois une respiration d’une minute est nécessaire pour remettre en ordre intelligible les mots qui se bousculent pour prendre l’air, emprisonnés depuis trop longtemps.
Souvent un éclat de rire partagé fuse, déverser sa souffrance oui, mais pas sans la dérision qui lui a permis d’y survivre.
Quand elle a été écoutée jusqu’au bout de ce qu’elle avait à dire, il lâche quelques phrases, des tuteurs de réflexion, des jeux de piste à élucider, des boussoles salvatrices.
Une demi-heure plus tard, ils troquent en silence feuille de soin contre chèque, vérifient les prochaines dates dans leurs agendas respectifs et jouent la scène d’adieu visualisée plus tôt avec un autre.
Le trajet retour, couloir, ascenseur, allée, pharmacie, parking est plus léger ou grave.

Ce mardi, 17h15, assise bouche entrouverte sur son lit d’hôtel, Léa vient de se rendre compte qu’elle parle depuis un quart d’heure à une chambre vide.
Immédiatement, elle se dit qu’il faudra lui raconter la semaine prochaine.

Un texte touchant, je trouve, qui sonne vrai.

Mes remarques :
« Analyse automale » : automnale ?
« Tous les mardis (les noms de jours ne sont pas des noms propres) depuis sept ans c’est rituel »
« "sonnez avant d’entrer" , » : typographie, pas d’espace avant une virgule
« L’immense yucca qui part de l’angle de la fenêtre »
« son chéquier et en remplit un par avance »

Aë, il est mal le psy qui a laissé s'installer cet automatisme, surtout au bout de sept ans ! Que ça intervienne au cours de la première année, quand on en est encore à donner la " version officielle", j'admets, mais pas quand le vrai travail est entamé ! Et s'il ne l'est pas au bout de sept ans, il le sera quand ?

J'ai l'i qui défaille !
Et je n'ai rien dit du style... peut-être parce qu'il est si fluide qu'il en devient évident.

Pardon, ma vue baisse, j'avais mal lu le titre. "Analyse automate", c'est un peu bizarre je trouve, voulez-vous dire "Analyste automate" ou "Analyse automatique" ?

Moi je suis 100% cette analyse automate au titre en forme de jeu de mot lacannien. Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'une analyse cependant, mais une thérapie vécue, ça j'en suis certain. Parfaitement rendu. Bravo !

Une écriture fluide. Une situation bien vue.
On attend la semaine prochaine même heure même endroit pour que tu nous racontes. Prévoir caractères sonnants et trébuchants.
Mes adieux qui n'en sont pas.

Sept ans ! Belle rente...
Au moins, au bout de 7 ans, Itshak pouvait jouir de Lea, à défaut de Raquel.
Comme quoi tout est déjà dans la Thorah.
A vous relire avec intérêt, bienvenue.

C'est bien ces textes tellement bien écrits qu'on les dévore avec gourmandise.
Pour le reste, brrrrrrrrr.

Jolie écriture, quelque chose de charmeur dans l'expression. Pour le sujet du texte... je demande la suite, parce que là, pour le moment, j'ai l'impression de déjà connaître.

Ce texte part de l’idée toute simple d’une femme tellement habituée à parler à jour et heure fixe, qu’elle le fait sans s’en rendre compte quand le moment vient, même hors cadre.
Ceci explique l’exagération des sept ans, je voulais marquer le temps qui a tellement ancré l’habitude, j’en ai mis un peu trop, au détriment de la vraisemblance.

Pour le titre, je pensais, en visualisant la scène finale, à ces poupées automates qui répètent inlassablement leurs gestes, il ne peut donc se rapporter à l’analyste.
Je le trouve bizarre aussi ce titre, peut-être que "analyse d’automate" conviendrait mieux?

Merci beaucoup pour tous vos commentaires.
En vous lisant, je me suis aperçue que j’avais complètement loupé la chute qui se voulait amusante, humour noir et tendre moquerie.
Je repasserai pour l’humour :-)

En effet je n'avais pas compris la dernière phrase alors qu'elle est essentielle. Il faut juste la tourner un peu autrement pour que ce soit plus évident. Sinon le reste est parfait.

elea a écrit:…au détriment de la vraisemblance.

Pas du tout invraisemblable pour moi. Je pense que tu as écris autre chose peut-être que ce que tu avais l'intention d'écrire. Mais ce que tu as écris est plus que vraisemblable.
"Immédiatement, elle se dit qu’il faudra lui raconter la semaine prochaine."
est tout à fait vraisemblable, même sans humour, même au premier degrés.

elea a écrit:Ce texte part de l’idée toute simple d’une femme tellement habituée à parler à jour et heure fixe, qu’elle le fait sans s’en rendre compte quand le moment vient, même hors cadre.
Ceci explique l’exagération des sept ans, je voulais marquer le temps qui a tellement ancré l’habitude, j’en ai mis un peu trop, au détriment de la vraisemblance.

Dans ce cas, alors, toute la faute revient à l'analyste qui a laissé cette habitude s'ancrer sans ne rien faire contre ça, comme il a été dit plus haut.

Moi, je l'avais comprise autrement, cette fin. Comme une psychose particulière de la patiente s'aggravant de séances en séances et qui ferait que l'analyste ne peut faire autrement que d'instaurer cette monotonie dans leurs entretiens. Ce qui dramatise plus encore l'histoire et colle également très bien avec la sincérité qui émane du texte et le côté vécu et "à la limite de la rupture psychologique" que je ressentais pendant la lecture.

Un très beau texte, vraiment.

Une belle qualité d'écriture. La description du cheminement connu par cœur (sur le bout des doigts !) est très réussie. Je trouve aussi beaucoup de réalisme et de sincérité dans le propos.
Et moi non plus je n'ai pas été convaincue par le dernier paragraphe. Du coup ce "loupé" de la chute enlève ce qui aurait pu relever, détoner dans ce texte-peinture d'un rendez-vous finalement si monotone et répétitif.

un style, à n'en pas douter. Bravo, rien que pour ça
et puis là, je trouve que la narration au présent est un plus
la "chute" n'a pour moi rien d'humoristique, au contraire même, c'est plutôt tragique, car j'imagine que le cinéma qu'elle se fait,, elle n'aura pas forcément le cran de le restituer tel quel
très bon texte

Merci pour vos derniers commentaires.

C’est vrai que la scène finale est plus tragique que drôle, c’est justement ce qui me donnait envie d’en rire, de le tourner en dérision, un rire noir, ou jaune.
Quelque chose de pathétique et d’absurde qui du coup frise le comique et dont elle-même se moquera en complicité avec l’analyste la semaine d’après.
C’est très mal rendu, je dois retravailler cette fin.
A moins que je laisse le texte m’échapper et ne pas avoir le sens voulu.
Je ne sais pas encore.