Mécanique

Le cœur mécanique de Big Ben s’enraye dans une litanie lancinante, tandis que les lumières éphémères des lampadaires éclairent les entrailles de la capitale, permettant à ses habitants de presser le pas. Les nuages gris semblent côtoyer son sommet, étouffant le clapotement de la pluie qui, à peine créée, glisse le long du toit. Ce n’est pas cette tempête qui dérègle le monstre, cette expérience du chaos lui permet au contraire de subsister et de se parer contre les temps difficiles ; à condition qu’elle ne se retrouve pas engloutie ou détruite par cette violence.
Cependant, jamais on n’a vu la Tamise si agitée, jamais on n’a vu des londoniens si inquiets en regardant le ciel, jamais on ne les a vus autant le prier de se calmer. A chaque fois que cela arrive, les petits êtres en voient toujours le bout, mais la durée de cette crise semble anormalement longue et dans le cœur de chacun, on peut sentir le pouls et le pas s’accélérer. Le beau temps se fait attendre et il est difficile d’avoir de l’espoir dans une telle situation. Certains des londoniens se cloîtrent chez eux, préférant la douceur de leur couette ; mais la plupart s’animent d’une humanité soudaine et, préférant le réconfort de leurs proches, se réunissent en petits comités les uns chez les autres et tentent d’oublier la tempête tout en se posant des questions dessus. Les rues de Londres sont désertes, le cours du temps est suspendu un instant, mais cela ne signifie pas que rien ne s’y déroule. Au contraire, c’est le moment où tout est chamboulé.
Je suis l’horloger, mais je ne suis qu’une particule de ce grand tout qui se trouve juste au bon endroit. L’horloger n’a pas plus de pouvoirs face aux éléments, mais, contrairement aux autres, peut agir. Il appuie ici, tourne là, tire, pousse, frotte, et écoute le grognement de cette entité qui crée tout ce vacarme. Il ne faut pas sous-estimer la responsabilité de Big Ben dans le scénario qui se déroule au quotidien à l’extérieur ; c’est en réalité elle qui le contrôle et qui décide, malgré elle ou de son plein gré, du déroulement des choses. Quand l’horloge va mal, tout le monde va mal et c’est la ville entière qui souffre.
Parfois, le problème paraît insoluble, mais jusqu’ici, une issue a toujours été trouvée. Il faut certes retourner la situation dans tous les sens, bidouiller, mais sans prendre de risques car cela pourrait être fatal pour l’horloge. Dévisse trop un boulon, décale trop une aiguille, et le flux mécanique peut s’affoler ou s’arrêter.
A l’extérieur, le temps se gâte encore. Les canaux sont frappés de plein fouet par la foudre et s’éclate violemment sur le sol, le faisant trembler et le paralysant pendant quelques secondes. On aperçoit même des corps inertes, se déhanchant au gré des remous comme dans une dernière danse macabre. Agrippés à la grande aiguille, mes yeux se perdent dans cet océan de destruction qui prend de plus en plus d’ampleur au fil des minutes. Nous sommes à la mi-juin, en début d’après-midi, et toute la douleur du monde semble être contenue dans ce seul endroit. Soudain, le plancher de l’horloge vibre sous mes pieds et m’invite à reprendre le travail de guérison. Les rouages sont vérifiés un par un, les plus petites vis sont resserrées et le battement de mon cœur se confond avec l’éclatement de la pluie.
Au bout d’un certain temps qui me paraît interminable, ma main déniche dans un espace entre les rouages un objet phallique froid et métallique. Agissant à tâtons, je parviens tant bien que mal à le libérer. A ce moment-là, frappée par un éclair, la tour s’illumine d’une clarté maritale, transperce ma rétine qui devient aveugle quelques secondes, et se remet en marche dans un fracas monstrueux. Retrouvant la vue, je peux enfin observer l’instigateur du déluge, une version miniature de Big Ben, mouillée elle aussi. Mon étonnement laisse place à de la curiosité et, alors qu’elle paraissait sans blessure et intacte, je remarque que le centre de l’horloge laisse apparaître le ventre de la bête, là où aurait dû se trouver son cœur.
Le clapotis cesse petit à petit, le grondement s’éteint, le soleil pointe son nez à travers la grisaille, et enfin, les londoniens osent jeter un œil par la fenêtre de leur appartement, l’ouvrir, puis au fur et à mesure s’aventurent dehors, comme pour constater que la douleur n’était que passagère, que tout est redevenu normal. Demain, ils découvriront des magasins dévastés, des caves ravagées, et un cœur mécanique qui ne sonnera plus tout à fait pareil. Il n’en ressortira jamais intact et, en donnant la vie à d’autres lui, en se multipliant, ne fera que transmettre indéfiniment ses faiblesses, ses blessures et toutes les souffrances qui le rongent.
Le jour où la souffrance de ce cœur deviendra irréparable, celui-ci s’autodétruira par une pression trop forte, où sera annihilé par les éléments autour de lui. Ainsi, les cellules qui le font marcher, ces unités fabriquant l’espace-temps, ce sang coulant dans ses veines, mourront soudainement, n’ayant plus rien à quoi se raccrocher. Le corps de Londres sera envahi par la saleté, des insectes naîtront de ses entrailles et s’affaireront à faire disparaître ce qui auparavant en faisait un être vivant.

Vu son état politique on ne peut que se réjouir de la disparation de ce satellite américain, à moins qu'on lui rendre Churchill ( et encore, avec modération ) 00-)

" disparition " s'entend.

J'aime bien la fin, et l'idée du texte d'une manière générale, mais la description de ce "cœur" Big Ben miniature m' paru bien trop nébuleuse, j'ai pas vraiment pigé.

Mes remarques :
« Ce n’est pas cette tempête qui dérègle le monstre, cette expérience du chaos lui permet au contraire de subsister et de se parer contre les temps difficiles ; à condition qu’elle ne se retrouve pas engloutie ou détruite par cette violence » : c’est pas le monstre non déréglé par la tempête, le sujet de « ne se retrouve pas » ? Auquel cas il devrait être masculin
« jamais on n’a vu des Londoniens si inquiets »
« Certains des Londoniens se cloîtrent chez eux »
« Parfois, le problème paraît insoluble, mais jusqu’ici, (tenez-vous à la virgule ici ? si oui, je pense qu’il en faudrait une autre après « mais ») une issue a toujours été trouvée »
« Les canaux sont frappés de plein fouet par la foudre et s’éclatent violemment sur le sol, le faisant trembler et le paralysant pendant quelques secondes » : ça correspond à quoi, au juste, un sol paralysé ?
« la tour s’illumine d’une clarté maritale » : et une clarté maritale, c’est quoi ?
« les Londoniens osent jeter un œil par la fenêtre de leur appartement, l’ouvrir » : l’expression est malheuresue, j’ai eu l’impression que le Londonien ouvrait l’œil, et non la fenêtre, après avoir regardé par ladite fenêtre
« celui-ci s’autodétruira par une pression trop forte, ou sera annihilé par les éléments »

Je ne sais pas s'il s'agit d'une allégorie - je suis encline à le penser- mais je trouve ça plutôt réussi, à ma façon de l'interpréter. Bien aimé l'ambiance. Me semble qu'un peu plus de clarté ne nuirait pas à la compréhension du texte.

Merci pour ces corrections.
Le coeur de Big Ben est le centre de l'horloge, ce qu'on pourrait aussi appeler l'oeil. Comme on renvoie ici à la naissance, la clarté maritale est l'union entre deux êtres.
C'est en effet une allégorie, je pourrais expliquer clairement dans le texte mais j'ai trouvé plus intéressant de laisser au lecteur l'interprétation, car tout expliquer nuirait aussi à l'ambiance que j'ai essayé de créer.