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L'onychophage

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Message  Yellow_Submarine Lun 24 Mai 2010 - 18:57

Elle se ronge les ongles depuis sa plus tendre enfance, malgré les piètres tentatives de sa mère pour l’en dissuader à grand renfort de menaces ou de cajoleries. Elle aura tout essayé, y compris lui badigeonner les doigts de force de cet infâme vernis au goût amer qu’elle passait ensuite des nuits entières à écailler sous la couette à la seule fin d’être capable de fourrer ses doigts dans sa bouche sans vomir.

Ni les humiliations publiques, ni la phrase « Enlève tes doigts de ta bouche » serinée à la cantonade n’ont connu plus de succès. Ses doigts restaient un instant suspendus dans les airs sous l’injonction maternelle avant de regagner la protection chaude et réconfortante de sa bouche. C’était en apparence une enfant calme et studieuse, bien que souriante et sociable, dont la plus grande passion consistait à dévorer tous les livres qui lui tombaient sous la main, à commencer par les récits héroïques des dieux d’Égypte, de Rome ou de la Grèce Antique. Mais sous cette placidité trompeuse bouillonnait un caractère ombrageux et intransigeant dont les remous se traduisaient en cuticules arrachées et mains dévastées.

Les années ont passé et c’est maintenant une jeune femme réservée. Sa grand-mère a pour habitude de la comparer à une bougie, flamboyant de mille feux lorsque l’atmosphère est empreinte de confiance et de bien-être, éteinte et insignifiante le reste du temps, ce qui représente la majorité des cas. Le vilain tic compulsif dont elle est accablée a persisté. Mais elle est parvenue à le cantonner à ses seuls pouces, unique concession faite à sa féminité et à l’admiration sans bornes proche du fétichisme qu’elle voue aux griffes laquées des mannequins. Par superstition ou pour conjurer le sort, elle est allée chez la manucure le jour de son mariage se faire poser de faux ongles, petits coquillages de nacre étincelants censés lui porter bonheur. La simple pensée de voir son mari en devenir faire glisser son alliance toute neuve le long d’un annulaire déchiqueté eut fait office de mauvais présage pour leur future vie de couple. Elle eut néanmoins l’impression que des mains étrangères lui avaient été greffées, des mains appartenant à une personne sensuelle et sûre d’elle. Et même si elle ressentit un immense soulagement le jour où elle put enfin décoller les minuscules fragments et retrouver la sensation de sa peau sous ses dents, elle regretta longtemps sa French manucure et le doux cliquetis de ses ongles sur le clavier,

L’infime craquement des ongles, audible pour elle seule, la jouissance de sentir la kératine céder en microscopiques éclats, l’étincelle de douleur au moment où la peau s’arrache, laissant un morceau de chair à vif où un peu de sang se met à perler sont pour elle autant de repères rassurants. Elle apprécie en bonne connaisseuse leur goût métallique et salé associé à leur texture croquante. Pourtant elle ne peut s’empêcher d’éprouver un profond sentiment de gêne à chaque fois qu’elle remarque que son interlocuteur observe ses pouces avec dégoût et tente de les soustraire aux regards en les enfonçant profondément dans ses poings. Elle cherche depuis belle lurette un fondement, une justification pour cet acte irrépressible. Elle a lu tous les articles, les livres publiés sur sa « maladie », comparé les différentes hypothèses des psychanalystes, anthropologues ou sociologues, soupesé les arguments des uns comme des autres et les a confrontés à sa propre expérience. En vain. Jusqu’à présent, aucune explication ne lui a semblé satisfaisante. Aujourd’hui, elle a abandonné ses recherches car elle considère que son onychophagie, même si ses causes en demeurent mystérieuses, fait partie intégrante de sa vie, au même titre que son mari et ses enfants. Elle l’entretient, l’observe avec affection mais circonspection comme on le ferait avec un animal de compagnie, pas totalement domestiqué, encore un peu sauvage.

Sa fille lui racontait récemment que leur maîtresse leur avait demandé d’illustrer une histoire et que son dessin avait été exposé en classe. Tandis que, les joues roses de fierté, la gamine le décrivait avec moult détails : le fier Samson à terre, le crâne rasé et Dalila exhibant sa chevelure telle un trophée, celle-ci ne s’aperçut pas que les vieux démons de sa mère avaient ressurgi.

Cette fois, la jeune femme sentait que la solution était toute proche, à portée de la main. Qu’il lui suffisait de plisser les yeux pour qu’une certaine logique transparaisse derrière ses pensées éparses, comme ces tableaux impressionnistes ne révèlent pleinement leur sens et leur beauté qu’après s’en être éloigné de quelques pas. Elle reprit ses recherches, retrouva les vieilles théories fumeuses sur l’onanisme, l’agressivité, l’automutilation, qu’elle rejeta à nouveau en bloc. Mais elle ne s’avoua pas vaincue, persuadée que les méandres de la Toile recélaient de nombreux trésors et lui réserveraient bien d’autres surprises. Des bribes d’information, délivrées avec parcimonie, naviguaient aux confins de sa conscience. Les rognures d’ongles d’un grand chef conservées avec vénération, celles des saints dans leur chasse précieuse, pourvoyeuses de guérisons inexpliquées et de bien d’autres miracles dont témoignaient avec gratitude les innombrables ex-voto dans les nefs des églises. Se peut-il que de la tête aux pieds, les valeurs intrinsèques de chaque personne soient véhiculées par la kératine ? Peut-on se les approprier en absorbant cette substance, en ingurgitant les ongles de son entourage à la manière des Indiens qui arrachaient le cœur de leur adversaire avant de le dévorer pour en acquérir son courage ? L’onychophagie, cannibalisme guerrier contemporain, apprivoisé ? L’onychophage, vampire des temps modernes ?

Elle se mit en chasse. Le plus difficile n’était pas de trouver la matière première. En tant que femme, elle pouvait sans s’attirer les sarcasmes de ses homologues disposer de tout l’attirail nécessaire à la manucure dans son sac à main : lime, ciseaux à ongles… Bien au contraire, ce faisant, ne sacrifiait-elle pas aux clichés machistes ? Elle prit alors le pli de le laisser négligemment traîner sur son bureau, dans une trousse élégante humoristiquement brodée « Mon petit bazar ». Elle s’amusait de voir ses visiteurs, hommes et femmes, la manipuler avec curiosité, en extraire un à un les différents instruments et tout en lui exposant leurs doléances rectifier l’arrondi d’un ongle. Il ne lui restait plus qu’à recueillir le fruit de leur labeur qu’ils abandonnaient derrière eux en s’excusant, ce à quoi elle rétorquait invariablement « Laissez, je m’en occupe » avec un léger sourire entendu.

Non, le plus compliqué était de discerner derrière le masque le caractère intime de l’individu, l’élément fondateur de sa personnalité, son trésor, sa pépite. La frêle brunette à la voix douce derrière le comptoir de l’accueil ne cachait-elle pas une rigueur sans faille ? Et ce commercial, au rire haut perché dont les blagues salaces camouflaient peut-être une véritable timidité ? Heureusement, le poste qu’elle occupait dans le département des Ressources Humaines était idéal pour démasquer les vices et découvrir les vertus et les tests psychologiques dont elle inondait les candidats se révélaient être de précieux alliés.

Les mois passèrent. De la jeune femme réservée, il ne restait rien. Son mari ne la comprenait plus. L’exubérance et l’intrépidité dont elle faisait preuve désormais ne lui étaient pas coutumières et ces changements aussi soudains qu’inhabituels l’atterraient. Il ignore tout des minuscules flacons qu’elle dissimule dans un coffret et dont elle avale méthodiquement quelques miettes chaque matin. Des flacons qui contiennent les résidus d’individus qui lui sont tout aussi inconnus et que seule l’étiquette, identique à celle que les légistes accrochent à l’orteil des cadavres, lui permettrait d’identifier comme suit : « Homme, 35 ans, R & D, créativité », « Femme, 40 ans, comptabilité, diplomatie », « Homme, 42 ans, Commercial, volubilité »…
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Message  Invité Lun 24 Mai 2010 - 20:02

Une belle idée, mais le texte m'a trop tenue à distance (une écriture trop froide, peut-être) pour que je puisse m'immerger dans l'histoire... L'ennui rôdait pendant la lecture, même.

Mes remarques :
« La simple pensée de voir son mari en devenir faire glisser son alliance toute neuve le long d’un annulaire déchiqueté eût fait office de mauvais présage pour leur future vie de couple »
« et le doux cliquetis de ses ongles sur le clavier, » : un point, non, à la place de la virgule ?
« celles des saints dans leur châsse précieuse »

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Message  Invité Mar 25 Mai 2010 - 9:47

Je n'ai pas très bien saisi la transition entre la première et la deuxième partie ; entre la vilaine habitude et la décision de récolter et consommer les rognures d'ongles des visiteurs. Pas trop suivi en quoi la scène avec le dessin de l'enfant est un évènement déclencheur. Et ça me trouble, parce que je sens potentiellement quelque chose de très bon auquel il manque peu pour donner toute sa mesure sordide.

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Message  elea Mar 25 Mai 2010 - 18:44

Je vois le rapport entre le dessin de Samson et Dalila et le fait que la force d’un être réside dans une partie de son anatomie que l’on peut couper, les cheveux pour le dessin et les ongles pour la mère, mais c’est un peu tiré par les cheveux :-)
Et puis je comprends cela parce que la personnalité de la petite fille est devenue bien différente au fur et à mesure de l’avancée des ans et du nombre d’ongles rongés. Le caractère bouillant a disparu avec les ongles arrachés, en ingérant les rognures des autres elle va se forger le caractère qu’elle veut.
Mais c’est un peu confus, il faut creuser pour comprendre, ce n’est pas fluide et liant, peut-être fait exprès, il faut ronger la cuticule du texte pour le saisir?

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Message  Rebecca Mar 25 Mai 2010 - 20:10

Un peu trop tiré par les cheveux euh par les ongles pour moi...pourtant c'est vrai il y a du potentiel dans cette histoire...à mon avis pour me connecter à ce personnage il eut fallu qu'elle s'exprime en direct. Ce "elle" nous éloigne du sujet . Du "je" eut mis moins de jeu entre ma lecture et elle. Là on l'observe comme une espèce rare de papillon épinglé, certes interessant, mais aux ailes suspendues au néant . On ne virevolte pas avec elle, elle est un specimen que l'on contemple. Froidement.
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Message  silene82 Mer 26 Mai 2010 - 7:11

La fable est en soi très intéressante, qu'elle en reste au thème central d'appropriation par un cannibalisme soft, ou qu'elle emprunte des chemins de traverse avec les digressions possibles, qui ouvriraient tout un potentiel comique éventuellement : qu'est-ce qui se passe si on ingère des "vertus" contradictoires, ou antagonistes ?
D'autant qu'on ne saisit pas bien ce que la jeune femme veut exacerber en elle : elle est décrite comme brillant potentiellement de mille feux, qu'est-ce qui peut bien lui manquer ? C'est peut-être là qu'un ressort pourrait donner une autre ampleur au texte, en décrivant ou suggérant la quête des attributs dont elle considère être dépourvue.
Le ton général du texte, malgré l'absence de chute grinçante et/ou cruelle, m'a fait penser à M_arjolaine.
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