Exo lettre d'insulte : Kyrie

Kyrie

Bientôt, je t’oublierai. J’ai tenté de te cultiver, de te rendre aussi beau qu’un champ de fleurs folles sous le soleil, mais tu n’es demeuré qu’une grossière friche à la terre sèche et dure, aux fruits aussi insipides que ceux qui pousseraient dans un désert de tubercules tordus. On t’a traité d’idiot, mais ce n’était pas moi, moi je t’aimais comme j’aime les mots, comme j’aime la brusque anacoluthe, le boustrophédon jéjunal, le couillard napiforme, la jactation ithyphallique : tout cela, c’est toi !
Bientôt, je t’oublierai, mais pour l’heure je m’égare. Je m’égare en toi qui fus mon cheval de bataille, toi pour qui le temps ne comptait plus, toi le fier destrier devenu rosse puis carne, et de carne à cadavre il y a peu…
Des nuits d’insomnie, j’en ai passé pour satisfaire à tes exigences, car, non content de t’étaler dans mon lit, tu t’amoncelais dans mon esprit en de grand-guignolesques bribes, grumeaux coagulés, sécrétions intellectuelles catarrheuses, et las ! Les outrages que je proférais n’étaient pas à la hauteur et se retournent aujourd’hui contre toi, toi dont je racle les os poreux en espérant encore y trouver de la moelle, alors que tu es depuis longtemps exsangue, vidé de ta substance en une complète exérèse.
Je te hais pour tous les espoirs que tu m’as fait perdre, pour le temps et l’énergie que je t’ai consacrés, pour le résultat déplorable que tu me forces à exhiber aujourd’hui. J’aimerais ne t’avoir jamais connu, glose ostentatoire, diatribe oiseuse, impuissant factum, mais te voilà maintenant aux yeux de tous, dévoilant impudiquement mes carences.
Bientôt, je t’oublierai. Tes lettres tomberont tels les cheveux d’un cancéreux, tu auras dans la bouche un goût de vase ou de vaseline, selon l’endroit où tu auras laissé traîner ta morveuse morgue, tes humeurs visqueuses s’écoulant lentement dans le caniveau d’écrits versés aux encres usées.