Portrait de Blanche

J’aimerai tant dépeindre ta peau blême
Ton corps nu posé sur un kilim
Ou faire de toi un portrait sublime
Et puis l’accrocher comme un emblème

A recouvrir d’un chaud manteau de rimes
Incrusté et serti de poèmes
Qui enjoliverait notre bohème
Et illuminerait ta déprime

Mais là planté devant mon café crème
Ce que je prémédite est un crime
Blanche, depuis le temps que je m’escrime
Croquant ta figure de carême

J’ai acquis cette conviction intime
Que tu me mens sur un certain thème
Et que lors seul le châtiment suprême
Permettra que pour toujours j’exprime

Une vision que j’ai de toi extrême
Comme les sentiments qui m’oppriment
Or cette esquisse en forme de dilemme
Nécessitant que je te supprime

C’est juste une toile blanche sans frime
Ton anatomie en anathème
C’est juste ton amour en interim
Que je peindrai comme un stratagème

J’y jetterai de transparents je t’aime
Pour que plus jamais tu ne les brimes
Et ta blancheur érigée en système
Que ma signature s’y imprime

J’encadrerai ton absence et en prime
Pour parfaire mon œuvre et mon thème
Je poserai ce baiser pour la rime
Au cœur d’invisibles chrysanthèmes

Un excellent jeu sur les rimes et le rythme, très maîtrisé !

Au début :
"J’aimerai tant dépeindre ta peau blême" : "J'aimerais", non, puisque le narrateur ne va pas le faire, qu'il médite un crime à la place ? Il me semble qu'un conditionnel serait mieux à sa place que ce futur

C’est juste une toile blanche sans frime
Ton anatomie en anathème
C’est juste ton amour en interim
Que je peindrai comme un stratagème

J’y jetterai de transparents je t’aime
Pour que plus jamais tu ne les brimes
Et ta blancheur érigée en système
Que ma signature s’y imprime

magnifique

socque
Oui un conditionnel serait mieux qu'un futur , mais par contre le narrateur va quand même le faire (décrire sa peau blême) ! Le crime qu'il envisage, virtuel, est de la supprimer de la toile , il va peindre une toile blanche, parce s'il ne peut plus la voir en peinture , il veut la représenter quand même, à sa façon. Donc une petite ambiguité. Mais j'en suis d'accord, au début le conditionnel est mieux adapté . Le futur s'impose quand le projet se précise.
Pardon pour ce commentaire de commentaire .

Reb, je te trouve bien dissipée...
;-)

J'aime le tout mais la dernière strophe me plaît particulièrement, où tu as su rendre palpable la présence de la future absente. Beau travail sur l'absence, le vide, le néant, le non-être, l'envers du décor ; beau travail vraiment, Rebecca.

Et un plus pour ce clin d'œil complice au lecteur :

Pour parfaire mon œuvre et mon thème
Je poserai ce baiser pour la rime

Je sais pas pourquoi et cela m'étonnerait que ça soit le cas mais j'ai pensé à Francis

Beau poème

Châtiment suprême que ce non-portrait qui gomme son modèle en niant son existence !
Une grande élégance dans le fond et la forme de ce poème qui semble se jouer de ses contraintes avec l'aisance d'un funambule.
Bravo Rebecca !

Ce poème porte bien la rime, et sa lecture en est agréable.
Par ces mots l'on voit combien le vide sur le tableau est significatif !

Oui, une " Blanche " sans aucun noir !

Beau boulot, Reb', bravo.
Et dites moi, devant cette tache blanche, vous voyez quoi, au fait ?

Belle réussite Rebecca, tant sur le fond que sur la forme. Les sonorités donnent du peps au texte mais n'atténuent pas la force qui s'en dégage, ni sa cruauté et sa tendresse. J'aime particulièrement ce que tu évoques, cette évolution et ce regard doux-amer, très réaliste, sur ce blanc à remplir ou au contraire à maintenir.

"J'aimerais"
"À recouvrir"
"en intérim"

L'oeuvre et les conditions de sa création. Le décentrement, appuyé par les trois démonstratifs ("cette conviction", "cette esquisse", "ce baiser") sert de fil conducteur à la lecture. Les connecteurs logiques ("mais" au vers 9, "Et" au vers 15, "Or" au vers 19) permettent de suivre pas à pas les étapes d'un raisonnement propre à l'artiste. Les deux premières strophes manifestent le souhait du locuteur de mener à bien son projet (conditionnels : "aimerais", "enjoliverait", "illuminerait"), de transfigurer l'amour au sein de son couple ("notre bohème") par une oeuvre qui tiendrait à la fois du travail poétique (métaphore "chaud manteau de rimes"), de la représentation picturale (groupe nominal à caractère superlatif : "portrait sublime"), de l'oeuvre du joaillier (participes passés particulièrement valorisants : "incrusté et serti"), voire de celle de l'héraldiste ("emblème"). Cependant, malgré ses efforts répétés (marqueur temporel : "depuis le temps", verbe marquant l'échec : "m'escrime"), ce voeu n'a pas trouvé à se réaliser et l'artiste en cherche à présent les raisons profondes en dehors de ses compétences personnelles. La crédibilité du modèle est fortement contestée ("tu me mens") et ce constat est définitif, sans appel ("J'ai acquis cette conviction intime"). C'est le double statut de modèle et de compagne qui dresse une barrière infranchissable à l'artiste. Par son amour, la maîtresse empêche le locuteur (verbes exprimant une forme d'asservissement : "sentiments qui m'oppriment", "tu... les brimes") d'avoir un accès véritablement esthétique à ce corps, à cette "figure de carême" impossible à transférer sur la toile. Les conditions de la réussite artistique passent donc par la cassure du lien amoureux (champ lexical tragique : "crime", "châtiment suprême", "je te supprime", "dilemme", "chrysanthèmes") et par le retour impromptu du modèle considéré seul (verbe et nom commun exprimant la ruse employée par le locuteur : "prémédite", "stratagème", terme technique : "anatomie", expression à caractère dévalorisant : "amour en intérim"). Alors seulement l'avenir peut se présenter avec ses certitudes de succès (anaphore du présentatif  : "C'est juste", caractère incontestable de l'expression "pour toujours", groupe nominal à une forme superlative : "vision extrême", utilisation du futur : "permettra", "peindrai", "jetterai", "encadrerai", "poserai"», champ lexical de la création artistique : "système", "signature", "oeuvre", titre du poème marquant la concrétisation de l'oeuvre : "Portrait de Blanche").

Merci pour le partage !